Mars-1939

Cahier n°37

1er mars

Ecole. Réunion des sculpteurs pour la distribution des bourses.

Et visites variées comme tous les mercredis et les samedis.

Le bas-relief principal (portrait de Thomson) pour son monument, va très bien. Le voyage à Constantine a été très utile.

Singulière réunion à l’Ecole avec Navarro, le député Berlioz, à la demande de Vareille, le gardien chef, à prpos d’une toute petite question de gardiennage pour les cours du soir. Fort de la présence de Berlioz, il a essayé de se poser en juge d’instruction vis-à-vis de l’excellent M. Guérin. Je m’étonnai, à part moi, que Berlioz se soit dérangé pour si peu. Derrière ça la puissance du nombre. En allant au fond on s’est aperçu que V[areille] poursuivait une mesquine volonté personnelle, d’avoir sa part dans les heures supplémentaires des cours du soir, où sa présence n’a aucune utilité. Aussi bien Navarro que Berlioz étaient assez embarrassés. Je n’ai pas cédé. Je me propose de sermonner V[areille] demain pour cet essai d’intimidation. Après Berlioz s’est excusé de cet incident idiot.

2 mars

D’après Grecoff, ce causaque [sic] magnifique, dessins pour Thomson et dessins pour les motifs Gabriel Fauré. Ciselure de l’épée Verne, chez Barbedienne. J’apprends. C’est tout de même insuffisant. L’enseignement de l’Ecole des B[eaux]-A[rts] devrait comporter ces techniques. Il y a là une grande lacune. Il semble qu’en sculpture tout est contenu dans le modelage. Il faut cependant reconnaître que ces études si loin poussées du modelage et du dessin préparent au reste. On s’y met vite. Le mieux serait de coordonner avec des stages. Du point de vue social, nécessité de créer des apprentis, faire des spécialistes de ceux qui ne pourront jamais être de grands artistes créateurs.

Fin de journée chez Martzloff pour la marche à suivre pour l’emplacement sur le bord de la Seine. Il est d’accord avec moi. Mais voir Domange et le Conseiller. Les inviter à l’atelier.

3 mars

Dire que je travaille encore à ce nu du Nocturne, toujours ce bras droit si difficile. Tant que je ne me contenterai pas, j’aurai le droit de ne pas me considérer comme un vieux type.

La « sérénade » de la Porte de St. Cloud. C’est stupide de m’être laissé retarder comme ça.

4 mars

Posé chez Narbonne. Il me voit singulièrement. Il me fait une grosse bouche rouge, une grosse mâchoire. Il semble vouloir indiquer chez moi la prédominance de la sensualité. Or, pas plus que la moyenne. Ca n’est pas ça. Le tableau d’ensemble n’est pas construit.

Passé chez mon élève Godard voir son bas-relief Chenavard. Il y a des morceaux très bien. Je crois lui avoir donné un bon conseil pour l’arrangement des mains.

A l’Institut Büsser me dit être content de Marcel[1]. Mais avec ce type peut-on rien croire ? En fait il ne comprend rien à Marcel, ou plutôt il comprend que cet enfant a trop d’étoffe pour ce milieu de bachotage que Rabaud et ses suiveurs ont fait au Conservatoire.

Rendez-vous chez Jacques[2] avec Lejeune pour ce journal qu’il faudrait absolument créer. Mais l’argent ?

A la maison nous avons M[arguerite] Long, Büsser, [ ?] et [ ?] à dîner. Cancans du Conservatoire. Rabaud tout en disant qu’il veut se retirer, qu’il en a assez, a fait ce qu’il fallait pour être maintenu. Et il est maintenu.

(?] nous dit que la situation générale est très bonne.

5 mars

J’ai envoyé à Despiau ma réponse à sa réponse. Tout ça est idiot. Mais on ne peut tout de même pas encaisser indéfiniment les coups sournois de ces soi-disant grands artistes.

Journée tranquille. Alice et Marcel[3] qui viennent déjeuner me disent l’impatience de la tante Henriette[4] pour le Monument. En somme je comprends la réussite des » fa presto ».

Après la réception Tiffeneau, visite promise à M. Lugt, cet historien hollandais spécialiste connaisseur en dessins. Nous rencontrons là [?], l’homme de Delacroix, très charmant. Monsieur Lugt nous montre des autographes de Delacroix, Titien, Raphaël. Il a sur ses murs de fort beaux dessins dont un Claude Lorrain et un nu de la Villa Armana de Fragonard, fameux tous les deux.

6 mars

Le nommé Cognat fait à la Radio une conférence dont le titre est « L’Institut Conseiller de l’Etat ». Cognat est ce garçon d’aspect assez sympathique mais ? assez bête. Il parle d’abord de la querelle entre ce qu’il appelle l’Art officiel et l’Autre, querelle qui, dit-il, s’est terminée par la défaite de l’Art officiel. Formule idiote. La vérité est qu’en ce moment avec Huisman, l’homme des marchands, c’est l’art des marchands et des critiques qui est devenu l’Art officiel. Ce n’est pas mieux. L’Exposition des Commandes de l’Etat de l’an dernier à l’Ecole des Beaux-arts aurait du entraîner le départ de Huisman. L’Institut se défend, dit Cognet. Fait appel au Parlement qui, ajoute-t-il, n’est pas qualifié. Au moins autant que M.Cognet ou le marchand Wildenstein. Pourquoi l’Académie ne garde-t-elle pas son rôle ? Parce que composée d’hommes âgés et à cause de son nombre réduit. Il y a là du vrai. Puis il parle de l’Ecole des Beaux-Arts, émanation de l’Institut, ce qui est faux. Nous ressert les vieux clichés sur la situation des grands prix de Rome à leur retour. Ils se trouvent sans commandes parce que la direction des B[eaux]-A[rts] ne se préoccupe pas [de savoir] à quelles écoles ont été formés les artistes. Au contraire, elle ne s’en préoccupe que trop. Il suffit d’être recommandé par un journaliste, un homme politique ou quelque marchand. L’Exposition de 1938 en a été la preuve lamentable. C’est compréhensible. Si l’Institut avait un rôle à jouer dans la nomination du dir[ecteur] gén[éral] celui-ci ne se [?] contre ce discours stupide, comme il fait. Mais comme le dir[ecteur]des B[eaux]-A[rts] est porté au poste par la politique, il ne pense qu’à avoir toujours une bonne presse. Finalement, là comme un peu partout, la presse agit par sa force de chantage latent. Pour en revenir à Cognat, il conclut en préconisant l’élargissement de l’Académie. En revenir aux Règlements de la Royauté.

Et la roue tourne.

7 mars

Chez Vannier. Ce pauvre type me paraît de plus en plus diminué. J’ai fait une bien grande sottise de lui confier ce bas-relief. Au lieu de m’avancer il me retarde.

C’était l’Exposition de la Grande Masse. J’ai donné de ma poche un prix de 500 francs. Huis[man] en a donné un sur les deniers de l’Etat. Jury avec Cognat, Cl[aude]. Roger-Marx, Wald[emar] Georges et Huism[an]. Prétention de tous ces parasites. Comme hommes ils sont charmants. H[uisman] par exemple serait le plus agréable des amis s’il n’avait cette prétention de s’y connaître en peinture, sculpture, architecture, etc…musique et tout et tout. Je ne crois pas qu’il regarde vraiment. Je ne crois pas que jamais à aucune époque autant de gens aient vécu des artistes, en vivant autour d’eux. Il y en a peut-être autant que d’artistes. Là est la cause principale du désarroi de l’époque.

8 mars

Posé chez Narbonne. L’ensemble vient. Mais quelle tête il me fait. Je ne suis qu’une bouche et une machoire.

A  déjeuner Isay, tout plein de son complot pour balancer Huis[man]. C’est très comique. Il s’agit toujours de la combinaison Verne-Cain. On se partage d’avance la dépouille de H. On la divise en deux grandes parts : une direction des Lettres qui prendrait le théâtre, le ciné[ma]), une direction des Bx-Arts (qui s’occuperait uniquement des arts plastiques). Le malin de la combinaison est que cela fait créer des places. Mais ce qui m’étonne c’est qu’on puisse croire que H. n’est pas au courant et qu’il se laissera faire. Si vraiment preuve peut être administrée de l’inutilité de toutes ces directions, postes de conservateurs, ce sont bien ces petits complots. Si ils avaient vraiment à faire, s’occuperaient-ils ainsi ! Et tous valent beaucoup mieux que ça. Verne est très sympathique, Cain est fort intelligent, Huis[man] [ill.] a des côtés très chics et courageux. Avec moi, ils sont tous très amicaux. Je conseille à Isay de ne pas lancer dans cette aventure. Il est enragé.

9 mars

Ciselure de l’épée. Métier magnifique, je ne le dirai jamais assez. Une épée, ou tout objet à orner, de forme aussi précise, peut être comparé à un sonnet, - c.à.d. œuvre dominée par la forme – où pourtant des idées doivent être encloses. Les travaux de ce genre devraient faire partie de l’éducation première.

A déjeuner M. Berlioz et Remaury pour parler de la réglementation de la profession d’architecte. Cette question si importante, - mais qui ne paraît pas être solutionnée. [ill.] que nos architectes diplômés ont raison. Mais trop de gens qui ne connaissent rien à la question s’en mêlent, et il y a aussi les questions d’intérêt.

Comité de l’Exposition de New-York. Vraiment sans aucun intérêt. Si j’avais vraiment du caractère je démissionnerais. C’est vraiment ridicule de penser que le choix des œuvres d’art est fait uniquement par des critiquaillons, tandis qu’à moi on me demande des rapports sur des lampes.

Tout à l’heure départ pour le Luxembourg avec Lacour-Gayet pour me présenter à ma modèle La Grande Duchesse. Je me réjouis de faire ce portrait.

10 mars

Voyage hier avec Lacour-Gayet. Platrier et un décorateur chargé du nouveau bâtiment de Radio Luxembourg.Blasset [ ?]. Visite de cette construction, temple des ondes à travers le monde. On ne se rend pas assez compte de l’étonnant de pareille industrie. Et ça mérite bien un temple. Mais ça n’est pas un temple, c’est une usine. Vu l’emplacement du buste, excellent.

Luxembourg, petite ville sympathique, très – dans un château fort restauré ; imitation d’architecture moyen-âge, je suis introduit auprès de la Grande Duchesse par le Capitaine Miller.

15 mars

Gaumont oublie d’envoyer sa lettre de candidature. C’est maladroit. Je ne pense pas qu’il ait changé d’avis.

En sortant je rencontre le rédacteur en chef du Temps. Il me dite qu’une dépêche est arrivée au journal annonçant une très importante initiative de Roosevelt.

 

[1]     Marcel Landowski.

[2]     Jacques Chabannes.

[3]     Alice et Marcel Cruppi.

[4]     Henriette Thomson.