Octobre-1947

1er octobre [1947]

Obligé d'aller perdre des heures à l'office des [illisible] pour demander un bon, pour en acheter trois.

Lettre à Robert Rey qui m'avait officiellement écrit pour me demander où en est Shakespeare et demande que ce soit achevé pour décembre. C'est comique. Je réponds qu'il est peu avancé et qu'il sera terminé quand il le sera...

3 oct[obre 1947]

Réception chez les Fouques-Duparc avant leur départ pour Rome. Très brillant. Tous deux sont charmants. Elle paraît d'une terrible timidité.

4 oct[obre 1947]

À déjeuner, M. et Mme Gérardeau, Lacour-Gayet, Didier Gregh et sa femme. L[ily][1] n'est pas très emballée de Mme D[idier] G[regh]. Je la trouve bien jolie. Elle a déjà été mariée, paraît-il, trois fois. Trois divorces.

Réception chez Mme Jacques Meyer pour le mariage de sa fille avec le jeune Masse, le fils de l'avocat fameux, mort en déportation.

Le père de la jeune Mme Meyer est mort subitement dans le métro. Quand nous rencontrons un membre de cette famille, nous nous rappelons toujours les propos tenus par lui, Jacques Meyer, en faveur de Hitler! Beaucoup d'Israélites ont admiré ce voyou sanglant. Madame Jacques Meyer est fort belle. Jeune, elle devait faire penser à la Sulamite, avec son nez aux narines relevées, comme celles d'une cavale persane, peau dorée, chevelure ultra-noire. La fille est moins belle. Elle est même plutôt le contraire. Mais le visage est expressif et ardent.

5 octobre [1947]

Madame Delplanque vient nous voir avec M. Tugal, le fondateur des Archives de la danse. Cet organisme privé est en danger. Manque de fonds. Bien dommage. À cause des archives (collection magnifique de photos) et des spectacles tout à fait intéressants que Tugal donnait dans sa petite salle. La danse de caractère est mieux dans une petite salle. Rien ne se perd.

6 octobre [1947]

Je vais faire en ivoire, pour mon exposition, une réduction de la tête de la Nature, et du buste d'Elisabeth. Le travail toujours aux quatre danseuses Nyota[2]. Un peu un travail d'orfèvrerie. Mais les faire grandeur nature serait d'un effet certain. Surtout la danse de Dourga. Pas le temps.

Réception très amicale chez les Tournon. Il y avait les Ibert et J.S. Rousseau[3].

7 octobre [1947]

Dixième séance du buste de Ladis. Vient bien. Mais je devrais faire un buste plus grand.

8 octobre [1947]

Fête de Ladis[4].

Institut. Commission de la villa Médicis. Ibert nous fait un rapport sur les difficultés financières actuelles énormes. Il faut obtenir des augmentations de crédits pour tout, pensionnaires et administration. Les terrains de la porte Pinciana vont être en partie pris par la ville de Rome pour agrandissement de la villa Ludovici. Il y a en même temps toute une affaire en cours montée par une société qui paraît-il y va largement pour obtenir des autorisations. Ibert se défend. Nous l'approuvons. À la commission du tricentenaire on avance un peu. On aura peut-être le pavillon de Marsan, mais pour trois semaines seulement. C'est insuffisant étant donné les pièces importantes qu'on se propose d'exposer nous établissons des listes. De créer, bien sûr, un comité d'honneur. Un comité d'action... Enfin, on a parlé.

11 oct[obre 1947]

Je tiens Shakespeare. Toute autre chose que la voie où j'étais engagé. Shakespeare est autre chose qu'un simple acteur, même excellent.

11 oct[obre 1947]

À Vincennes pour le jugement d'un concours pour un monument aux héros et morts de la guerre. Deux de mes élèves, Choain et le cher Lagriffoul avaient les meilleurs projets. Choain a eu le prix. C'est Lagriffoul qui le méritait. Mais, comme trop souvent, des éléments intérieurs à la municipalité ont joué un rôle.

Passé chez de Ruaz où nous prenons nos dispositions pour l'exposition.

Et si la grève éclate.

13 oct[obre]. Grève générale des transports est annoncée pour demain.

12 oct[obre 1947]

Porté chez Barbedienne la grande esquisse Daphnis et la Danse de la Séduction. Il aura aussi fini pour fin novembre le Combat dans la montagne et la Chute d'Icare.

Commission administrative. Chantilly est la seule fondation de l'Institut qui rapporte. Mais ses bénéfices ne peuvent aller qu'à Chantilly. Toutes les autres fondations, surtout celles qui sont des prix, vivent sur elles-mêmes, si bien que près de 50 % sont absorbés pour ce qu'on appelle "la marche des fondations" c'est en réalité scandaleux. Comment en sortir?

À la Société des A[rtistes] f[rançais], on est peu nombreux à cause de la grève. La désignation des délégués à la fédération, en cours de création, est remise.

Enfin, à la réception chez le baron Sellière, pour le mariage du fils de Wendel avec Mlle Sellière. Vieil hôtel sur les bords de la Seine. Grosse allure. J'y retrouve le comte Doria (quel beau nom. Il y a un pape dans une branche de la famille, célèbre surtout par le portrait de Velasquez, et il y a la villa Doria-Pamphili, etc.). J'y retrouve Paul Gautier. Ensemble nous visitons cette demeure musée. Il y a une belle décoration de Sert. Et un salon dit "des Clodion". Mais j'aime ce sculpteur facile et quelque peu exotique de moins en moins. Non pas que l'exotisme me choque.

15 oct[obre 1947]

Institut. Séance vaseuse. Lemoyne nous lit sa notice sur le général de Castelnau, à qui il succède. Bien.

Boschot, à des questions posées sur les suites données aux propos de la séance de la commission du tri[centenaire], Boschot est évasif. Évasif sur le programme rédigé. Évasif sur la demande de crédits. L'a-t-il fait? Ne l'a-t-il pas fait? Malin qui a compris quelque chose à ses réponses. Pour moi, il n'a rien fait, et comme toujours, ment. Büsser devait aller voir Bourdan. Il n'a pas été reçu! Mais il a remis une note, plusieurs notes même; l'une sur les commis supérieurs supprimés et remplacés par des commissions improvisées à la sauvette et décidant à la sauvette; une autre sur l'éternelle histoire des pensionnaires mariés et leurs familles.

Enfin, Pontremoli, de son ton satisfait et prophétique, déclare qu'il trouve stupide le projet du tricentenaire. Que propose-t-il à la place? Rien. Ça l'embête. En montrant, dans un rictus apocalyptique, ses dents jaunâtres.

16 oct[obre 1947]

Nous avons à déjeuner Mme Ibert — lui est souffrant —, Claude[5] leur fils et les Tournaire. Nous parlons de la candidature Ibert à l'Académie. Ça devrait marcher.

17 oct[obre 1947]

Réception chez Mme Salvador[6]. Braibant nous fait ses pronostics, qui seront sans doute faux, sur les élections. C'est un démon curieux, avec ses allures de prélat.

Dîner chez Paul Léon. Il a accepté de faire la notice pour mon exposition. Paul Léon a rencontré Raymond Isay, cette petite canaille. Isay a osé se plaindre à Paul Léon des propos défavorables tenus sur lui, Isay, par P[aul] Léon. Il paraît que Boschot a téléphoné à P[aul] Léon, l'appelant au secours pour le tricentenaire. Il considère que tout est compromis. Ce n'est pas l'avis de P[aul] L[éon] qui a eu une conversation avec Salles et Jaujard. Et tout marcherait très bien, crédits, lieu d'exposition, etc. Il conseille de se méfier de ce qu'on dit en séance. Isay a dit à Paul Léon que trois académiciens lui ont répété tout ce qui s'y disait.

18 oct[obre 1947]

Toujours travail pour mon exposition.

À déjeuner Jacques[7] à qui je remets sa croix de la Légion d'honneur, conformément au rituel d'usage. Avec nous Maximilien Gauthier et sa femme.

Rudier emporte Le Combat dans la montagne.

À la T.S.F. nous écoutons la transmission d'une réunion au Vélodrome d'Hiver. Un orateur disait que c'est le gouvernement qui empêche, par la grève, la population d'aller à son travail Pareils propos rappellent ceux du voleur du panneau mystique qui accuse le gouvernement belge de l'empêcher de rendre le panneau en ne l'assurant pas de l'impunité ou les propos plus graves encore de Hitler. Quand nous faisions un canon [ ?] parce qu'il en a fait un, il nous accusait de provocation. Ainsi font les Russes innocents et bêlant d'amour humain et de paix universelle.

19 oct[obre 1947]

Hoffbauer nous réunit, ses amis de Paris. Il va quitter définitivement la France et se retirer en Amérique. Il vend tout. Paris lui a fait et lui fait une impression sinistre. Il y avait Mme Barlett ([ ?] et sa nièce, Louis Roger, Aubry.

Adieux, comme si on mourait

Au début de l'après-midi visite, pleine de ferveur, de la Société "l'Art pour Tous", sous les directives de la petite Madeleine Delpierre. Comme c'est sympathique, cette sincérité, et le non-snobisme.

Cher ami Hoffbauer, plein de talent, dégoûté de la mentalité d'ici. Avec lui c'est aussi un peu de Laparra qui s'en va, Raoul et William. Ils étaient aussi très liés.

20 oct[obre 1947]

Travail simultané à des choses diverses. Retouches au groupe du Père-Lachaise[8], retouches à la fonderie des cires du Combat des Vautours, aux Porteuses d'eau (les Canéphores aveugles).

Visite à Ibert. D'amusantes toiles de Jean Veber, père de Madame Ibert. Aussi un paysage de Dufy, de sa jeunesse avant qu'il ait trouvé son truc, ce qu'on appelle, aujourd'hui, sa personnalité. Pas fort, ce paysage de jeunesse. Manque de cœur et d'enthousiasme. Platitude.

21 oct[obre 1947]

J'en suis à la séance quatorze du buste de Ladis. Bien.

22 oct[obre 1947]

Institut. Discussion sur le choix de la salle dans laquelle aura lieu la cérémonie d'inauguration des cérémonies du tricentenaire. Nous sommes quelques-uns qui voulons la salle de l'Institut, la fameuse coupole. Boschot insiste pour la Sorbonne. L'Académie stupidement le suit. Dommage.

La Société des amis de la villa Médicis se réunit. Notre association avait remis à Boschot 100 000 F pour être partagés entre les candidats logistes. Or Boschot a annoncé ces 100 000 F, non comme un don remis et reçu, mais comme donnés par l'Académie des Beaux-Arts. Or l'Académie, tous les ans, remettait 100 000 F aux logistes. Ça leur faisait à chacun 2 à 3 000 F. Avec notre don ça leur aurait fait 5 à 6 000 F. Par le tour de passe-passe de Boschot ils n'auront rien de plus que les autres années. C'est doublement incorrect. Car, si les 100 000 F remis par nous le sont comme remis par l'Académie, ils sortent du budget de l'Académie. Ainsi sont escamotés 100 000 F. Où vont-ils? Je ne suis pas éloigné de penser qu'ils peuvent très bien aller dans les poches de Boschot, je n'ai aucune confiance dans ce personnage. En tout cas, nous lui écrivons pour avoir des explications.

23 oct[obre 1947]

Visite de Ruaz. Choix des dessins. Je lui remets aussi la notice de Paul Léon. Très bonne.

26 oct[obre 1947]

Visite de Oulmont, qui vise évidemment l'Académie. C'est un terrible bavard. Il me répète un mot de David-Weill au Dr Debat, lorsque celui-ci lui fit sa visite de candidat : "Comme peintres et sculpteurs, nous n'avons personne à l'Académie."

28 oct[obre 1947]

Un peu souffrant. Je reste au lit. Je lis la vie de Marie Dorval. Presque toutes les mêmes ces vies d'actrices. Après quelques années de splendeurs, une ou deux vraies passions, pas mal d'aventures, c'est l'abandon général et la misère.

29 oct[obre 1947]

À déjeuner Formigé. Tout à fait content du groupe[9]. C'est devant lui dorénavant que seront remises les cendres aux familles. Elles ne seront plus apportées à bout de bras, comme une valise. Deux hommes les déposeront dans la salle hypostyle. Mais Formigé me dit les difficultés financières qu'il rencontre pour avancer l'architecture. Il a une peine immense de la mort de sa femme. Ils étaient fiancés, comme les petits promis, dès leur enfance.

À l'Académie, discussion sur le tricentenaire. Mais aucune précision. Dans le cabinet de Boschot, nous nous réunissons avec Lemoyne pour la mise en marche du programme à peu près établi.

31 octobre [1947]

Déjeuner chez les Jacques Richet, réinstallés dans leur appartement de l'avenue Matignon. Les convives : ménage Tugal, Mme Vorin qui est une fille du Dr Cazalis (Jean Lahore), Pierre May et sa femme et Jacques Sainsère. On voit là quelques bons Picasso, ceux de sa jeunesse, avant qu'Apollinaire l'ait rendu fou. Une maternité, vraiment émouvante. Une toile dans laquelle il y a du cœur. De remarquables Degas. Celui-là n'avait pas beaucoup de cœur. Mais c'est comme s'il en avait. Son cœur, c'est son œil.

 


[1] Amélie Landowski.

[2] Nyota Inyoka.

[3] J.R. Rousseau ?

[4] Ladislas Landowski.

[5] Jean-Claude Ibert.

[6] Cahen-Salvador.

[7] Jacques Chabannes.

[8] Le Retour éternel.

[9] Le Retour éternel.