Juillet-1934

Cahier n°34

1[er] juillet [1934 Rome]

Au Forum, répétition de Britannicus. Desjardins vient à moi, me dit :

— Mais qu'est-ce que c'est que cet ambassadeur que nous avons? Il avait l'air ivre hier.

Je dis :

— Il en a quelquefois l'air parce qu'il l'est quelquefois, mais c'est un homme intelligent, ce qui est vrai, et qui réussit très bien ici. Alors n'attachez pas d'importance à l'état dans lequel il était hier soir.

La représentation d'Horace fut magnifique. Voilà un spectacle que je suis heureux d'avoir vu. Il y a eu un moment d'un réel pathétique, c'est quand le vieil Horace (Desjardins) venant du fond de la scène, en fait il n'y avait plus de scène, il venait réellement du lieu de la tuerie, s'approcha des deux sœurs, leur dit "Vos frères sont aux mains…" Dans le ciel se dressaient, sur le fond noir du ciel, les colonnes de Castor et Pollux, derrière la maison des Vestales, l'ombre énorme du Palatin. Tout le monde réellement frissonna. Là-bas, dans la vallée entre le Caelius et le Palatin, le combat fratricide se livrait.

Mussolini en partant déclara à l'ambassadeur qu'il reviendrait pour Britannicus le lendemain.

2 juillet [1934 Rome]

La comtesse Piella me téléphone, me demande de m'occuper du choix des conférenciers pour la saison prochaine au Circolo di Roma. Corvée que je décline en vitesse!

Visite de la Villa par Desjardins et sa femme et des amis. Sympathique comme tout. Ils ont une propriété aux environs de Toulon.

Promenade au Palatin avec les Brussel et Erlanger. Comme on joue ce soir et que le Duce doit venir, le Palatin est fermé au public. J'y fais donc le cicérone dans des conditions de grandeur remarquables. Brussel me raconte les efforts de Fabre pour empêcher Desjardins et Segond-Weber de venir jouer à Rome, leur offrant des engagements précisément pour les jours [1] des représentations ici.

Direction : examen du budget 1934. De Paris, le prix de Rome musique est voté à Bozza. C'est un homme de trente ans, marié, avec un grand garçon de sept ans.

[la] représentation de Britannicus fut excellente. Gaillard en Néron, Segond-Weber en Agrippine furent excellents. À côté de moi est venue s'installer la belle Madame P. Elle est ravissante, elle se penche sur vous et vous plonge dans les yeux ses yeux langoureux. Mais comme elle est peu intelligente! On a toutes les peines du monde à l'en écarter et à s'en débarrasser. C'est un beau crampon, mais un crampon.

3 [juillet 1934 Rome]

Préparatifs retour à Paris.

Visite Almar et Sabri à propos de ce malheureux Gaber.

Avec Fournier je visite l'appart[emen]t de Gauthier. C'est tordant. Partout il a fait mettre doubles verrous, barres de fer pour barrer les portes. Il faisait changer serrures tous les mois! La preuve de la folie est là, patente.

Visite des travaux Bizette et Gemignani. Le dernier prépare une esquisse excellente de pêcheurs pour son envoi.

Les pensionnaires, comme je suis seul, me demandent de venir dîner avec eux sous la loggia. Soirée calme et magnifique. Je pense à Paris, à mon beau travail que je vais bientôt retrouver. Il n'y a, en vérité, que cela qui compte. Comme j'ai compliqué ma vie!

[1]    . Suivi par : "exactement", raturé.