Décembre-1947

1er décembre [1947]

Transport de mes bronzes et marbres à la galerie, avenue de Friedland. De Ruaz me dit de le laisser faire la présentation.

Vincent Auriol me reçoit. Je lui raconte mes histoires avec Naegelen. Que j'ai l'impression, pour ne pas dire la certitude, que les lettres que je lui ai envoyées, mon dossier, etc., ne lui sont pas parvenus. Isay intercepte tout, très certainement. Canaille, comme dit Paul Léon de lui. Je demande seulement à Vincent Auriol de m'obtenir une entrevue avec Naegelen. Parce que cette histoire est insupportable.

3 décembre [1947]

J'apporte les petites danseuses Nyota[1] à la galerie de Ruaz. Tout s'installe. Ça commence à faire bien. Michel-Ange est placé dans le fond, dans un éclairage assez bien calculé.

Institut. Büsser apportait dans sa poche une lettre de Delvincourt, par laquelle celui-ci déclarait retirer sa candidature. La remettant à Büsser, comme il lui avait remis celle où il posait sa candidature, il laissait Büsser juger s'il fallait ou non la remettre au bureau. Un candidat classé premier se retirant, c'était déjà bien singulier. Et plus, Delvincourt y recommandait la candidature d'Ibert. Évidemment il ne fallait pas la déposer. Delvincourt aurait été élu. Ibert l'eût été la fois prochaine. Mais au fond, Büsser ne désirait l'élection ni de l'un ni de l'autre. La lecture de la lettre Delvincourt les torpillait. Rousseau récoltait 18 voix. Ibert, 8.

4 décembre [1947]

C'est samedi l'inauguration[2].

Aujourd'hui vernissage de la presse. René-Jean me semble vraiment gâteux. Je vois Chi[illisible], Maximilien Gauthier et plusieurs critiques de la presse étrangère. Rien à en dire. Car je ne leur dis rien.

Il semble que la situation intérieure s'éclaircisse. Mais ça ne sera pas fini pour samedi.

5 décembre [1947]

Toute la journée Shakespeare.

6 décembre [1947]

De Ruaz me téléphone qu'une des danseuses (Nyota)[3] est déjà vendue. Je vais à l'inauguration où se pressent beaucoup d'amis, les François-Poncet, Pereire, Brayer, Tondu, Bosworth, etc., et Mme Vincent Auriol, toujours aussi aimable... Les deux salles sont pleines de l'habituel public des inaugurations. C'est certainement un succès. Le marbre du Cantique des cantiques en a beaucoup.

8 décembre [1947]

À Télé-Paris. Bavardage avec Jacques[4] et son ami Féral sur mon exposition. Passait avant moi un chansonnier au visage en caoutchouc. Traits ravagés par la misère, la boisson, toutes sortes de vices apparents et cachés, mais d'une drôlerie irrésistible.

Il y avait aujourd'hui une cérémonie aux Invalides en l'honneur du général Leclerc. Nous avons suivi la foule et défilé avec devant le tombeau Foch.

Puis je passe rue S[ain]t-Dominique où je vois Mlle Jacquet, la cousine secrétaire de R[obert] Rey. Elle me dit qu'il viendra lundi prochain avenue de Friedland[5].

9 [décembre 1947] mardi

Mon Shakespeare, ce sera Prospero, mais un Prospero plus grandiose que celui de la Tempête. Ou si l'on veut ce sera l'homme de la tempête humaine, très au-delà de l'imbécile de la pièce, c'est cet autre que les critiques ont vu qui apparaît dans certaines étonnantes répliques. Qui s'extériorise par moments dans Caliban et dans Ariel, personnages contradictoirement faciles. La Tempête, elle, rentre dans cette catégorie d'œuvres qu'on admire sans analyse, qu'on admire parce que c'est l'habitude. Parce que, reconnaissons-le, ça ne tient pas debout.

On annonce la fin des grèves.

10 décembre [1947]

Les gens dits de gauche à l'Académie, lancent, ballon d'essai, le nom de Derain.

Inauguration avenue de Friedland[6]. Beaucoup de velléitaires, de marchandages. Pas d'acheteur, finalement. Comme on disait dans les grandes maisons "flanelle".

Nous dînons chez Calvet et allons à la soirée que préside Vincent Auriol, en l'honneur de Ader.

11 décembre [1947]

Buste de Ladis. À quoi pense-t-il au fond?

Je n'arrive pas à installer Ariel et Caliban. Même problème que celui de Victor Hugo pour Rodin. Il a essayé en vain de grouper des muses. Il a finit par le faire seul. En quoi il a eu raison. Par ça, je finirai avec Shakespeare.

Dans Le Monde René-Jean annonce mon exposition, mais comme à contrecœur, essayant de la minimiser.

Thé chez Marthe de Fels. Elle part pour l'Amérique. Je reçois beaucoup de compliments. Mais de Ruaz n'annonce aucune vente.

12 décembre [1947]

Fini Shakespeare. Je crois mon esquisse très bien. Il faudrait la grandir telle quelle.

Javal me téléphone pour activer l'Enfer! Hélas!

Comité des amis de la villa Médicis. Il n'y a que Decaris et moi. Debat qui me couvre toujours de fleurs, cherche à justifier son non achat à mon exposition. Il m'avait cependant dit, voici longtemps qu'il voulait mon Michel-Ange... Il raconte ses difficultés avec le fisc. On l'accuse de tricheries dans ses livres, où les sorties ne coïncident pas avec les rentrées dans les pharmacies. Ce ne sont que des prétextes. Car il rentre des millions par jour dans la maison.

 

 


[1] Nyota Inyoka.

[2] De l’exposition chez de Ruaz.

[3] Danseuses cambodgiennes, Nyota Inyoka.

[4] Jacques Chabannes.

[5] A la galerie de Ruaz.

[6] A la galerie de Ruaz.