Décembre-1948

1er décembre [1948]

Baudry vient me chercher et me conduit à l’Institut. Commission de la villa Médicis. On se décide pour les deux listes : liste A réservée aux chefs d’ateliers de l’École, B, artistes en renom. En somme mauvais système. Plutôt, on s’y est mal pris. Dès la pétition (avril dernier), l’Académie aurait dû prendre contact avec les pétitionnaires. C’aurait été vite réglé. Si le ministre n’accepte pas, influencé comme il le sera, qu’est-ce que nous ferons? Tout revient à ce que l’Acad[émie] n’est pas du tout défendue par le secrétaire perpétuel. Pour l’instant, Pontremoli et moi devons mettre au point un rapport. Idée de Boschot. Pourquoi? Puisque le texte voté, établi par moi, est rédigé article par article. Mercredi prochain on le soumettra à l’Académie.

En séance, P[aul] Léon parle du grand projet des ateliers que la ville de Paris veut construire dans le quartier S[ain]t-Paul, et qui serait placé sous l’égide de l’Académie des Beaux-arts. Roux-Spitz, après de dures bagarres avec Greber, en sera l’architecte. Roux-Spitz est protégé par Herriot. Mahmoud Bey assiste à la séance et nous annonce une exposition franco-égyptienne à Paris pour le prochain automne.

Une des dernières séances de la commission du Tricentenaire. Donc on ne fera rien! Pontremoli suggère l’idée d’une exposition anecdotique à la Nationale (gravures, carnets d’artistes, etc., et quelques grandes pièces). Mais on n’a que quinze jours maintenant pour formuler [le] budget et engager les dépenses.

2 décembre [1948]

Je commence la médaille de Lacour-Gayet. Il arrive accompagné d’une très jolie femme. C’est une Hongroise, sa nouvelle secrétaire. Durant la séance, il pose plus pour la secrétaire que pour moi... Quel homme charmant et érudit. Je crois que c’est un des hommes les plus étonnants qui soient. Fondateur, je crois, de Radio-Luxembourg, d’une maison d’édition, et de beaucoup d’autres affaires, auteur d’ouvrages d’histoire très nourris et, il me semble, fort amateur de jolies femmes et consommateur.

3 déc[embre 1948]

Séance du buste de Dominique Schneider. Vraiment jolie petite fille. Soir, réception chez les Charles Schneider. J’y rencontre Daultry, le comte des Isnards, Monsieur et Madame Marie. On nous retient à dîner. Nous passons une soirée charmante. Mon Cantique des cantiques est très admiré.

4 décembre [1948]

Aujourd’hui je peux chanter victoire. J’ai trouvé Shakespeare. C’est enfin le Shakespeare éternel. Je ne crois pas que pour Michel-Ange un autre sculpteur puisse en trouver un meilleur. Je ne crois pas qu’on puisse trouver mieux pour Shakespeare. Assis, tout droit, comme un sphinx, plutôt comme un pharaon, sur un rocher, drapé dans son manteau, qui, sur un personnage assis, n’a guère d’époque. Il regarde, droit devant lui, comme un sphinx. À droite et à gauche, à ses pieds, Ariel et Caliban sortent de terre. La comédie et le drame, le bien et le mal, etc. Journée à marquer d’une pierre blanche, comme cette soirée, à la Turbie, il y a bien des années, j’ai esquissé en dessin le monument d’Alger.

Erreur des imbéciles de critiques de croire que les idées heureuses, tout au moins en sculpture, nous viennent comme ça "en entendant chanter le rossignol". Non. Elles sont toujours l’aboutissement de réflexions. Ce Shakespeare, fini, apparaîtra peut-être, comme jailli d’un seul jet. Or c’est le mauvais, celui que je trouve mauvais, qui est venu comme d’un seul jet.

5 décembre [1948]

Visite d’Orlandini qui vient me remercier de l’article d’Opéra. Après-midi, visite de Javal. Nous parlons de l’illustration de l’Enfer. Je lui recommande la patience...

Chez Ladis[1]. La pauvre Lily[2] paraît bien malade. Elle a eu deux opérations aux seins il y a quelques années. À présent, elle semble atteinte à la gorge. Ladis craint une généralisation. Mais on est parait-il sur la voie de méthodes nouvelles que Picot va essayer. Avec ces fameuses hormones qui logiquement semblent efficaces. On cite des cas.

6 décembre 1948

Ministère du Travail. Commission du reclassement pour les professions "aléatoires". C’est le terme auquel on s’est rallié pour désigner les professions artistiques aux revenus en effet aléatoires. M. Rozier préside. Il y a Cacan, Pacouil, Mendès-France. Ce Mendès-France qui est frère ou cousin du député, parait avoir impressionné Rozier. Il est président d’un salon dit des Super Indépendants, ce qui devrait suffire pour qu’on ne le prenne pas au sérieux. Mais il parle de "vocation" et de "message", ce qui doit suffire à un État pour classer parmi les artistes ceux qui déclarent en avoir la vocation et se sentent chargés d’un "message" (sic). On croit rêver. On n’ose pas le contredire. On est resté deux heures à tâcher de trouver une définition de l’artiste. Pas facile! On ne peut pas dire que c’est celui qui vit de son art, parce que beaucoup n’en vivent guère. Et puis les amateurs. Avec les lois nouvelles, sécurité sociale, allocations familiales, etc., il faut que les artistes entrent dans une catégorie bien déterminée. Après la séance, Pacouil me rappelle que, pendant l’occupation, j’ai pu l’empêcher d’être déporté. Ils sont nombreux comme lui.

Après-midi, bonne séance à la frise des Pèlerins d’Asklépios[3], avec la modèle Fryn, qui a dû être belle.

7 décembre [1948]

Buste de la petite Dominique S[chneider]. Que cette petite est jolie, pas une beauté fugitive. Jeune fille et jeune femme, elle sera un genre chef-d’œuvre.

8 décembre [1948]

Monsieur Maillot [4] vient avec son second relever  les côtés du socle et me montrer le projet d’aménagement du terre-plein devant le bureau technique où doit être placé la statue. Ce sera bien. Malgré la difficulté, j’espère faire une bonne statue. Il faut s’orienter vers la distinction. Ce costume d’académicien avec le grand manteau-cape, ça doit rendre. Et puis, M. Schn[eider] avait une belle tête.

Retouches au buste de Marthe de F[els]. J’aurais dû prévoir qu’elle poserait très mal. Elle fait pourtant de son mieux.

Mais je me régale avec l’esquisse Shakespeare. Je tiens une grande chose, c’est sûr. Il faut l’exécuter maintenant. D’abord convertir Robert Rey qui s’amuse à jouer les Diderot. Il tient à la première esquisse anecdotique. Au fond, il n’y connaît rien. Achever Asklépios d’urgence. Ensuite mener d front : statue E[ugène] Schn[eider]Shakespeare et les autres parties de la Porte. Besogne de jeune homme. Je crois pouvoir m’en tirer.

9 décembre [1948]

Visite à Ladis-Lily[5]. Lily est dans son lit. Incidemment, je dis à Ladis de me prévenir du jour où P[aul] Léon remettra à Wanda[6] sa décoration. Il me répond, avec une désinvolture stupéfiante :

— Mais il y a longtemps que c’est fait.

Je suis étonné et je dis :

—Pourquoi ne m’avez-vous pas prévenu? J’aurais été content de l’embrasser.

Il répond, à moi :

— C’était tout à fait dans l’intimité.

Je ne pourrai jamais oublier le ton de légèreté, l’espèce de pirouette qui accompagnait cette déclaration stupéfiante. C’est tout juste s’il ne s’est pas levé pour faire une aile de pigeon. J’étais stupéfait. Et puis il a ajouté :

— Il n’y avait que ceux qui s’en sont occupés. Toi, tu l’as plutôt gêné avec Naegelen! Elle ne t’a rien demandé, et tu n’as jamais rien fait pour elle.

Tout ça, sic, et c’est Ladis, mon cher Ladis qui me tenait ce propos. Malgré mes répugnances pour des discussions aussi mesquines, je lui dis que lorsqu’elle m’a demandé quelque chose, comme de l’aider à avoir le prix de l’Académie des B[eau]x-A[rts], il y a quelques années… Alors le pauvre Ladis, il me répond :

—Non, ce n’est pas toi, c’est Reynaldo Hahn!

Voilà qui me dévoile tout ce système d’intrigues, de recommandations avec lequel on a poussé cette malheureuse Wanda. Ils étaient paraît-il quinze invités pour la décoration! Pour le prix de l’Académie, il y avait Hahn, moi, Paul Léon. Je suis parti. Je ne crois pas que je pourrai remettre les pieds dans cette maison où Ladis vient de m’apparaître sous un jour tout nouveau, si contraire à l’image si belle que j’en avais. Les hommes âgés tombent toujours sous des influences de femmes plus jeunes et insinuantes. Ou bien c’est une secrétaire, ou bien une nièce, ou bien une amie de la famille, ou bien une fille même. Cette petite Wanda, qui est une malheureuse au fond, une refoulée, se rattrape par l’ambition et s’avère comme une arriviste effrénée. Ça m’est égal. Mais elle a nui dans l’esprit de Ladis à Françoise et à Marcel[7]. Elle a complètement changé Ladis. Je viens d’en avoir la révélation soudaine. Je ne m’en remettrai jamais. Je verrai toujours l’expression avec laquelle il m’a dit :

— Mais c’était dans l’intimité.

À moi, son frère...

10 décembre [1948]

Lacour-Gayet vient poser accompagné de la marquise de Dalmatie. Elle nous récite des vers d’elle, amusants, intelligents. C’est une délicieuse petite jeune femme, qui parait assez abandonnée de son marquis de mari. Elle a plutôt le genre petite ouvrière de notre jeunesse.

11 décembre [1948]

Tout à fait content de Shakespeare. Ça sera sûrement une statue épatante. À commencer sans tarder. Aux tourments, aux chagrins comme celui créé par Ladis[8] bien stupidement, incompréhensible, il n’y a qu’un remède, le travail sauveur. C’est la supériorité de l’art sur toutes les autres activités. C’est tout de même très pénible, un être qu’on plaçait au plus haut plan se révélant mesquin et pas sincère vis-à-vis de lui-même.

12 décembre [1948]

Le jeune Helbert, l’élève de Farret et de Dropsy, vient me voir. Il m’apporte des sujets d’esquisses. Ce petit, plein de bonnes intentions, manque de culture première. Je ne sais pas si je pourrai le sortir. Il a tout à apprendre. Les patrons de l’École me paraissent de pauvres types.

Ladis[9] vient. Évidemment il regrette. Mais son orgueil est tel que venu pour essayer de m’expliquer l’inexplicable muflerie, il se met à me faire le procès de Lily[10], de moi-même dans notre "fanatisme", de nos enfants, etc. Ça a toujours été son système, au cher Ladis, de déplacer les questions. Je l’ai laissé parler. Il est vieux. Et pourtant, j’encaisse difficilement les ahurissants propos qu’il m’a tenus. Je ne peux pas ne pas en conclure que rue Darcel, sous l’influence de cette petite sotte, on clabaudait sur nous! Et moi qui, toutes les fois qu’autour de moi, on tenait sur Wanda des propos sévères et mérités surtout sur sa courtisanerie et ses intrigues, je la défendais. Le pauvre Ladis est parti, satisfait sans doute? Il se trompe lui-même. Je n’aurai plus aucun plaisir à aller rue Darcel. Si Lily[11] n’était pas malade si gravement, je n’y retournerais plus.

Après-midi, visite chaleureuse de l’amiral Lemonnier, sa femme, sa fille. Et puis Perreux et sa femme. Le baron de Guerre, ami des Ch[arles] Schn[eider], Mme Bour aussi. Mais elle vient trop tard pour voir l’atelier. Elle nous amenait deux amis, le ménage Ledereau, qui habitent 36, rue Paul Valéry. Que nous inviterons au printemps.

13 décembre [1948]

Toute la journée à l’épatante esquisse Shakespeare. Interrompu par Escorne Freydol, le savant comptable qui vient établir toute la paperasse pour les lois ouvrières, sécurité sociale, etc.

Fin de journée, je vais chez Baudinière, signe le service de presse pour mon bouquin. Il est bien fuyant Baudinière lorsque j’essaye de savoir à combien d’exemplaires j’aurai droit. Je ne ferai plus rien avec lui. Ni avec personne, sûrement, dans cette sorte d’activité. Faire un nouveau livre? Vraiment non.

14 décembre [1948]

La caractéristique de l’époque, c’est qu’il n’y a plus de hiérarchie de valeurs.

15 décembre [1948]

Depuis longtemps, je n’avais pas assisté à un jugement à l’École. Je fus aujourd’hui au concours dit de petite figure. Ça ne se passe plus dans la salle Melpomène, mais dans la salle de figure modelée, cours Yvon. Les figures sont dispersées. Nous étions peu nombreux. Il y avait Gimond qui parle avec sa canne, Janniot avec son allure de brute, Martial, Gaumont, Niclausse. Untersteller est venu. Tout ça, sans grand intérêt.

Je déjeune à la Société de Géographie économique, où l’on était fort nombreux et où je ne connaissais presque personne. Un certain M. Manaut qui fut, je crois, ministre du Ravitaillement, nous a prédit que nous allions vers la famine. C’est possible. Mais comme on venait de bien déjeuner, on n’a pas été très impressionné.

Réception Rome-Athènes à la Sorbonne. Sympathique, très. Mais, partout, il règne maintenant une atmosphère de gêne. Chacun ne pense qu’à soi. Jamais on n’a tant parlé de collectivité. Jamais on ne fut aussi individualiste. Et puis, il y a eu la fondation de notre association Les Amis de la villa Médicis, qui a rendu tant de services, que André Bloch, un peu serin, a très mal pris. Il y a vu une création contre Rome-Athènes! Immédiatement, il s’est précipité pour créer Les Amis de Rome-Athènes, ce qui n’a aucun sens.

18 décembre [1948]

Tous ces jours, travaillé à Shakespeare. Ça pourra être une œuvre grande. Mais elle devrait être placée dans un endroit isolé, pas dans ce tohu-bohu d’auto [12]. Après tout, la contemplation de l’agitation humaine, c’est comme la mer.

19 décembre [1948]

Visite de la gentille Mme Saulnier, connue à La Haye, qui ne s’est pas représentée au Conseil de la République. Femme très sensible. Elle est très emballée, surtout par le Cantique des cantiques. Visite aussi du ménage Bardanne. Ce sont deux êtres très étonnants. Lui surtout. Sa vie est vraiment le plus étonnant roman d’aventures. La partie la plus étonnante est peut-être plus pendant l’occupation, quand il fut arrêté, interrogé par les policiers de Vichy (dont Léonard!), dans des conditions terribles, plus même que son voyage clandestin récent en Russie, qui pourtant est extraordinaire.  Quand on réfléchit à ces récits[13], on conclut que ces bolcheviks russes sont des gens habiles, qui savent lier à eux par leurs intérêts des masses utiles, mais que cependant, un perpétuel péril menace. On ne tient pas impunément tout un peuple à la gorge, en l’espoir d’un immense bonheur qui ne vient jamais... Le régime policier n’est tout de même pas le comble du bonheur. Le gouvernement russe actuel a avec lui une catégorie de paysans, les fonctionnaires (qui vivent du régime), les policiers (qui sont les vrais maîtres) et des intellectuels arrivistes et égoïstes. Bardanne dit que les scientifiques ont à leur disposition tout ce qu’ils veulent pour leurs recherches. Ça, c’est très bien. La France, avec son système petit bourgeois d’économie, devrait prendre exemple.

20 décembre [1948]

Je fais une grande esquisse pour le monument E[ugène] Schn[eider]. J’en tirerai quelque chose. Ce costume avec la cape, on doit arriver à un certain style. Chercher surtout élégance et distinction.

Visite de Madame Lechat, enchantée. Nos rapports sont devenus parfaits. Elle n’a pas de paroles pour dire son impression du groupe[14]. Devant le Michel-Ange, elle dit qu’elle va en parler à Bizardel pour un achat.

21 décembre [1948]

Madame E[ugène] Schn[eider] vient avec son architecte M. Maillot pour voir la grande esquisse du monument. Elle est bonne et Maillot ne trouve rien à redire pour les proportions du socle. Quant à l’emplacement, la municipalité sûrement acceptera le projet.

J’installe aux pieds de Shakespeare Ariel et Caliban. Pour Caliban, malgré la description de Shak[espeare] qui en fait un incompréhensible poisson, j’en fais une espèce de gorille, un Triton si l’ont veut à corps de gorille. Ariel est plus difficile. Je n’ai pas vu La Tempête au théâtre. Ariel ne peut être que femme, androgyne peut-être. J’en fais une femme, une fée à ailes de libellule. La libellule, quel symbole, cet être merveilleux dont la première incarnation est peut-être l’être le plus laid et le plus malfaisant qui soit, aussi petit qu’il soit, aussi ignoré soit sa vie, dans la vase des marais.

Il faut que j’écrive à Robert Rey. Mais quoiqu’il me dise, c’est cette esquisse que j’exécuterai. Quoiqu’il me dise, je ne le laisserai pas faire son Diderot.

Heuzé me téléphone. Il est toujours dans sa crise d’euphorie électorale. Il a lu mon livre et me dit qu’il va faire, à son propos, un article sur l’enseignement, dont il ne s’est jamais occupé! Quelles sottises va-t-il écrire. Je peux facilement les deviner.

22 décembre 1948

Buste de la petite Dominique[15]. Il vient. Mais quel travail énervant qu’un buste d’enfant. Cette petite-là est pourtant bien gentille, et si jolie.

À l’Institut, séance assez calme. Renouvellement des commissions. Je me fais inscrire à la commission de la villa Velasquez, pour ne pas laisser se renouveler l’opération de la dernière destitution des bourses. Avec les nouveaux élus genre Souverbie, Untersteller, il faut être présent pour empêcher les injustices et ce paternalisme éhonté.

Puis, je vais à la radio faire une communication "optimiste". Enfin, chez la duchesse de La Rochefoucauld, vient à moi un homme petit, sympathique, qui me dit :

— Je suis Philippe de Luynes.

Serrement de mains. Il me dit n’avoir trouvé ma lettre pour la statue de Rude et de Cavelier que tout dernièrement, à son retour d’Amérique. Que tout ce qui est chez lui est à notre disposition. Hélas! Tout ça est raté.

23 décembre 1948

Lacour-Gayet en venant poser me dit que mon livre l’a énormément intéressé. Il le trouve très bien écrit. Il a appris quantité de choses en le lisant. Je reçois, le même jour, lettre de Reclus pleine d’éloges qui me touchent beaucoup, sur le même sujet.

Mais je travaille à quelque chose de plus difficile : le buste du médecin militaire Sch[neider] d’après photos.

26 décembre [1948]

Cette danseuse, Carmen Amaya, a beaucoup de nerf. C’est sa caractéristique. Elle est petite, la tête trop grosse. (Il y aurait toute une dissertation à faire sur ce thème : pourquoi la proportion de huit têtes fait-elle bien? Pourquoi la proportion de six têtes fait-elle mal, dans l’adulte? Pourquoi chez l’enfant la proportion de huit têtes ferait-elle aussi mal? La proportion de six têtes, cinq, fait bien?) Carmen Amaya ne doit pas avoir plus de six têtes et demie. Mais sauf dans la première danse, dans les autres, ses costumes font disparaître ce défaut. Ce qu’il y a eu de beaucoup le meilleur, c’est le Boléro (de Ravel), qui n’est d’ailleurs pas de Ravel car le thème est [un] thème populaire espagnol, donné par un ballet dont elle, Carmen, est la principale protagoniste. À un moment, tous les danseurs tournent. Elles sont sur un fond sombre. Toutes les jupes sont horizontales par le tournoiement. La lumière éclaire juste de tourbillonnement d’ellipses. Tableau à faire.

27 décembre [1948]

Téléph[one] du sculpteur Becquerel. Il est fort agité. Il parait que le ministère du Travail vient de sortir sa définition de l’artiste pour la classification de la profession : "Est artiste, dit textuellement le document, celui qui vit pour sa profession qui est son activité principale... " On imagine tout ce que veut ménager une définition aussi vague. Il me demande de venir me voir. Il arrive.

— Cela s’est décidé, me dit-il, lors de la dernière séance, où vous n’étiez pas. C’est Mendès-France, président! des super Indépendants qui a orienté vers ce texte absurde. On croirait du Pontremoli. Becquerel me demande de protester. Je le ferai certainement. C’est trop absurde. Il n’y a pas de raisons, avec une définition pareille, pour [que] les quarante millions de Français ne soient pas inscrits dans la profession.

28 décembre [1948]

Je reçois la visite de Mme S[chneider] venue voir le buste de son mari. Elle est accompagnée de Melle T., secrétaire du docteur. Elle est aussi en deuil de veuve. Elles sont toutes deux belles, la vraie Madame S[chneider], plus belle que la secrétaire. Presque de même taille. Je pense : les deux veuves. Le buste est bien parti. Elles sont très amies et, ensemble, pleurent leur bel homme.

29 décembre [1948]

Terminé le buste de la petite Dominique[16]. Au fond, ces bustes-là ne sont jamais terminés comme on voudrait. Mais il est bien, ressemblant. La présentation est bonne.

Madame Ibert, après avoir vu la salle du Temple, m’avait dit connaître à Rome une dame Tarfani qui rêvait d’un temple de ce genre. Téléph[one] de cette dame il y a quelques jours. Réception pour elle, tout à l’heure, quai d’Orsay. Comme je m’en doutais, c’est un milieu théosophique. Je connais. Ils ont déjà un vague projet. On a parlé, toute lumière électrique éteinte, dans la demi-obscurité d’un éclairage de bougies. Madame T[arfani] a récité des vers de sa composition. Visite à mon atelier dimanche prochain.

31 [décembre 1948]

Été embrasser Ladis et Lily[17]. Lily n’est pas bien. Pour moi, vis-à-vis de Ladis, il a cassé quelque chose de précieux. Nos rapports sont devenus artificiels. J’en suis excessivement peiné. C’est lâche d’abuser des services qu’on a rendus, pour se croire autorisé à toutes les mufleries. Ladis, je le vois, maintenant, comme un de ces gros pontes de la médecine qui se croient autorisés à faire la leçon à tout le monde, et se considèrent comme infaillibles. Comme il s’est amoindri. Mauvaise fin d’année, à ce point de vue. En tout cas, j’ai pu ne rien lui dire de ce qu’il aurait mérité. C’est mon acte manqué. Il vaut mieux qu’il en soit ainsi. Cette année qui finit, comme pour bien d’autres, je peux me dire, comme de Vigny, que je n’ai fait volontairement de la peine à personne.

 

 


[1] Ladislas Landowski.

[2] Amélie, femme de Ladislas.

[3] Nouvelle Faculté de médecine.

[4]. H. Maillot, architecte de Madame Eugène Schneider.

[5] Ladislas Landowski et sa femme.

[6] Wanda Landowski.

[7] Françoise Caillet-Landowski et Marcel Landowski.

[8] Ladislas Landowski.

[9] Ladislas Landowski.

[10] Amélie Landowski.

[11] La femme de Ladislas.

[12]. Suivi par : "où elle va être", raturé.

[13] Jean Bardane publie en 1948 Chez Monsieur Staline.

[14] Le Retour éternel.

[15] Dominique Schneider.

[16] Dominique Schneider.

[17] Ladislas Landowski et sa femme.