Décembre-1943

3 décembre [1943]

Maurice Sarraut vient d’être assassiné à coups de mitraillettes. Par qui? Pourquoi?

Ma Françoise[1] revient de tournée. Elle passe à Toulon quelques heures après un bombardement sévère sur le port. Entre Valence et S[ain]t-Étienne, elle déraille, la nuit. Sa valise sur l’épaule, elle fait des kilomètres sur le ballast, le long de wagons en flammes, rejoint un autre train et arrive à S[ain]t-Étienne, une heure avant son récital. À Clermont-Ferrand, après un voyage de trente heures depuis S[ain]t-Étienne à cause des sabotages des voies elle a quatre heures avant son récital. À Marseille le matin du concert, bombardement massif. Nous sommes d’accord pour considérer les tournées de récitals à suspendre pour le moment. Elle est plein d’entrain et raconte ses aventures avec sa verve et son esprit d’observation habituels.

Les Allemands annoncent que leur contre offensive progresse et qu’ils marchent direction Kiev.

4 décembre [1943]

Visite chez Drivier. Atelier très bien éclairé. Jour astral. C’est ce qu’il a de mieux, parce qu’on peut centrer. L’éclairage est pourtant excellent. Il faudrait faire, pour mon musée! une salle ainsi éclairée. Pour le travail aussi, c’est ce qu’il y a de mieux. Les autres éclairages trompent. Ou bien il faut faire des ateliers très haut. De toutes façons il y a des coins où la lumière se diffuse. Et tout doit être, en tous cas, orienté vers la partie éclairée. Beaucoup de bonnes choses chez lui. Il y a même de forts morceaux, de bons bustes aussi. Je crois bien que c’est le meilleur de ceux qui se présentent. Mais froid et peu de sensibilité.

Chez Mlle de Lothis ensuite, l’ancienne bonne amie du vieux Puech, à Rome. Elle abrite les œuvres de Giulio Laparra. J’ai aimé monter ce petit escalier sale, aux murs et à la rampe graisseux. Quand on rencontre quelqu’un, il faut s’aplatir au mur, tellement les marches sont étroites. Deux petites pièces. Je me rappelais ma jeunesse, et les soupentes à Montmartre, ou ailleurs, où l’on venait visiter des amis et quelques fois des petites amies. Le pauvre Giulio, très amélioré dans son allure générale, me montre ce qu’il veut présenter au prix national. Un bon paysage. Mais serait-ce suffisant? Et le voilà, son père mort, dans quel état mental! et sa mère, à son tour, enfermée. La pension coûte 3 000 F et plus par mois...

À l’Institut, classement des candidats, très désagréable l’atmosphère de la section de sculpteurs, avec ses quatre types d’un côté : Bouchard, Lejeune, Gasq, Descatoires votant toujours ensemble, au mot d’ordre de Bouchard, et de l’autre côté, Niclausse et moi. Michelet a été présenté en première ligne. On a mis ex aequo Brasseur et Drivier et deuxième ligne. Drivier avec toujours ses deux voix, celle de Niclausse et la mienne. Je crois qu’il sera élu facilement par l’Académie.

L’Amiral Lacaze m’annonce toujours la paix comme imminente. Je ne le crois pas. Il y aura encore des retours dangereux, très, de l’Allemagne. C’est l’avis de M. Bardoux, chez la Comtesse de Dampierre. Il ne fait pas de doute qu’une invention meurtrière très cruelle est mise au point. Bardoux nous parle d’un canon, genre Bertha mais beaucoup plus puissant, qui serait même en ciment armé, sous terre, très difficile à repérer. Il y a aussi les avions sans pilotes, dirigés par ondes, de terre. Rayon d’action peu long mais suffisant des [ ill.?]. Il y aurait enfin la fusée stratosphérique qui ferait le vide et la mort sur un rayon de 880 m autour de son point de chute...

Hautecœur arrive tard, affairé, en définitive peu sympathique. Mais cela, c’est une autre histoire. Il arrive de Vichy où, dit-il, le Maréchal chez qui il aurait dîné la veille, serait plus résistant que jamais pour arriver à la lecture de son message. Abetz serait arrivé à Vichy. Et Hautecœur a quitté Vichy ce matin, alors qu’il était en conférence avec le Maréchal. Le retour Abetz semblerait indiquer une volonté d’arrangement avec le Maréchal. Hautecœur qui joue sa situation sur la fortune du Maréchal, assure que ce dernier est magnifique, affecte de ne pas remarquer l’équivoque de la situation, et tout ce qui se cache d’abandons réels (augmentation formidable de la rançon quotidienne : 700 millions), nouvelle rafle de jeunes gens (400 000), etc., contre l’apparence d’un geste politique d’indépendance vis-à-vis de l’occupant. Il y a les derniers incidents de Clermont-Ferrand. L’université de Strasbourg envahie par des soldats l’arme au poing. Haut les mains. Comme un professeur mettait la main à sa poche pour y retirer son mouchoir, il est abattu. Deux jeunes gens qui remuaient, abattus aussi. Une quarantaine d’autres qui se trouvaient dans l’amphithéâtre sont emmenés. Le lendemain, une voiture avec trois officiers allemands est suivie par une camionnette montée par des hommes en uniforme allemand. Les trois officiers sont tout à coup abattus à coups de mitraillette, tirés de la camionette. On craint que les jeunes gens arrêtés hier, ne servent d’otages. On tremble.

Paulette que je trouve en rentrant, au chevet de Lily[2], dit que si le général Giraud est tenu de plus en plus à l’écart d’Alger c’est parce qu’on aurait découvert qu’il correspondait clandestinement avec le Maréchal.

Il paraît que Büsser qui depuis plus de six mois promet à Marcel de lui jouer sa symphonie et le remet continuellement, qui le lui avait enfin formellement promis pour janvier, vient de lui dire qu’on ne jouerait plus de musique moderne à la radio! C’est un mensonge. En définitive, il ne veut pas le jouer. C’est toujours la même comédie. Il faut noter ces vilenies des gens médiocres.

5 [décembre 1943]

Des gens, dans ce siècle de la machine, disent en plaisantant qu’on finira par inventer cette "machine à penser". Mais elle est inventée cette machine. Elle fonctionne depuis longtemps. Elle a fonctionné que trop : c’est la Presse, l’horrible machine à tout fausser.

6 [décembre 1943]

Image à noter pour l’éternelle discussion sur le fond et la forme, le sujet et le non sujet, sur le problème de l'idée : vous faites une robe en choisissant des couleurs bien assorties, dans un certain ordre "assemblées" la robe est ravissante. Vous la mettez sur une jolie fille. Elle est encore plus ravissante. Vous la mettez sur une vieille rombière, elle est ridicule. La jolie fille ou la vieille rombière ce sont les idées qui font gagner ou perdre une forme.

7 décembre [1943]

Buste Baudinière, vraiment difficile, mais qui vient. Nous parlons des inventions nouvelles. D’une part les Allemands avec leurs avions fusées, plutôt les obus fusées à triple détente. Mais comme envoyée par d’énormes canons, ont un rayon d’action excessivement limité. D’autre part, les Américains vont arriver avec des avions à double blindage, pour ainsi dire indescendables. Huit moteurs. Rayon d’action de 2 000 km avec charge utile de six tonnes. Il paraît que le fameux message non lu du Maréchal a été provoqué par une lettre de de Monzie, lui reprochant de n’avoir pas rempli la mission à lui confiée par l’Assemblée Nat[ion]ale. Il paraît qu’il finira par le prononcer ce message, mais mis au point avec l’ambassadeur Abetz. Ce ne serait plus qu’une promesse indéterminée de réunion de l’Assemblée Nationale. Également un traité de paix se négocierait...? avec comme corollaire une alliance...? Cependant, en même temps que les opérations militaires se ralentissent (Ah! l’impatience des spectateurs dans leurs fauteuils ou à la table des cafés!), grande agitation dans les Balkans. Bulgarie, Turquie réunissent d’urgence leurs Parlements. Les renseignés, mystérieusement vous chuchotent que ces deux pays vont entrer dans la guerre aux côtés des Alliés...

11 décembre [1943]

Hier, mon cher petit Marcel[3] a magnifiquement dirigé son festival Beethoven. Très gros succès. Marguerite Long après m’a dit :

— Jamais je n’ai eu autant le trac de me tromper, on aurait dit que c’était la faute de Marcel.

Un mot comme ça, ça ne s’oublie jamais. Elle était enchantée.

Il paraît, l’ancien ministre Berthelot dixit que Laval est à Paris pour constituer le ministère qui signera la paix avec l’Allemagne. Entreraient dans cette périlleuse combinaison : Brinon, Luchaire, Déat, Doriot, Bichelonne, de Monzie? Frossard? Tout est possible.

13 [décembre 1943]

Le Cantique des cantiques moulé ne perd pas sur la terre. Ce n'est pas du temps perdu. Le moulage n'est pourtant pas très bon.

17 [décembre 1943]

La première personne par Baudinière invitée pour voir son buste, est sa petite amie, cette jeune femme qui dessine et fait bien surtout "les petites femmes nues avec de jolis petits seins pointus".

Dernier-Quart. Je suis à côté de Charles-Roux. Il me dit que la Turquie fera pour les Anglo-Américains comme le Portugal. Mon autre voisin, conservateur du Musée de Compiègne, qui voit là-bas beaucoup d’Allemands, me dit que, assurés que l’attaque anglo-américaine ne se déclencherait pas tout de suite, ils ont envoyé en Russie pour leur contre offensive sur Kiev, toutes leurs disponibilités. Un échec serait un signe très grave car il ne serait plus guère réparable. René Moulin, avec lequel je reviens, me reparle du canon et obus à triple fusée et qui déverserait un produit abaissant la température à un degré mortel. Rien ne survivra. Verne nous avait communiqué le texte de la lettre de Monzie à Pétain. C’est une violente critique, mais...

19 décembre [1943]

L’Académie élit Drivier. J'ai voté pour lui surtout parce que j’étais engagé. Est-ce une bonne élection? Michelet présentait un bagage excellent, avec des œuvres très sensibles. Brasseur[4] c’est bien aussi. Drivier est sûrement le plus pompier de tous. Il ne faut jamais s’engager d’avance. On est paralysé ensuite et on ne vote pas avec l’indépendance voulue. Je suis sous l’impression des photos présentées et celles de Drivier décevaient. L'impression de l'atelier avait été meilleure. C'est ce qui compte. Comme homme, il est mieux que les autres, ça compte aussi.

20 [décembre 1943]

Le modernisme à tout prix, la formelle rupture avec le passé, allant jusqu’à un complet retournement esthétique est vraiment grotesque. L’histoire de l’art montre maints exemples de poussées analogues dont le "scudérisme" est un des plus notoires. Mais Molière lui-même en fut pour ses frais. Le scudérisme triomphe aujourd’hui sur toute la ligne. Et pour Molière, on peut réciter les vers de Musset. La force de l’imbécillité a quelques chose d’irrésistible. Or, il n’y a pas de grandes œuvres de quelque époque que ce soit où ne se sente comme une collaboration avec les morts. Les seuls ouvrages immortels, expression profonde d’une époque, sont ceux qui ne renient pas les morts. Est-ce que Delacroix ne vivait pas en continuelle communion avec Rubens et Poussin, ces contraires?

Excellent discours d’Eden. Il y dit notamment : N’oublions pas que, probablement, nous aurions eu le sort de la France, s’il n’y avait pas eu la Manche devant nos côtes comme frontière...

21 [décembre 1943]

Visites de Bernard et Grillo, les élèves de Bigot, puis Barnioz pour les inscriptions à la mairie.

Je me suis mis à l’achèvement de la cire de la Leçon de musique. Travail ingrat, long, mais à bons résultats. Ce groupe-là, ce sera une véritable cire perdue.

22 [décembre 1943]

Il paraît qu’il y a eu à Karkov des pendaisons spectaculaires d’Allemands et de complices Russes, coupables d’avoir torturé des habitants pendant l’occupation. Il y eut procès et les accusés plaidèrent coupables. Ils donnèrent comme excuses ou explications les ordres formels donnés par le triumvirat Hitler, Himler et un troisième dont je ne me souviens plus du nom. L’exécution eut lieu sur la grande place de Kharkov. Cinquante milles personnes y assistaient. Les Russes semblent avoir eu un gros succès dans le Sud du front Nord. ils menaceraient Vitebsk ce qui les rapprocheraient sérieusement des États Baltes du Sud.

23 décembre [1943]

René Martin[5] vient chercher son médaillon. Il est enchanté. Il me dit une chose qu'il semble tenir de source très sérieuse. La fameuse arme nouvelle de l’Allemagne consisterait en un produit qui congèlerait tout. Londres et le Sud de l’Angleterre devraient être anéantis. Mais cette arme est si terrible, si efficace que l’Allemagne hésite à s’en servir. Elle ne s’y résignerait qu’à la dernière extrémité et non sans avoir adressé un ultimatum à l’Angleterre. Il me dit aussi qu’au Maroc c’est le régime nettement communiste.

24 [décembre 1943]

Gaston Riou vient nous voir à la fin de notre séance avec Baudinière. Il est surpris et plus qu’enchanté. Il ne s’attendait pas à cette évocation. Il est vraiment enchanté et tandis que nous terminons notre séance, prend des notes pour son discours du mercredi. En même temps raconte les derniers bobards : il y aurait une entente russo-japonaise dont le corollaire est une mésentente russe-américaine. Le maréchal Pétain par ailleurs serait toujours en rapport avec l’Amérique, ne renonçant pas à la chimère d’être l’intermédiaire de paix entre l’Amérique et l’Allemagne. On peut donc prévoir un retournement d’alliance dans 6 mois. Un bloc américains, anglais, français, allemand contre le bloc russo-japonais! n même temps, des gens retour de Turquie raconte qu’à Ankara on dit qu’il y a course entre l’Angleterre et la Russie, à qui s’entendra le premier avec l’Allemagne.

25 décembre [1943]

Dans Paris ce matin. Immense tristesse, tout était gris. Tous les magasins fermés. Presque personne dans les rues. De temps en temps on rencontre des couples silencieux et pressés, portant sous les bras des jouets pauvres, payés certainement très cher.

On annonce la modification du grand État Major allié pour 1944. Le général Eisenhower devient généralissime des armées de l’Ouest Européen. Montgomery est généralissime du secteur méditerranéen. Et autres nominations, flotte aérienne, flotte marine, etc.

Cependant, le journal Beaux-Arts, en éditorial, publie un article idiot d’un nommé Pierre Valat qui est "secrétaire administratif de la confédération de l’enseignement". Qu’est-ce que c’est encore? Un de ces services qui sucent le budget, en doublant, triplant le ministère de l'Éducation nationale. En tous cas ce Pierre Valat annonce la disparition de la peinture, conserve l’architecture et peut-être la sculpture et recommande la modestie aux intellectuels. C’est une sorte d’avertissement de ce que sera l’État social du monde, avec naturellement la promesse de l’homme à poigne, un dithyrambe en l’honneur de la machine, etc. En somme, tous ces gens ordre nouveau, tout en vitupérant contre le bolchevisme ne pensent à rien d’autre qu’à en prendre la direction pour en profiter.

26 décembre [1943]

Les enfants m’ont donné un nouveau livre sur Delacroix, Delacroix et le problème du Romantisme historique. Ah! grands hommes! quelle proie vous êtes pour le scalpel des essayistes et autres "abstracteurs de quintessence", je n’ai fait que parcourir ce livre que je lirai. J’y vois naturelement défendre la théorie de la délectation. Delacroix m’y semble présenté comme étant à l’origine du surréalisme! Pauvre Delacroix. De son vivant ne protestait-il pas déjà parce qu’on lui prêtait les sottises des autres, comme si les siennes ne lui suffisaient pas.

Si je n’étais pas si paresseux, je m’attellerais à un autre livre auquel depuis longtemps je pense, sorte de "Manifeste", de plus nette polémique que mon premier. Son titre pourrait être : Lieux communs, Sophisme et Attrape-nigauds, dont les chapitres essentiels seraient : définitions (exemple : la définition du tableau avec laquelle tous nos critiques d’art se sont gargarisés depuis vingt-cinq ans - la Délectation - la Personnalité - l’Indépendance - la Taille directe - Modernisme - Urbanisme - Régionalisme et Rationalisme en architecture - Style et stylisation - le Sujet - Le défaut nécessaire - La nuisible perfection - L’art activité de jeu, etc.etc.).

Quelle mise au point pourrait être faite. Ce serait un jeu comme le "Dictionnaire des idées reçues" que projetait Flaubert, et qu’il n’écrivit jamais.

27 [décembre 1943]

Déjeuner chez Riou qui nous lit son discours pour la remise du buste de Baudinière, après-demain. Rien de sensationnel n’est dit. Riou cependant annonce une terrible répression des attentats.

Les nouvelles du front russe semblent extrêmement favorables aux Russes.

28 décembre [1943]

Lettre du Brusc de la mère Perrin. Dans son invraisemblable orthographe, elle nous raconte la tristesse de tout ce qui se fait là-bas. Le beau petit port, formé au cours des siècles, va devenir un massif de béton. Les maisons en bordure de mer, doivent murer leurs fenêtres, celle qui seront épargnées, mais la plupart vont être rasées et une muraille de ciment de 2 m de haut et autant de large les remplacera. Pauvre Europe, car ces ravages d’ingénieurs se font tout au tour de l’Europe. Entreprise d’entrepreneurs et de marchands de ciment. Quelles fortunes doivent[-ils] faire, avec cette certitude d’aucune critique, ce muselage parfait de la véritable opinion publique. Car, à quoi serviront ces murs par-dessus lesquels on passera ou bien qui seront pilonnés et réduits en poussière.

29 décembre [1943]

Remise du buste de Baudinière, ici. Très bonne journée, car le buste a eu un réel et complet succès. En outre c’était comme l’inauguration privée du Cantique. Je l’avais installé dans le second atelier. Impression très grosse. Il y avait là bien des hommes de lettres, vivant sur le battage Despiau, Maillol, qui eurent les yeux ouverts. Riou m’a téléphoné tout à l’heure :

— Les faits, me disait-il, sont la réponse la meilleure aux paroles.

Le pauvre Gaston Gros est venu. Esprit faux, mais bien sympathique. Il disait qu’une entente était déjà conclue entre les Anglo-Américains et les Allemands pour laisser les A[nglo]-A[méricains]. débarquer en France sans leur opposer de résistance... Et les fortifications en béton, alors?

30 [décembre 1943]

Darnand, chef de la milice, je crois, est nommé "Commissaire au maintien de l’ordre...". Encore un de ces titres magnifiques qui doublent les ministres, en fait le ministre de l’Intérieur. Ce Darnand fut un soldat héroïque de 1914-1918. Depuis il est devenu un partisan politique, à mentalité violente; ce qu’on appelle homme à poigne, que ces hommes en fin de compte qui mènent leur pays aux Mussolini et Hitler ont mené l’Italie et l’Allemagne. Une apparence de prospérité générale au bénéfice de quelques-uns et un effondrement qui n’a rien d’apparent pour le malheur de tous. Cette nomination serait la première, comme le prélude à la constitution de ce fameux nouveau ministère qui devait sortir en janvier, avec Laval comme chef, et autour de lui Luchaire, Déat, Guilbaux, etc. En attendant, les Russes semblent avoir remporté une victoire très importante à l’Ouest de Kiev et dans la boucle du Dniepr. Il paraît que les hommes pendus à Kharkov avaient fait périr des milliers et des milliers d’habitants de la ville, femmes, enfants, vieillards. L’ordre, ont-ils affirmé venait d’Hitler, Himler et je ne sais plus qui. L’ordre était de supprimer "tous les habitants non utilisables". Alors on mit dans des wagons plombés ou dans les salles hermétiquement closes femmes, enfants, vieillards et on les fit périr par asphyxie, gaz, etc…. Ceci avoué par les condamnés.

31 [décembre 1943]

C’est en remplacement de Bousquet, préfet de police démissionnaire, que Darnand est installé avec ce titre nouveau. Prétexte : lutte contre le terrorisme. Réalité, assurer, si possible, la sécurité des troupes d’occupation en cas de débarquement à l’Ouest. Toujours l’équivoque. Mais à l’Est l’immense bataille évolue partout en faveur des Russes. Partout ils se rapprochent inexorablement des frontières. Vers la Lituanie, ou la Pologne ou la Roumanie, ils doivent être à une distance moyenne de cent-cinquante km. Des discours pour Noël et le jour de l’an. Je n’ai pas entendu celui du Maréchal. Il paraît qu’il est bien et que dans les cinémas on l’applaudit. Comme toujours, depuis quelques temps, les plus savoureux furent prononcés à Berlin. Il faudra que je me les procure intégralement, si possible. Il semble que celui de Hitler reconnaît la faillite de la guerre sous-marine. Celui de Gœbbels contient cette phrase : "Nous avons offert notre protection à l’Europe. Elle n’a pas été partout acceptée..." C’est magnifique, dans son genre.

J’ai du travailler encore au Cantique! Colin qui avait abandonné pendant q[uel]q[ues] jours le moule avant de couler n’a pas pu recoller bien les coquilles. La couture sur toute la longueur du côté gauche était ratée et ce qu’il y a de pire, il avait essayé, comme tout mouleur, de la camoufler. Il y avait une différence de niveau d’au moins trois millimètres entre la partie antérieure et la postérieure. Il m’a fallu reprendre tout le plâtre.

Et l’année 1943 finit. J’ai soixante-huit ans et 6 mois, rigoureusement.

 

 


[1] Françoise Landowski-Caillet.

[2] Amélie Landowski.

[3] Marcel Landowski.

[4] Lucien Brasseur.

[5] Louis Martin.