Cahier n°11
1er décembre [1921]
Parlé beaucoup du Maroc aujourd'hui avec le bon Detroy qui est venu déjeuner. Il y retourne dans une quinzaine de jours et va directement s'installer à Fez pour trois mois. "Le peintre paysagiste est l'animal le plus heureux du monde", a dit je ne sais qui. Quelle vérité ! Pauvre sculpteur rivé dans l'atelier. Il a quand même fort bien travaillé aujourd'hui le pauvre sculpteur. Terminé l'esquisse du Monument Paul Adam, et l'esquisse de Barcelonnette[1]. Le groupe de Schaffhouse[2] est sorti du plâtre. Je suis content. Seulement un morceau de draperie à ajouter à la fillette, pour avoir à l'extérieur du groupe une ligne tombant perpendiculairement au sol. Puis travaillé, après-midi, aux Fantômes. Ce premier groupe s'achève. Je trépide de plus en plus en travaillant et en pensant à ce groupe. Ce matin j'ai reçu la visite d'un jeune homme[3] :
— Je suis peintre, m'a-t-il dit, j'ai appris par M. Dupuis, à l'académie Julian, que vous ne trouviez pas de modèle jeune pour un travail. Je viens me mettre à votre disposition.
Je l'ai remercié. Il s'est déshabillé et, ma foi, fait très bien l'affaire pour la figure du jeune homme nu. Me voilà tranquille de ce côté-là et c'est très précieux. L'armature se monte dans l'atelier. À elle seule c'est déjà un monument ! Arriverai-je à me sortir de ce travail à temps pour le Salon !
Et j'ai passé, pour finir la journée, une heure fort agréable avec les jolies invitées de Lily, Madame Millet, Madame Gérard, Madame Magre et la charmante Madeleine Hirsch.
Taillens m'a apporté les dessins [4] pour le monument funéraire de la famille de l'ami Simonin.
2 [décembre 1921]
Pas de plus grand bonheur que de travailler à un grand morceau. De plus en plus pris par les Fantômes, je ne pense qu'à cela. Joie physique et joie morale. Je vais me débarrasser de tout ce qui m'encombre pour me consacrer uniquement à cet "opéra".
L'ami Bouglé m'a donné trois heures ce matin pour la tête de l'Homme à la pioche. Je n'ai pas perdu ces trois heures.
Visite de M. Bernheim avec tout le comité du Monument de Shaffhouse. Général Pau, M. Herbette, M. Alizé, etc. Tout le monde très content. Le seul ennui est la hâte de tout ce monde de voir le Monument en place.
Travaillé l'après-midi au bras droit de l'Homme à la pioche, avec Ledrevo. Je fais apparaître un morceau de bras nu sous la manche de la capote déchirée.
Chez Maurice Gras, travaillé au socle du concours d'Alger. Ce socle est presque trouvé. Il n'en faut d'un rien qu'il ne soit tout à fait bien. Il s'en faut de beaucoup plus que le groupe le soit aussi. Je suis de moins en moins emballé. C'est un croquis, une fantaisie. À l'étude en grand, de grosses difficultés apparaissent presque insurmontables. Et puis j'aime de moins en moins ces figures symboliques ailées. Mais, c'est commencé. Il faut aller jusqu'au bout.
Bouchard à dîner avec sa femme. Madame Bouchard revient d'Allemagne. Elle a été surtout frappée des divisions intestines du pays. Socialistes ou nationalistes. Pas de milieu.
Etudié avec Bouchard le Monument d'Alger. Solution à trouver pour les têtes de chevaux. Pas trouvé. Il faut que je la trouve pour la semaine prochaine.
5 décembre [1921]
Retour de Bordeaux. Cérémonie très belle. Tout le temps qu'elle dura, je regrettais[5] que le Monument[6] n’ait pas été placé au milieu de cet atrium. Il eût donné là son plein effet, sous cette lumière de crypte[7]. Il aurait fallu le mettre un peu en contrebas. L'effet eût été saisissant. Dans cette cour, non aménagée, il est perdu. Et puis, mon socle est un peu trop haut. Le revoyant, je me suis aperçu [8] d'une grave erreur. La base aurait dû être plus large. Samedi, quand j'ai revu chez le docteur Gosset, le buste de son fils Jean que j'avais fait il y a huit ou neuf ans, j'ai été tout à fait content. C'est une bonne chose. Revoyant, avec un recul de temps moindre, le Monument de Bordeaux, je ne suis pas aussi content. Mais tout le monde l'était. Le soir, en allant au banquet donné à Léon Bérard, tandis que je remettais mon pardessus au vestiaire j'entendais une conversation à côté de moi :
— C'est vraiment bien, disait l'un.
— Oui, répond l'autre personne, la Faculté nous a dotés d'une belle chose.
— Ça datera.
— C'est un grand artiste il n'y a pas à dire.
Puis les deux se sont éloignés. Et je me disais, une fois de plus, écoutant cela, qu'il faut faire de son mieux et je regrettais la hâte avec laquelle j'avais achevé ce Monument, de n'en pas avoir revu tous les morceaux, j'ai regretté les négligences. Le moins content, c'est certainement moi.
Le brave Jourde nous a pilotés toute la journée. Vu de belles églises romanes. Entendu de charmants discours au banquet. Fait la connaissance de M. Chapon, le directeur de La Petite Gironde, homme parfait, revu M. Berthelot, pris le thé chez Halphen.
Et je suis revenu à l'hôtel en compagnie d'Émile Laparra, qui prenait comme témoin tous les murs et toutes les pierres de Bordeaux à la discourtoisie de ses jeunes confrères du Barreau de Bordeaux qui lui chipent ses clients.
Léon Bérard a été charmant pour moi.
Mais combien, tout de même, ces pauvres morts sont oubliés. Excepté leurs parents, les pauvres mamans que je voyais, comme l'autre fois, à Grand-Couronne, leur mouchoir sur les yeux, une fois les discours prononcés, qui y pense ? Aussitôt après la cérémonie, chacun partit déjeuner. À Bordeaux on mange bien, les vins sont bons. Moi, je pense plus à l'effet produit par mon Monument qu'aux pauvres morts qu'il glorifie. Chacun pense à soi, malgré tout. La vie est plus forte que la mort : "Par-delà les tombeaux, en avant", a dit Goethe. La vie s'arrêterait si l'homme s'immobilisait dans la douleur. Celui qui pense de toutes ses forces aux morts, qui ne pense qu'à eux, celui-là s'enterre vivant[9] et tombe lui-même bientôt. La conclusion de tout cela, c'est le mot de Zola, dans L'Œuvre, après l'enterrement du malheureux Claude : "Allons travailler."
6 décembre [1921]
Après-midi presque perdue. Visite de la délégation de Bagneux, pour choisir la maquette du petit Monument[10]. M. Tissier est arrivé un peu en retard. Il tenait beaucoup à diriger la délibération et avait bien raison. Tout s'est très bien passé. Mais la matinée fut bonne, après les Fantômes, ainsi que la première heure de l'après-midi. La tête de l'ami Bouglé, décidément ne fait pas bien pour l'homme à la pioche. Je vais voir avec Soudant, dont les traits sont plus fins.
Aujourd'hui, huitième anniversaire de notre mariage, nous avons passé notre soirée, assis face à face, moi à dicter, Lily à écrire des lettres importantes, pour le Monument de Schaffhouse, pour le Monument de Barcelonnette, pour le Monument du Maroc, etc. Nous avons bien passé trois heures à écrire, alors qu'il serait si bon, si précieux, si utile de lire, de regarder les belles reproductions des musées, ou bien de dessiner.
7 décembre [1921]
Avec le jeune Soudant, j'ai repris la tête de l'homme à la pioche, commencée avec Bouglé. J'y suis. Je prends de plus en plus possession de mon groupe, et mon groupe prend de plus en plus possession de moi. Fait mouler les mains du jeune soldat Le Bohec pour l'homme au fusil. Il faut que les morceaux soient perlés.
Bigonet, le froid et vide Bigonet, venu pour l'esquisse d'Alger, l'après-midi je l'ai assez avancé. Encore bien des difficultés dans ce projet.
Rendu visite au béat Bigot, à son hôpital. Il s'y complaît presque et est tout attendri des soins que lui prodigue Mme de G. Qu'une femme se donne la peine de lui faire une tisane est pour lui une telle nouveauté qu'il l'épousera certainement, rien que pour cela.
Dîner rue du Luxembourg. Gentil dîner.
Mal de tête fou ce soir, ce qui est rare pour moi.
8 décembre [1921]
Très bonne, excellente journée aux Fantômes. Ladis[11], venu à la fin de la matinée, m'a paru impressionné.
L'ami Georges Tondouze que je n'avais pas revu depuis si longtemps est venu. Il avait, m'a-t-il dit, causé longuement avec Gheusi du Monument à Gallieni et venait me demander si en principe ce projet m'intéresserait. Le monument serait placé place des Invalides. Budget de 500 000 F. J'ai bien entendu répondu "oui". Au fond de moi-même j'aimerais bien refuser de semblables monuments. Si j'avais les moyens de commencer le Temple ! Si les commandes continuent à me venir comme depuis deux ans, j'aurai les moyens de le commencer tout seul. Le moment est venu de penser à une exposition [12] d'ensemble. Mon programme devrait être d'arriver cette année avec les Fantômes, avec le buste de M. Millerand, les bustes de Lily et de Madame Blumenthal. Puis de ne plus exposer pendant trois ou quatre ans et préparer dans le calme et sans hâte cette exposition d'ensemble.
Chez Madame Mülhfeld où nous nous étions donné rendez-vous, rencontré une dame russe, Madame de N. ? qui nous parle du bolchevisme et le colonel Azan, homme particulièrement sympathique. Il nous a dit qu'il se trouvait en Thrace, avec les Anglais, au moment de l'armistice de 1918 et que dès ce moment la conduite des Anglais fut déloyale vis-à-vis de nous. Il prétend que la conduite des Anglais à l'égard des soviets s'explique très facilement : les Anglais ont jugé que les Soviets étaient incapables de refaire une Russie dangereuse pour eux en Asie Mineure, c'est pour cela qu'ils soutiennent ce régime. À mon avis ce n'est pas tout à fait juste. Les Anglais sont évidemment heureux d'avoir en Asie une Russie très faible. Mais ils craignaient le bolchevisme chez eux. De là, l'entente. De plus, je crois, moi, à un sincère et profond désir de paix stable. De là, la politique russe, de là, la politique irlandaise qui me semble un exemple éclatant de cet état d'esprit. Que ne règne-t-il ici, et que n'avons nous un pouvoir assez fort moralement pour imposer ici semblable politique.
9 décembre [1921]
Le docteur Gosset me raconte toujours des choses intéressantes pendant les séances. Aujourd'hui la conversation est tombée sur Poincaré. Il paraît qu'il s'agite en ce moment, d'une manière folle. Il désire devenir ministre avec une passion pareille à celle de quelque jeune député. Il intrigue de tous côtés, a promis à plus de cinquante de ses collègues de les prendre avec lui dans sa prochaine combinaison. Il est parfaitement ridicule, mais formera plus que probablement le prochain ministère, car il le désire violemment. Le fond de son ambition est de redevenir président de la République à l'expiration du septennat Millerand. Gosset me dit :
— Il faut voir tous ces gens-là, Poincaré, Briand, Millerand même, devant Clemenceau. Ils sont devant lui comme des petits garçons.
Gosset se rappelle toujours la visite qu'il fit à Clemenceau après son attentat. Appelé aussitôt, il arrive immédiatement et trouve Clemenceau assis dans un fauteuil. Sans faire un geste, celui-ci dit :
— Quel dommage qu'il m'ait raté ! Après un silence. Quelle apothéose !
Il paraît qu'on a offert [13] en ce moment un siège de sénateur à Clemenceau.
Je viens de regarder [14] l'album que je me suis acheté : Les Chefs-d'œuvre du style Louis XVI. Il y a des morceaux charmants. Si le Louis XVI était toujours traité par Clodion, ce serait parfait. Encore cette amabilité, cette sensualité perpétuelle lassent-elles bien vite. Et[15] son imitation n'est pas supportable. En fait l'imitation d'aucune époque ne doit être systématisée. Chaque époque doit créer son style. Cette formation d'un style est plus ou moins volontaire. À l'époque romane[16] ou gothique il est créé par une sorte de poussée commune populaire. À la Renaissance[17], en Italie ou en France, de riches mécènes, des princes artistes encouragent le mouvement, en Italie les Médicis, en France un François Ier, de notre temps ce sont les artistes et la puissante presse qui les entoure qui ont pris les devants, tiré en quelque sorte le public à eux, forcent[18] et imposent en vérité la formation d'un style nouveau. C'est une vraie lutte. Lutte d'abord contre l'inertie, l'indifférence du gros public. Lutte contre l'industrie à bon marché. Lutte contre le goût du public averti, mais qui ne s'habitue [pas] aux formes nouvelles. "Hors du Louis XVIII point de salut" est[19] le credo de beaucoup de mécènes d'aujourd'hui. Alors ils sont la proie des imitateurs, des entrepreneurs, faux artistes et entrepreneurs sans scrupule. Voilà pourquoi notre époque, jusqu'à aujourd'hui, laissera le souvenir d'une époque riche sans doute en individualités fortes mais sans aucune direction d'ensemble. Des individualités fortes mais sans aucun lien les unes avec les autres, sont niées, ont exercé durant leur vie une sorte d'influence. Tout disparaît avec eux. On voit[20] vivre et prospérer parallèlement des écoles aux tendances les plus opposées. Cela commença du temps de David, mais la crise apparut nettement[21] au moment du romantisme avec Ingres et Delacroix et l'on peut dire que son point aigu est atteint aujourd'hui. Quel lien entre un Delacroix, un Ingres, un Millet, un Corot, un Manet, un Courbet (ou entre ces deux-là), un Puvis de Chavannes, un Besnard. En sculpture, un Rude, un Barye, un Constantin Meunier, un Rodin, sont apparus et sont morts sans descendance forte. Il ne s'est pas créée par eux, une sorte d'école. Le curieux de notre époque c'est que des écoles se créent tout de même mais ce sont des sortes de groupements, de cénacles composés d'individualités intelligentes et sans grande puissance, où tout le monde, plus ou moins bien, fait la même chose. Ces groupes [22] en lutte les uns contre les autres cherchent à attirer l'attention sur eux et c'est la porte ouverte à toutes les excentricités. D'où le futurisme, le cubisme, et autres sottises que pas mal de gens ont pris au sérieux. À ce gâchis il y a une raison profonde. Cette raison profonde est : "l'absence de programme moral." Tout le fond de la question est là. Et à mon avis, le mal est sans remède en ce moment. Quel programme moral pourrions-nous avoir aujourd'hui ? Le patriotisme ? La preuve est faite que le patriotisme n'est pas un programme moral. Attention ! Il l'est peut-être. Il le fut bien pour Athènes jadis[23]. Le Parthénon. Comme il est difficile d'écrire des généralités à propos d'art. C'est que[24], en art, il n'y a que les individualités qui comptent. Parce que nous ne connaissons pas le nom des architectes et sculpteurs romans ou gothiques, nous croyons que cet art est né du peuple, collectivement. Il est plus que probable que de grands artistes très admirés, très écoutés dirigeaient le goût public. Ne pas connaître leur nom ne prouve pas qu'il n'en existe pas. Les œuvres sont là. On rêvasse au bout de la plume et me voici loin du point de départ[25]. J'étais parti de l'album Louis XVI que j'avais regardé. Conclusion : il faut être personnel, vivre dans son temps, le regarder avec des yeux aussi sincères que les artistes de jadis regardaient la vie autour d'eux. Il faut fuir le pastiche[26], seuls[27] les artistes personnels ont laissé un nom et marqué leur empreinte.
10 [décembre 1921]
Aux Fantômes ce matin avec Le Bohec. Travaillé sans modèle à l'Homme à la pioche. J'espère en finir avec ce fragment la semaine prochaine. Que de choses j'espère finir la semaine prochaine ! L'esquisse d'Alger à laquelle j'ai travaillé cet après-midi. Bigonet est venu, comme dit Lélio, faire la mouche du coche. Je ne me sens plus en confiance. Mais l'esquisse va bien. Je reprends confiance en elle. Ça peut réussir. En tout cas, ce ne sera pas banal. Il faut aussi que je fasse cette semaine les trois esquisses pour le comte de Fels. La semaine qui se termine aujourd'hui a été bien employée. Celle qui commencera lundi ne le sera pas moins.
À la fin de la journée, au café de la Rotonde, au Palais-Royal, je fus à la réunion de la Société l'Amicale. J'y suis allé pour revoir quelques camarades. J'y allais aussi pour évoquer-là les temps lointains où le café était une sorte[28] de centre intellectuel et artist[ique]. Delacroix y allait et je me rappelle avoir lu dans ses mémoires le récit d'une longue conversation qu'il eut là avec Chenavard. En ce temps les jardins étaient ouverts le soir. Aujourd'hui c'est un énorme vide noir autour duquel on circule, comme si on voulait conserver les ombres derrière ces grilles. C'est un des endroits les plus mélancoliques du monde. Revenu avec Laporte-Blairsy et Broquet . Laporte-Blairsy toujours fin. Il professe le dessin à J[ean-]B[aptiste]-Say et me dit que cela l'intéresse beaucoup. Broquet, gros et robuste [29], bon garçon, peu intelligent, exhibe toujours, au centre de sa tête toute ronde une petite bouche toute ronde et terriblement rouge. C'est cela qui conquit sa femme qui a l'air d'un homme.
11 décembre 1921
Nous avons emmené tous les petits au Châtelet, au Tour du monde en 80 jours. Pas de plus grand plaisir que de suivre la joie des enfants. Même la petite Françoise qui n'y comprenait rien du tout manifestait une joie délirante.
Travaillé ce matin avec Bigonet à l'esquisse d'Alger[30]. Cette esquisse vient de mieux en mieux. Tous les points inquiétants sont solutionnés. Mais je me demande comment je ferai pour terminer cette esquisse cette semaine avec les esquisses pour le comte de Fels.
Gentil déjeuner chez Ladis, pour le 26e anniversaire de leur mariage. Les ménages Jo[seph] et Ben[jamen]. Les Henri[31] malheureusement n'étaient pas là à cause de la santé de M. Messener : "Papa Léon". Toute ma jeunesse de Chézy, ces charmantes années qui vont de 1893 à 1900.
12 [décembre 1921]
Travaillé toute la journée à l'esquisse d'Alger. Vient de mieux en mieux. Ennuyé que Bigonet vienne demain faire la mouche du coche. Il va me gêner. J'espère quand même que demain soir ce sera très avancé. J'ai mis Lélio sur les Fantômes, au fusil et à la capote de l'Homme [32] au fusil. Soudant avance péniblement sur le bouclier[33] !
À déjeuner Loulou Lagardelle. La pauvre enfant est de plus en plus désaxée. Pas de famille. Pas de vie intime. Pas de bonheur. Il n'y a que les gens qui pensent et parlent et s'occupent du bonheur [...] de l'humanité pour rendre aussi peu heureux les gens de leur famille.
Vu Max Berhendt très fatigué. Lui et sa femme sont encore sous le coup de la mort du malheureux Marx. Nous dînerons chez eux la semaine prochaine.
Rue de l'Université où nous dînons, rien de très intéressant. On parle de l'histoire de Me Clunet et de Mata Hari dont Clunet était devenu amoureux. Pour essayer de retarder l'exécution il insinua qu'il l'avait rendue enceinte en prison. Me Clunet a 75 ans. La danseuse refusa de se prêter à cette comédie et marcha très courageusement au supplice. Je me suis demandé souvent si pas mal de ces exécutions d'espions ou d'espionnes n'ont pas été faites pour l'opinion publique, un sanglant bourrage de crâne. Le régime Clemenceau à ce point de vue fut sinistre.
Je lis en ce moment La Famille Sanaréus, le dernier roman de ma belle-mère. C'est très bien. Solidement fait. Construit largement.
13 [décembre 1921]
Toute la journée à l'esquisse d'Alger. Elle vient. J'ai fait poser Bigonet. Je lui ai collé des burnous, une djellaba et le spahi fait très bien. Demain j'arrangerai l'autre cavalier. Taillens, venu à la fin de la journée a eu une excellente impression.
15 [décembre 1921]
Hier soir banquet annuel des prix de Rome. Dîner près de Sicard. Revu beaucoup de camarades sympathiques. Un bon discours de Besnard, plein d'excellents conseils. Pendant le dîner à deux ou trois reprises, me retournant j'ai surpris sur moi le regard de Segoffin, regard que je fuyais aussitôt mais j'ai eu le temps d'en saisir l'acuité haineuse. Combien cet homme doit me détester ! Pourquoi ? C'est un jaloux et il doit se rendre la vie bien malheureuse.
Bonne journée de travail à l'esquisse d'Alger. Bigonet m'amuse. Revêtu d'une belle blouse blanche, il travaillote, s'assied, regarde et dit devant l'esquisse à laquelle il n'a rien fait :
— Nous avons bien arrangé ceci... ou, nous avons bien arrangé cela...
Je ne travaille pas aux Fantômes et cela m'ennuie. Il faudrait que je m'y consacre entièrement. Autrement je n'arriverai jamais pour le Salon.
En cette époque où les artistes des milieux dits "avancés" se réclament de Ingres, il y aurait un amusant dialogue des morts à écrire où l'on mettrait en scène les grands morts, les Poussin, Claude Gelée, Delacroix, etc., même Ingres. Étude du mouvement d'art contemporain vu par les morts[34], si on peut appeler mouvement d'art certaines[35] entreprises commerciales d'aujourd'hui.
17 [décembre 1921]
Travaillé d'arrache-pied à Alger[36]. Cette esquisse doit réussir. Les bas-reliefs se précisent. Je suis un peu agacé de mon soi-disant "collaborateur". Il est nettement impuissant, même pas capable d'indiquer convenablement un bas-relief et je crois fort que lorsqu'il s'agira de la division du travail et du règlement budgétaire, il n'ait des prétentions aussi fortes que son talent est faible. Tant pis. L'essentiel sera de planter là-bas un beau morceau.
Hier, réunion de ce nouveau comité pour fonder une Académie des Arts et des Sports. Retrouvé-là Dieudonné, effroyablement gras. Le métier d'auteur vaudevillesque lui réussit. Bouchard aussi[37], toujours tendu et prêt à engueuler n'importe qui à propos de n'importe quoi. Jean Boucher toujours sûr de lui, prudent, l'air méditatif et profond. Des idées ont été échangées, idées vagues sur un programme vague. Je crois que jamais, à aucune époque il n'aura été aussi difficile[38] de faire quelque chose de bien parce que tout ce monde veut se mêler de tout
Sympathique dîner chez Madame de S[ain]t-Marceaux. Revu Jacques Baugnies, navré comme son frère du concours pour le Monument de Vichy. J'ai dit à Georges que j'avais prévu qu'un concours serait organisé. Mais je ne pouvais croire que le programme en serait aussi ridicule. Aussi, quelle idée de prendre comme maire un acteur de l'Ambigu. C'est tout de même lamentable d'avoir une pareille somme et de penser qu'elle servira à faire une stupidité de plus. Beaucoup bavardé avec Hoffbauer. Regardé longuement ensemble le remarquable portrait du Cardinal de Lorraine, d'un disciple ou élève de Titien. C'est une toile sur laquelle on voit admirablement le procédé[39] de l'époque. D'abord peint en grisaille, la couleur était posée en glacis transparent. De là vient la légèreté et tout à la fois la solidité de cette peinture. Encore plus que pour les chaires cela donne des résultats étonnants[40] pour les draperies. Il paraît que de S[ain]t-Marceaux a légué cette toile au Louvre.
En rentrant Lily me raconte la nouvelle mésaventure[41] conjugale de la duchesse de Talleyrand. L'autre nuit, voulant dire un mot à son mari, elle va dans sa chambre. Personne. Recherches. Or son pardessus était dans l'antichambre. Donc il n'a pas quitté la maison. Elle l'attend. Celui-ci ne revient [42] qu'à deux heures du matin.
— D'où viens-tu ?
— De me promener dans le jardin.
— Sans pardessus ?
Il sortait de la chambre de la bonne. Aussitôt la duchesse file chez son fils Castellane et téléphone à Madame Cruppi. Il était trois heures du matin. Elle veut le divorce immédiat. Voilà qui va amuser tout Paris pendant quelques journées.
20 [décembre 1921]
Pas écrit ici depuis trois jours, tellement occupé à l'esquisse d'Alger et pris le soir par des sorties ou correspondance. Donc travaillé toute la journée du dimanche à cette esquisse d'Alger qui vient bien. Bigonet est venu et ma foi a travaillé. Mais j'en ai par-dessus la tête des collaborations, surtout de ce genre-là.
Dîner chez Louis Artus. En l'honneur de Joseph Bédier, homme des plus sympathiques. Il y a là Beaunier et sa femme, la belle Madame Raunay[43], les Capiello (à noter, l'entrée sensationnelle de Mme Capiello dans une robe blanche de reine, coiffée d'une sorte de diadème de lauriers en semence de brillants), l'entrée de cette magnifique blonde habillée tout en blanc, suivie de son mari tout noir, très amusante. Bavardé beaucoup avec le fils de Louis Artus, un jeune homme qui commence à écrire et qui fait actuellement un film de cinéma ! Mais il en a un peu honte. Et puis après tout c'est peut-être un bon exercice. Mademoiselle Artus me dit qu'elle avait remis à Jacques[-Émile] Blanche son album d'autographes et de dessins. Celui-ci a dessiné à la plume derrière le dessin que j'avais fait, avec une grosse plume si bien que mon dessin est tout abîmé. Est-ce exprès ? Rien de bien sensationnel dans la conversation. Des mots drôles de André Beaunier. La seule chose intéressante à noter est une conversation d'Artus avec Lily à propos du mouvement socialiste. Il avait vu Boncour et celui-ci lui a dit que tout l'avenir et le développement du socialisme dépendait, à son avis, du mouvement travailliste anglais[44].
Lundi, travaillé encore à Alger. Dérangé par la visite de M. Masson. Il venait à propos de la grande toile : L'Ange de l'Épiphanie, de Laparra, trop grande et qu'on n'aurait pas la place d'accrocher au Luxembourg. Il voudrait une toile plus petite : La petite fille au dessin[45] ou l'Ouvroir ferait très bien. Mais le Luxembourg ne dispose que de 6 000 F.
Aujourd'hui, toute la journée encore Alger. J'en ai assez de cette esquisse. Je voudrais ne travailler qu'aux Fantômes. La terre commence à être entièrement montée et cela aura fameuse allure. Mais quel travail ! Le bon Pinchon est venu me donner un coup de main pour les chevaux.
Est-ce l'agacement de cette esquisse d'Alger, mais je me sens très nerveux et fatigué.
21 [décembre 1921]
Importante journée. Tandis que Monestès était ici, tergiversant à propos du socle du groupe d'Alger, socle qui ne va pas du tout, Taillens est arrivé. J'ai été heureux de ses critiques qui concordaient complètement avec les miennes. Tout a été chambardé. Suppression de ces redents compliqués. Il nous a fait revenir à ma première idée du socle par assises étagées, pyramidant légèrement. Maintenant on doit en sortir. J'espère que la journée de demain sera décisive. Mais quelle charrette !
Dîner très agréable, hier soir, chez Pontremoli. Sicard et sa femme, André Michel et sa femme, les deux Alphonse L[..], etc. Mais voilà Pontremoli de nouveau malade de sa candidature à l'Institut. On lui aurait dit que M. Nénot voulait pousser la candidature Hermant. Inquiétude.
— Hermant, me dit-il, mais c'est le requin de l'architecture.
Bien entendu on a beaucoup parlé peinture, mouvement actuel. André Michel nous raconte que Bernheim lui fit des avances pour l'attacher à sa boutique. Il nous raconte l'histoire de la collection Thomy-Thierry. Il était au Louvre à ce moment et a eu en mains toutes les pièces. Voici entre autres l'histoire de Jules Dupré :
Thomy-Thierry avait chargé un marchand de tableaux, dont je ne me rappelle plus le nom bien qu'André Michel l'ait dit, de lui faire une collection. Il voulait un Jules Dupré. Le marchand apprend qu'il y en a un chez M. X. Il y va :
— Je ne veux pas vendre mon Dupré. Dupré était un de mes amis. C'est une toile qu'il m'a donnée.
Le marchand insiste, offre 2, 3, 4, 5 000 F. Refus. Il s'en va. Après quelques jours il revient :
— Mon client tient beaucoup à avoir cette toile.
— Non.
— Pour 10 000 F ?
— Non.
— 15 000 F ?
— Non.
Puis nouvelle offensive qui va jusqu'à 25 000 F. Nouvel échec, mais le propriétaire commence à être ébranlé. D'autant plus que la famille s'en mêle, lui dit que vraiment c'est dommage de laisser ainsi, lorsque l'on n'est pas riche, sur son mur un pareil capital. Revient le marchand qui offre 50 000 F.
— Emportez-le.
Et notre homme s'en va chez Thomy-Thierry :
— Enfin, je l'ai votre Dupré, lui dit-il, mais par exemple, c'est salé, vous savez.
— Combien ?
— 250 000 F !
Et voilà comment on gagne en trois visite 200 000 F. M. May , qui écoutait l'histoire [46] d'André Michel dit :
— Je le disais à Durand-Ruel. Que vous faut-il à vous, marchand de tableaux, pour gagner de l'argent : deux proies. Une qui vend une toile bon marché et une autre qui vous l'achète cher.
22 [décembre 1921]
Nous avons aujourd'hui collaboré par téléphone avec Monestès. Il m'envoyait ses mesures du socle d'Alger. Je les essayais. Je retéléphonais : ça va ou ça ne va pas. À la fin de la journée j'ai envoyé Bigonet voir le dessin. Il paraît que ça va très bien. Hoffbauer qui venait déjeuner a aimé beaucoup mon groupe. Il est content car il a de belles commandes pour l'Amérique, une, entre autres, qui lui est payée 25 000 dollars, ce qui fait au cours d'aujourd'hui, 350 000 F.
— De quoi vivre quinze jours, dit Hoffbauer.
Reçu une extraordinaire publication : L’Encrier[47], qui contient une enquête sur la "crise de la peinture actuelle". Un questionnaire a été remis à différents types, des Frantz Jourdain, Rosenberg, Van Dongen, Vauxcelles, etc. [48]. C'est comme si, à propos d'une crise dans la bijouterie on allait interviewer les camarades qui brisent les devantures des bijoutiers et emportent la marchandise.
Mais comme chose comique, rien ne vaut le programme du concours de Vichy, que j'ai reçu aujourd'hui.
24 [décembre 1921]
Tandis que Lily, secondée par Béatrice, organise le Noël des petits.
Toujours à l'esquisse d'Alger[49]. Presque terminée. Vient très bien. Hier Pinchon m'a donné un excellent coup de main pour les chevaux. Il n'y a plus qu'une chose dont je ne soit pas convaincu dans le monument. Ce sont les pans coupés du socle. Je crois aussi l'ensemble du groupe et du socle un peu trop volumineux. Si ces deux points-là étaient corrigés, je crois que notre affaire serait parfaite.
Eté voir hier soir Marcel Auburtin, à propos du petit Monument de Varengeville[50]. Dîner chez Max Berhendt. Il me raconte que Loucheur et sa bande ont fait une manœuvre d'immense envergure sur le mark polonais. Mais tout cela, à mes yeux, n'aurait guère d'importance si la France n'était, en ce moment, le pays qui empêche le désarmement de s'accomplir. Car il ne faut pas se le dissimuler, il n'est pas possible de se le dissimuler, le pays le plus réactionnaire du monde, aujourd'hui, c'est la France. Combien nous devons apparaître à tous insupportables avec à la fois notre vanité et nos perpétuelles lamentations. Nous avions un rôle magnifique, splendide à jouer. Briand n'ose pas. Il est prisonnier de cette lamentable Chambre, la Chambre de Clemenceau.
25 [décembre 1921]
Je n'aime rien tant que de passer les journées de fête en travaillant. J'ai pu le faire aujourd'hui. Pas dérangé, avec Bigonet nous avons travaillé à l'esquisse d'Alger. Il y aurait bien des choses encore à revoir. Mais c'est demain que l'on moule.
Comme tous les ans, les petits sont venus dans notre chambre chercher les jouets et les cadeaux disposés dans les souliers. La joie de Marcel et de Françoise. Mais ce qui est plus beau à voir encore que la joie des petits, c'est la joie de la maman et l'amour avec lequel tous les cadeaux sont disposés.
26 [décembre 1921]
À déjeuner aujourd'hui, l'oncle et la tante de Lily, M. et Mme Thomson, pour l'esquisse d'Alger. Madame Thomson très emballée. Mais, pour Philippe Millet, retour de Londres, nous avions invité aussi Bouglé et sa femme. Millet revient de Washington et de Londres[51]. Il est navré.
— La France, dit-il, devient le cauchemar du monde. Les malentendus succèdent aux malentendus et nous passons maintenant pour le pays militariste qui empêche toute tentative de désarmement d'aboutir.
Une caricature a, paraît-il, là-bas, grand succès. Elle représente la France essayant un casque prussien.
— Or, dit Millet, il y a quelque chose à faire. Si un sérieux mouvement d'opinions n'est pas provoqué[52], avant trois mois nous serons isolés. Nous assisterons à un rapprochement anglo-allemand.
Voilà à quoi nous aura menés la politique du bloc national, qui se résume dans cette phrase que disait Giraud-Pertinax à Philippe Millet :
— Gagner du temps en montant la garde sur le Rhin, armés jusqu'aux dents !
Voilà donc ce que racontait Millet et, ayant vu à Londres Lloyd Georges, il nous disait :
— L'Angleterre a enfin compris, elle y a mis le temps, que l'Amérique ne veut absolument pas se lier en Europe. L'Angleterre est donc disposée à se passer de l'Amérique pour les affaires européennes. Mais elle [53] (Lloyd Georges) ne veut pas non plus d'une alliance avec la France. La lui proposer, c'est aller au devant d'un refus. L[loyd] G[eorges] pense qu'il ne faut plus de ces groupements opposés qui ont toujours abouti à des guerres. L'arrière-pensée de L[loyd] G[eorges] c'est une alliance, plutôt une entente anglo-franco-allemande, garantissant la démilitarisation du Rhin. Mais comment faire accepter cette idée en France, avec des groupes Arago, des Action Française, des Figaro, Gaulois, etc. ! Il y faudra pourtant venir. Si nous n'y venons pas de bonne grâce, nous y viendrons avant longtemps à coups de pied dans le derrière. Et qui sait ? Ce sera peut-être Poincaré qui signera pareille entente.
Passé à la fin de la journée chez Monestès, où nous avons décidé de réduire tout le motif central du Monument d'Alger. Le socle n'est pas encore bien. Il est trop important. Ou bien, si on le gardait d'une telle importance, il fallait suivre mon idée et le sculpter entièrement du bas en haut. Je crains beaucoup que ce socle hors d'échelle ne nous fasse échouer.
Mais nous avons passé une merveilleuse soirée au Français où nous avons vu Piérat dans Aimer de Géraldy. Pièce très bien faite. Trois personnages seulement. La femme, le mari et le candidat amant. Trois actes, continuellement intéressants. En écoutant cette pièce, je faisais un rapprochement avec le livre de Tagore La Maison et le monde, où, en somme, la situation est la même et l'idée centrale la même : le mari ne voulant pas devoir la fidélité de sa femme aux vieux préjugés du droit du mari, ne voulant pas lui-même s'en faire le défenseur mais laissant au contraire à la femme toute sa liberté, sa défense à elle-même. "Ce serait indigne de toi et de moi." Cette idée est nouvelle et est la conséquence certaine du mouvement féministe. La femme n'est plus en tutelle. Le jeu est dangereux. Il le serait également pour un homme. Dans les deux ouvrages, en fin de compte, la femme revient au mari. Si le mari s'était conduit différemment, il est probable que la femme serait partie. Piérat[54] est magnifique, c'est une très grande artiste.
27 [décembre 1921]
Après avoir dessiné chez Monestès le groupe du Monument d'Alger, passé chez les Corbin où les petits étaient invités. Revu avec plaisir M. et Mme Corbin, aussi sympathiques l'un que l'autre. Et sa belle collection. Revu le très joli ivoire gothique du XIIIe représentant la synagogue et dont les plis de la draperie me donnent la correction à faire à la jupe de la figure de l'évacuée dans le Monument de Schaffhouse.
Rue de Poitiers, assisté au dîner que les Amis de l'École normale donnaient à Joseph Bédier pour son élection à l'Académie Française. Deux discours qui furent deux régals, celui de Bouglé, primesautier, spirituel, à l'emporte-pièce, et celui de Bédier un beau morceau ému et magnifiquement écrit. Mais moi, qui suis incapable de prononcer deux mots en public, j'admire peut-être plus celui de Bouglé, qui fut dit presque improvisé. Suivre ainsi ses idées en public, tandis que près d'une centaine de paires d'yeux sont braquées sur vous, je trouve cela extraordinaire.
Mais ma soirée a été gâtée. Après le dîner, M. Appell et M. Aulard viennent à moi, accompagnés de Bouglé et me disent :
— Connaissez-vous un sculpteur nommé Gaudissart ? Qu'en pensez-vous ? Peut-on avoir confiance en lui ?
Après tout ce qui m'a été répété que Gaudissart disait sur moi, parce que je faisais le concours d'Alger[55], je ne savais quoi dire. En dire du bien c'était lâche, puisque je n'en pense plus. En dire du mal, j'ai horreur de ce genre trop répandu des artistes qui ne peuvent parler d'un collègue sans le déprécier. Gaudissart[56], en ce moment, fait des visites de tous côtés, à propos de la Tour de Rodin qu'il a transformée en Tour de la Paix. Il voudrait les signatures de M. Appell, de M. Aulard et d'autres pour former sans doute, une sorte de comité d'honneur. Ces messieurs me demandaient si ils pouvaient lui donner leur signature. Mais qui connaît le gaillard, l'espèce d'entrepreneur de sculpture, peinture, tout ce qu'on voudra. Je ne pouvais répondre oui avec élan. J'ai été très réticent. Mais je suis très agacé de cela. Je trouve qu'on se diminue. On a l'air envieux. Ce serait si agréable de n'avoir à dire que du bien des autres.
28 [décembre 1921]
Travaillé aux esquisses pour le comte de Fels. Je fais deux petits groupes, femme et enfant. Ce serait intéressant à étudier si je n'avais la tête à autre chose : Les Fantômes.
29 [décembre 1921]
Bon travail à l'esquisse de Fels. Cela a son intérêt de travailler, orienté par des mesures données, pour un endroit déterminé.
Déjeuner sympathique chez Miss Getty. J'y retrouve Bouwens, Koechlin du Louvre. Après le déjeuner, Miss Getty nous montre ses dernières acquisitions de son voyage en Chine. Entre autres de merveilleuses peintures chinoises.
Passé quai Voltaire. Les dessins viennent bien. Mais ce socle, quoique amélioré me navre.
Chez Bernheim à l'exposition de Venise de Van Dongen. Il paraît que cet homme-là vend de cette peinture. C'est très laid. De l'habileté. Et le mauvais goût le dispute à la mauvaise foi. De là, chez Georges Petit où il y a une belle exposition de Jouve, Dunand. Jouve dessine avec force. Il n'a aucun sens de la composition.
30 décembre [1921]
Bonne journée de travail aux esquisses du comte de Fels, qui viennent bien. Mais en fait, je ne travaille à cela que du bout des doigts et du bout du cerveau. J'ai hâte d'en avoir fini pour me mettre à fond aux Fantômes.
L'esquisse d'Alger est sortie du plâtre. Le groupe fait très bien. Je puis en être vraiment content. Mais lorsqu'il fut sur le socle, il a perdu. Le socle est d'un tiers trop haut. Camille Bellaigue qui était là et dont le goût est sûr a été tout à fait de cet avis. Tant pis. Le sort en est jeté. On emballe et on expédie demain.
Les dessins chez Monestès sont bien venus. Un peu noirs. Il aurait dû les rendre avec un crayon bistre.
Eté souhaité la bonne année à M. Coutan. Il était seul. Il n'a plus de travaux. Il va quitter son atelier et sa maison de la rue du Cherche-Midi. Il m'a paru content de me voir. Il n'a pas toujours été gentil pour moi derrière mon dos, mais je l'aime bien quand même.
31 décembre [1921]
Visite de M. de Fels. Cela va. Avec assez de justesse de goût il m'a demandé de lui chercher une partie plus centrée. Mais cela va me faire tout changer. Il était très inquiet. On avait opéré la veille sa fille, Madame de Boisgelin, opération très grave paraît-il :
— Pour le moment, m'a-t-il dit, elle vit. L'opération a réussi. Mais...
[1] Berwick.
[2] A la Suisse consolatrice.
[3] Stoliarof.
[4] . Au lieu de : "des projets", raturé.
[5] . Suivi par : "l'emplace[ment]", raturé.
[6] Monument aux morts de la Faculté de Bordeaux.
[7] . Au lieu de : "dans ce jour de c[rypte]", raturé.
[8] . Au lieu de : "j'ai vu bien", raturé.
[9] . Suivi par : "Vivre et agir c'est le meilleur moyen.", raturé.
[10] Bagneux (Monument aux morts de).
[11] Ladislas Landowski.
[12] . Au lieu de : "l'exposition", raturé.
[13] . Au lieu de : "offre", raturé.
[14] . Au lieu de : "feuilleter", raturé.
[15] . La phrase débutait par : "La vérité est que...", raturé.
[16] . La phrase débutait par : "Ce style est...", raturé.
[17] . La phrase débutait par : "Comme...", raturé.
[18] . Suivi par : "le mouvement", raturé.
[19] . Précédé par : "tel", raturé.
[20] . Suivi par : "en quelque sorte", raturé.
[21] . Au lieu de : "atteignit son point...", raturé.
[22] . Au lieu de : "Certains de ces groupes", raturé.
[23] . "Le patriotisme athénien se doublait d'un sentiment religieux." Noter par P. L. en marge.
[24] . Suivi par : "en vérité il...", raturé.
[25] . Suivi par : "de ma méditation." raturé.
[26] . Suivi par : "suivre les modes," raturé.
[27] . Au lieu de : "il n'y a que", raturé.
[28] . Suivi par : "le rendez-vous...", raturé.
[29] . Suivi par : "tout rond et", raturé.
[30] Le Pavois.
[31] Les 4 frères Landowski.
[32] . Au lieu de : "du soldat", raturé.
[33] . Suivi par : "Le pauvre garçon n'est pas fort. En ce moment travaillent à mon atelier quatre Italiens et un Français. C'est malheureux à dire : c'est le Français le plus paresseux. J'aime de plus en plus les Italiens." raturé.
[34] . Au lieu de : "grands aînés", raturé.
[35] . Au lieu de : "les", raturé.
[36] Le Pavois.
[37] . Suivi par : "était là", raturé.
[38] . Suivi par : "qu'à cette époque", raturé.
[39] . Au lieu de : "métier", raturé.
[40] . Au lieu de : "inouïs", raturé.
[41] . Au lieu de : "aventure", raturé.
[42] . Suivi par : "à sa chambre", raturé.
[43] . Le manuscrit porte : "Ronay", pour Jeanne Raunay.
[44] . Au lieu de : "socialiste", raturé.
[45] . Précédé par : "je vais conseiller" raturé.
[46] . Au lieu de : "la conversation", raturé.
[47] . Roger Dévigne lance cette enquête.
[48] . Suivi par : "les réponses sont les plus singulières et sottes..." raturé.
[49] Alger (Monument aux morts d’), Le Pavois.
[50] Monument aux morts.
[51] . Suivi par : "il a téléphoné", raturé.
[52] . Au lieu de : "créé", raturé.
[53] . Au lieu de : "l'Angleterre", raturé.
[54] Marie-Thérèse Panot dite Piérat.
[55] Alger(Monument aux morts d’), Le Pavois.
[56] . La phrase débutait par : "Il paraît...", raturé.