Avril-1943

1er avril [1943]

À quatre ou cinq reprises, j'ai écrit ici, à propos de mon Cantique : "Cette fois, ça y est, je n'ai plus qu'à finir". Mais, ça n'y était pas. Aujourd'hui de nouveau j'écris : Cette fois ça y est. Et cette fois, je ne me trompe plus. J'en suis sûr parce que maintenant le parti est de plus en plus affirmé, et de plus en plus audacieusement. Je suis arrivé à un porte-à-faux en arrière, que j'avais pressenti dès le commencement et que je n'osais pas. Il a fallu y arriver peu à peu. Et maintenant c'est un morceau de sculpture et c'est vraiment pathétique. Je n'ai plus qu'à finir. Et quand les points sont justes, finir va vite.

Toujours les échos de la symphonie de Marcel[1]. Toujours très bons. La gentille comtesse de Fels veut la donner dans un grand concert de bienfaisance qu'elle veut organiser avec Munch et la Société des concerts. En contrepartie, les petites sournoiseries des confrères. Celles qui me font le plus de peine viennent de Büsser, que je considérais comme un ami, et qui est le patron de Marcel. directeur de la Radio, après s'être radiodiffusé lui-même, il n'a pas fait donner la symphonie, mais l'a remplacée par des disques. Tous ces temps derniers, il me disait :

— Il faut absolument que Marcel fasse le concours de Rome.

À présent il me dit qu'il ne doit pas le faire.

— S'il monte en loge, me dit-il, il pourrait très bien faire une très belle cantate et enlever le prix.

Aussi idiot que soit ce raisonnement, il le tient. C'est pour une raison analogue qu'on l'empêcha, il y a trois ou quatre ans, de présenter Rythmes du Monde au concours de composition.

— Le Jury ne pourrait pas faire autrement que de lui donner le prix, étant donné le succès que ça a eu. etc.

Je croyais avoir deux amis qui auraient pu être pour lui de bons conseillers et des soutiens, Rabaud et Büsser. Rabaud, en fin de compte, ce n'est qu'un sous-préfet qui ne pense qu'à toucher de gros émoluments. Büsser est une girouette et un médiocre, peut-être, au fond, un jaloux.

Terrible catastrophe à Naples où vient de sauter la poudrière principale de la région. Une formation de forteresses volantes américaines vient de déverser d'énormes bombes sur Cagliari. Pauvre et chère Italie meurtrie, comme je la plains malgré le mal qu'elle nous a fait. Que pensent-ils, les pauvres gens, ces Italiens si gais, si dévoués, quand ils lisent sur leurs murs la phrase insensée de Mussolini : "La guerre est une religion et une poésie". Et tout le monde de la cour, depuis le roi, cet homme si bienveillant, la reine préoccupée uniquement de bienfaisance, et les jeunes princesses, tout ce monde qui, je le sais par les conversations du temps où j'allais au Luxembourg faire le buste de la Grande Duchesse, était loin d'admirer et d'aimer le régime qui leur était imposé comme aux autres, et qui finalement a mené l'Italie au point critique où elle en est.

Et cependant, je pense à mon Cantique. Et comme de nouveau tout va bien et qu'il a beaucoup gagné, c'est avec plaisir que je pense à la journée de travail de demain.

2 avril [1943]

Après la composition, ce qui est le plus difficile est la fidélité à la nature. Bien copier son modèle, en lui faisant dire ce qu'on veut, c'est autrement difficile que de travailler de chic ou d'après les recettes apprises ou même qu'on a trouvées soi-même. Travailler d'après nature, c'est le plus difficile, c'est aussi le plus passionnant. J'ai eu cet après-midi une séance formidable. Avant de mouiller, tournant tout autour, j'avais le droit d'être satisfait. J'ai de la chance d'être plus difficile pour moi-même que qui que ce soit.

3 avril [1943]

À l'atelier des élèves de Beltram, milieu bien sympathique, d'allure familiale, mais n'y travaille-t-on pas un peu superficiellement? Posait une bien jolie fille dans une robe bleue, sous un éclairage artificiel. Des reflets de tous les côtés, des ombres à la fois brutales et lumineuses, sur un fond gris et or, enfin tout ce qu'il y a de plus difficile. Donner ça à des débutants me paraît une erreur. Ici, comme partout, on ne construit plus. On se jette sur la couleur. On barbouille, on croit que l'on travaille.

Avec Beltram, nous parlons de l'exposition de Barcelone-Madrid. Mais pourrai-je être prêt?

Je file, de là, au déjeuner du "Cornet". On y a vendu aux enchères toute la collection des menus de ce dîner depuis la fondation. Il y a là de remarquables dessins signés Poulbot, Léandre, Villette, d'une fantaisie, d'une audace tellement spirituellement rendue, que l'esprit seul demeure.

À l'Institut, Büsser me dit maintenant que Marcel[2] ne doit pas faire le concours... après m'avoir, durant tous ces temps derniers, dit qu'il fallait qu'il le fasse.

Lemaresquier qui écoutait résuma les arguments busseriens en disant :

— En somme, il ne faut pas qu'il fasse le concours, parce qu'il pourrait fort bien avoir le prix.

Réception à la gr[an]de Chancellerie, puis chez le comte et la comtesse Clauzel. On me parle beaucoup de mon livre qu'on ne trouve plus. Le journal B[eau]x-Arts, a fait paraître ce matin une note assez longue où, s'appuyant sur la sotte critique de d'Espegel, on affecte de ne voir dans mon étude que la question Institut et École, alors que j'ai très nettement expliqué que depuis plus d'un demi-siècle Institut et École sont absolument séparés, que l'État a seul la responsabilité de l'enseignement. Il n'est pire sourd qui ne veut pas entendre. Devrais-je écrire pour remettre les choses au point? Oui, je devrais, mais je deviens paresseux. Je suis si bien à l'atelier, à sculpter! Perdre son temps pour ces idiots de critiques. Et de l'autre côté il y a trop de médiocres. Et puis la question Institut n'est qu’un très petit morceau dans cette histoire. C'est sur un plan autrement vaste que je me suis placé. Mais comment faire entendre raison à des gens qui vivent de ces querelles. Dictature de la critique. Saturnales. Et derrière, l'argent. La main qu'on tend ouverte derrière son dos et qu'on referme, d'un air dégagé, sur les billets de l'inflation. D'Espegel, antisémite professionnel, n'en était pas moins secrétaire de Wildenstein. Comme la veuve de l'épicier, le secrétaire infortuné continue son commerce.

Mon brave Marcel fait à son tour connaissance avec ce monde-là. Tony Aubin, dans Comœdia, Betz dans Aujourd'hui éreintent avec une malveillance jalouse, la symphonie de dimanche dernier. Je n'ai pas lu encore cette littérature.

4 avril [1943]

Mon petit Marcel m'apporte les articles Aubin et Delannoy. Ils ne sont pas favorables, mais pas hostiles autant qu'on le lui avait dit. Le mieux à faire est de discerner les raisons justifiées de ces critiques. Les auteurs des articles ne les donnent pas. Ils n'aiment pas le principe même. Il est très dommage que mon fils soit isolé, qu'il n'ait pas, comme nous avions à son âge, des amis de sa qualité comme étaient pour moi Laparra, Bigot, Gibert, Bouchard, à cette époque de notre vie, comme étaient les amis de Flaubert, comme Daudet (Alphonse) était pour Ed[mond] de Goncourt et inversement avec cet usage de lectures où l'on se rendait compte de la portée de ce qu'on avait fait.

Visite de Désiré-Lucas. Bon visage, bien sympathique et bon peintre.

Pendant le déjeuner, où nous avions Marguerite Long, brusque attaque de l'aviation anglo-américaine sur Renault et Longchamp. Ce fut tellement inopiné et bref que je ne me suis pas rendu compte de l'importance du raid. La maison a été violemment secouée deux fois. Mais comme des fumées s'élevaient du côté des usines Renault, les enfants ont couru vers la maison d'Éléonore[3]. Ils ont rencontré en route, cette pauvre petite famille, les enfants couverts de sang, le petit Roland[4] blessé à la tempe par un éclat de vitre. Blessure heureusement sans gravité. Mais leur appartement est bouleversé. Ils y sont retournés chercher ce qu'ils pouvaient sauver. Il paraît que là-bas c'est un gros bouleversement. Ils vont habiter ici.

Après-midi, chez la duchesse de Serrant, femme vraiment ravissante et charmante, une des plus séduisantes femmes qui soit. Je rencontre là M. Zoltan Baranyai, conseiller à la légation hongroise qui aime beaucoup mon Bocskay de Genève. Nous parlons, bien entendu prudemment, des événements. Mais même de toute cette prudence, il ressort que tout le monde trouve l’aventure actuelle d'une stupidité énorme. Et cependant, comme moi, il n'en voit pas la fin prochaine.

5 avril [1943]

Attenni vient prendre les mesures pour le socle de l'Héraklès. Jaulmes vient me faire sa visite de candidat. Comme il a maigri! Mais il a toujours son charmant visage et ses yeux bleus gris féminins. Très enthousiaste de la maquette de la porte de la Faculté de médecine[5].

Je nettoie et retouche le dessin du Dionysos des fontaines de S[ain]t-Cloud[6].

Adler vient me parler des deux bustes qu'un de ses amis veut faire faire de ses vieux parents.

Et je vais aux A[rtistes] f[rançais], au comité que préside Bouchard. Fougerat me dit qu'il était hier soir à un dîner de musiciens jeunes qui étaient d'accord pour dire que Marcel[7] était en ce moment le seul jeune musicien ayant de la personnalité et réalisant de grandes choses.

Je reviens avec Martial et Poughéon. Nous parlons de la fondation d'un journal d'artistes, absolument nécessaire, pour lutter contre l'influence des marchands, et des critiques, leurs serviteurs.

Le bombardement d'hier sur les usines Renault a été une véritable boucherie. Que de malheurs autour de nous. La guerre finira-t-elle sans que maison et ateliers soient par terre. Il faudrait que les jeunes gens partent.

6 avril [1943]

Visite académique de Bouchaut[8]. Ses notes de scène de vie orientale sont fort agréables. Mais très nombreux sont aujourd'hui les peintres qui font des peintures du même genre, même qualité. Ses grandes décorations sont moins bonnes. C'est un homme très agréable, mais ce n'est pas un grand maître. Une tendance commence à se manifester à l'Académie pour essayer d'arriver à un résultat nul. Ma foi!

Aujourd'hui torse du Cantique, dans son mouvement rejeté en arrière. je prévois un effet plastique très heureux dans le marbre.

L'attaque de la R.A.F. de dimanche se précise comme une grosse catastrophe. Le pauvre cher Raoul Laparra a été tué par une bombe dans la maison de santé où on le soignait. À Longchamp, ce fut aussi une tuerie. Mais quelle idée de donner des réunions autour d'un véritable camp retranché avec batteries qu'est le centre de la pelouse de Longchamp. Et chose plus invraisemblable, après l'enlèvement des morts, on a repris les courses. Le pari mutuel ne perd pas ses droits!

Pauvre petit Raoul, sorte de Chopin du drame musical, si artiste, si poète, pour lui cette fin soudaine, dans l'état de déchéance où il était, est peut-être une délivrance, car il ne semblait pas guérissable. Mais la mort d'un poète, quelque soit son âge, a toujours quelque chose de plus poignant. Et puis, que vont devenir sa malheureuse femme, à moitié folle, et son fils, si inquiétant?

7 avril [1943]

Cérémonie des funérailles des victimes de dimanche dernier. L'autel est dressé sur le grand escalier extérieur de l'Hôtel de Ville. Un grand drap noir est tendu au milieu duquel est brodée une énorme croix blanche. Tout est gris, blanc, noir. Le long des murs, les deux ou trois centaines de cercueils sont alignés. Une ligne horizontale de couronnes les recouvrent de leurs couleurs éclatantes. Face à ces cercueils et à ces fleurs, de chaque côté de la façade, deux masses uniformes de femmes et d'hommes en deuil. Au centre, ce sont les autorités. Arrivent le préfet, Lagardelle, ministre, des généraux de l'armée allemande, apportant de splendides couronnes. Le cœur serré, je vois des généraux français avec leurs képis à feuilles de chêne, entre autres, mon ami le général Brécard, le cordon de grand chancelier barrant sa poitrine. Nos clairons sonnent aux champs. Pauvre simulacre de l'armée française. L'injustice de son destin apparaît de plus en plus. Est-ce que toutes les autres armées n'ont pas subi, toutes, d'aussi écrasantes défaites? Une défaite ne déshonore pas. Arrive le cardinal Suard. La cérémonie se déroule et dans le gris et noir, je vois la calotte rouge du cardinal apparaître et disparaître à travers les têtes et les épaules des gens assis devant moi. Deux discours. Un du cardinal, que je trouve excellent. Un du ministre Cathala qui, partant du dernier discours du maréchal, annonce, si j'ai bien compris, la visite prochaine à Paris du maréchal et de M. Laval, qui apporteront "la réponse du gouvernement à ces attentats que rien ne justifie, et il faudra que tout le pays soit uni autour de ses chefs".

Le Conseil municipal a voté une motion d'urgence demandant que les usines Renault ne soient pas reconstruites.

Je reviens avec Madame Bezançon, la femme du docteur. Elle me dit que ces "jeunesses" groupées [ ?], se présentent fort bien mais qu'ils volent tout ce qu'on laisse à leur portée. Ces jeunes gens sont venus aider au sauvetage des blessés, au transport des morts. Ils ont chipé les couvertures. Quelques-uns, reçus dans un bureau par une dame infirmière, ont profité d'un moment d'absence pour chiper des biscuits et je ne sais plus quoi. En vérité, tous ces gosses sont désaxés. Ils voient autour d'eux tant d'immoralité. Ces groupements sont d'un principe excellent, pourtant. Mais ils ne pourront donner ce qu'ils devraient, que lorsqu'on pourra leur fixer un but concret, une raison commune d'action. Que peut-on leur dire d'autre aujourd'hui que de marcher au pas pour marcher au pas, et quand on leur parle de la France de demain, comment ne pas rester dans le vague? De quoi demain sera-t-il fait?

8 [avril 1943]

Je suis de plus en plus impatient de terminer le Cantique. Je ne m'en félicitais pas moins d'avoir recommencé pour des nuances qui, en fait, ont abouti à une franchise de parti qui donne un sentiment puissant. C'est de la sculpture et, malgré la simplicité du geste, du pas déjà vu. Me voici vraiment à la dernière étape.

Jacques[9] revenant de Cap Myrtes, est arrivé aujourd'hui. Les choses se passent bien avec leurs occupants.

10 avril [1943]

Jugement de la montée en loge. Descatoire fait un potin de tous les diables, et bien à tort, parce que son élève Mme Martin ne monte pas. Elle avait une mauvaise figure. Esquisse pas mauvaise.

Avec Fenaux, Alauzet, Revol, Deltour, les logistes de l'année, avec Terroir, Niclausse, Gaumont, nous allons prendre des boissons mauvaises et coûteuses aux Deux-Magots. Pas à recommencer. On devrait boycotter les cafés. J'y retourne après la séance de l'Académie où Désiré-Lucas payait sa tournée d'élu. Il fut élu après six tours de scrutin, serré de près par Domergue. Tout ça n'est pas très brillant. Et voilà qu'en sculpture, Bouchard prépare une candidature Michelet[10]!

Déjeuné avec Expert et Niclausse. Niclausse qui va se présenter et qui j'espère battra Michelet. Il manque d'imagination, mais c'est un beau sculpteur. Sa forme est construite, bien affirmée. Et c'est un esprit indépendant. L'autre est un politicien.

Chez Mme de Dampierre. Intéressante réunion. Nous retrouvons là M. Bard, qui, de mon temps directorial, représentait à Rome, la principauté de Monaco, aussi le conservateur du musée Cernuschi, aussi Madame de Waresquiel, M. Bardoux. Ce dernier pense qu'aussitôt après la fin de l'affaire africaine les choses évolueront rapidement, non sans terribles drames. Des partis diplomatiques s'entrecroisent sous la trame militaire. La Russie, prétend Madame de W[aresquiel] pourrait fort bien traiter séparément, renâclant devant le gros effort de l'été. L'Allemagne, renâclant aussi, ferait de gros efforts pour traiter avec l'Amérique. L'Amérique qui voudrait pouvoir régler à fond son compte au Japon serait assez disposée à traiter avec l'Allemagne. Eden serait allé à Washington pour réchauffer l'enthousiasme. Mais Roosevelt pense que l'élection présidentielle a lieu en 1944... Pour toutes ces tractations, de Monzie, Georges Bonnet offrent leurs bons offices, affirmant être les seuls capables de mener les pourparlers à bien. L'Allemagne ne ferait pas de difficultés au départ de P[ierre] L[aval].

11 avril [1943]

Je mets au point le programme des études préliminaires communes, pour notre réforme de l'enseignement des Beaux-Arts. C'est l'application de la thèse que je défends dans mon livre. Long téléphone de Roux-Spitz à ce sujet. Il porte, beaucoup, paraît-il, mon bouquin.

12 avril [1943]

Lettre de Delamarre pour mon bouquin, qui, me dit-il, devrait être le livre de chevet de tous les jeunes artistes.

Je vais à Montmartre, chez Jérome. Impossible de me promener dans ce quartier sans y évoquer tant de souvenirs. Toute ma jeunesse depuis 1888 jusqu'à 1900!

Jérome travaille à deux grandes toiles dont S[ain]t-Pierre est le sujet central. Je lui conseille de ne pas exposer cette année. Ce qu'il fait pourra être très bien. Mais ce n'est pas au point tout à fait encore.

Après-midi, visite du jeune architecte Marc Raynaut, venant du Var. Il me parle avec enthousiasme de ma petite Nadine[11]. C’est un enthousiaste et ses réactions devant mes plâtres me font plaisir. Mais moi, qui vis de nouveau au milieu, combien y en a-t-il que je veux reprendre, et que je reprendrai.

Enfin, visite de M. Archambault, président de la caisse des Allocations familiales. Il ressort de sa conversation que les différentes caisses d'allocations familiales cherchent à qui mieux mieux à se repasser les chargés de famille et à conserver les cotisants sans famille. Tout ça parce que au départ tous ces organismes ont commencé par s'endetter pour leurs traitements et leurs installations. Belle fumisterie.

13 avril [1943]

Sujet du concours des sculpteurs. Le grand serin de Descatoire fait une tête longue comme ça pour l'échec de son élève qui ne méritait pas de monter. Mon Dieu! comme ces vieillards manquent de sagesse et d'impartialité. Après le sujet donné qui est "Héphaistos modelant et donnant la vie à Pandore", longue entrevue avec Tournon pour la réforme. Il s'agit de l'enseignement préliminaire commun à tous. Nous sommes d'accord.

C'était la cérémonie pour le pauvre petit Raoul Lappara. Encore une cérémonie noire et argent. Quelle fatalité sur cette famille. William, Fanny, Jacques, Raoul. William et Raoul, tous les deux avaient tant de talent. William plus complet. Raoul si en dehors de la vie. Je remarque que Rabaud n'était pas là. Il n'aimait pas Raoul. Ce tempérament de sous-préfet ne pouvait rien comprendre à cet état d'enthousiasme perpétuel dans lequel était Raoul, pour tout.

15 avril [1943]

Vallila et Mme Darstatter viennent chercher l'Héraklès et le dessin de la Fille aux oiseaux. Nous parlons de l'exposition Barcelone. Il m'est impossible d'être prêt maintenant. Vallila qui désire absolument que je le fasse, et bien, propose de le remettre à septembre, ce qui me va tout à fait.

16 avril [1943]

Rudier vient me donner des prix pour bronzes que je voudrais envoyer à Barcelone. La cire perdue est plus impossible à envisager maintenant que le sable. C'est à regret que je me résigne au sable. Affreusement cher. Mais il parait que les résultats seront fameux. Tant mieux, je pense de plus en plus à mon musée. Rudier me disait que des gens renseignés lui ont dit qu'on pouvait se préparer à passer un nouvel hiver. Pas besoin d'être renseigné pour l'annoncer. Le simple examen objectif des faits suffit.

Deux hommes, depuis dix ans, vingt ans, ont tous les pouvoirs. Ils n'ont cessé d'armer, de sur-armer, d'exalter la fureur guerrière de leurs peuples, de les faire marcher au pas, de les persuader de l'injustice de leur sort, d'exciter leur jalousie et leur orgueil, de leur prédire les plus étonnants destins, la conquête du monde, d'écrire sur les murs de leurs cités que la guerre est une religion. Et maintenant, après quatre ans d'une guerre sans répit, affreusement meurtrière, préparée pour dix ans, vingt ans de privations de bien-être et de liberté, tandis que des troupeaux d'êtres humains affamés, transis, à travers une Europe dévastée, sont arrêtés, transportés loin de leurs foyers détruits, maintenant ces hommes se réunissent, se consultent, annoncent-ils, pour la défense d'un continent qu'on entoure d'une muraille de Chine et étudient les mesures à prendre pour assurer, dans l'avenir, le bonheur de tous les peuples... Heureux peuples. À la distribution des tickets de bonheur, en avant marche, et au pas.

17 avril [1943]

Retouches, chez Barbedienne, à la fonderie à cire perdue, la cire du Combat de Vautours. Bonne matinée.

À l'Institut, nous rédigeons une retouche au règlement des concours de Rome, en faveur des fils d'étrangers ayant opté pour la nationalité française et fait leur service militaire et notamment la guerre, comme ce petit Antoniocci. Discussion que je trouve inutile sur un éventuel repli de la villa de Nice à Fontainebleau. Si les événements en viennent à nécessiter pareille mesure, mieux vaut rendre provisoirement à chacun sa liberté. Déclaration de la vacance du fauteuil de Denys Puech. Candidatures envisagées : Paris, Niclausse, Michelet, Sarrabezolles, Martial, et l'on parle aussi de Drivier. Cette bousculade d'élections ne me plaît pas. Boschot ne pense qu'à voir tous les fauteuils garnis. Ce que vaut la garniture ne l'intéresse pas. Au fond, c'est un critique d'art.

18 avril [1943]

Visite de Thomé et de sa femme avec le jeune ménage Valmy [?]. La chose à remarquer chez ce couple sympathique lui est auteur de revues, elle est ancienne actrice, quoique fort jeune est le ton des lèvres de cette jeune femme, qui est violet pour être assorti à son énorme chapeau également violet. Les cheveux sont acajou. Comme elle est très grande, cet ensemble coloré ne passe pas inaperçu.

Chez Beltram qui part demain pour son exposition en Espagne. C'est décidé que je ferai la mienne en septembre. Valilla et lui me disent que la salle présente 80 m de cimaise! On ne peut faire là qu'une exposition fort importante. Cette nécessité, dans les conditions actuelles, n'est pas sans m'inquiéter. Il y avait là M. et Mme Stoyanowsky, puis est apparu un instant un prince de Béarn, très sympathique.

Beltram me dit que le franc depuis hier ne vaut absolument plus rien!... Hélas! est-ce seulement depuis hier? Mme Beltram dit que le dernier raid anglais sur l'Allemagne a été le plus violent qui ait eu lieu. Ce serait la ville de Manheim qui aurait été attaquée. Les dégâts seraient effroyables. Quand ces horreurs finiront-elles? Des tentatives de conversations ont certainement eu lieu. Mais, quand de part et d'autre on pose comme première condition la reddition sans condition, les conversations ne peuvent pas aller bien loin. Et l'on pense à la philosophie du vieil Eschyle qui voyait dans la démesure l'origine de tous les malheurs des hommes.

19 avril [1943]

Matin, jury au Salon. Nous avons failli refuser des envois de vieux artistes, même anciens grands prix, à noms assez connus. Heureusement, on s'en est aperçu à temps. Recevoir a, en fin de compte, bien moins d'importance que de refuser.

Excellente après-midi au Cantique. Récompense de la ténacité. C'est de la sculpture. Les idées n'excluent pas plus la forme pure que la couleur n'exclut le dessin, ou le dessin la couleur. Quelle sottise!

20 avril [1943]

Tandis que je travaille, comme aujourd'hui, avec joie, serrant de près la forme, d'après la nature, je me demande de temps en temps que peut-être l'état d'esprit de ces sculpteurs qui, comme faisait Bourdelle au nom du "style", déformaient, supprimaient toute sensibilité au nom de "l'architecture" des formes, etc., vous aplatissaient une tête, un cou d'un coup de battoir, comme dans son affreux Centaure. Ils doivent être très malheureux, car le génie c'est très beau d'être sûr d'en avoir, mais tout de même, un beau modèle c'est plus sûrement beau. Et puis, l'architecture du corps humain ne doit pas être comprise comme l'architecture d'un bâtiment. Or, c'est par cette confusion qu'ils expliquent leurs déformations, les imbéciles et que les sophistes les encouragent. Littérature cela, littérature de primaire.

21 [avril 1943]

Matinée : J'achève le petit rapport pour Tournon, sur la coordination des deux Écoles. Ce serait tout de même bien si ce que je recommande dans mon livre se réalisait. Je vais qu'au bout de ma pensée et je propose de grouper ensemble les deux grandes Écoles et l'École des Arts appliqués. Mais ça... Se permettre de toucher à l'enseignement technique!

Séance capitale au Cantique. Travaillé cinq heures de suite, sans repos et sans fatigue, avec un enthousiasme de 25 ans. Tant que ça ira comme ça, ça sera bien. Je commence à penser à tout ce que je vais entreprendre ensuite, des nouveautés mais aussi des corrections à des ouvrages terminés, dont l'Hymne à l'aurore. Il y a bien de mes œuvres que je voudrais reprendre. Si je pouvais, par exemple, étendre le manteau de Montaigne sur sa jambe, la statue serait infiniment mieux, etc. Mais l'Hymne à l'aurore, je le reprendrai certainement. Et puis ça va être la porte de l'École de Médecine[12], le groupe du Père-Lachaise, commandes, Prométhée, pour moi.

Courte interruption de ma séance par un M. Lallemant, attaché au cabinet civil du maréchal, venu me parler des corporations, [il] avait reçu ma lettre et est disposé à aider et à faire aboutir le projet de loi.

23 avril [1943]

Travaillé ce matin sans modèle. Après-midi de 2 h ½ à 8 heures, sans un instant de repos et sans aucune fatigue. Mon modèle est infatigable et vraiment touchante de dévouement. Aussi il y a de la besogne accomplie. Ce soir, je vais dormir tranquille, je touche au but. Que n'ai-je mené tous mes travaux ainsi en y mettant tout le temps nécessaire! Et sans être obligé de les montrer.

Ce matin, téléphone de Drivier. Lui et Niclausse se sont mis d'accord et Niclausse ne se présente pas, laissant Drivier. À défaut de Gaumont, j'aimais mieux Niclausse. À défaut de Niclausse, prenons Drivier. Mais les meilleurs sculpteurs à nommer devraient être Gaumont, Jeanniot, Niclausse, Terroir, Drivier, dans cet ordre. Un pneumatique de Niclausse me confirme leur accord. Téléphone avec Poughéon, il m'annonce les candidatures de Terroir, de Cogné! de Martial, de Panis.

Lettre stupide de mon jeune Leleu. Ils ont raison de se défendre. Mais leur façon de le faire est puérile et d'une ridicule vanité. Quel est celui d'[entre] eux là-bas, qui leur inspire de prendre une attitude aussi sotte?

Il paraît qu'après les consultations des dirigeants des petites nations en guerre aux côtés de l'Allemagne, l'Allemagne et l'Italie vont faire paraître une charte de l'Europe. Il s'agirait d'affirmer le respect des droits des petites nations. Qu'en pensent le Danemark, la Norvège, la Hollande, la Belgique, l'Albanie, la Grèce, tous ces malheureux pays, pris à la gorge, assaillis au nom du principe nouveau de l'espace vital, pillés, vidés, transformés en bastions et les grandes nations vaincues comme nous et comme la Pologne assaillie aussi, je n'en suis pas moins bien curieux de savoir comment sera organisé le bonheur futur de la malheureuse Europe, plutôt comment nos géniaux hommes d’État l'envisagent.

24 avril [1943]

Visite de Drivier. Il me confirme le pneumatique de Niclausse. Considérant, sur avis d'Expert, que le premier aurait plus de chances que le second, Drivier vient m'annoncer qu'il se présentera probablement. C'est vraiment amusant les précautions que prennent ces gens avant de se porter candidats. Ils voudraient une sorte d'engagement de la part de l'Académie de les élire. Je lui dis qu'il me paraît avoir les plus grandes chances. Mais évidemment je ne peux pas, ni ne veux rien lui garantir. Je lui recommande de ne pas faire comme le super prétentieux Despiau. Ainsi, je ne suis pas sûr du tout qu'il sera présenté en première ligne. Au cours de la conversation, il me dit des tas de bêtises, reflets des cancans courant les milieux artistiques, qu'il y a, au fond, deux clans à l'Académie, le clan Bouchard, le clan Landowski! Contre quoi, je proteste, etc. Enfin, nous nous quittons après que je lui ai dit que je voterais pour lui s'il se décidait à se présenter. Il me téléphonera dans deux ou trois jours pour me dire sa décision. Mais à la fin de la journée Niclausse me téléphone. Drivier sortait de chez lui et venait de lui annoncer sa décision de ne pas se présenter... Niclausse qui me paraît avoir la plus grande envie de le faire me demande de venir me voir. Rendez-vous pour mardi. Bizarre quand même, peut-être devrais-je penser que la conduite de Drivier est quelque peu mufle. Mais tout ça a si peu d'importance.

25 avril [1943]

Le journal Beaux-Arts annonce que l'on va tourner un film sur Maillol. En même temps, dans un grand quotidien grand article sur le "greco-latin". Qui nous délivrera des Grecs et des Romains! Delacroix avait bien raison quand, dans son article sur les critiques d'art il montrait leur impossibilité à se libérer du néogrec ou du néo-romain. Si Maillol avait exposé aux Artistes français, ses laudateurs n'auraient pas pour lui de suffisants sarcasmes. "Le Canova des cuisinières". Est-ce Forain, est-ce moi qui avons trouvé ce qualificatif de son médiocre talent? Comme pour Despiau. Est-ce l'excès des louanges qu'on leur adresse, toute cette propagande aux louches dessous qui provoquent chez moi cette sévérité, peut-être excessive aussi. Ah, la juste mesure!

Visite de Poughéon, de Domergue, puis de Lechevallier-Chevignard. Avec Poughéon nous sommes d'accord pour penser qu'il n'y a en ce moment que trois sculpteurs qui devraient entrer à l'Académie, Gaumont, Jeanniot, Niclausse. Ensuite, Drivier et des hommes comme Terroir, si calé, mais resté un peu en dehors de la bagarre. C'est peut-être le plus fort de tous les sculpteurs actuels. Il manque malheureusement de culture et son dessin est un peu froid. N'importe. C'est un de ces hommes qui en des temps de santé aurait été employé avec profit dans de grands ensembles.

26 avril [1943]

Je suis à l'âge où l'on peut envisager de faire le bilan de sa vie. Dans la mienne, il y a une grande faillite. C'est de n'avoir pas élevé mon Temple. J'ai bien fait tout le travail préliminaire nécessaire, plans, maquettes. Mais je n'ai pas fait le gros effort et les sacrifices qu'il aurait fallu, c'est-à-dire, ne pas rechercher de travaux, mais s'enfermer, exécuter seul quelques autres morceaux, organiser une exposition. Forcer l'opinion. Faire les frais de propagande nécessaire. Alors l'argent, on l'aurait trouvé. Mais si je me place sur le plan commun, si je ne pense qu'à mes œuvres isolées, grands monuments, petites sculptures, bustes, c'est un bel actif. Je crois que, comme Ingres le disait de lui-même, je n'ai à craindre la comparaison avec aucun de mes contemporains.

Mais je me sens heureusement en bonne santé, et fort, et infatigable à l'atelier. Quand mon Cantique sera fini, exécuté en marbre, avec l'Hymne à l'aurore (qui demande des corrections et le groupe S[ain]t François-S[ain]te Claire, à terminer dans la pierre) un mur sera terminé. Je vais modifier le Mur du Christ, remplacer le Christ par Orphée, qui exprime la même idée du héros de douceur et qui est en même temps symbole de la poésie agissante, et ne choquera personne. Je vais sans tarder, à peine le Cantique terminé, attaquer Prométhée. J'ai un peu le tempérament musulman pour qui ne compte pas le temps, le temps affreux, le dévoreur des forces. J'ai toujours mon imagination et ma foi de vingt cinq ans. Un jour, comme à chacun, l'outil me tombera des mains. Espérons que ce jour est encore suffisamment éloigné pour que je puisse faire les autres morceaux centraux qui restent à faire : Prométhée et Orphée supplicié. Et puis, organiser une grande exposition. Alors, on pourra comparer. Et nos margotteurs à la Maillol, et nos agrandisseurs à la machine, enculeurs de gouttes de plâtre à la Despiau pourraient venir, avec leur suite à gages.

27 avril [1943]

Visite de Niclausse. D’accord avec Drivier, il est décidé à poser sa candidature. Je me rappelle l’effet de ses premiers envois, groupes de paysans, portraits de paysans qu’il faisait à la campagne où il avait dû se retirer à cause de la santé de sa femme (un lupus lui dévorait le visage) et de sa santé à lui. Ses sculptures âpres, au dessin rude, affirmé, venaient un peu après l’œuvre de Constantin Meunier. Dans le sillon ouvert par ce dernier paraissait devoir germer une riche moisson. Un réel art moderne fondé sur la vie et les idées de notre temps non sur des formes à la mode défigurant une fois de plus l’antique comme firent Bourdelle, Maillol, Despiau aux grands applaudissements d’une critique imbécile. Hélas! C’est ce néo académisme qui, tout en couvrant l’Académie d’injures, triompha, par l’influence de cette critique dont Delacroix il y a cent ans déjà signalait l’indecrottable attirance pour tout ce qui lui rappelle l’art des musées. Niclausse est très au dessus de tout ça, du moins il l’était, car il a quelque peu vieilli. Je souhaite qu’il soit élu et ferai mon possible pour l’y aider.

Excellente journée de travail.

28 avril [1943]

Aujourd'hui visite de Cogné. Si je voulais faire des comparaisons avec les animaux, je dirais qu'hier c'était Niclausse le bison, le grand bison sauvage et tranquille. Aujourd'hui c'était Cogné le taureau, le petit taureau agressif. Le bison a beaucoup de talent. Le petit taureau n'en a aucun. Ce qu'il m'a montré est lamentable. Je n'ai pu m'empêcher, en voyant les photographies de ses monuments à Lyautey de regretter mon inertie et de n'avoir pas fait le nécessaire pour exécuter la statue équestre en face de mon monument de Casablanca. Quelles mauvaises choses il m'a montrées! Mais il a fait tous les importants personnages. Il court après, j'imagine. Il m'a dit qu'il allait partir à Rome faire le Pape! Ce beau, ce magnifique visage aux mains de ce commis voyageur de la sculpture!

Bonne journée. C'est tout de même petit, surtout quand on veut pousser des morceaux comme les mains.

Ce Cogné, quel singulier candidat. Il promène avec lui un dossier de photographies, de lettres à lui écrites par X ou Y, Denys Puech qui l'assure de son admiration, des pièces garantissant son honnêteté, même une pièce signée de B[ernard] Fay affirmant que s'il fut franc-maçon, il a depuis, donné toutes les garanties contraires... En s'en allant il me dit que bientôt il y aurait de très grands travaux et qu'il avait bien entendu, donné mon nom au maréchal... Tout ça est d'un comique!

29 avril [1943]

Aujourd'hui Brasseur. C'est un doux, un timide, très artiste mais quelque peu paresseux. Son bagage n'est pas bien lourd. Sa meilleure chose est son monument de Bayonne. Il est moins intéressant que Gaumont ou Jeanniot, presque autant que Niclausse, beaucoup plus que Lejeune ou Descatoire. Sur Drivier, mon opinion est incertaine. Je crois que sa meilleure chose est le buste de jeune fille à mi-corps. Ses nus sont assez vulgaires et faciles. En moins puissant c'est boursouflé comme l'art alexandrin. Avec Bouchard et moi, les meilleurs sculpteurs actuels sont Jeanniot, Gaumont, et puis Niclausse, Drivier. Ensuite je veux bien Despiau et tous ces assez bons sculpteurs de bustes. Maillol n'a fait qu'une bonne statue, sa Pomone. Dans la génération derrière, ayant une quarantaine d'années aujourd'hui, vraiment rien de saillant. Ces malheureux sont peut-être excusables. Tout est si trouble. Mais par ailleurs, ils sont beaucoup plus soutenus par l'État. Tous en reçoivent des commandes. Et tout ça se ressemble par la même insuffisance d'imagination, et la même forme conventionnelle. Les vrais responsables sont les critiques d'art, dont l'influence est devenue prépondérante, les conservateurs de musée qui souvent sont simultanément critiques d'art, et les architectes qui dans l'immense majorité sont des amateurs.

Gentille lettre de Georges Grappe encore un qui est les deux à propos de mon livre. Sa fin de lettre est curieuse. "Il faudra que je te mette confidentiellement au courant d'une conversation tenue par Bouchard à un déjeuner, dont le début était sur la villa Paradisio de Nice"...?

30 avril [1943]

Sarrabezolles fait sa visite de candidature. C'est un charmant homme. Visage rose, tout rond, encadré d’une barbe blonde clairsemée. Des yeux clairs, bien loyaux. Il me montre un album avec des œuvres très intéressantes vraiment. Il ne faut pas être sévère pour les générations qui nous suivent. Il y a des hommes derrière nous, comme il y en avait avant. Toutes les générations se valent. Ce qui les abîme ou les améliore c'est l'ambiance créée par les difficultés plus ou moins grandes de la vie. Mais que de contradictions dans tout ceci, car ce ne sont pas toujours les époques les plus dures qui ont vu naître le moins de belles œuvres. Elles sont souvent l'occasion de concentration de pensée. Il y a aussi l'influence des grandes individualités. Quelle influence pourtant ont eu Rude ou Barye, voir Rodin? Guère. Des groupements braillards en ont eu plus, comme les cubistes, ou des individualités médiocres qu'on nous fait passer pour grands comme ce pauvre bougre de Maillol. Rude ou Barye, ou Rodin à sa belle époque, ne sont pas faciles à imiter. Maillol, c'est si faible que bien des balbutiements de débutants lui ressemblent spontanément. En fait, il n'y a pas influence, il y a similitude dans le médiocre.

Excellente journée. Après ma longue séance de modèle : 2 h ½ à 7 h. Je me suis mis à la panthère du Dionysos[13]. Aucune fatigue. Fait hier soir un dessin pour une figure de Michel-Ange. Je crois que ça donnera quelque chose digne de lui. J'ai hâte d'avoir enfin fini le Cantique. Mais je ne le donnerai pas à mouler avant qu'il soit fini vraiment.

Fait la connaissance de Deluol, le protagoniste de la taille directe, et qui fait et refait indéfiniment le même groupe. Comment peut-il en être autrement avec système puéril, attrape-nigauds pour critiques d'art. Il venait me voir pour ce malheureux recensement. C'est un grand gaillard, long, maigre et noir. Plus tout jeune. La mauvaise qualité de ce qu'il fait est sans excuses, puisqu'il n'a même plus celle de la jeunesse. En voilà un qui aurait besoin de prendre de la graine dans mon livre.

 


[1] Marcel Landowski.

[2] Marcel Landowski.

[3] Eléonore Illiaquer.

[4] Roland Illiaquer.

[5] Nouvelle faculté de médecine.

[6] Sources de la Seine.

[7] Marcel Landowski.

[8] Bouchaud.

[9] Jacques Chabannes.

[10] Firmin Michelet.

[11] Nadine Landowski-Chabannes.

[12] Nouvelle Faculté de médecine.

[13] Nouvelle faculté de médecine.