Paul Landowski naît à Paris le 1er juin 1875. Il effectue ses études secondaires au collège Rollin. Elles lui donnent l’occasion de se donner une large culture littéraire. Il découvre les auteurs qui ne cesseront d’être ses références héroïques, Eschyle, Shakespeare, Hugo, mais aussi Plutarque, Longus, l’autre visage, fantaisiste et sensuel, de l’Antiquité, et encore Flaubert, qui incarnera dans son panthéon personnel l’acharnement au travail qui constitue à ses yeux la morale de l’artiste. Il excelle en philosophie. Il projette d’écrire des drames en vers. En hypokhâgne, en 1892, il rencontre Henri Barbusse, dont il restera l’ami et dont il partagera, sinon l’engagement politique, du moins l’humanisme militant. Il dessine aussi, sans aucun doute, de plus en plus à mesure que sa vocation se précise. C’est chose faite en 1893, quand il entre à l’Académie Jullian et suit les cours de Jules Lefebvre, peintre savant et professeur exigeant auquel Paul devra peut-être en partie sa maîtrise particulière des portraits et des nus. Parallèlement, chargé par le professeur Faraboeuf de dessiner les planches anatomiques qu’il utilise pour son cours à l’École de médecine, il assiste quotidiennement aux dissections. Au faîte de sa notoriété, Landowski sculptera pour la faculté de médecine une statue de lui qui sera une sorte d’hommage reconnaissant. Toujours est-il qu’il y acquiert cette connaissance extrêmement précise de l’anatomie, qui constituera toujours à ses yeux le fondement de l’art du sculpteur, l’inspiration, le souffle, l’imagination créatrice ne s’actualisant, selon sa constante conviction, que dans et par un savoir technique irréprochable. Ces études n’absorbent pourtant pas toute l’énergie de ce jeune homme fasciné par la puissance de la vie. C’est à la boxe qu’il voue l’intérêt passionné qui se coulera plus tard dans le bronze, avec Le pugiliste ou boxeur tombé. Il entre en 1895 à l’École des Beaux-arts, dont il sera l’élève jusqu’en 1900, avec le sculpteur Barrias pour maître.
Les honneurs débutent tôt pour Landowski. En 1900, un David combattant lui vaut le Premier Grand Prix de Rome de sculpture et quatre années italiennes à la villa Médicis. Dans cette œuvre d’un jeune homme de vingt-cinq ans se trouvent déjà des traits qui jalonneront l’œuvre sculpté : l’image du héros où s’exprime la légende des siècles, ici imprégnée de la tendresse qu’inspire la fragilité apparente de la jeunesse et proche d’Aymeri de Narbonne de la Légende des siècles, « David frondeur dans tous les sens du mot » écrit Jules Romains, « et qui apparaît déjà comme un défi de jeunesse ». Et aussi une maîtrise du mouvement qui fait de ce David, dans un autre registre, un grand frère du célèbre petit Voleur d’oranges que Landowski rapportera bientôt d’un voyage en Tunisie. Les quatre années passées à la villa Médicis se partagent entre le travail, la découverte de l’Italie antique et renaissante, un voyage en Tunisie où il découvre avec émerveillement une permanence de l’orient antique. Outre le Voleur d’oranges, il en rapportera plusieurs bronzes, la Bédouine à la cruche, les Porteuses d’eau aveugles, dont la marche lente et courbée vers le puits constitue, dans un autre registre ici encore, un curieux écho aux trois géants antiques courbés vers l’avenir qui vont bientôt assurer sa notoriété.
Déjà, pour l’artiste, le « grand- œuvre » est commencé et ne s’éteindra qu’avec lui. Car c’est un temple que Landowski veut construire. Un temple à la gloire de l’homme, avec ses luttes et ses victoires. Paul Valéry, ami du sculpteur, lui donne un nom : le Temple de l’homme. L’ambition est à la mesure de l’idéal. Elle relève de la grande tradition, celle de la noblesse de l’art où esthétique et éthique intimement mêlées justifient la fonction de l’artiste, où la forme doit se soumettre à l’idée, pour être accessible à tous. C’est déjà dans cette perspective entrevue qu’il conçoit le Rhapsode, son envoi de Rome de l’année 1905, dont il fera l’année suivante la figure centrale du groupe des Fils de Caïn, qu’il expose en 1906 au Salon des artistes français. L’accueil de la critique est enthousiaste et fait de ce jeune homme de trente et un ans un artiste célèbre.
C’est qu’au cours de ces premières années romaines, il a aussi conçu cette idée qui va l’accompagner tout au long des vingt ans qui viennent, celle de jalonner son œuvre de figures qui symboliseraient la marche de l’homme depuis les mythes antiques jusqu’aux continents de l’avenir, et constitueraient ainsi sorte d’épopée nourrie de Lucrèce, de Michelet et d’Hugo, à la gloire de l’humanité. Les fils de Caïn remportent un vif succès au salon et sont achetés par l’État (ils sont actuellement placés dans les jardins des Tuileries).
Au cours des huit années qui suivent, l’activité du sculpteur est infatigable. Elle se partage entre des commandes privée de bustes, de statues, des pierres funéraires, des figures de genre : la Bédouine à la cruche, le Fakir aux serpents, Soun, danseuse sacrée (1912), La danseuse aux serpents (1914) ; une sculpture, l’Hymne à l’aurore, qu’il destine à son grand projet ; des commandes publiques enfin, en France et à l’étranger. C’est toujours le même esprit de grandeur qui le guide quand débutent les réalisations monumentales : l’Architecture de Reims, le Monument aux Artistes inconnus ou Gardiens du feu éternel, au Panthéon à Paris, le Monument de la Réformation à Genève, exécuté avec son ami Henri Bouchard.
Puis c’est la guerre. Landowski en revient et témoigne à sa façon : une longue suite de monuments aux morts dont la sobriété écarte toute grandiloquence. Dans l’Aisne, sur la butte de Chalmont, il taille dans le granit huit géants hauts de 8 mètres, Les Fantômes, qui se redressent de la plaine mortifère. Jalons de l’Histoire ainsi que le Monument aux morts érigé à Alger, celui de La Victoire à Casablanca, les trois allégories en pierre pour le palais Piratini à Porto Alegre, au Brésil, dont la réussite lui vaudra, vingt ans plus tard, la commande du Christ rédempteur de Rio de Janeiro, Les artistes dont le nom s’est perdu pour le Panthéon, à Paris. La guerre interrompt, bien entendu, cette activité. Landowski est mobilisé. Tout au plus obtiendra-t-il un sursis pour réaliser à Genève, en 1917, le Monument de la Réformation dont il avait obtenu l’exécution par concours en 1909, en collaboration avec Henri Bouchard, et où s’inaugure cette relation dialectique entre le texte, le relief et la ronde bosse, qui seront constitutives de son projet de temple.
Dès les premiers jours de la paix, le pays se couvre de monuments aux morts. Landowski reçoit de très nombreuses commandes et en accepte un grand nombre. Peut-être, en raison en partie des contraintes imposées par les commanditaires, cette dizaine d’œuvres est-elle de valeur inégale. Mais c’est surtout pour lui l’occasion de développer, de façon originale, un certain nombre de thèmes fondamentaux dans son œuvre : l’héroïsme, dans les deux monuments érigés au Maghreb, le Monument de la victoire, à Casablanca (1921) et Le Pavois, monument aux morts d’Alger (1928) ou La course au flambeau, par exemple, image de la marche en avant de l’humanité héroïque, dans le Monument aux morts de l’École Normale Supérieure.
Mais aussi, de façon plus originale dans un monument aux morts, le thème tendre de la mère et de l’enfant, qui trouvera son aboutissement, bien plus tard, en 1956, dans Le retour éternel du columbarium du Père Lachaise, prend forme à l’époque, dans les monuments de Boulogne-sur-mer et de Fargniers, et dans le monument de Schaffhouse À la Suisse consolatrice la France reconnaissante, de 1922, où la tendresse se colore de la gravité tragique que traduit l’inclinaison des corps et qui en fait comme un écho en mineur du sublime groupe en granit des Fantômes, sur la butte de Chalmont, dans l’Aisne, qu’il a entrepris deux ans plus tôt, mais qui ne sera inauguré qu’en 1935. Il sera alors précédé, en contrebas, au bord de la plaine, d’une figure de La France, d’une sobriété majestueuse qui évoque le style sévère de l’art grec. L’effet est saisissant.
Mais au tragique de la guerre s’oppose l’exaltation de la puissance de l’homme et de la vie. L’époque célèbre les grands exploits : plusieurs monuments de cette période exaltent la conquête du ciel, où se conjuguent l’héroïsme éternel et la modernité, notamment le monument à Wilbur Wright et aux précurseurs de l’aviation, érigé au Mans en 1920, le monument à Clément Ader à Muret. Le sport a aussi sa place avec Le boxeur tombé (le Knock down) ou Le pugiliste, où se mêlent la représentation d’un champion moderne, Georges Carpentier et une référence implicite à l’Antiquité. De même, pour la coupe internationale de ski proposée par l’office du tourisme suédois en 1922, il choisit curieusement de sculpter une figure d’Héraklès et la biche aux pieds d’airain, où se lit en filigrane une sorte d’hommage à L’archer de Bourdelle.
Pendant ce temps à l’ombre des commandes, le Temple de l’Homme a progressé et en 1925 à l’exposition des Arts Décoratifs, Landowski en expose plans et maquettes : quatre murs entièrement sculptés qui content l’histoire de l’humanité. À Prométhée enchaîné, répond le Christ crucifié. Aux luttes et victoires du Héros s’oppose l’apaisement des chants sacrés : les Védas hindous de l’Hymne à l’aurore, ou encore le Cantique des créatures de Saint-François. Des sculptures en ronde bosse seraient présentées devant quatre murs : le mur de Prométhée, le mur du Christ – qu’il pensera remplacer par la suite par un mur d’Orphée -, le mur du Héros et le mur des Hymnes.Vaste programme iconographique qui est un hommage aux grands chantiers antiques et médiévaux. Car rendre à la création artistique sa vocation sociale est le but recherché. Landowski renoue avec la tradition du bas- relief monumental, dont le succès s’affirme dans les années 30.
Malgré de nombreuses tentatives et de nombreux espoirs, le Temple ne trouvera jamais le financement nécessaire à son édification, mais Landowski ne cessera jamais de créer dans la perspective de ce grand œuvre. C’est ainsi, lorsqu’il achève la figure d’orante agenouillée du Cantique des cantiques qui est peut-être son chef d’œuvre, ou qu’il découvre avec jubilation, en 1946, à soixante-et-onze ans, la ligne de la figure féminine de l’Hymne à l’aurore.
Le Temple restera malheureusement à l’état de belle utopie et cet échec sera douloureusement ressenti par le sculpteur. Mais commandes et fonctions le demandent ailleurs. En 1926, Landowski est entré à l’Institut et dans son atelier défile désormais ce que l’entre-deux- guerres compte de célébrités et dont il laissera une impressionnante série de portraits. Durant l’entre-deux-guerres, les grandes réalisations se sont succédé : Paris, qui lui avait commandé, en 1928, la statue de Sainte Geneviève sur le pont de la Tournelle, lui fera exécuter successivement la statue de Montaigne de la rue des Écoles (1934), les bas-reliefs des Fontaines de la porte de Saint-Cloud (1936), le Tombeau du maréchal Foch.
Sa réputation est internationale. Après la statue de Sun Yat-Sen pour son mausolée des Monts pourpres près de Nankin qu’il avait sculptée en 1928 à la demande du comité exécutif du Kouo-Min-Tang, il sculpte, à la demande du Brésil et de Silva Costa, chef du projet, le Christ rédempteur, qui est sans doute son œuvre la plus célèbre.
Il occupe des fonctions officielles : nommé directeur de l’Académie de France à Rome (villa Médicis) en 1933, puis directeur de l’École des Beaux-arts en 1937, il y institue l’enseignement simultané des trois arts, mesure qui répond aux besoins contemporains d’une sculpture monumentale. Décision qu’il commente ainsi : « Ce travail fait prendre obligatoirement conscience à l’architecte de sa responsabilité de maître d’œuvre ; il révèle aux peintres et aux sculpteurs que la fantaisie sans frein ne donne pas toujours la plus grande joie créatrice….Tous acquièrent un sentiment élevé de leur interdépendance mutuelle et se préparent aux travaux de grande envergure qui constituent en définitive une des fins les plus importantes, sinon la plus importante des arts plastiques ».
En 1941, il participe à un voyage en Allemagne qui lui vaudra, en 1944, de comparaître devant la commission d’épuration de la Société des artistes français. La commission établira que ce voyage avait pour but d’obtenir la libération d’élèves de l’École des Beaux-arts prisonniers et sa culpabilité ne sera pas retenue.
Les quinze dernières années de sa vie se partageront entre quelques grandes œuvres, comme un Michel-Ange tout de puissance, de maturité et de volonté, une Chute d’Icare, la Porte de la nouvelle faculté de médecine de la rue des saints Pères, en 1954, les quatre Danseuses cambodgiennes (1947). Sculpture testament, le Michel-Ange haut de trois mètres incarne tout son rêve de lutte avec la matière.
Il meurt dans sa maison de Boulogne-Billancourt le 31 mars 1961, à l’âge de quatre-vingt cinq ans.