Octobre-1941

1er octobre [1941]

J'ai fait encadrer un certain nombre de mes dessins. Conseil de Janniot. Ils sont bien.

4 octobre [1941]

Séance délicate chez Perchet, avec Paquet, pour la création de l'atelier des peintres et sculpteurs des Monuments historiques. Paquet est plein d'arrière-pensées qu'il ne dit pas et que je devine fort bien. Comme, sur un conseil pas fameux d'Hourticq, j'ai demandé aux M[onumen]ts h[istorique]s de subventionner notre cours des sculpteurs et peintres pour les restaurations :

— D'accord, répond Paquet, mais ce cours sera nôtre, dépendra des M[onumen]ts h[istorique]s. L'École des b[eau]x-a[rts] sera le local où il s'abritera en attendant que nous en ayons un.

Le p[oin]t de vue serait juste s'il n'existait précisément pas une É[cole] des b[eau]x-a[rts]. Ce cours doit être un complément de notre enseignement. Ainsi pourra-t-on le créer à moindre prix. Autrement c'est tout un enseignement à organiser. Difficile.

5 oct[obre 1941]

Pierre Potier[1], le frère de Jacqueline[2], revient de Syrie, où il a pris part, comme médecin, à la guerre, du côté français-Pétain, par la force des choses. Guerre affreuse et idiote. Il dit que les Anglais se battaient assez mal, que les batailles dures eurent lieu entre Franco-Anglais et Franco-Pétain. Dans quelle équivoque sanglante, je commence à m'en apercevoir, nous a mis la politique Pétain-Laval-Darlan. Médecin, Pierre Potier allait relever les blessés et les morts. Il fallait les disputer aux hyènes et aux chacals.

Beau concert chez Pasdeloup, dirigé assez mollement par Rabaud[3] : Parsifal d'abord, puis le concerto en ut mineur, avec Marguerite. Je crois qu'à un moment, Rabaud c'est un peu endormi, car il y a eu quelques instants, à une reprise, de sérieux cafouillage. Il faudrait dire beau programme et non pas beau concert.

Les explosions d'hier, c'étaient trois synagogues que les P. P. F.[4] ou autres groupes aussi sots ont fait sauter.

9 oct[obre 1941]

Dessin : La jeune fille à la Licorne, pour l'École de médecine[5].

12 octobre [1941]

Je revois une dernière fois? l'essai sur l'Enseignement.

13 oct[obre 1941]

L'École des arts décoratifs qui a le titre de Supérieure, n'est qu'un lycée à caractère primaire. Ce matin, visite de parents de petites jeunes filles. Et puis, on triche dans les concours. Malheureux que je ne puisse pas donner ma démission de tout ça.

En Russie, cela mérite d'être noté, la bataille semble terriblement dure pour les Allemands. Comme Napoléon, trouveront-ils là tombeau de leur puissance.

14 oct[obre 1941]

Rentrée à l'École des a[rts] d[écoratifs]. On croirait la rentrée d'un lycée de jeunes filles! Elles sont en grande majorité. En sortant, je rencontre Carcopino, venant de l'École normale. Nous faisons route ensemble. Il me dit de dire à Pontremoli, qu'il ne pouvait pas faire grand chose pour lui. Pontremoli lui avait demandé d'intercéder pour qu'à Vichy on le classe dans la série exceptionnelle. Ce serait justice.

— Mais, me dit Carcopino, j'ai des israélites plus jeunes que je dois essayer de tirer d'affaire.

On reparle d'une prochaine attaque monstre contre l'Angleterre. Les Allemands auraient construit des tanks amphibies, maritimes. Et il y aurait des armées énormes de parachutistes.

Hautecœur m'apprend que les Finances ont refusé tous les crédits demandés pour notre Réforme. Il est d'accord avec moi sur l'attitude de Paquet dans la création des cours pour les Mon[umen]ts historiques. Hautecœur m'invite à déjeuner pour jeudi avec les gens du 52[6].

15 oct[obre 1941]

Assemblée des professeurs où tout se passe comme toujours très amicalement.

16 oct[obre 1941]

À La Tour d'Argent où Hautecœur rendait le déjeuner de l'autre fois. Je retrouve là ce critique Buesche, qui était venu me voir avant la guerre et me dit qu'il fera paraître un jour ou l'autre son étude sur moi. C'est bien ennuyeux. J'ai refusé que Renaitour fasse un article sur moi, dans L'Œuvre, ce n'est pas pour qu'il en paraisse un maintenant, d'un Allemand, dans un journal allemand! Je dis qu'on a bien le temps, que rien ne presse. Il y avait tout l'état-major du 52, et aussi un petit homme appelé Hecht, je crois, qui est un des gros personnages des "Maisons de Culture", que le gouvernement Pétain voudrait imiter pour ses corporations. Je n'ai pas pu en tirer grand chose. Il me dit qu'il faudra venir voir ça en Allemagne, qu'il est ici pour étudier cette question.

17 [octobre 1941]

Je révise l'Essai. Où, comment le faire paraître?

18 oct[obre 1941]

Mortreux a fait un résumé très bon de mon gros rapport sur la conjonction des deux Écoles. En somme, ça suit son cours normal. Peut-être aboutirons-nous. Il croit que sur un projet complet le ministère des Finances accordera plus facilement les crédits en blocs, qu'en demandant par petits paquets.

Séance chez Perchot pour mon cours des M[onumen]ts historiques. Il y avait Paquet, Aubert, Verrier. J'ai compris. Il s'agit d'une chose à laquelle je ne pensais pas. Il s'agit pour ces messieurs de traitements. Mon projet à l'École n'apportait pas grand chose. Le leur, en créant des cours oraux, à mon avis inutiles (l'École du Louvre et la Bibliothèque y suffisent), se concrétise en traitements nouveaux importants. Verrier, surtout, spécialiste paraît-il, du mobilier, nous apporte tout un programme... Je suis dépassé, c'est grandiose. Mais les crédits? Perchot se fait fort de les obtenir. Alors, n'ayons pas de mesquins patriotismes d'établissement. S'ils font ça, comme ça se fera à l'École, ce sera une grosse amélioration, beaucoup plus importante que j[e n]'osais l'envisager.

Institut et petite réception chez Suzanne Theureau qui vient d'être nommée inspectrice du dessin à la Ville. Jeune fille vraiment remarquablement intelligente. Il y avait les Bagne.

21 oct[obre 1941]

Greber vient m'entretenir de l'Institut d'urbanisme. Il regrette que les élèves de l'École n'y viennent pas plus nombreux. Les cours ont lieu à l'Institut d'archéologie de Bigot. Il faudrait établir une plus étroite liaison. Je suis assez au courant de la question par les quelques élèves d'ici qui y vont et m'ont assuré qu'on n'y faisait rien, un ou deux projets par an. Je ne demande pas mieux. L'urbanisme déjà à la mode, va devenir de plus en plus important à la suite des destructions de la guerre. Mais, tout de même, l'urbanisme, si c'est un mot nouveau n'est ni un art ni une science nouvelle.

Cérémonie à la mémoire de Sabatté.

Le capitaine Ehmsen vient me voir chez moi. Il était en civil, ce que j'apprécie. Il venait, me dit-il, pour visiter mon atelier et me parler de la question du travail des architectes en Allemagne.

— Et nos prisonniers? Lui dis-je.

— C'est très difficile, répond-il, parce que nos demandes doivent aller à l'armée, où elles sont arrêtées.

Mais il envisage une solution possible à cette question, dont il me parlera bientôt. C'est un brave homme que ce gros petit Bavarois. Il est peintre surréaliste! mais ne l'avoue pas : ce n'est pas dans la ligne nazie... Par contre, ce qui commence à marcher très bien, c'est le travail dans les camps. Ils ont pu faciliter beaucoup les allées venues des programmes et des projets de concours; les prisonniers exécutent dans leur camp les projets d'après les programmes de Paris. Les projets reviennent assez souvent à temps pour être jugé avec ceux de Paris. Tout en étant prisonniers, les architectes, car ce sont surtout les architectes qui sont favorisés en la circonstance, peuvent continuer à additionner les valeurs nécessaires pour accéder au diplôme. C'est vraiment une solution très heureuse. Briault a été la cheville ouvrière de cette réussite. Aussi, certains de nos étudiants, comme Bernard, le gr[an]d prix, élève de Bigot, parait avoir pris dans son camp, tant auprès de ses camarades que des Allemands, une situation très forte. Il y a aussi le fils de L[ouis]. Gillet.

Marcel[7] me donne à lire un livret d'opéra remarquable. Problème actuel. Une nation est en guerre, à la veille de succomber. La capitale est assiégée. Un savant du pays, qui l'a déjà une fois sauvé[e] dans une circonstance grave, a fait une invention qui peut lui donner non seulement la victoire, mais une invincible puissance. Tous le supplient de donner son secret. Il refuse : "Vous en abuserez". Il préfère se laisser brûler sur le bûcher au milieu des injures que de donner sa découverte.

À mon avis, ce serait parfait, s'il commençait par délivrer son pays. Son entêtement, devant la détresse de tous, devant la certitude d'une catastrophe pour les siens, a, pour moi, quelque chose d'antipathique. C'est dommage. Avec peu, ça pourrait être poignant. Pour le moment, malgré des scènes fort émouvantes, vivantes et pathétiques, cela se termine sur le bûcher, par des discours abstraits alors que ça pourrait être tellement émouvant.

22 oct[obre 1941]

Mme Leygues vient me voir. Son mari a été arrêté. Il avait prêté son atelier à des petits copains qui dressaient chez lui des plans de batteries et autres, pour faire parvenir aux Anglais. Il était absent pendant que ses amis opéraient. À son retour, la Gestapo l'a cueilli et cueilli tous ceux qui se présentaient chez lui. Sa petite femme assure qu'il ne se doutait pas de ce qui se faisait chez lui. Que faire pour sa délivrance? Je lui conseille de s'adresser à M[aîtr]e Brunet, ami de Lejeune, qui est bien avec les Allemands. Aux Champs-Élysées, on m'a vivement conseillé de ne pas m'occuper de cette affaire. Eux-mêmes ne veulent faire aucune démarche. Au seul mot de Gestapo, ils tremblotent, et fémurs, tibias, malléoles s'entrechoquent.

24 [octobre 1941]

Tournon vient me voir pour m'entretenir d'une éventuelle commande pour l'église du S[ain]t-Esprit : une énorme statue de s[ain]t Paul qui flanquerait le clocher. Bouchard ferait en pendant un s[ain]t Pierre. Content de l'éventualité, quoique peu satisfait d'être en pendant avec Bouchard. Nous parlons du projet des Mon[umen]ts historiques. Lui aussi se méfie de Paquet, qui sait son cours d'arch[itecture] des Mon[umen]ts hist[oriques] en porte-à-faux, et cherche à le gonfler.

M. Schnurr me téléphone. Il me demande de passer le voir aussitôt que possible, ayant une communication importante à me faire. J'irai demain matin.

Rentrant à la maison, je rencontre mon gentil couple, Marcel Jacqueline[8], partant pour assister à la seconde répétition de Rythmes du monde.

25 oct[obre 1941]

C'est une fameuse tuile qui me tombe dessus, chez Schnurr. Ce voyage en Allemagne dont, à diverses reprises on m'avait vaguement parlé, le voilà précisé. Il est même organisé. Les invités ont déjà répondu. Il me donne q[uel]q[ues] noms : Despiau, Bouchard, Lejeune, Dunoyer de Segonzac, Van Dongen, Vlaminck, Derain, et je ne sais plus qui. Je réponds que je ne sais pas si je pourrai partir. Il m'emmène chez Ehmsen :

— Il faut absolument que vous vous arrangiez pour venir, me dit-il. Nous visiterons les établissements scolaires, les maisons culturelles, les artistes. La tournée comprendra Munich, Vienne, Nuremberg, Dresde, Berlin, Düsseldorf. Elle durera quinze jours. Départ jeudi prochain. Au retour, nous obtiendrons, pour marquer les bonnes relations établies entre les artistes, une grosse libération de prisonniers. Comme une grosse partie des prisonniers est formée de vos élèves, vous comprenez combien la présence du directeur de l'École aura d'importance.

Pendant qu'il parle, je réfléchis. La plupart de ces types avec lesquels il m'invite, je ne les connais pas. Un d'eux, Despiau ne m'est pas sympathique. Un autre, Bouchard, s'est conduit avec moi tellement mal que je n'ai aucun plaisir à le voir. Dunoyer de Segonzac m'est très sympathique, c'est un ami. Je pense à refuser, alléguer mon état de santé, mais je pense aussi à mes prisonniers, mes prisonniers des deux Écoles. Quel bonheur se serait pour moi, quelle joie pour eux de revenir. Je lui demande s'il me sera possible de visiter un camp de prisonniers. Je pense à ce moment à Jean-Paul Léon que je sais aux environs de Berlin, dans un stalag où sont quelques élèves de l'École. Il me répond que certainement ça sera possible, que dès à présent ils vont faire les demandes nécessaires. Pouvoir seulement dire à Paul Léon, si malheureux, que j'ai vu Jean-Paul, quel soulagement ce serait pour lui, comme pour les autres.

Je n'ose pas dire non. Pourquoi ai-je tant de mal à dire "non"? C'est mon grand défaut. Je dis que je vais examiner ce que j'ai à faire, que je dois consulter mon directeur général.

— Il est au courant, me répond Ehmsen. Vous êtes parmi les artistes qu'il a désignés.

Je m'en vais sur une réponse indécise, disant que je téléphonerai lundi après avoir vu L[ouis] Hautecœur, je m'en vais empoisonné. Si j'accepte et j'ai l'impression qu'il faut accepter, que d'ennuis j'aurai, quelle que soit l'issue de la guerre! Si les Allemands restent vainqueurs, ce qui commence à ne plus être certain (voir ce qui se passe en Russie et en Afrique où ils sont stoppés), il se formera un parti d'irréductibles, dont seront tous mes amis, dont je serai, car le nazisme est inacceptable, et ce parti en voudra à tous ceux qui auront peu ou prou eu contacts corrects avec les Allemands. La réprobation sera discrète, mais sera. Si les Allemands sont vaincus, alors, ce sera un déchaînement. Voilà la résultante du départ pour Rome. Tout s'enchaîne. Villa Médicis — École des beaux-arts — invitation à visiter l'Allemagne! Je vais en parler à Hautecœur. Qu'en dira Lily? Sûrement, "n'y va pas".

Nous avons les Rouché à déjeuner. Conversation amusante, car il est plein d'esprit, même de drôlerie. Marcel lui remet son manuscrit de Peter Bell. Je regrette qu'il le lui donne si hâtivement, car le dernier acte est à beaucoup retoucher. Je ne peux pas encore parler avec Lily de l'invitation Ehmsen, car Rouché m'emmène en voiture à l'Institut, séance des cinq Académies.

26 octobre [1941]

Comme moi, Lily est empoisonnée. Elle est très opposée à ce voyage. Mais, comme moi, la situation des prisonniers la trouble. Si réellement ce voyage permet d'en libérer un grand nombre, comme l'assure Ehmsen, il n'y aura pas lieu de trop le regretter.

— Il vaudrait quand même mieux n'y pas aller. Tous nos amis, tous ceux qui comme nous ont horreur de ces gens là, de leurs théories, de leurs violences, de leurs crimes, tous t'en voudront.

Deuxième audition des Rythmes du monde, de Marcel[9], chez Pasdeloup. Très belle chose qui gagne à être réentendue. C'était moins bien donné que par Gaubert, beaucoup moins bien.

Ce soir, ce voyage fait l'objet de nos préoccupations. Lily est navrée de l'alternative où nous sommes. Elle croit qu'il vaudrait mieux, malgré tout, refuser. Le puis-je [10]?

Une autre raison m'incite à accepter. Je ne puis me l'avouer qu'à moi-même, c'est que d'éveiller la suspicion des Allemands peut déchaîner sur toute la famille les pires catastrophes. Nous sommes toujours, plus ou moins dénoncés comme juifs, francs-maçons... Béni soit le grand-père Vincent qui apporta avec lui ses magnifiques diplômes de catéchisme, de science religieuse. Il y a Benj[amin][11], toujours aussi dans une position menacée, toujours très actif et courageux. Il y a les mariages de Ladis, Joseph[12], Benj[amin]., etc. Ce n'est peut-être pas excessivement courageux. À quoi peut servir ce genre de courage aujourd'hui? Dès à présent, une perquisition à la maison donnerait des résultats bien mauvais. Ni moi ni les enfants n'éviterions camp de concentration. Et ne nous faisons pas d'illusions, la fureur contre les israélites et leurs amis va connaître des jours plus affreux encore. J'aime mieux continuer à les servir en restant libre.

27 octobre [1941]

Comité des Artistes français où la question du voyage en Allemagne est posée. C'est Bouchard qui présente l'invitation. On est très gêné parce qu'on le sait collaborateur, président en quelque sorte, imposé par les Allemands. Néanmoins, non seulement pour la question des prisonniers, mais aussi pour celle du prestige de l'Art français, le Comité est d'avis qu'il faut répondre affirmativement. Biloul parle dans ce sens, Bouchery aussi. Certains vont jusqu'à proposer qu'on demande aux Allemands d'étendre leurs invitations... Accepter, encore, ça peut aller. Demander d'autres invités, c'est fort!

Le matin j'avais vu Hautecœur. Son avis est très net. Il faut y aller. Il croit que réellement ils arriveront à nous faire rendre beaucoup de prisonniers. Ma présence, comme directeur, aura un effet prépondérant. Il faut y aller comme directeur.

En sortant du Comité, je vais chez Schnurr, et vraiment la mort dans l'âme, me trouvant lâche, je lui dis que j'accepte de participer au voyage. Il m'invite pour le lendemain à un petit thé, sur la terrasse du 52 où tous les invités seront réunis. Je raconte cette réunion à Lily. Elle est comme moi, indécise, mais beaucoup plus que moi, regrette que je ne trouve pas une raison majeure de me dérober. On m'en voudra beaucoup.

28 oct[obre 1941]

Je me sens fatigué. Je vais à ce thé. J'arrive en retard. Les invités sont là. Ce sont : Belmondo, Bouchard, Legueult, Derain, Vlaminck, Van Dongen, O[thon] Friesz, Despiau, Segonzac, Lejeune, Oudot, Janin, Adrion, Poissonier, et l'éditeur Flammarion. Ils sont à de petites tables, en train de siroter.

Belmondo, c'est un Algérien, fils d'Italien naturalisé. Il a des yeux noirs séducteurs. Toujours souriant.

Bouchard, tout en petits traits secs, bouche mince, pas un atome de sensualité, veste étriquée, usé.

Legueult, peintre, à moitié grand, expression assez sotte.

Derain, énorme gaillard, a de la puissance. Semble très intelligent. Mains particulièrement sculpturales.

Vlaminck, un voyou riche et anciennement roux, bâti comme un paysan. C'est un Diogène sans tonneau. Un cynique bien senti. Le regard n'est pas beau.

Van Dongen, un vieux clown qui a laissé pousser sa barbe. Visage rose et long, qui encadre une barbe longue et blanche. Bouche sensuelle.

Friesz, visage en boule, yeux en boule, nez en boule, gentil garçon rougeaud et sympathique.

Despiau, sa tête au bout d'un cou maigri sort de son col comme une tête de tortue de sa carapace. Il sourit continuellement silencieusement et béatement. Il est sourd, ce qui lui permet d'avoir toujours l'air de tomber de la lune, car il fait semblant d'être plus sourd qu'il n'est.

Ségonzac, le plus charmant de tous. Il pense comme moi. En nous retirant, il me dit :

— Pourquoi vraiment acceptons-nous d'aller dans cette histoire?

Lejeune, gros, grand, gras, agité, commis voyageur rougeaud dans sa barbe rousse et grise, gai compagnon, tape sur le ventre de tout le monde.

Oudot, semble petit sous-chef de bureau qui rage continuellement de n'être pas chef de bureau, et qui, chef de bureau ragera de n'être pas chef de service, etc. Petit, se tient droit et sec derrière ses lunettes.

Poissonnier, un journaliste, paraît-il, au service particulier du sculpteur Brecker de Berlin, que nous devons voir à Berlin.

Janin, un grand type, peintre, dont j'ignorais jusqu'à ce jour l'existence.

Adrion, peintre abstrait, adjoint de la Propaganda Staffel, comme "homme à tout faire". Ces m[essieurs] de la Propagande semblent le mépriser ouvertement. Il est petit, grosse tête blafarde à yeux verts.

Flammarion, genre garçon d'honneur, bien rasé, tout en souplesse, sourit sans arrêt et semble bien aussi avec Ehmsen.

Me voici de plus en plus engagé. Lily est de plus en plus hostile à ce départ, d'autant plus que je ne suis pas très bien portant. Je relève d'une grippe. Mais je pense à tous ces prisonniers. Ce serait si épatant si on pouvait réussir, comme ils l'ont (Ehmsen) encore assuré. Pourtant ils ne sont que propagande. La libération dépend directement de l'armée, peut-être même plus directement de l'Hitler lui-même. Mais, jusqu'à ce jour, ils ont été vraiment serviables, tout ce dont j'ai eu besoin pour l'École, ils l'ont obtenu. Que la libération des prisonniers soit obtenue par d'autres que par moi, cette idée m'agace. C'est peut-être aussi un sentiment inférieur. Je l'ai. Quand ces jours derniers, j'apprenais que celui-ci venait aux Bureaux demander des listes de prisonniers, ça m'agaçait. Je suis peut-être trop directeur. Je veux trop m'occuper de tout. Hourticq souvent me le reproche. Lui, n'est pas hostile à ce voyage. Il est vrai qu'il a une légère tendance collaborationniste. Se dérober à présent, à la dernière minute? se dire brusquement malade. Ils ne sont pas assez bêtes pour le croire. Je ne trouverai plus dorénavant, l'empressement qu'ils mettaient à aplanir les difficultés.

Maintenant que j'ai accepté, je trouve idiot de l'avoir fait. Si je n'avais pas accepté, je trouverais idiot de ne pas l'avoir fait. Aucun de ces types ne m'est sympathique. Je pense à mes prisonniers. Si on peut vraiment en ramener, il n'y aura rien à regretter, ou plutôt moins à regretter. Ségonzac, il est tout à fait sympathique. Derain aussi me fait bonne impression.

 


[1] En réalité Raymond Pottier.

[2] Jacqueline Pottier-Landowski.

[3] Henri Rabaud.

[4] Parti populaire français, fasciste.

[5] Nouvelle Faculté de médecine.

[6] de la Propaganda Abteilung.

[7] Marcel Landowski.

[8] Marcel et Jacqueline Landowski

[9] Marcel Landowski.

[10]. La suite est ajoutée sur la page de gauche, donc a posteriori, mais de la même encre et de la même écriture, donc avant le 20 novembre (date où l'encre passe au noir).

[11] Benjamin Landowski.

[12] Ladislas et Joseph Landowski.