Septembre-1954

1 septembre [1954]

À propos d'argent dont l'Académie des B[eau]x-Arts a besoin pour son annuaire, comme Untersteller s'offre pour faire des démarches auprès de l'adm[inistration], Boschot, la bouche pleine, accepte! Je proteste. On ne confie pas à un garçon qui s'est en toute occasion conduit traîtreusement une démarche de ce genre. Boschot a compris sans que j'ai eu à insister.

3 sept[embre 1954]

Mendès-France remanie son cabinet. Son problème : comment maintenant résoudre le problème du réarmement allemand contrôlé? Le rejet de la CED apparaît de plus en plus comme folie. Mendès[-France] paraît très sincèrement vouloir se dégager des communistes.

7 septembre [1954]

La nécessité s'impose de surélever la France[1] et les figures du second plan, le cavalier et l'artilleur. À la taille définitive, par la perspective, les figures du premier plan monteraient et le second plan s'enfoncerait.

9 sept[embre 1954]

J'ai mis sur le bouclier que tient la France le symbole des trois déesses : Liberté, Égalité, Fraternité. Ça fait froid. Trois symboles sur la grande allégorie de la France. Tout ça est contraire à mes principes. Dans le cirage que je suis!

10 sept[embre 1954]

Je crois avoir trouvé un arrangement heureux des L[iberté], É[galité], F[raternité]. Aujourd'hui, oui. De quoi demain sera-t-il fait!

Catastrophe en Algérie. La ville d’Orléanville, un tiers détruit par un tremblement de terre, 100 000 morts au mois.

Mendès-France préside le Conseil atlantique.

Françoise[2] rentre satisfaite de son concert à Deauville.

11 sept[embre 1954]

Eden fait un tour d'Europe. Le refus de la CED met le projet d'union européenne dans un fameux pétrin. Facile à prévoir. Et maintenant, attendons la fameuse solution de rechange?

14 sept[embre 1954]

Dans sa tournée européenne, Eden et ses interlocuteurs manifestent un accord parfait. Elle semble vouloir obliger M[endès]-Fr[ance] à abattre ses cartes.

15 sept[embre 1954]

Mme N[3]. fort belle, qui vient poser pour la France : magnifique enchâssement des yeux. C'est par leur enchâssement que les yeux paraissent grands. Chez elle, les arcades sourcilières sont d'une grande puissance. L'étude commencée vient bien. Mais quand même, il n'y a pas de trouvaille! Mme N. qui voit beaucoup de monde, me dit que M[endès]-Fr[ance] joue double jeu. Je ne crois pas.

16 sept[embre 1954]

Mendès-France et Eden se sont rencontrés. Il ne semble pas que rien de fameux soit sorti de cette entrevue.

17 sept[embre 1954]

Mendès-France fait une excellente déclaration où il affirme la nécessité d'une réconciliation France-Allemagne.

18 sept[embre 1954]

Le travail marche. Je ne suis quand même pas très emballé. Il n'y a pas de trouvaille, comme j'en ai eu pour Alger[4], pour les Fantômes, pour Casablanca[5], pour le monument du XVI°[6]. C’est affreux cette hâte! Pas le temps de patauger, pas le droit de se tromper!

19 sept[embre 1954]

À Nevers, M[endès]-Fr[ance] fait un grand discours. Pourquoi a-t-on l'impression qu'il a des arrière-pensées? Au fond, il ne voudrait pas de l'Europe. Alors? Recommencer l'aventure franco-russe?…

20 sept[embre 1954]

À Strasbourg, nouveau discours de Mendès-France. On ne peut que l'approuver et sans aucune réserve.

22 sept[embre 1954]

J'attendais la belle Mme N[7]. Elle n'est pas venue.

23 s[eptembre 1954]

Visite au Dr Wiel. Il me trouve en bon état. Lily[8], c'est moins bien. C'est vrai qu'elle a besoin de soins. Mais ce qu'elle a, on ne voit pas clair. Dr W[iel] achète de la peinture. Il se confie à un marchand chez lequel il vient d'acheter un Goerg pour 250 000 F! mauvais comme tout. C'est de l'escroquerie vraiment. Il me pose des tas de questions sur Matisse, Rouault.

—Mais ils sont hors de prix déjà, dit-il.

Jacques Villon...

24 sept[embre 1954]

Gaumont critique les inclinaisons un peu trop parallèles. Il craint un mauvais effet des ombres portées. Je pense cette crainte injustifiée. Par contre, il a raison pour la draperie de "La France". C'est idiot d'avoir flanqué là cette figure allégorique.

Mme N. est venue poser aujourd'hui. Parler politique. Elle considère toujours Mendès-Fr[ance] comme douteux. Il remplacerait en ce moment le personnel des ministères par des communisants.

25 sept[embre 1954]

Rendez-vous au Trocadéro pour la cérémonie de la pose de la première pierre du monument[9]. Je trouve bien inutile cette cérémonie, idée de Jacques Meyer. Il y tient. Il était là, bien entendu. Très aimable mais toujours très agité. Taban me dit que pour les marteaux pneumatiques, il m'amènera l'électricité sur place.

Marcel vient déjeuner avec Jacq[ueline] et les deux petits[10]. Il me dit que le théâtre des Champs-Élysées voudrait monter Le Fou. Un certain M. Weiser lui dit regretter qu'il soit engagé avec Cherki pour la tournée de Nils Halérius.

26 sept[embre 1954]

Conduit les enfants à un film : les Gladiateurs[11]. Combats entre hommes. Les hommes à épée contre les hommes à filet. À quels jeux se sont complus nos ancêtres, il y a 2 000 ans! Il y avait aussi des combats contre des fauves, surtout des tigres. Que de beaux groupes.

28 sept[embre 1954]

Je vais chercher Lily[12] rue de Lisbonne. Il y avait là les directeurs de cette remarquable création : La république d'enfants, dans les Alpes. Ils recueillent là les enfants perdus ou abandonnés par leurs parents. C'est une petite colonie. Une de ces "République d'enfants" où les enfants s'administrent eux-mêmes, travaillent à tout, construisent leurs logements, rendent même la justice, etc. M. Julien, le directeur (il est seul avec sa femme et 52 gamins), me raconte [une] conversation entendue entre deux petits : l'un d'eux disait à un autre :

— Tu as de la chance toi. Tes parents ne savent pas ton adresse.

— J'te crois mais, moi, si mes parents venaient me chercher, je ne les suivrais pas.

— Mais tu sais bien que les parents sont les plus forts.

— Peut-être, mais avec moi, ils ne seront pas les plus forts.

Une autre histoire : Un petit était martyrisé par son père. Celui-ci arrêté, au tribunal, montre à son fils ses poignets avec les menottes, ainsi que la mère complice. Après le jugement la mère crie à l'enfant :

— C'est ta faute si nous avons ça!

L'enfant, rentrant à l'endroit où il était recueilli, se jette sous une rame de métro. On le sauve. Il est maintenant à Moulins Vieux, heureux.

Il paraît que l'œuvre de Charles Ferdinand Dreyfus continue. C'est très bien. Quelle cruelle fin que la sienne[13].

29 sept[embre 1954]

Sujets de dessin donnés à l'École Alsacienne : Dessiner le cri d'un chat, d'un chien, le chant d'un oiseau. Le type de la confusion actuelle entre les arts plastiques et ceux dépendant d'un autre sens.

 


[1] A la Gloire des armées françaises.

[2] Françoise Landowski-Caillet.

[3] Violette, femme de Gilbert Cahen-Salvador.

[4] Le Pavois.

[5] La Victoire.

[6] Bouclier aux morts.

[7] Violette Cahen-Salvador.

[8] Amélie Landowski.

[9] A la Gloire des armées françaises.

[10] Marcel, Jacqueline, Marc et Anne Landowski.

[11] De Delmer Daves.

[12] Amélie Landowski.

[13] Mort à Auchwitz.