1er janvier [1959]
Chez Alice[1] ; infatigable, malgré sa santé, réunit à dîner vingt-trois convives! On est gai, malgré la vie, peut-être plutôt, à cause de la vie.
2 janvier [1959]
Lettre de Bruneau. Faire l'esquisse d'urgence pour le M[on]t Valérien. Combien le projet que nous avions envisagé avec Bigot, il y a tant d'années, eut été mieux! Br[uneau] me fait l'effet un peu amateur.
Travaillé à la France. Le haut s'arrange bien. Mais, même dans cette dimension réduite (2 m 20) le travail est énorme. J'ai confiance d'[arriver au bout]. Est-ce nécessaire d'étager chronologiquement les motifs essentiels ? Jeanne d'Arc, par exemple, chronologiquement tombe au milieu, c['est]-à-d[ire] sur le ventre. Je n'aime pas. Il faut oser la faire apparaître sur le pectoral, la mêler à la Résistance, même aux hommes de l'an II. Ce qui aurait en outre l'avantage d'évoquer la formation de l'art et de la pensée à la fin du Moyen-âge. Bien difficile à combiner.
Cette année quand même commence tristement pour moi, pour moi artiste! Car d'avoir raté le magnifique programme du Trocadéro[2] ne peut être considéré que comme un remords. Il n'y a pas d'autre mot! Avoir l'idée trop tard équivaut à ne pas l'avoir eue. Ce qui compte seul, c'est la réalisation. Voilà ce que j'aurais du faire! Oui. Mais voilà ce que vous avez fait. Si je vis encore cette année, et même une ou deux autres, ce remords me poursuivra réellement, presque comme une sorte de crime. Crime contre soi-même, pire, crime contre une belle œuvre à faire. Ah! Pauvres aboyeurs, pauvres silènes, que sont vos aboiements contre mes désespoirs! Comme vous êtes mes peines, même dans la critique misérable qui est la vôtre! N'importe, redressons-nous! Tâchons, si j'en ai la santé, de montrer que nous valons mieux que tous ces mesquins personnages. Pensons à ceux qui sont grands et non maudits : Delacroix, Flaubert, Hugo, ces dieux. C'est dans le sein de ces dieux que je trouve le courage et l'amour éternel de l'œuvre toujours à accomplir.
FIN DU JOURNAL DE PAUL LANDOWSKI
[1] Alice Messener-Landowski.
[2] A la Gloire des armées françaises.