Janvier_1932

Cahier n°30

1er janvier 1932

Un changement d’année ça consiste d’abord à changer un vieil agenda par un agenda neuf, un carnet de rendez-vous sali dans les poches par un carnet neuf [1]. Ça consiste ensuite à recevoir les visites de ses jeunes camarades et de ses élèves. Ça consiste après à en rendre à son tour. Et on a une année de plus sur les épaules. Et un moment viendra où comme le vieil agenda nous disparaîtrons avec toutes nos pages de souvenirs, celles qu’on n’écrit pas, parce qu’on n’écrit jamais ce qui fait le vrai soi-même. Chez le père Coutan, j’apprenais aujourd’hui la mort du vieux Baudoüin[2], avec Auburtin[3] un des derniers élèves de Puvis de Chavanne. Cette mort me fait de la peine. C’était un type de vieil artiste tout à fait attachant. Il me montrait toujours une grande sympathie. Je regrette de ne pas lui avoir plus manifesté celle que j’avais pour lui. Je pense aussi que cette mort c’est en même temps une mort plus définitive de la personnalité humaine de Puvis. Baudoüin en avait gardé un souvenir vivace. Il évoquait cette puissance, cette exubérance, cette joie de vivre, cet appétit incroyable, cette allure distante de diplomate, enfin tout un Puvis dont sa peinture[4] ne donne en rien l’idée. Seul un homme ayant vécu autour d’un autre homme peut le faire revivre comme faisait Baudoüin[5] de Puvis. Pour nous, il ne restera de l’homme que l’image mensongère qu’en donnent ses biographes, dont les uns ne l’ont pas connu, dont les autres n’ont connu que l’apparence qu’il prenait pour eux. Chez les Bouisson, j’ai appris la mort de Laprade[6]. Il avait exactement mon âge. Je ne l’aimais pas beaucoup. Sa peinture est sans consistance. M. Bouisson a acquis un Marquet fort bien, aussi un nouveau Sisley. Je vais commencer son buste la semaine prochaine.

Les Anglais ont emprisonné le jeune Gandhi. Quelle misère!

3 [janvier 1932]

Visite de quelques amis. Les Pontremoli, Isay, les Hourticq. Hourticq est tout a fait emballé par le buste de Lily. Il est vrai que ce marbre nouveau est merveilleux. Je l’ai bien traité. J’y ai travaillé encore toute la matinée. Ce n’est jamais fini. Il commence cependant à être expressif et à être de la sculpture. L’un ne va pas sans l’autre. Certainement mon meilleur buste de femme.

4 [janvier 1932]

Ce matin je travaillais encore au marbre de Lily[7]. Au-dessus de ma tête, Françoise jouait une ballade de Chopin. Tandis que [8] chacun de mes coups de ciseau donnait plus de précision et plus de vie et plus de lumière, car il en est à ce point d’avancement où chaque coup apporte quelque chose de nouveau, de temps en temps je m’arrêtais. Je regardais ma grande maquette des fontaines S[ain]t-Cloud, motif de la Seine, et je méditais les énormes modifications à faire, je regardais le tombeau Foch qui a besoin [9] d’une trouvaille pour la disposition du gisant, et ce fut une matinée d’un grand bonheur. Il y a des jours ainsi où l’on sent le bonheur momentané que l’on vit. Tout n’est que momentané, le bonheur comme le malheur, comme la vie. Les œuvres seules sont immortelles. C’est peut-être parce que nous le sentons instinctivement que la création nous donne parfois une joie intérieure si grande. Rosman est venu photographier. L’après-midi le sénateur Bérenger m’a donné sa dernière séance. Bonne médaille. Homme charmant. Il a été très préoccupé par la santé de sa femme et de sa fille. Il considère la situation générale comme de plus en plus mauvaise. Il m’assurait[10] que Tardieu avec son bluff, ses déclarations sensationnelles sur la prospérité (!), sur notre empire de 100 millions de français (!), avait beaucoup contribué au développement du mouvement de jalousie contre la France. Il n’aime pas Tardieu. Par contre il prétend Maginot calomnié, quand on l’accuse de jouer, de boire, de trop bien manger.

La France[11] est au moulage.

5 [janvier 1932]

Encore une matinée heureuse au buste de Lily[12], avec accompagnement de piano par Françoise. C’est mieux que les guitaristes de Léonard de Vinci. L’après-midi j’ai attaqué définitivement les fontaines de la porte de S[ain]t-Cloud[13]. Pas commode cette composition tournante.

Après-midi la Librairie de France, pour mettre au point la table des planches et tout revoir avant [14] la mise définitive sous presse. J’aurais voulu supprimer la reproduction du monument de l'École normale. R[aymond] Isay y a beaucoup tenu. J’aurais préféré un des bas-reliefs de S[ain]t-Quentin. Ce monument de Normale ne donne rien en photographie. En revenant, Is[ay] qui garde au fond de lui quelque rancune pour le peu d’appui que lui donne Paul Léon, se laisse aller à me conter les potins de la direction, sur la vie privée de P[aul] L[éon]. Ce ne serait plus Mme de V. qui régnerait, mais une employée du sous-secrétariat. Tout le monde, rue de Valois, dit Is[ay], serait navré de cette aventure qui le diminue. Comme la conversation venait aussi sur le gentil Dezarrois, j’ai essayé de faire préciser ce qu’on lui reprochait. Il m’a fait allusion à de vagues suspicions sur l’origine des grandes amitiés qu’ont eu Bénédite et le comte Primoli pour lui. C’est parfaitement idiot. Dezarrois a un défaut : d’être un peu cassant et brutal. En fait c’est une qualité de franchise.

6 janvier [1932]

Fontaines porte S[ain]t-Cloud[15]. Bonne journée.

7 [janvier 1932]

Commencé buste de M. F[ernand] Bouisson. Il arrivait du ministère de la Guerre, s’inscrire à cause de la mort de Maginot. Je ne pense pas que cet homme soit à regretter. Idées fossiles. Malheureusement qui le remplacera ne vaudra pas mieux. Painlevé peut-être? Mais il a peur. Cependant c’est un homme de vraie valeur. Ce buste sera très amusant à faire. Il arrive seulement à un moment où j’ai du travail par dessus la tête. Il faut que je le reconvoque, Breguet aussi.

La Victoire sort du plâtre et me fait bonne impression. Tout en réfléchissant à mes compositions de la porte S[ain]t-Cloud, je perle le buste de Lily. Cet achèvement parfait est une joie complète. Par morceaux je conçois mes pylônes des fontaines. Le motif des vignobles commence à y être. Celui de la Seine commence à venir. C’était le plus difficile. Comme toujours après une période de recommencement tout se déclenchera. Il faut aller vite maintenant. Il y avait de nouvelles hésitations pour la pierre que les services d’essai avaient, me disait Pommier, gélive[16]. J’y suis allé aujourd’hui. Il ne s’agissait que d’un fil. Il était naturel que la gelée à -25 °C séparât les deux morceaux. Mais pour le reste, la pierre n’a pas bougé. Les arêtes sont parfaites. Donc aucune inquiétude à avoir. Seulement être excessivement exigeant pour l’examen des blocs.

Chez Charpentier, exposition de l’Académie Julian, atelier des jeunes filles. Beaucoup de charme, de fraîcheur, de sensibilité. Cela apparaissait d’autant plus, en visitant à côté, l’exposition de Georges Leroux : sécheresse, froideur (probablement peu d’intelligence), œuvre terriblement scolaire. Pour lui, tout le clan Laloux fait une propagande du tonnerre pour le faire élire à l’Institut contre Maurice Denis. Comme la passion fait toujours commettre aux hommes des actions contraires à leurs intérêts, je crains fort que mes services de vieux confrère ne réussissent. Je ferai tout mon possible pour faire élire Denis. Moreau-Vauthier que je rencontre à la Société coloniale me demande d’écrire un article sur moi dans l’Art et les Artistes.

8 [janvier 1932]

Pylône de la Seine, fontaines de la porte S[ain]t-Cloud[17]. Excessivement difficile. En grandissant, ces reliefs sur forme cylindrique révèlent[18] un gros écueil : une partie assez étroite se présente de face, de sorte que tout de suite les côtés de la composition se présentent en fuite. J’ai divisé mon cylindre en quatre segments axés perpendiculairement. Même ainsi cela donne des compositions presque trop étalées.

9 [janvier 1932]

École. Julian. Toujours la même chose. Chez M. Hugues Citroën où le buste de Geneviève est très bien placé. Malgré son éclairage d’en dessous, il tient.

Institut où nous votons la proposition du retour à la limite d’âge à trente ans. Fugitive attrapade avec Injalbert qui voulait faire je ne sais quelle bizarre proposition d’admettre de droit tous les chefs d’atelier au jury du concours de Rome, qu’ils soient ou ne soient pas membres de l’Institut. Sous le prétexte que l’année dernière cinq de mes jeunes gens sont montés! (Si le jugement avait été réellement anonyme il en serait monté bien plus). Je n’ai pas accepté de le laisser continuer. C’était d’autant plus singulier de sa part que le père Injalbert était connu pour sa partialité pour ses élèves. C’était souvent scandaleux.

Agitation souterraine à propos de la prochaine élection de peintre. Une forte opposition se dessine contre Maurice Denis, menée par la bande Laloux. Elle reçoit l’appoint de Baschet, Chabas, irrités de l’affaire du Salon des Tuileries. J’en ai parlé avec Desvallières. Ni lui, ni Simon[19] n’étaient au courant. Comme toujours les Sociétés sont menées par quelques types. Les autres, ceux qui travaillent, sont mis en présence du fait accompli. Ce sont Perret et Aman-Jean en l’occurrence. Plus je connais Desvallières, plus je l’estime, je le trouve élevé, large d’idées. Simon est un homme qu’on devine d’une exquise sensibilité. Quand je me rappelle le mal qu’a eu Simon à entrer à l’Académie! On a fait passer devant lui Musnier et Friant! Ces deux braves types, mais si peu intéressants, surtout Musnier. Ils vont probablement réussir le même coup avec Leroux. Voilà comment les Académies se font mépriser et perdent tout prestige. Les hommes ont du mal a se libérer de leurs petites querelles de boutique. Comme arme contre Denis, ils ont trouvé qu’il serait un ennemi du prix de Rome. Il a trop de culture pour cela. J’ai commencé à faire campagne pour Denis à la commission de la sculpture. Je suis très inquiet du résultat. En tout cas ce sera très dur.

Jacques[20] nous parle des bruits qui courent (conséquence de la mort de Maginot et de la retraite de Briand). Tardieu succéderait à Maginot, Laval à Briand. On mettrait à l’Agriculture une doublure sénatoriale quelconque et on offrirait à Herriot l’Intérieur. Si Herriot refusait, ce serait Sarraut. Celui-ci croit-on, accepterait pour raisons électorales avantageuses pour la Dépêche de Toulouse. Je ne crois pas qu’il acceptera. Attendons. Dans tout cela il doit y avoir du vrai. Nouvelle autre, plus lourde de conséquences : le chancelier Brüning aurait fait savoir officiellement au gouvernement anglais que l’Allemagne ne payerait plus de réparations. Voici donc les événements graves qui approchent. Je doute d’ailleurs de la véracité de cette information. Sans doute quelque canard de journaliste. Que l’Allemagne ne paiera plus de réparations, c’est certain. Qu’elle l’annonce, c’est moins certain. Elle ne le fera qu’après s’être assurée de l’appui d’autres États. Autre nouvelle. L’Allemagne et la Pologne seraient en pourparlers avancés pour le règlement du couloir de Dantzig. Ce couloir serait neutralisé avec libre passage pour les deux nations. Pour que la Pologne ait un port indépendant, la Lituanie et la Pologne se réuniraient. Et l’Angleterre fait, parait-il, tout son possible pour empêcher cette entente. Ce serait en effet, si elle se faisait, le commencement d’une entente européenne, contraire aux doctrines du parti conservateur. Les partis conservateurs! la mort des peuples.

10 [janvier 1932]

La France[21] moulée fait très bien. Je n’aurai certainement pas de mauvaise surprise en grand. Attendu en vain le comité des Crapouillots avec qui j’avais rendez-vous. Voilà des gens pour lesquels je m’apprête à faire presque pour rien un gros travail, qui m’ont demandé de me presser, et qui au moment de la décision vont [22] dévoiler des petits amis de notaire.

Visite de Launois et de sa femme. Il venait me demander de poser sa candidature à la villa Velázquez. Il est sympathique. Sa femme est charmante. Il a un certain talent. Je voudrait voir s’il a progressé.

A[lbert] Besnard, malgré tout ce que je sais de méchant qu’il dit de moi, je le trouve sympathique. C’est un très grand peintre. Parlé de l’élection du peintre. Il est pour Maurice Denis. Il ignorait la petite cabale dangereuse, pour essayer d’imposer Leroux.

— Mais ce n’est même pas un peintre, m’a-t-il dit.

Un peu fatigué.

11 [janvier 1932]

Dessiner est aussi passionnant que sculpter. Après-midi à un petit dessin pour l’album de M. H[enry] Bérenger : Conte des mille et une nuits. Un petit groupe qui me travaille depuis longtemps. Pour faire en marbre.

Cette élection de Maurice Denis me tient très à cœur. Hélas! il ne réussira pas. Le coup est trop bien monté.

12 [janvier 1932]

Mauvaise nuit. Mais excellente journée aux fontaines de S[ain]t-Cloud[23]. Après plusieurs journées de pataugeage tout me parait s’arranger bien. Le motif de la Seine et ses affluents notamment.

13 [janvier 1932]

École des Beaux-arts. On ne peut pas ne pas s’intéresser à ces jeunes gens. Après la correction terre à terre ordinaire (bras trop longs, jambes trop courtes, etc.), je leur tenais des propos [24] d’ordre général, je leur racontais ce que je sais sur la façon de travailler de certains grands artistes, je leur parlais des χάνων [ ?], etc. Je regardais ces jeunes visages dont certains, malgré des barbes naissantes, sont presque enfantins [25], et j’étais frappé par leur expression d’attention, de confiance. D’une manière générale, je crois que je ne les mène pas dans une mauvaise voie. J’en suis quelques-uns qui commencent à me faire des figures bien établies. Certains jours, où tout est bien mauvais, je me demande si je ne les trouble pas, si je ne les paralyse pas avec ma rigoureuse méthode. Mais que peut-on leur apprendre d’autre qu’une rigoureuse méthode, leur donner des moyens à peu près sûrs de construire. La sensibilité, l’émotion cela ne s’enseigne pas. Mais ils sont assez rétifs aux esquisses. Curieux comme les théories littéraires d’époque agissent, pénètrent la jeunesse. Sous prétexte de sculpture pure, on ne compose plus. On fait des bouts de torse, des bustes. On y fait de subtiles recherches de plan, de passages et tous ces bustes, tous ces torses en fin de compte finissent par se ressembler. C’est par la composition qu’un artiste montre sa personnalité. Qu’il en montre en tout cas l’expression vraiment originale. La sensibilité peut s’exprimer dans la forme seule. Après l’École, vu mes Chenavard. Ils sont tous les trois en retard. Mais quelles balades aux quatre coins de Paris me font faire ces jeunes gens.

Après-midi, buste de Madame Ch[arles] Meunier, qui m’a raconté ses souvenirs de répétition avec Antoine. C’est tout de même des périodes de son existence où l’on était sans le sou, où l’on travaillait pour vivre, que l’on garde le meilleur souvenir.

Été voir Maxence qui recevait aujourd’hui. Il a un talent fin. Je voulais surtout lui parler de la prochaine élection. Il n’était pas au courant de la cabale de la bande Laloux. Il partage complètement mon point de vue. Pourvu qu’il ne se laisse pas retourner.

Je me réjouis de ma matinée de demain aux fontaines de la porte S[ain]t-Cloud[26]. J’ai encore des enthousiasmes de jeunesse.

14 [janvier 1932]

Déjeuner tout à fait intéressant du Comité de l’Expansion artistique. H[enry] de Jouvenel présidait. En face Paul Léon. Il y avait à table Rob[ert] Brussel, Astruc, Guiffrey, Moreau, l’ancien gouverneur de la Banque de France, Rouché, [Berre]etc., Mistler. C’est un homme jeune au visage intelligent, qui parle avec charme, et qui, malgré la façon dont il s’est conduit vis-à-vis de moi, j’ai trouvé sympathique. Le début de la conversation sur l’Exposition de Londres. Tout le monde la disait remarquable. Puis Paul Léon a expliqué à Jouvenel ce qu’était le Comité d’Expansion. Puis, peu à peu, la conversation a glissé vers la situation politique, intérieure, extérieure, la criseetc.

Mistler ne semblait pas penser que le ministère fut très solide. Il prétendait que si un ordre du jour était déposé regrettant la mise à l’écart de Briand, cet ordre du jour aurait la majorité. Du point de vue général, de Jouvenel voit la situation très grave. À Paul Léon qui déclarait absurde de vouloir faire payer pendant 60 ans un tribut de guerre car il est bien certain qu’au bout d’un certain [temps] c’est sous cet aspect qu’apparaissent les réparations, pour le peuple allemand, Jouvenel par contre a protesté, disant à Paul Léon :

— Votre état d’esprit me navre.

Comme certains propos de Jouvenel sur la Société des Nations m’inquiétaient, je lui demandais s’il n’avait pas confiance en elle. Grande protestation.

— C’est la seule chose qui peut nous sauver.

— C’est la seule clause féconde du traité de paix. Il faut s’y accrocher, au contraire, de toutes nos forces.

Conversation rétrospective : la Société des Nations s’est très affaiblie moralement au moment[27] de l’équipe de D'Annunzio et en laissant ensuite l’Italie s’installer. C’est de ce moment que date son déclin! Hélas! Avait-elle à ce moment une année d’existence?

En sortant, je me trouve face à face avec Mistler. Paul Léon nous présente. En lui serrant la main je lui dis :

— Je suis heureux de faire votre connaissance, non pas à cause de ce que vous avez dit sur moi, mais à cause de vos livres que j’ai lus, qui sont charmants, sensibles.

— Mais, m’interrompt-il, je n’ai rien dit contre vous. C’est à un point de vue général que je parlais. J’ai pour vous la plus grande admiration.

Là-dessus, je me suis mis à lui reparler de ses livres et heureusement que je ne me suis pas rappelé du titre d’un ouvrage dont je voulais le complimenter, cet ouvrage n’étant pas de lui, je m’en suis souvenu après. Nous nous sommes quittés, convenus que je lui demanderai de venir à l’atelier. Tout est bien qui fini bien.

15 [janvier 1932]

Hier soir, grande soirée festival Ravel. Le concerto, première audition. Très belle soirée. Charmante musique, vivante, alerte, spirituelle, jamais émouvante. Un monde fou. Un succès fou. Nous y rencontrons Paul Léon dans une loge avec Mesdames M[ax] Blondat, Albin-Guyot, et une cousine de P[aul] Léon, à très beau, sympathique visage. André Granet nous rejoint. Il me parle d’un projet qu’il a fait pour le concours de l’aménagement de la voie dite sacrée. Grosse affaire d’entreprise. Rien de commun avec notre projet. Je lui dit que j’ai collaboré avec Bigot.

D’après ce que je sais, me dit-il, c’est entre le projet Bigot et le mien que ça se passera.

Très bonne journée de travail aux fontaines[28]. Je commence à comprendre comment traiter cette décoration. Je crois être dans la bonne voie.

Téléph[one] de Isay, en discussion avec S[ain]t-Andréa pour la partie photographie. Y aura-t-il des reproductions sur chaque côté des feuilles ou une reproduction par feuille? Grosse différence de prix, parait-il.

16 [janvier 1932]

Institut. Injalbert, entêté comme un insecte, revient à sa proposition de mettre de droit les chefs d’atelier du jury du concours de Rome, quand ils ne sont pas de l’Institut. Proposition impossible à laquelle j’ai répondu qu’il vaudrait mieux organiser un anonymat strict. Alors il n’a pas insisté trop, mais n’en a pas moins recommencé à prétendre tantôt que Sicard, tantôt moi, tantôt Coutan faisions des combinaisons, échanges de voixetc. Nous nous regardions en riant, car tous nous évoquions le père Injalbert dans les concours, avec ses petits papiers dans ses poches, protégeant ses préférés, ne voyant qu’eux. On devrait aussi les mettre à la retraite pour les jurys.

L’élection de Leroux me semble un peu moins sûre. Beaucoup heureusement pensent comme moi, qu’il faut élire un homme qui apporte du prestige à l’Académie. Ce sera le cas pour Maurice Denis. Ce sera une élection de bataille. Je suis désolé de ne pouvoir voter prix de Rome. Mais je suis persuadé qu’on servira plus le prix de Rome en élisant Denis qu’en élisant ce bon grand serin de Leroux. Pontremoli, Rabaud pensent comme moi. C’est très important. Tous deux ont beaucoup d’actions, surtout Rabaud.

17 [janvier 1932]

Ce qui n’est pas gai, c’est la situation politique de la France. Puissé-je me tromper. Mais quelle représentation singulière de la France à la conférence du désarmement. Tardieu remplaçant Briand, et autour de lui les ministres de la Marine, de l’Aviation et quelques autres types qui en sont encore à faire reposer la sécurité d’un pays sur ses armements. Pourvu que la folie de ces gens ne fasse pas que dans quelques années la France soit dans la situation où est l’Allemagne aujourd’hui.

Déjeuner très gai avec les Tournaire, les Charles Prince, les Lécuyer et Jacques. Charles Prince me dit que son frère est décidé à faire réaliser, enfin! le tombeau de son fils. Ce sera réglé en février. Frédéric Prince part pour l’Amérique le 3 février et ira dès son arrivée à Washington. M. Charles Prince a 80 ans. Il boit, il mange comme un jeune homme de 25 ans. Il est d’une gaieté intarissable. Il a été pour moi dans toute cette affaire du monument de Norman Prince d’une netteté parfaite et d’une amitié vraiment fidèle. Son frère lui a formellement promis d’aboutir.

Visite de Guirand de Scévola, très engraissé. Les amis le laissent se lancer dans cette aventure d’élection où il ne recueillera pour le moment qu’une déception. Il est pourtant du lot, celui qui a peut-être le plus de talent. Avec Denis, Adler et Fouqueray. Denis est le plus complet.

18 [janvier 1932]

De très bonne heure visite de Fouqueray. Puis, un peu plus tard, Maurice Denis qui reste longuement. C’était décidément la série des candidats gros[29]. Œil très intelligent. Le reste du visage (est-ce à cause de la coupe de sa barbe à la Napoléon III ?) est absolument insignifiant. Il est loin d’être hostile au prix de Rome. Il caresse même, au fond de lui, l’arrière-pensée, s’il est élu, d’être un jour directeur de l’Académie, là-bas... Il a été des plus aimables. Eh bien, au fond, il y a chez cet homme, quelque chose de pas complètement sympathique, une façon de faire certaines conversations, de ne pas prendre le fer, mais cela est preuve d’intelligence. Son talent est fort inégal. Ses toiles du Luxembourg sont très faibles, on peut même dire laides. Je ne crois pas qu’il conservera dans l’avenir la situation qu’il a aujourd’hui. Elle est un peu fabriquée par la presse. Il ne vaut pas un Delacroix ni un Puvis, dont la gloire ne peut que grandir avec le temps. Mais pensant [30] académiquement il est nécessaire de l’élire pour l’avoir avec nous, pour sa situation d’aujourd’hui.

Après le jugement à l'École, j’ai été à une commission des Beaux-Arts à l’Institut[31], commission inter-académies, pour l’organisation de certains legs. Au fond de ce long couloir du premier dans le salon n° 8, quatre vieux messieurs, sous la présidence du bon M. Widor, devisaient sous la lampe[32]. Cela avait quelque chose de calme, de doux, de reposant, d’éternel; les têtes changent peut-être, mais si peu. Ces quatre vieux messieurs doivent se réunir là depuis toujours et s’y réuniront encore pendant un nombre incalculable d’années, si une catastrophe ne détruit pas tout. Une catastrophe seule peut empêcher un rythme pareil de continuer. Je me suis assis avec eux. J’ai fait le cinquième vieux monsieur. Mais les trois autres se sont levés, d’un même mouvement assez pénible, se sont enfuis, nous ont laissé poliment tous les deux Widor et moi, car comme j’étais en retard, Widor voulait me relire le rapport qu’il leur avait déjà lu. J’en ai donc eu la lecture pour moi tout seul.

Dans le Temps, nous lisons des déclarations des futurs délégués de la France à la conférence du désarmement. C’est toujours la même mentalité de notaires. L[ieutenan]t colonel Fabry, Désiré Ferry. C’est avec une curiosité anxieuse que je les verrai défendre leurs points de vue à Genève, seuls contre le monde entier. Quel grand ministre français osera dire que c’est à la France de prendre l’initiative du geste généreux que le monde attend, et qui délivrera le monde du poids qui l’opprime. Pauvre France[33] qui oublie son rôle dans l’histoire, qui s’essouffle à devenir "réaliste" et qui n’est plus ni réaliste, ni utopiste. C’est parce qu’elle était utopiste qu’on l’aimait. Si elle cesse réellement de l’être, elle mourra.

19 [janvier 1932]

Rude problème que ces bas-reliefs sur surfaces cylindriques convexes. J’en viens à tout traiter sur un seul plan. Presque aucune saillie. L’extrême limite de ce qui est nécessaire pour que ce soit lisible. Et puis encadrer les repos que forment les corps par des surfaces excessivement riches et ouvragées.

Déjeuner à la Renaissance. Paul Léon me promet de s’occuper de mes routes à Chalmont... Mais on ne s’en est pas occupé au moment qu’il fallait. C’est bien difficile de rattraper les choses une fois qu’elles sont refusées. Aussi bien ne devrait on pas pour cela demander des crédits aux conseils généraux. Puisqu’on vote des crédits spéciaux pour ces monuments nationaux, on devrait demander en même temps les crédits pour les routes.

Avec Isay à la Librairie de France. Maquette de la couverture, très bien. Si le texte était plus original, un peu moins rempli de lieux communs, de formules, d’idées toutes faites, cette publication eut été parfaite. Ça paraîtra, je crois, le mois prochain.

20 [janvier 1932]

Encore un déjeuner. Celui du Dernier-Quart. Présidence de Renard, le préfet de la Seine. Convives : Ulrich, Martin du métro, Moulin, Larroy, Bedel, L[ouis] Breguet, Pichon, Marchanbeau, marquis de Polignac, Laugeron, Piot, etc. Dans mon coin, mes voisins m’ont surtout fait parler sculpture. On était par tables séparées de sorte que il n’y eut aucune conversation d’ordre général.

Quoique rentré assez tard, bon travail au motif du Blé des fontaines[34]. Un modèle magnifique, ample, une Cybèle, une Déméter jeune. Ce serait un régal de faire un nu grandeur nature avec une fille comme celle-là.

Feuilleté le volume sur Chassériau que Dezarrois vient de publier et que je viens de recevoir. D’un réel grand intérêt. De cette succession d’images, il me parait ressortir que Chassériau fût, jusqu’au moment de sa mort, tiraillé entre l’influence de Ingres et celle de Delacroix. Cela semble frappant. Je vais revoir cela tranquillement. Il mourut trop jeune pour s’être complètement réalisé. Ce fut certainement un des êtres les plus doués.

21 [janvier 1932]

Bonne journée aux fontaines. Le motif de la Seine. Je crois tenir le parti[35].

Élection du professeur de l’atelier des femmes à l'École. Sabatté a été élu. Laurens seconde ligne.

Fête à la Fonderie Coopérative pour la médaille de l’Exp[osition] coloniale. C’est un milieu bien sympathique. L’affaire marche très bien. On a bu une coupe de champagne.

À mon retour, je trouve un pneumatique de Billard et Pommier, me transmettant copie d’une lettre des bureaux de Lebret, signée de Luquet, son secrétaire. J’ai donc téléphoné à Martzloff. Il paraît que c’est Fernand Laurent, candidat aux élections législatives, qui désire publier des photos des fontaines, pour sa propagande...

— Et tu comprends, me dit Martzloff, je ne peux pas lui refuser cela.

Comme je n’ai nulle envie de rien voir publier en ce moment, j’ai promis à Martzloff d’écrire à F. Laurent pour lui demander de patienter un peu.

A[lbert] Besnard, en sortant du Conseil Supérieur m’a bien amusé. Comme le Conseil a décidé de rétablir les petits concours d’esquisses, il me dit :

— On a très bien fait de rétablir ces concours. Ils sont un excellent exercice. Ce ne fut pas une idée heureuse de les supprimer.

Or, c’est lui, lorsqu’il prit la direction de l'École qui les avait supprimés, pour faire quelque chose de nouveau... Tout Besnard.

22 [janvier 1932]

Excellente journée aux fontaines S[ain]t-Cloud[36]. J’ai trouvé ma foulée.

Les séances de la Chambre sont d’un immense intérêt. J’attends avec impatience ce que va nous dire Laval. Et Herriot n’a rien dit d’intéressant. Il semblait interpeller Brüning. Il a fait le discours de Laval. Le meilleur a été Forgeot. Blum remarquable aussi. Il semble que notre gouvernement va être obligé de présenter un programme.

23 [janvier 1932]

Nous sommes menés par des fous. On ne peut penser d’eux que cela, puisque tout le monde dit que Laval, Tardieuetc., sont des hommes si intelligents! Ils se comportent comme des imbéciles. Ils nous mènent d’une main sûre à la catastrophe. Voilà ce qui me paraît ressortir de la séance de la Chambre. Herriot qui pourrait, qui aurait pu être le grand homme de notre époque, est incapable de se sortir d’idées reçues. Il parle comme Laval. Il a fait le même discours que Laval. Il a voté contre lui. Laval n’a rien apporté, pas une idée, mais toujours le trépignement de l’enfant buté qui dit non, non, toujours non. Gare la fessée.

Journée sans travail. Matinée de corrections. École. Julian. Chez Manchuelle qui travaille d’après un bien beau modèle, chez Morenon qui peut faire une bonne chose... Déjeuner chez Marcel qui est plus content de la façon dont évolue son affaire.

À l’Institut, journée qui laisse prévoir l’atmosphère de l’élection de samedi prochain. Paul Léon était venu plaider Maurice Denis. Son interlocuteur principal était cet imbécile de Friant. Je ne crois pas qu’il y ait homme plus bête. Chabas nous racontait qu’on avait montré aux peintres des articles de journaux où l’élection de Maurice Denis était considérée comme un signe de rajeunissement de l’Académie. Plusieurs de ces messieurs sont très vexés! Leroux et Maurice Denis furent donc présentés en première ligne. Après la séance, petite parlote très orageuse où Simon ne peut s’empêcher de rappeler les difficultés qu’il rencontra pour être élu; les paroles désobligeantes dont l’annonce de sa candidature fut l’occasion. Paul Léon ne put s’empêcher de dire :

— Mais tout ça ne sert à rien. On a beau dire et expliquer. Ils sont incapables de se sortir de leur petitesse.

Je n’ai pu m’empêcher, en revenant avec lui, de lui recommander de ne pas leur sortir des boniments semblables, sans quoi il accumulerait contre lui de sourdes et tenaces rancunes.

Très belle exposition chez Charpentier d’un peintre espagnol, retour du Maroc. Beaucoup de choses remarquables. D’une virtuosité étonnante, mais ne nuisant pas au caractère. En même temps, très décoratif, ensoleillé et vivant.

Je repense à mes confrères de l’Institut. Ils me font penser à la majorité stupide actuelle de la Chambre. Le goût inconscient du suicide.

24 [janvier 1932]

Excellente pièce, cette Maya. Audacieuse évidemment, originale et humaine. La dernière scène à juste titre a eu un grand succès. Extraordinairement imprévu. L’homme qui a écrit cela[37] est un artiste. Ce n’est pas un succès de hasard.

Visite de Marc Sangnier. Il pense comme moi que le Christ doit être supprimé, de façon à conserver à toute la décoration, un caractère symbolique. Je suis tout à fait décidé à faire d’Orphée, le motif central. Rien ne choquera personne. Le sens profond en sera le même.

Isay, chez Georges Lecomte, me disait que lors du remaniement du ministère Laval, Doumer avait fait l’impossible pour que Tardieu n’aille pas rue S[ain]t-Dominique. Il espéra même remplacer Laval par Barthou. Lorsqu’il attendait Laval pour connaître sa réponse après la proposition aux radicaux, Barthou était parait-il dans son cabinet. Il voulait, aussitôt connue la réponse négative charger Barthou de former le Cabinet. Mais Laval ayant appris la présence de Barthou, repartit sans attendre d’être reçu et ne revint à l'Élysée que pour lui annoncer que le ministère était formé. Doumer avait supplié Painlevé de prendre la Guerre. Celui-ci refusa formellement ne voulant pas entrer dans un pareil ministère. En fait ce n’est pas le ministère Laval, ni le ministère Tardieu. C’est le ministère de Wendel, le ministère des marchands de canons. Leur action s’exerce dans tous les domaines. On s’étonne par exemple que n’importe qui puisse acheter un revolver. C’est tout simplement que les de Wendel, Schneider, etc., s’opposent à toute restriction de leur commerce. Et ce sont ces gens-là, qui dans les coulisses tiendront les ficelles de la conférence de désarmement! Ils s’opposeront également à toute vraie mesure de désarmement. Le vrai nom de cette conférence devrait être "la conférence des armements", ou mieux du suicide de l’Europe. Il paraît que Sir Eric Drummond vient de donner sa démission de secrétaire général de la Société des Nations. Est-ce le commencement de la fin?

25 [janvier 1932]

Très bonne journée aux fontaines de la porte S[ain]t-Cloud[38]. Le motif : les Fleurs. Les sujets définitifs des quatre segments sont : les Sources, les Fleurs, la Vigne, le Blé. Ils sont maintenant trouvés tous les quatre. C’est uniquement de la décoration. C’est un repos. On peut tout se permettre, pourvu que ça fasse bien. La muse de la sculpture dirige les idées, une fois la directive générale[39] donnée. L’idée architecturale première, ces gros pylônes, n’est pas enthousiasmant. Arriverais-je à les sauver pour le décor? Il faudra revoir sérieusement les couronnements. Il faudrait trouver là-haut des motifs très légers ajourés. Les motifs actuels ne me plaisent pas beaucoup.

Signature du contrat de mariage de ma petite Nadine. Toujours pénibles ces cérémonies où il n’est fait allusion qu’aux événements malheureux à venir. Les contrats sont faits pour essayer de prévoir.

26 [janvier 1932]

Quoique fatigué, encore une très bonne journée. Tous s’arrange bien. C’est très décoratif. C’est varié[40]. Il n’y a aucun remplissage. Si c’était un panneau plat au lieu de ce gros pylône, ça ferait un beau panneau. Cette jeune fille russe qui posait aujourd’hui, est fort belle. C’est le symbole de la terre. De bonnes journées de travail comme aujourd’hui[41], comme hier, je les compte, tellement je suis dérangé d’ordinaire. Cette fille à la tête petite, les cheveux collés au crâne étroit, des épaules un peu carrées[42], des seins lourds et droits, des hanches larges, épanouies comme un beau vase, les cuisses, les jambes un peu lourdes. Elle tient à la terre. Contraste avec la petite C[ombet]. tout en souplesse, dont le moindre mouvement est une statue nouvelle. Cette belle puissante fille est belle[43] sans geste, elle a quelque chose d’immuable, de lent, d’immobile comme la terre. Je suis complètement pris par ce travail. L’idée de sortir demain pour les corrections m’attriste. Plus grave j’ai laissé en panne toutes ces médailles, revers DubailLévy-Brühl, la coupe Montefiore, etc., les bas-reliefs Widal! Et le colonel Petit doit me téléphoner jeudi pour avoir une photographie de la médaille Dubail. Montefiore veut venir jeudi voir son groupe. Il est seulement massé par Marcel qui n’est pas très fort! Et tout cela serait intéressant cependant. Mais chaque chose en son temps. Je n’ose même pas penser au tombeau Foch! Pourvu qu’il ne m’arrive pas quelques petites tuiles de ce côté-là. Ce sera passionnant quand je m’y mettrai; mais il est impossible de mener en même temps deux œuvres de si grande importance. Se plaindre du trop en ce moment où tant se plaignent du moins!

27 [janvier 1932]

Retour de l’enterrement du pauvre Félix, je trouve un mot que m’a laissé Leroux, mot de deux pages m’expliquant pourquoi il faut que je vote pour lui! Cette lettre assez puérile me prouve que ce brave garçon est bien du niveau intellectuel des Buland et autres. Elle se termine par le post-scriptum suivant : "Sicard m’a dit hier : — Je voudrais que ce soit vous. Je voterai pour Maurice Denis au premier tour. Si ça va mal, je voterai ensuite pour vous."

Comprenne qui pourra. Ce n’est en tout cas pas fort adroit de la part de Leroux d’écrire cela. Et c’est bien du Sicard. Ai été voir Beltrand qui vient d’envoyer à Nadine une très jolie gravure. Il me dit que Denis persistera à se présenter au cas où il ne serait pas élu. Mais j’ai espoir. Il paraît que le vieux père Humbert viendra exprès voter pour lui.

Mais tout ça n’est rien à côté de ce qui se passe et se prépare partout dans le monde. Ici, isolement de plus en plus grand de la France. À l’Intérieur, cet incroyable attentat mené par Mandel contre le suffrage universel. La Chine envahie par le Japon. La Société des Nations impuissante, élevant un palais immense où aucun des États capitalistes actuels ne seront peut-être jamais représentés. Qui sait? Ce sera peut-être le palais du gouvernement européen socialiste. Mais après quelles monstrueuses catastrophes! Et les Anglais continuent à tuer les Hindous à coups de bâton. Il paraît même que maintenant ils tirent dessus.

28 [janvier 1932]

Me suis décidé à abandonner les fontaines[44] pour la coupe de Montefiore. Très bonne journée. Ce sera un travail vite enlevé. Je regrette parfois[45] de ne plus avoir ici personne pour m’aider. C’est mieux pourtant. Ou bien je ne retouche pas ce qu’on a fait et je laisse ainsi bien des négligences. Ou je reprends tout. Alors c’est de l’argent perdu. L’ennui est seulement dans la question de temps et l’impatience.

Il faut que je passe ma soirée à mettre de l’ordre dans mes comptes! Rite annuel. Il faudrait le faire régulièrement chaque jour! Ça irait bien plus vite ensuite. Mais on commence... Au bout de quelques jours on abandonne...

Voilà que courent des bruits de guerre entre l’Amérique et le Japon! Ce Japon se conduit de manière absolument folle. Il joue la lassitude du monde. Quel désastre que cette histoire. Si l’Amérique, lorsque la Société des Nations prit pour la première fois l’affaire en mains, avait donné sont appui sans réserves, le Japon n’aurait pas agi avec ce mépris de ses engagements. La Société des Nations ne pourra vivre que si toutes les Nations y entrent et s’engagent à obéir formellement à ses sentences, si les Nations en litige n’ont plus le droit d’être à la fois juge et partie.

Demain le mariage civil de ma petite Nadine[46]. J’en ai un terrible cafard, brusquement. On est content de marier son enfant, par habitude. Au fond c’est triste comme tout. Elle ne pourra pas avoir une vie plus heureuse que celle que j’ai pu lui faire jusqu’à présent. Puisse ma chère petite avoir le compagnon remarquable qu’elle souhaitait.

29 [janvier 1932]

Je lis une note fort importante dans les journaux et qui peut être riche de conséquences pour le Temple. Un groupe de sénateurs propose de faire en 1937 une Exposition de la civilisation. À suivre et à s’en occuper dès à présent. Aujourd’hui Georges Lecomte, témoin au mariage de Nadine, déjeunait à la maison. Il ne connaissait pas le projet. Il en a été fort emballé! Il accepte d’être du comité. Mais d’ici 1937, que sera l’Europe, que sera le monde! Que sera-t-il d’ici deux mois!

30 [janvier 1932]

Des dépêches annoncent que la ville de Shanghai est en flammes. Les japonais ont pendant 6 heures envoyé escadrilles sur escadrilles d’avions, jeter des bombes dans le quartier chinois le plus peuplé, massacrant sans pitié toute une population. Le prétexte[47] : le boycottage. Le but serait donc de forcer ce peuple à commercer avec le Japon. Civilisation. Les gens bien pensants vous disent que le Japon est le seul peuple civilisé de l’Asie... Les malheureux fuyant, ont essayé de se réfugié dans les territoires internationaux, où on les repoussait, mais leur masse a fini par tout emporter. Dans les journaux, pas une protestation. On constate avec placidité et les autres États civilisés se contentent de remettre au Japon des notes où ils expriment l’espoir que la concession étrangère sera respectée. La vérité est que le monde capitaliste est en train de se suicider.

Maurice Denis est élu. Nous sommes allés, avec Desvallières, le lui annoncer dans son école d’art religieux. Il en a été sincèrement heureux, excessivement heureux même. Cela s’est beaucoup mieux passé que je ne craignais. Dès le premier tour Denis est arrivée en tête avec dix-huit voix, au second tour, il avait les 19 voix nécessaires. Un héros, c’est le père Laloux. À quatre-vingt-deux ans, malade, menacé de phlébite, il s’est fait porter pour voter Leroux. Son médecin lui avait absolument interdit de venir. C’est vraiment chic. On ne peut que regretter de n’avoir pas pu voter avec lui. C’est dommage de voir cet homme si fidèle s’user et se dépenser presque toujours pour des candidats sans valeur.

31 [janvier 1932]

Réception chez Guérin, le nouveau sous-directeur de l'École. Milieu bien plus agréable que le précédent. On n’y sent pas cette atmosphère de fausseté et de prepotenza [48] comme disent les Italiens. Tout le personnel enseignant de l'École était là. Longue conversation avec Devambez à propos de l’élection de Sabatté.

 

[1]    . Suivi par : "(Ça n'empêche pas qu'on a une année de plus sur les épaules)", raturé.

[2]    Paul Baudouin

[3]    Francis Auburtin.

[4]    . Suivi par : "n'évoque", raturé.

[5]    . Le fresquiste Paul Baudoüin.

[6]    Pierre Laprade.

[7]    Landowski Paul Madame.

[8]    . Suivi par : "j'avais", "je perfectionnais", raturé.

[9]    . Suivi par : "d'arrangement", raturé.

[10]  . Au lieu de : Il prétend", raturé.

[11]  Les Fantômes.

[12]  Landowski Paul Madame.

[13]  Les Sources de la Seine.

[14]  . Suivi par : "la publication", raturé.

[15]  Sources de la Seine.

[16]  . Au lieu de : "trouvé gélive", raturé.

[17]  Sources de la Seine.

[18]  . Au lieu de : "offrent", raturé.

[19]  Lucien Simon.

[20]  Chabannes.

[21]  Les Fantômes.

[22]  . Suivi par : se montrer avec", raturé.

[23]  Sources de la Seine.

[24]  . Au lieu de : "considérations", raturé.

[25]  . Suivi par : "et je pensais que la vie", raturé.

[26]  Sources de la Seine.

[27]  . Suivi par : "de la prise de possession de", raturé.

[28]  Sources de la Seine.

[29]  . Suivi par : "Il a une tête curieuse", raturé.

[30]  . Au lieu de : "parlant", raturé.

[31]  . Suivi par : "je suis arrivé", raturé.

[32]  . Au lieu de : "à voix basse", raturé.

[33]  . Suivi par : "qui a perdu", "qui travaille à détruire sa réputation", raturé.

[34]  Sources de la Seine.

[35]  . Au lieu de : "la réalisation plastique, formule", raturé.

[36]  Sources de la Seine.

[37]  Probablement Habib Benglia.

[38]  Sources de la Seine.

[39]  . Au lieu de : "première", raturé.

[40]  . Au lieu de : "fantaisiste", raturé.

[41]  . Suivi par : "c'est précieux", raturé.

[42]  . Au lieu de : "assez larges", raturé.

[43]  . Suivi par : "dans l'immobilité", raturé.

[44]  Sources de la Seine.

[45]  . Suivi par : "de ne pas me faire aider", raturé.

[46]  Nadine Landowski-Chabannes.

[47]  . Suivi par : "à cause d'un soi-disant", raturé.

[48]  . D'arrogance.