Cahier n°1
Août [1903 Rome]
"Il ne faut jamais craindre d'être exagéré. Tous les très grands l'ont été : Michel-Ange, Rabelais, Shakespeare, Molière. Il s'agit de faire prendre un lavement à un homme (Pourceaugnac [1]), on n'apporte pas une seringue, non, on emplit le théâtre de seringues et d'apothicaires, cela est tout bonnement le génie dans son vrai centre, qui est l'énorme. Mais pour que l'exagération ne paraisse pas, il faut qu'elle soit partout continue, proportionnée, harmonique à elle-même ; si vos bonshommes ont cent pieds il faut que les montagnes en aient vingt mille, et qu'est-ce donc que l'idéal si ce n'est ce grossissement-là ?"
"Quand un vers est bon il perd son École. Un bon vers de Boileau est un bon vers d'Hugo. La perfection a partout le même caractère, qui est la précision, la justesse."
Flaubert :
"La poésie est purement subjective. Il n'y a pas en littérature de beaux sujets d'art, et Yvetot vaut Constantinople ; en conséquence l'on peut écrire n'importe quoi aussi bien que quoi que ce soit. L'artiste doit tout élever, il est comme une pompe, il a en lui un grand tuyau qui descend aux entrailles des choses, dans les couches profondes, il aspire et fait jaillir au soleil, en gerbes géantes ce qui était plat sous terre et ce qu'on ne voyait pas."
"La critique est au dernier échelon de la littérature, comme forme presque toujours et comme valeur morale, incontestablement elle passe après le bout rimé et l'acrostiche, lesquels demandent au moins un travail d'invention quelconque."
"O critique ! éternelle médiocrité qui vit sur le génie pour le dénicher et pour l'exploiter, hanneton qui déchiquetez les belles feuilles de l'art !"
"Le lieu commun est manié par les imbéciles ou par les très grands ; les natures médiocres l'évitent, elles recherchent l'ingénieux, l'accidenté."
"Quand on ne peut pas entraîner la société derrière soi, on se met à sa remorque, comme les chevaux du roulier, lorsqu'il s'agit de descendre une côte. Alors la machine en mouvement vous emporte, c'est un moyen d'avancer. On est servi par la passion du jour et par la sympathie des envieux. C'est là le secret des grands succès et des petits aussi."
"L'art ne réclame ni complaisance, ni politesse, rien que la foi, la foi toujours et la liberté."
"Je me suis toujours efforcé d'aller dans l'âme des choses et de m'arrêter aux généralités les plus grandes, et je me suis détourné exprès de l'accident et du dramatique. Pas de monstres et pas de héros !"
"Je tâche de bien penser pour bien écrire. Mais c'est bien écrire qui est mon but, je ne le cache pas."
"Bien écrire est à la fois bien sentir, bien penser et bien dire." Buffon.
"Quant à laisser voir mon opinion personnelle sur les gens que je mets en scène : non, mille fois non ! Je ne m'en connais pas le droit. Si le lecteur ne tire pas d'un livre la moralité qui doit s'y trouver, c'est que le lecteur est un imbécile ou que le livre est faux au point de vue de l'exactitude. Car du moment qu'une chose est vraie, elle est bonne. Les livres obscènes ne sont même immoraux que parce qu'ils manquent de vérité. Ça ne se passe pas "comme ça" dans la vie.
Et notez que j'exècre ce qu'on est convenu d'appeler le réalisme, bien qu'on m'en fasse un des principes ; ennuyeux tout cela." G[ustave] F[laubert] à George S[and][2].
"Le succès est une conséquence et ne doit pas être un but."
"Soyez réglé dans votre vie et ordinaire comme un bourgeois, afin d'être violent et original dans vos œuvres."
En dehors du monument du Héros, autres sujets à faire :
S[ain]t François d'Assise et S[ain]te Claire ;
Les Croyants (plusieurs aveugles conduits par un malheureux) ;
La Bayadère sacrée (à continuer) ;
Les Pêcheurs (grand bas-relief) ;
L'Adieu lointain (des femmes regardent s'éloigner q[uel]q[ue] c[hose] ; pas certain que celui-ci mérite d'être traité en grand).
[1] . Monsieur de Pourceaugnac, de Molière.
[2] . Lettres de Gustave Flaubert à George Sand, précédée d'une étude par Guy de Maupassant, Paris, 1884.