Juillet-1929

Cahier n°25

1 juillet [1929]

Donc c'est fait. C'était aujourd'hui la séance du Conseil supérieur et l'on m'a nommé pour la succession de Coutan[1]. Suis-je content?

5 [juillet 1929]

Jugement concours de Rome peinture. Quelle faiblesse! Cette École des B[eau]x-Arts est en décadence, c'est certain. Il n'y a qu'à visiter le musée des concours de Rome, peinture surtout, pour s'en persuader.

6 [juillet 1929]

Excellent travail en ce moment. Je trouve enfin ce que je voulais faire pour le monument Fauré. Des femmes, des cygnes, quoi de plus beau à sculpter, quoi de plus expressif de l'art de Fauré. Il faudrait arriver à déterminer comment une idée d'abord littéraire cesse d'être littéraire pour devenir plastique. Pour mon monument Fauré il n'y a pas eu d'idée littéraire à l'origine. La première pensée qui m'est venue est une pensée de couleur, du blanc. Une évocation toute en blancheur. Puis la volonté d'évoquer ses œuvres principales, une à une. Pour un musicien, là on se heurte à une complication. Le musicien est presque toujours le collaborateur d'un poète. Il est impossible de dire que Fauré est l'auteur des Horizons chimériques, ou de Pénélope, ou de Prométhée. Aussi bien n'arrive-t-on à aucun résultat intéressant en procédant ainsi. Simplement à quelque pièce montée, sans tenue, de figures anecdotiques plaquées autour d'un socle. Il faut aller dans une autre voie. évoquer l'ensemble de l'œuvre. Fauré c'est la mélodie, c'est la mesure, c'est la finesse, le charme. Ainsi s'est de plus en plus imposée à moi cette vision d'une femme portée sur des cygnes, coulant sur l'eau, en chantant. Je l'ai longtemps essayée seule. Elle ne se comprenait pas. Ainsi ai-je été amené à la compléter par une autre figure à genoux, jouant d'une harpe ancienne. Et alors tout s'est arrangé. Le buste de Fauré, appuyé sur cette stèle ornée, où comme en une tapisserie sculptée seront évoqués en des bas-reliefs très plats ses mélodies, son Requiem, sera entouré de grands cygnes fabuleux, portant sur leurs ailes épanouies deux jeunes femmes, nymphes des eaux, déesses de la musique, qu'importe. Mais je sais que cela est harmonieux. Et ce sera bien le monument de Fauré.

Je travaille en même temps tous les matins au cheval de Douglas Haig, pour lequel le général Brécard m'a envoyé un modèle magnifique, son cheval d'armes, qui répond au nom de Le Rhône. Et puis les bas-reliefs chinois, et tout le reste, et je trouve le temps de préparer mon discours pour la distribution des prix du collège Rollin. Je me suis mis aussi à l'esquisse du couronnement du monument Paul Adam.

11 [juillet 1929]

Jugement du concours de Rome sculpture. Joffre a eu le prix. C'est bien. C'est certainement le plus artiste du lot. Mon pauvre Dulac avait un concours bien vulgaire. Je l'avais pourtant mis en garde.

20 juillet [1929]

Gros travail. Grosse fatigue. J'ai envie de m'en aller. Tout avance. Mon esquisse Fauré (n° 2) très bonne. Rabaud s'occupera-t-il de réunir les fonds nécessaires?

Visite de Marcel Knecht, accompagnant la femme d'un sculpteur américano-italien Mme Tirelli, et le nommé Rousseau, le roi des Halles! Visite très emballée.

Ce petit Rouge est bien peu intéressant. Comme il a reçu une lettre de Pinardon lui demandant où en était le travail des devis d'architecture, il a répondu que mes hésitations dans le choix du granit le retardaient. Voilà bien la mentalité du fonctionnaire qui tout de suite rejette les responsabilités sur les autres. C'est sans aucune importance pour moi, mais je note. J'ai cru bien faire en prenant cet attelage Taillens-Rouge. Mais l'attelage va mal ensemble et si Taillens est un bon dessinateur il n'a aucune autorité sur les entrepreneurs, et Rouge n'a d'intérêt que pour sa pratique bureaucratique.

27 juillet [1929]

Signature du contrat pour les granits, avec la carrière bretonne. Pas satisfait. Éreinté. J'aurais pu obtenir mieux. Mais j'en ai assez. D'avoir pris mon parti me soulage. Je voudrais déjà être étendu sur ma terrasse, là-bas.

 


[1]    . Suivi par : "Je n'aurai", raturé. Il s'agit de la direction d'un atelier de sculpture à l'École des Beaux-Arts.