Août-1941

2 août [1941]

Chez Armand Masson, à l'Hôtel de Ville, dans l'ancien bureau de Darras. Il est aussi prétentieux, aussi bête que Darras, mais moins affable. Son bureau, comme tous les bureaux de l'Hôtel de Ville, semble un lieu de réclame pour les marchands de la rue La Boétie, rien que des toiles des peintres de ces boutiques. Je venais lui parler du projet du Père-Lachaise. Ça va s'arranger.

3 août [1941]

Après demain, je pars pour le Brusc.

16 août [1941]

Je termine la première mouture de mon Essai sur l'Enseignement. C'est devenu un véritable livre.

20 août [1941] Le Brusc

Grande paresse. On est triste, plus encore peut-être, dans ce beau pays. Ma consolation est dans mes enfants. Nadine[1] prépare des fresques pour décorer l'abside de l'église. Elle a beaucoup de talent. Il lui manque ce qui manque à presque tous nos jeunes peintres d'aujourd'hui, un fond d'études sérieuses et de la culture, non pas littéraire, car elle en a, mais plastique. Ce n'est pas vrai que d'avoir vu, connu, étudié, copié de belles choses, nuira à la personnalité. C'était au contraire l'enseignement de base, aux grandes époques.

 

Nous revenons de Cotignac, où Marcel et Jacqueline[2] vivent dans le petit cabanon sur la montagne, que nous lui avons acheté au moment de leur mariage. On peut dire qu'ils sont dans un des plus beaux endroits du monde. Une petite cabane, pleine de souris, à l'ombre d'un grand tilleul, à un sommet, dans quatre hectares de vignes et d'oliviers. Autour, d'autres vignes, d'autres oliveraies. Quand il aura pu installer ça un peu mieux, il ne pourra pas être mieux pour sa carrière de poète, car la musique c'est la transcendance de la poésie. Marcel me racontait l'histoire d'Eisen[s]chitz, ce peintre autrichien raté qui vivotait entre Paris et la côte. Une tenancière d'hôtel, femme d'affaires, sachant la vogue actuelle de la peinture, pense à trafiquer aussi sur les tableaux. Elle rencontra Eisenschitz à Ramatuelle. Lui offrit la fortune à condition qu'il acceptât de s'installer dans son hôtellerie, d'y revêtir un costume de cuisinier. Il accepta. On voit quelques toiles sur les murs. On les faisait admirer.

— C'est mon cuisinier qui fait ça. Sûrement il sortira un jour.

On faisait venir Eisenschitz qui se présentait avec son haut bonnet blanc, s'essuyant les mains à son tablier comme si on l'avait dérangé en train d'éplucher des légumes. Il fait fortune.

 


[1] Nadine Landowski.

[2] Marcel Landowski et sa femme Jacqueline Pottier.