Cahier n°27
1er Novembre [1930]
Mon cheval D[ouglas] H[aig] vient tout à fait. Les membres avant, le poitrail et les épaules, sont de la belle sculpture. C'est taillé, voulu, écrit. Je souhaite à tous ceux qui cherchent à m'accabler avec ce mot de sculpteur littéraire, de faire une fois dans leur vie un morceau de sculpture comme ce cheval est en passe de le devenir. Dans une semaine ou deux, je ferai venir quelques spécialistes pour la critique étroite mais nécessaire. Après je ferai mouler et mettrai le cavalier. J'espère arriver à temps pour la fonte.
Les fontaines S[ain]t-Cloud1 tout à fait trouvées. Billard et Pommier se sont ralliés à mes dispositifs pour les gradins en chutes d'eau, comme pour le couronnement. Tout va bien du point de vue art. Et ce sera emballant à exécuter. Mais il y a la question financière... La Ville donnera-t-elle les crédits nécessaires? Mes jeunes architectes parlaient ce matin d'une dépense d'un ordre de cinq millions. Les fontaines lumineuses ne sont pas des casemates 2 en béton armé. On ne marchande pas pour ces constructions inutiles et laides, mais pour des œuvres d'art! Économie. Économie. Lundi grand rendez-vous chez moi avec Martzloff et M. Lebret [ou Lebas], l'architecte en chef de la Ville. Cette question importante sera mise au point.
Hier soir, à un nouveau théâtre qui s'appelle "Théâtre 1931". On y jouait une pièce d'un jeune. Titre3 : Le Pèlerinage sentimental. C'est l'histoire d'un philosophe très arrivé (à la veille d'être élu à l'Acad[émie] fr[ançaise]), fiancé et qui à la veille de son mariage se fait organiser par son domestique une tournée de ses anciennes amours. Succession de petits tableaux dont chacun pourrait être à lui seul une pièce de théâtre. Certains sont bien, il y a parfois de l'esprit, des sentiments4 très fins, des audaces de pensée (ce tableau de l'infirmière et du blessé de guerre), de la poésie5, tout ça à petite dose, mais à grande dose une telle accumulation d'impossibilités, une atmosphère tellement fausse que rien ne porte, ou presque rien. Je crois cependant l'auteur, un homme intéressant, parce qu'il ne marche pas dans les sentiers battus et qu'il ose. Son nom : Chabanne.
Rencontré-là Isay, heureusement tout à fait remis avec Lautier. Il me dit qu'il allait lui reparler du tombeau Foch. J'aimerais autant qu'il ne le fasse pas. Je ne l'y ai pas encouragé. C'est comme Moullé qui veut en parler à Locquin. C'est bien inutile.
Lettre de Mme Charles Prince, pour le tombeau de Washington.
2 nov[embre 1930]
Triste, mais j'ai pris un parti pour le tombeau Foch. Je termine d'urgence la grande esquisse commencée. Travaillé toute la journée et ça vient bien. Trouvé l'arrangement des bas-reliefs sarcophage. Je renonce à ces scènes de nos légendes épiques. Elles ne comptent plus pour personne. Ce ne sont plus malheureusement que souvenirs d'érudition. Aussi bien ces scènes héroïques de combats violents et individuels 6 ne conviennent guère à un chef d'armée de nos jours. Cerveau qui meut les masses. Les vrais symboles seraient bien mieux, cartes et téléphone. Je prends comme thème unique, la Victoire. Ruée de troupes innombrables. Donner l'impression de masses d'hommes de toutes armes emportées par un élan irrésistible. Cela composé en plusieurs zones, non délimitées sèchement, enchevêtrées au contraire, mais sans désordre. Aux angles seulement, des figures historiques symboliseront les vertus de Foch : La foi par s[ain]te Geneviève; Le patriotisme par Jeanne d'Arc; Le courage par Turenne; L'organisation par Lazare Carnot.
Quand ma grande esquisse sera faite, j'écrirai au "dédouané" pour l'inviter à venir la voir, ce qui me donnera prétexte de lui rappeler la visite que je lui ai faite, son engagement verbal, et bien entendu en faisant absolument l'ignorant au sujet de son attitude hostile. Je crois cette ligne de conduite excellente, il importe de fixer les choses.
3 nov[embre 1930]
Grande maquette du tombeau Foch et cheval Haig. Celui-là va être bientôt fini. Téléphone du s[ou]s-préfet de Montreuil[-sur-Mer], toujours pour son 31 mai. Grandi, le tombeau Foch fait très bien. On pourrait faire autre chose. On ne pourra pas trouver mieux.
Rendez-vous avec Martzloff et Lebat pour les fontaines de la porte de S[ain]t-Cloud7. Tout va bien.
4 novembre [1930]
Pris une heure au milieu de ma séance cheval D[ouglas] H[aig] pour commencer la médaille du bâtonnier Mennesson. On s'imagine que ces hauts personnages du barreau, arrivés 8 à la plus haute situation de leur profession, ont atteint en même temps la sérénité reposante que donne la vieillesse. M[aîtr]e Mennesson me parait avoir gardé de son patron Bétolaud un souvenir à la fois admiratif et déçu. Ce dernier en effet, ne lui facilita en rien sa carrière9. La dure époque fait peut-être plus durement sentir ses difficultés aux gens âgés qui comme lui, après une longue vie de labeur, n'ont amassé aucune fortune. Tête amusante, toute ridée, mais qui sera plus difficile à faire ressemblante que je ne croyais.
Mon tombeau Foch aura grande allure. Il faut le faire. L'après-midi, excellente séance au Cantique des cantiques. Je travaille en ce moment en même temps à quatre choses passionnantes, la statue de Haig, passionnante à cause du cheval, la grande maquette Foch, les fontaines de la porte de S[ain]t-Cloud, le Cantique des cantiques. Y travailler et y penser aux moments où je ne peux pas y travailler, cela console de tout.
Téléphone de Montreuil[-sur-Mer]. Le s[ou]s-préfet m'annonce que les fonds de leur comité étaient déposés à la banque Adam qui vient de sauter. Et l'on me disait que c'était des Chinois qu'il fallait se méfier! Je vais avoir bien des ennuis de ce côté.
Porté à Madame Pomaret la photographie du buste de Madame Bouisson.
5 [novembre 1930]
Ce matin à S[ain]t-Mandé. C'est une vraie carrière de granit. Ç'aurait été fameux de pouvoir exposer les Fantômes au Salon. Terriblement compliqué, sinon impossible. Cette idée m'est venue ce matin. Exposer en même temps, si aucune décision n'était prise d'ici là, la maquette du tombeau Foch. Ce serait la meilleure riposte à tous ces sales gens, Boissy, Lautier, etc. Malheureusement...
Excellente après-midi. L'encolure : Un monde magnifique de muscles. C'était déjà passionnant en petit. Quel métier étonnant! À la nuit, à la lampe, le sarcophage de Foch. Ce sera toute l'épopée de la Victoire. Phénomène curieux! D'avoir pendant si longtemps pensé à sculpter-là nos légendes épiques et donner le caractère à ces frises militaires modernes. Je superpose presque les unes sur les autres ces armées en marche. Cela fait une foule innombrable. Je crois l'aspect vraiment grand et tenu cependant dans de simple lignes10. Je ne crois vraiment pas qu'on puisse faire mieux. Ça vaut par les lignes et par l'art, non par la matière.
6 [novembre 1930]
À l'exposition l'Art et l'Aéronautique. M. Verdier m'annonce que le projet Foch sera présenté à la Chambre entre le 15 et le 20 de ce mois, dans une séance du matin. Je lui demande :
— Avec la sympathie du ministre?
— Mais oui, je pense bien, vous n'avez que des amis dans la maison.
Dezarrois qui passe en coup de vent me confirme. Il a vu Weygand qui lui a parlé de Lautier en termes fort méprisants. Il surveille l'affaire et veillera à ce qu'elle aboutisse.
En rentrant j'ai pu travailler une bonne heure à un des flancs du sarcophage11. Si finalement ce projet s'exécute, ce sera peut-être ma meilleure œuvre. Personne autre qu'un artiste ne peut comprendre cet enthousiasme de la création. Quand "ça vient". Cette sorte12 de poussée intérieure. On ne peut pas décrire cet état. Ce n'est comparable qu'à la joie de la jeunesse, l'euphorie physique de la jeunesse, quand on a l'impression que les trottoirs sont13 comme des ressorts, tellement on se sent allant, et les muscles forts. Les savants, au seuil d'une découverte longtemps cherchée, doivent connaître des sensations pareilles. Je me couche chaque soir avec la même impatience que lorsque j'étais tout jeune, d'être déjà au lendemain matin.
7 [novembre 1930]
Médaille du bâtonnier Mennesson. En s'asseyant il me dit :
— Vous m'avez tellement fait parler la dernière fois que je n'ai plus rien à vous raconter.
Après quoi il n'a cessé de parler durant l'heure et demi de la séance. C'étaient de lointains souvenirs intéressants. Il a une mémoire magnifique. Défilèrent devant moi M[aîtr]e Bétolaud de nouveau, M[aîtr]e Barboux et jusqu'au fameux Berryer, mais celui-ci par contre coup, au travers de souvenirs de Bétolaud qui ne l'aimait pas parce qu'il avait fait classer Bétolaud troisième au concours de la conférence! Berryer était à ce moment bâtonnier. M[aîtr]e Menesson a de la vie, une philosophie assez désabusée. Des hommes politiques, il dit :
— Ils sont mus par l'intérêt personnel doublé de l'ambition. Ça ne peut pas donner de fameux résultats.
Déjeuner chez M. Charles Prince qui me parle de manière assez peu rassurante de sa belle-sœur Mme Frederick Prince. Elle vit dans la terreur de son mari qui est un type impossible. Exemple amusant. Un jour ils avaient des invités à dîner. M. F[rederick] P[rince] rentrant fatigué et oubliant ses invités déclare qu'il va se coucher. Il se couche en effet. Pour ne pas le laisser seul, Mme Pr[ince] se couche avec lui... Pourvu qu'au moment de prendre la décision définitive pour leur monument, ils n'aillent pas non plus se coucher!
8 [novembre 1930]
Grande maquette Foch. Je suis de plus en plus emballé. Énormes progrès sur la toute petite première maquette. Je me réjouis d'y travailler demain tranquillement, toute la matinée. Je me remettrai au cheval lundi. D'ailleurs il est en bonne voie. Ce n'est presque plus qu'une question de nettoyage des surfaces.
En arrivant à l'Institut, je vois un petit rassemblement devant un taxi arrêté devant la petite porte de la seconde cour. Le chauffeur et deux autres personnes étaient occupés à sortir le pauvre vieux Humbert du taxi. Il s'était pris le pied dans une barre de fer sur le plancher et effondré. J'ai prêté la main, on a fini par sortir une jambe, un bras, une autre jambe, etc. On a remis tout ça debout. Le pauvre vieux disait :
— Ah! mon pauvre ami! Ah! mon pauvre ami!
Il regardait sa main droite et demanda :
— Elle n'est pas cassée?
J'avais une grande impression de tristesse, durant la séance. Je voyais en face de moi, Laloux, avec sa belle tête, le cheveu encore dru, mais l'œil fixe. Injalbert effondré sur le côté dormait. Le pauvre petit Hipp[olyte] Lefebvre14, raide, glissant sur le sol à tous petits pas, s'en allait, avant la fin de la séance. Jamais plus qu'en cette assemblée on ne sent la présence de la princesse à tête de squelette. Quel complément aux images des Danses de la Mort! À la sortie, contre partie de la scène de l'arrivée. Encore un rassemblement devant une auto. C'était le pauvre M. Laloux, qu'on aidait à monter en voiture. Je suis parti avec Hourticq. Il venait de voir Isay et lui a dit presque la même chose que moi-même15. Il lui a conseillé de faire un gros article et s'est proposé de l'aider auprès d'Armand Dayot. En ce moment, c'est ce que je préférerai. La situation de ce pauvre R[aymond] Isay n'est pas encore tout à fait éclaircie auprès de Lautier. On lui fait payer vraiment cher une maladresse insignifiante.
Lu un livre assez ennuyeux de Henri Bidou : C'est tout et ce n'est rien. Un chapitre y est consacré à l'aventure de cette malheureuse petite Georgette, qui était sa maîtresse, et qui s'est suicidée chez cette folle de Denyse. Comme tout les romans d'aujourd'hui, c'est excessivement subjectif. C'est peut-être pour cela que les romans aujourd'hui sont tellement ennuyeux. Néanmoins, à cause de ce côté subjectif ce livre est assez sympathique. On y sent comme un remords.
Acheté un beau recueil de dessins d'Holbein. C'est étonnant. Qui pourra expliquer l'émotion produite par un simple dessin? Par exemple cette tête de Warham, l'archevêque de Canterbury. Quelle puissance et quelle sensibilité! Tout ce qui est dans ce volume, remarquablement édité, est de même valeur. Dans les mains d'un artiste de cette envergure, toutes les têtes deviennent intéressantes.
Acheté un autre ouvrage qui me parait passionnant, sur l'art gréco-mycénien, que je ne connais pas du tout et les origines du polythéisme hellénique.
La vie est trop courte. Les journées sont trop courtes. Les nuits sont trop longues. L'homme n'est pas assez résistant. On passe la moitié de sa vie à dormir dans son lit. Même si on pouvait ne jamais dormir, occuper toutes ses heures de jour et de nuit, la vie serait trop courte.
9 [novembre 1930]
Chez Paul Vitry, ce soir, petite réunion. Il y avait Robert Rey, que je trouve sympathique. Il y avait le gros Focillon, que je trouve de plus en plus antipathique. Il est myope à ne pas voir à dix centimètres devant lui. Il est historien d'art, critique d'art, etc. Il ne doit certainement rien voir. Un architecte belge me parle avec émotion de mon exposition 1925, il m'en parle même en termes émouvants pour moi.
Mal travaillé ce matin au tombeau Foch.
10 [novembre 1930]
Ladis a demandé pour moi un rendez-vous à M. Bouisson. Je le désirais. Maintenant je le regrette. Qu'est-ce que je lui dirai? Bien délicat. Bien embarrassant. Mais peut-être sera-ce utile? Maintenant le sort en est jeté.
Excellente journée de travail. Cheval Haig. Cantique des cantiques. Tombeau Foch. Installé les bas-reliefs du 2e flanc. Il ne me reste plus que l'arrière.
Téléph[one] de Bigot. Il voulait que je vienne tout de suite voir la maquette qu'il fait avec Bouchard pour Mondement. Je me suis dérobé. Ça ne m'intéresse plus du tout. Je désire au contraire me tenir très à l'écart de cette histoire. Nul doute que lorsqu'on saura qu'un membre du jury, qui a annulé le concours, exécute le monument, cela ne fasse crier, et ce ne sera que trop compréhensible. Ils ont très torts.
12 [novembre 1930]
Pas pu refuser hier d'accompagner B[igot] chez Bouchard pour voir leur maquette. Il a abandonné son grand parti menhir pour faire une sorte de rayonnement, comme un bloc de cristal de roche grandi. Est-ce mieux? Peut-être. Je ne suis pas sûr. Bigot est sûrement un grand architecte, surtout un artiste. Ses conceptions souvent sont plutôt d'un illustrateur. Toute son histoire de Napoléon. N'est-ce pas un peu la même chose pour ce projet? En sculpture les difficultés ne s'escamotent pas.
Bouchard me disait qu'il avait reçu la visite de Gaudissart qui venait exprès pour savoir si c'était vrai que j'avais pour sept millions de commande de l'État!
S'ils arrivent à solutionner tous les points délicats de leur projet, notamment l'accrochage de la Victoire, et sa proportion, ce sera un très curieux monument. En fin de compte, c'est absurde cette question de jurys. Cela élimine quantité d'artistes de valeur. Bouchard a peut-être raison, surtout qu'il n'a nullement intrigué, absolument pas fait un geste, pour que Bigot lui demande sa collaboration16. S'il n'y avait pas parmi les évincés le petit groupe Bottiau qui m'intéresse... Du point de vue général aussi, c'est quand même une erreur.
13 Nov[embre 1930]
Téléphone de M. Bouisson, qui me dit qu'il viendra me voir demain matin. C'est trop gentil. J'ai bien fait de travailler tous ces jours-ci à la grande maquette. Elle a pris une fameuse allure.
Cahier n°28
14 novembre [1930]
Le général Brécard me racontait ce matin ce qu’on dit des origines du général Weygand. Il est belge. Est entré à S[ain]t-Cyr comme élève libre. Sorti, s’est naturalisé français. A pris du service dans l’armée, etc. Il serait fils de cette malheureuse princesse belge, sœur de Léopold, femme de Maximilien d’Autriche. Au moment où les affaires du Mexique commencèrent à si mal tourner, elle chercha partout du secours pour son mari. Elle commença par le chef de bandes mexicain, Juárez, je crois, puis revint en Europe, supplia Napoléon III qui refusa de continuer, puis alla supplier le pape. À Rome elle devint folle. On l’enferma dans un château dans le nord de l’Italie et on s’aperçut q[uel]q[ue] temps après qu’elle était enceinte. Le père serait ce chef de bandes mexicain qui aurait abusé d’elle, lui promettant pour l’obtenir un appui qu’il refusa ensuite. Le fils serait le général Weygand…
Visite du président Bouisson. Que cet homme est sympathique! Je l’ai mis au courant des péripéties du tombeau Foch. Il les connaissait en partie. Il va en parler avec Lautier… On ferait passer dans une séance du matin.
Visite de M. Charles Prince qui m’apporte le chèque de Mme F[rédérick] Prince pour le buste de son mari. Elle me fait demander une réduction pour le monument tombal de son fils. En me faisant cette commission M. Ch[arles] P[rince] me laissait entendre de ne pas faire de réduction. Je n’en pourrais d’ailleurs guère faire. Il faudrait faire le sarcophage avec des dalles au lieu d’un seul morceau. Ce ne serait pas fameux. Cette affaire a l’air de s’arranger et d’entrer dans sa phase de réalisation.
Une autre affaire qui a l’air de s’arranger, c’est celle des fontaines de la porte de S[ain]t-Cloud17. Pommier m’a téléphoné. Ils ont remis leurs devis et les prix qui finissent par atteindre un joli chiffre seraient acceptés. Lundi j’aurai la nouvelle maquette de l’architecture. Mais je regardais le projet de haute fontaine tout en verre! Ça a une autre allure. Ç’aurait été extraordinaire. À se demander si ça ne vaudrait pas la peine d’être présenté à une prochaine exposition d’art décoratif.
Après-midi au Cantique des cantiques. Figure très difficile, mais qui réussie sera, je crois, très émouvante.
De la nuit jusqu’au dîner au tombeau Foch, les bas-reliefs. J’en suis très content. C’est une épopée, épopée moderne. C’est mieux ainsi. Un seul sujet tout autour : la Victoire. Un seul sujet au-dessus : le mort porté par les soldats et le peuple. Ainsi c’est simple. C’est moderne dans le bon sens du mot, c[’est]-à-d[ire] que ce ne sont que figures de notre temps et événements de notre temps. Le travail du moment où je pensais aux légendes épiques 18 n’est quand même pas inutile. Il m’a fait y apporter ce souffle d’épopée. Je pensais à mes enfants, ce soir en travaillant, et regrettais qu’aucun d’eux ne puisse connaître cette joie que j’ai, à certains moments, dans mon travail.
Demain École, S[ain]t-Mandé, Institut, journée fichue!
Arrivé trop tard hier soir chez Maxime Leroy, pour la conférence de ce professeur Foerster, cet Allemand intelligent et courageux qui tâche de nous éclairer sur la mentalité allemande. Si elle est ce qu’il nous en a dit, que m’a répété Lily, c’est terrifiant et ceux qui voient l’avenir inquiétant auraient raison. Il prétend que les Allemands, dans la majorité, n’acceptent rien du traité de Versailles, pas plus la solution Alsace-Lorraine que le couloir de Dantzig. Nul doute, pour M. Foerster, que l’Allemagne, aussitôt qu’elle croira l’occasion favorable ne tombe sur la Pologne. Alors que ferons-nous?
15 [novembre 1930]
Pendant ma correction à l’École, un gardien vient m’annoncer que M. Pelletier me demande. C’était le s[ous]-préfet de Montreuil[-sur-Mer, de] retour de Londres, voulait me parler du socle Douglas Haig. J’ai formellement refusé d’y rien changer. Pour la date d’inauguration je lui ai reproché de ne pas s’être assuré auprès de moi, avant de la fixer, que je serai sûrement prêt. Ils m’ont mis dans une situation impossible. Je lui envoie quand même ma lettre, pour être couvert et ne pas me voir reprocher, en cas d’incident, de ne pas les avoir prévenus.
Riou déjeunait à la maison. Il déborde d’enthousiasme électoral. Il prépare sa campagne pour 1932. Nous parlions de choses et d’autres et tout à coup il me dit :
— C’est effrayant ce que les sculpteurs sont méchants les uns pour les autres. Dans nulle autre profession ce n’est aussi violent.
Il me laisse entendre, sans me le nommer, qu’un des jeunes lauréats de la fondation n’a pas pu contenir la violence de ses sentiments malveillants à mon égard 19. Ce doit être ce Gimond, ce sous-Despiau. Riou lui aurait répondu que malgré l’amitié qu’il avait pour lui, s’il était chef de gouvernement, s’il avait un monument important à commander, c’est à moi qu’il s’adresserait. Il m’a dit :
— Vous êtes le seul à avoir le sentiment de la grandeur.
À l’Institut, lecture des lettres de candidature pour le fauteuil de graveur en médailles. Pauvre équipe. Yencesse évidemment domine le lot. La bande de Laloux veut faire arriver Bottée qui a quatre-vingt deux ans! et qui n’a jamais eu de talent.
Le soir, chez Pontremoli, Alphandéry nous parle avec une certaine réserve du professeur Foerster. C’est un Bavarois. Détestant les Prussiens. Sa conférence était pleine de partis pris. Malheureusement beaucoup trop de vérité, hélas!
Pontremoli a été voir le projet de Bigot, chez Bouchard.
— S’ils avaient présenté ce projet au concours, m’a-t-il dit, ils auraient été éliminés comme les autres.
16 [novembre 1930]
Formidable journée de travail au cheval Haig. Sans dérangement. Maîtrise. Possession de l’ensemble. Joie intérieure.
17 [novembre 1930]
Journée comme hier. Si ça continue à marcher comme cela, j’aurai fini ce cheval à la fin de cette semaine. Quittant l’atelier je pense au lendemain matin quand je m’y remettrai.
Visite du maréchal Pétain. Il a très bien senti l’effet de masse du tombeau Foch. Il a eu un mot très militaire à propos du groupe des portants où j’ai mêlé aux soldats des femmes et des ouvriers. Il a dit :
— Ça a l’air d’une armée mal habillée.
Perdu deux heures en fin de journée à ces deux comités : Artistes français, et à ce Syndicat d’initiative, fondé par le peintre Aubert. Curieux ces gens, et il y en a toujours, qui éprouvent l’impérieux besoin de s’occuper de gens qui ne demandent pas qu’on s’occupe d’eux.
18 [novembre 1930]
Le déjeuner trimestriel. Hourticq, Perrin, P[aul] Léon, Pontremoli, Borel, Brunschvicg, Valéry, moi. Borel avait eu l’idée de ces déjeuners pour grouper les éléments un peu vivants de l’Académie, et que de ces réunions il sortît une sorte de programme de renouveau académique, mais tous, nous avons tellement blagué l’Académie avant d’en être que l’habitude à présent en est prise. Nous continuons depuis que nous en sommes. En tant qu’académiciens nous ne nous prenons pas au sérieux. De nos réunions trimestrielles il ne sort rien. Mais la conversation est parfois intéressante. Elle ne le fut pas énormément aujourd’hui. Des cancans sur le ministère dont peu à peu on nous dit que tous les membres sont vendus. Raoul Péret recevrait dit-on, 25 000 F par mois du banquier Oustric, comme avocat conseil. Borel faisait remarquer avec raison que parmi les députés, les avocats étaient les seuls qui retiraient un avantage professionnel à leur mandat. Que la clientèle qui venait à eux était forcément une clientèle assez louche, ayant besoin de personnalités influentes… D’où glissements… On disait aussi que Tardieu s’enrichissait sérieusement. Sous couvert de dons bénévoles aux fonds secrets, on l’alimente copieusement. Mme Marie Marquet se plaint cependant qu’il ne lui donne que des mensualités peu importantes (pas plus de 10 000 F par mois), etc. Comme tout ça est d’un niveau élevé! Valéry nous dit que le maréchal Pétain a fait un remarquable discours de réception sur Foch (sous les éloges, pleins de critiques).
Maquette des fontaines porte de S[ain]t-Cloud20, beaucoup gagné en simplicité. Il paraît que les choses évoluent bien à la Ville. J’ai peur qu’une fois tout réglé, on ne me bouscule pour aller vite. Travail qui, au contraire, demandera à être excessivement soigné. Je m’en réjouis d’avance.
Puis à la Chambre, à la réunion du Comité de Coopération européenne. À côté de Valéry. Tentative intéressante. Mais occupé à faire des croquis, je n’ai pas beaucoup suivi la discussion. Cela semble d’ailleurs un peu du travail dans le vide.
19 [novembre 1930]
Au Trocadéro, rendez-vous avec Oulife et Recoura pour la mise en place du monument de Grasse. Emplacement magnifique. Je vais avoir le long de cette muraille, à cinquante mètres les uns des autres trois monuments, voilà qui va faire crier encore les petits camarades. Qu’y puis-je?
À déjeuner, les Dezarrois et les Hourticq. Plaisir de l’amitié. Je me demande que faire pour leur montrer ma reconnaissance. L’occasion se présentera un jour. Le tombeau Foch les a impressionnés. Dezarrois a raconté à Hourticq les histoires de Lautier. Hourticq ira voir Lautier. Si ce que Verdier m’a dit est exact, le projet devrait être présenté ces jours-ci. Pas pu en parler hier avec Paul Léon qui est parti avant la fin du déjeuner. Hourticq veut aller voir Lautier.
Après le départ des Hourticq et Dezarrois, visite du jeune architecte Defrasse accompagné d’une magnifique femme brune, une aviatrice, Mme Delpeuch. Elle venait me demander si j’accepterais de faire le monument de Costes et Bellonte, en Normandie, à l’endroit où leur avion a attaqué la mer. Répondu oui en principe mais à la condition de ne pas commencer avant deux mois. Cette dame doit avoir eu une vie curieuse. Elle dit avoir été mise toute jeune à la porte de la maison paternelle par son père. Elle ne dit pas pourquoi. Elle acheta dix lions et s’établit dompteuse. Elle faillit se faire dévorer. Alors son père la reprit. Elle s’apprête en ce moment à un raid Paris-Le Cap.
20 [novembre 1930]
Cheval Haig. Travail acharné. Mais c’est long. Dans quelle situation désagréable m’a mis l’entêtement idiot de ce sous-préfet trop pressé! Quel imbécile et quel faux bonhomme!
Mon sarcophage Foch gagne chaque jour. Je ne vois pas ce qui pourrait être fait de mieux. Aujourd’hui la face, le motif qu’on pourrait appeler "l’Apothéose".
Visite de M. Hall. De nouveau question d’une statue de Rochambeau, après21 l’inauguration de Grasse. Ce serait furieusement intéressant, beaucoup plus que Douglas Haig : un cheval arabe et un aventurier de race dessus.
Lettre incroyable de M. Charles Prince : sa belle-sœur, Mme Frédérick Prince, ne peut pas parler en ce moment à son mari des prix pour le tombeau de leur fils, parce que M. Prince chasse et qu’on ne peut lui parler de rien d’autre… Sublime trouvaille!
Bonne besogne avec Taillens. Mise en place des stèles à Chalmont. Socle de la Victoire. Socle Douglas Haig. Socle de Grasse. Il a pris toutes les mesures et va faire tous les dessins, convoquera les entrepreneurs, etc. Soulagement.
21 nov[embre 1930]
Visite de Damman. Il me montre un fort remarquable album de ses médailles. C’est le plus fort du lot. Regrette de m’être engagé avec Yencesse. Et puis c’est un homme jeune. Yencesse fait l’effet d’un petit fonctionnaire ratatiné et rapiécé. Damman me racontait un mot du vieux bonhomme Laguillermie auquel il montrait ses photos :
— Oui, oui, elles sont très bien vos médailles. Une chose me taquine : elles sont toutes de profil.
Chez les Debat-Ponsan, où nous retrouvons les Morizet. Il y avait Madame Paul Reynaud, fort agitée par ce qui se passait à la Chambre. Interpellation sur l’affaire Oustric.
Malgré mon travail enragé au cheval22, je me demande de plus en plus si j’arriverai à finir assez rapidement. Pour être prêt fin mai, il faut que mon plâtre soit fini milieu janvier! Et le cheval n’est pas fini, pas moulé et il restera ensuite à mettre le cavalier. Demain, rendez-vous chez le colonel Needham, ambassade d’Angleterre, pour costume et harnachement. Évidemment il ne sortira rien de cette entrevue. L’autre colonel, qui était venu avec la maréchale Haig, auquel j’avais écrit, ne m’a même pas répondu. Quelles brutes, ces Anglais!
Décidé à demander demain à Hourticq de ne faire aucune démarche auprès de Lautier pour le tombeau Foch, à moins de ce qui peut se dire dans une rencontre de hasard. Autrement, ce serait tout à la fois humiliant et inutile.
22 [novembre 1930]
Enfin, j’ai trouvé un costume d’officier supérieur anglais, prêté par le colonel Needham, l’attaché militaire anglais, un immense gaillard, qui a compris ce dont j’avais besoin. Recommandé à lui par Ladis qui l’avait soigné.
Au diable dans Arcueil, pour voir le concours de mon élève Nicolas, pour Jean Aycard.
Chez Jordaan, M. Plum me dit que la Banque de France perdrait 120 millions dans le krach Oustric!
— Il y a deux ans que cet homme donne des inquiétudes. Depuis six mois aucun doute n’était plus possible sur la conclusion de son aventure. Il est inconcevable qu’une banque comme la B[anque] d[e] F[rance] ait accepté ses papiers en garantie!
On est mélancolique, très, à la banque Jordaan.
Déjeuner des Amitiés internationales. Un peu partout, dans le monde, dans les pays de liberté, des groupements pareils sont formés, qui peu à peu prennent de l’importance, et sauront, je l’espère, jouer leur rôle en cas de réel danger. Il y avait le député Chabrun, Moro-Gaffieri, le ministre de l’agriculture tchéquo-slovaque, l’ambassadeur d’Haïti, présidence du brave vieux Thomas Barkley, aveugle. Ensemble de discours remarquables, notamment Moro-Gaffieri, par sa forme. Mais les choses les plus intéressantes furent dites par le ministre tchéquo-slovaque, qui parla du fameux problème des minorités. Problème en effet impossible à résoudre géographiquement par des frontières politiques, tellement les nations, notamment en Europe centrale, sont enchevêtrées. La seule solution possible est dans les ententes économiques sur pied d’égalité et de liberté. La Tchéquo-Slovaquie en donne l’exemple, où Slaves, Tchèques et Germains vivent en parfaite intelligence.
À l’Institut, puis à l’Hôtel de Ville pour la commission du prix Lheureux. À l’Institut, petit incident à propos d’une réponse trop brutale faite à Puech par la commission de la villa Médicis, à propos des abus commis par les pensionnaires mariés. La commission était d’avis que l’Académie ne prît aucun parti et laisse le directeur se débrouiller. Toujours le système de l’extrême prudence. Je suis d’avis que l’Académie doit au contraire montrer de la vitalité, soutenir le directeur. D’ailleurs cette autorisation des mariages des pensionnaires (œuvre d’Herriot) s’avère de plus en plus une erreur énorme. Si elle a été donnée, c’est bien la faute de l’Académie.
Fini la journée chez les Mauclair. Il est toujours tout chaud de ses batailles contre les boîtes de Montparnasse et du centre. Quel chic type! Quel ménage sympathique!
23 [novembre 1930]
Tranquille dimanche à travailler au cheval de Douglas Haig. Arriverais-je à finir cette semaine?
Visite de Bottée. Il est vieux. Il a eu du talent. Il en a autant que Yencesse. Damman en a le plus. Je regrette de m’être engagé vis-à-vis de Yencesse. Je ne peux pas faire pour lui, l’ardente campagne que j’aurais voulu. Il y a aussi bien et meilleur que lui.
24 [novembre 1930]
Téléphoné avec Petitot, pour étudier le moyen de fondre par fragments la statue Haig, seul procédé qui me permettrait d’avoir le temps de bien terminer la statue du maréchal. Ce qui me permettrait également de gagner deux semaines de plus pour le cheval. C’est possible23. Ce sera un peu plus cher à cause des moulages supplémentaires qu’il faudra faire. J’en ai travaillé avec plus d’entrain aujourd’hui.
Mais après-midi perdue. Jugement à l’École où d’ailleurs Lagriffoul avait une esquisse excellente. Il a obtenu le prix facilement. Mais que tous les à-côtés m’agacent. Incident à cause d’un concurrent dont l’esquisse dépassait les dimensions. Conséquence d’un règlement idiot. Nous avons demandé la modification de cet article impossible. Autre incident à cause de l’attitude de Bomier vis-à-vis d’Octobre à la dernière séance. Octobre a envoyé sa démission. Les uns, les autres viennent vous prendre à témoin. Ce n’est pas comique. Mais qu’on est mieux dans son atelier.
Passé à l’exposition de Iacovleff. Il n’est pas en progrès. Il y a de la virtuosité, de l’imagination, mais réalisations déconcertantes. Quelle est la pensée picturale de ce type? Des scènes de Tunisie bonnes, entre autres dans un hammam. Effets dramatiques. De bons gris, mais dont il abuse. Il a ça sur sa palette et en met partout. Ses paysages, pris en Corse, ont ces tons lavés des aquarelles 1830. Il y a quatre ou cinq manières. Quelle est la sienne?
Bouchard, que j’avais été chercher pour l’emmener à l’École, m’a montré l’esquisse qu’ils ont refaite pour Mondement. C’est mieux.
25 [novembre 1930]
Cheval Haig. Médaille Mennesson. Cantique des cantiques. Bas-relief tombeau Foch.
Hier soir, petite réception à la galerie Brandt. Exposition des sculpteurs animaliers. Rien de fameux. Brandt me parle de cette usine de fabrication de canons, mitrailleuses, obus de tous genres qu’il a construite et où il fabrique ce genre de matériel. Je lui dis :
— Pourvu que ça ne serve jamais!
Brandt est certainement un des hommes les plus intelligents que je connaisse. Il faut l’être pour s’être imposé à tous ces officiers (d’esprit ancien polytechnicien!), des services techniques du ministère de la guerre… Au moment où je partais, arrive Isay. Il porte en ce moment son manuscrit chez tous les éditeurs de Paris! Chez Morancè, on lui a dit que c’est une édition qui coûterait 30 000 F et qu’on demanderait une participation de la moitié! Tout ça n’est pas très sérieux. Bien entendu je ne marche pas et j’en profite pour m’orienter vers Art et les Artistes, ce qui est exactement ce qui conviendrait pour le moment.
26 [novembre 1930]
Journée perdue. École. Cherche-Midi. Puis chez Lagriffoul. Avec un très joli modèle il était en train de faire une très mauvaise chose, mal construite, maniérée, genre Salon des Tuileries à la mode. J’espère l’avoir remis dans la bonne voie.
Déjeuner Paris-Maroc. Maréchal Lyautey dans un état de verdeur remarquable. Entrent Nacivet et Berty. Nacivet me dit regretter vivement d’avoir recommandé Laprade pour le Palais :
— C’est un arriviste et un homme très faux, me dit-il.
Il paraît que la statue de Drivier est très mauvaise24 (je l’avais annoncé) et qu’elle ne sera probablement pas placée. Voilà qui est bien fait, bien mérité. Pourtant, de la bande, c’est encore Drivier un des moins faibles…
Après le déjeuner, réunion à l’hôtel de M. O. Campo. Ce monsieur est un Argentin qui offre à la Ville de Paris son hôtel et les collections qu’il renferme. Commission d’examen de don. Remarquable! Je conserve surtout le souvenir de deux Claude Lorrain, parmi les meilleurs que je connaisse de lui, des Boucher ravissants, une salle de peintures du Moyen Âge et sculptures, des Memling extraordinaires, deux vierges gothiques (XIVe), quelques faux : notamment un faux Corot, un faux Delacroix (la même composition que celle que j’ai, dans un effet bien moins bon). Je m’en vais avec J[ean] Boucher plus filandreux et embrouillé que jamais dans ses discours. Il me parle de son atelier à l’École, de ses élèves, de leur amour mutuel entre lui et ses élèves avec des allusions incompréhensibles à des actes des jurys qui lui auraient déplu. On dit tellement qu’il est toujours ivre, que je me demande s’il n’en était pas ainsi aujourd’hui.
Lily me dit que le ministère Tardieu va tomber, conséquence de l’affaire Oustric. Au Sénat, paraît-il, on ne veut même pas l’interpeller pour ne pas le faire tomber sur un vote politique, on préfère attendre les résultats de la commission d’enquête pour qu’il s’effondre de lui-même sous les révélations.
Après lui, nouveau ministère Poincaré, bien entendu.
Écrit à François-Poncet, général Weygand, Lautier, pour les inviter.
27 [novembre 1930]
Lettre du s[ous]-préfet de Montreuil[-sur-Mer] : pour organiser une réunion à mon atelier de tout le comité le plus tôt possible. Je vais l'envoyer promener, à cause de sa duplicité, car il savait très bien ce qu’il faisait en fixant sans m’en parler la date du 31 mai et c’est lui qui l’a désignée. Je suis obligé de travailler dans les plus mauvaises conditions. Il faudra que je donne le cheval à la fonte avant d’avoir terminé le cavalier. Ça va m’entraîner des dépenses supplémentaires, car je ne veux pas risquer un manque d’ensemble et je vais être obligé de faire faire deux épreuves du cheval. Je n’inviterai le comité que lorsque tout sera terminé.
Nouvelle, je ne sais pas pourquoi, qui m’inquiète. Lautier et Malvy en audience chez Tardieu (les journaux). Pourquoi ai-je une sorte de pressentiment qu’il s’est peut-être, entre autres choses, agi du projet Foch? Malvy est de ces ignorants qui croient tout résoudre par des concours. Je suis agacé, parce que maintenant le projet m’emballe de plus en plus.
Envoyé mes trois lettres.
28 [novembre 1930]
Ce n’était pas pour parler du projet Foch ni de rien de sérieux que le gros dédouané était allé voir Tardieu. C’est à cause de l’affaire Oustric. En effet, nouvelle sensationnelle ce soir : il démissionne! Son dédouanage n’a pas été de longue durée. Le sous-secrétaire d’État Falcoz aussi démissionne; avec Raoul Péret, cela fait trois membres du gouvernement. De quels gens ce Tardieu s’est-il entouré! Il est vrai que lui-même 25… Je ne peux que me réjouir du départ de cet individu louche et lâche et faux. Il ne serait pas remplacé. Paul Léon prendrait donc de nouveau en main la direction.
Ma Chance, est-ce toi de nouveau?
Visite à cette Américaine singulière, Mme Lehr, rue des S[ain]ts-Pères, un hôtel extraordinaire. Une femme qui dut être belle, aujourd’hui vieillie, me semble de plus en plus assez piquée. Elle me raconte que Rockefeller fait rebâtir en Amérique toute une ville, dont je n’ai pas pu comprendre le nom, mais qui date de la guerre d’Indépendance. Tous les habitants actuels ont été indemnisés et cela a coûté des centaines de millions de dollars. On remet en état les maisons délabrées et reconstruit celles disparues. On a supprimé tramways, dérivé la ligne de chemin de fer, etc. On remet les pavés anciens. Enfin une de ces fantaisies. Rockefeller veut que l’Amérique ait des villes anciennes! Après nous avoir raconté cela, elle nous a fait visiter sa maison, ne nous faisant grâce de rien pas même des water-closet de sa femme de chambre.
Téléph[one] de Bigot. Il veut encore mon avis sur ses maquettes de Mondement. Ça m’ennuie énormément de me mêler de cette affaire, depuis qu’il a voulu absolument la confier à Bouchard et que ce dernier a commis l’erreur de l’accepter. On ne peut pas être juge et partie.
29 [novembre 1930]
Séance annuelle à l’Académie. Je rencontre Germain-Martin. Je le questionne sur Lautier. S’en tirera-t-il? Il fait une vague grimace négative. Tout ce qui arrive là, c’est la conséquence de ces camaraderies de célibataires noceurs. On ne forme pas un ministère sérieux avec de pareilles directives dans ses choix. Paul Léon dit que Lautier fait de la peine. Me conseille de lui envoyer un mot?
30 [novembre 1930]
Travaillé au cheval Haig, sérieusement aidé par le grand squelette que Greber m’a fait apporter. C’est celui qui avait appartenu à Frémiet. Il est plus important presque de connaître le squelette que la myologie. C’est la charpente.
Après-midi mondaine. Chez M. et Mme Brulé où j’entends ce fameux jeune violoncelliste Michelin, 15 ans. L’expression de cet enfant quand il joue est singulière, émouvante, presque dramatique. Il semble que ce ne soit même pas la mélodie, mais la note en elle-même qui prend possession de lui. Action physique de la musique, et directement sensuelle.
Puis chez le docteur Legueu. On me demande beaucoup où en est le buste. Rien de très intéressant.
Puis chez Duplay où, dans le fond du couloir d’entrée (un de ces appartements à galerie d’entrée comme on construisait il y a une trentaine d’années), des jeunes femmes, agglomérées autour d’un barman amateur, sirotent des cocktails en caquetant. Mais il y a de belles toiles sur les murs, de bons Carrière et une véritable collection d’excellents Henner, un portrait de femme remarquable, et c’est peint. Duplay m’explique comment procédait Oustric. Aux hommes politiques utiles auxquels il pouvait le proposer, il ouvrait un compte en banque, et ce compte grossissait sans que jamais ces messieurs n’y fissent aucun versement.
Bigot venu dîner. Toujours sa grande borne de Mondement. Il voudrait en faire une sorte de rayonnement, comme un bloc colossal de cristal de roche. Il est très emballé par cette idée. Le résultat donne une composition d’aspect assez bizarre, mais qui ressemble un peu à ces lampes en forme d’éventail à la mode au Salon d’automne. Le grand menhir dressé, en somme, fait mieux. Mais tout ça, ce sont un peu des projets compris comme des illustrations. Ne valent que par leur dimension.
Faiblesse regrettable : j’ai écrit un petit mot au dédouané remis à la douane26. C’est pour mon tombeau Foch, n’avoir plus son inertie contre, s’il revient… Mais pas content de moi.
1 Sources de la Seine.
2. Au lieu de : "constructions", raturé.
3. Au lieu de : "Sujet", raturé.
4. Suivi par : "généreux", raturé.
5. Suivi par : "tout ça dans une athmos..." raturé.
6. Au lieu de : "personnels", raturé.
7 Sources de la Seine.
8. Suivi par : "au sommet de leur", raturé.
9. Suivi par : "La difficulté des temps", raturé.
10. Au lieu de : "de fortes lignes", raturé.
11 Tombeau de Foch.
12. Au lieu de :"espèce", raturé.
13. Suivi par : "en élastique", raturé.
14 Jules Lefebvre.
15. Suivi par : "Ce pauvre Raymond Isay est toujours dans une situation précaire au cabinet de Lautier. Il s'y cramponne et ma foi a raison. Le coupable dans..." raturé.
16. Suivi par : "La rosserie des autres reste à craindre. Et puis c'est dommage..." raturé.
17 Sources de la Seine.
18. Au lieu de : "fait au moment où je pensais", raturé.
19. Au lieu de : "sentiments de jalousies", raturé.
20 Sources de la Seine.
21. Suivi par : "après que de Grasse sera complètement terminé", raturé.
22. Suivi par : "Douglas Haig", raturé.
23. Suivi par : "Question d'argent", raturé.
24. Suivi par : "affreuse", raturé.
25. Suivi par : "Pour mon cas pesonnel", raturé.
26. Au lieu de : "au dédouané redouané", raturé.