Novembre-1950

1er novembre-4 novembre [1950]

Fait deux bonnes esquisses pour la Porte[1]. Rondes-bosses que je conserverai. Aujourd'hui, bon travail au buste de Ch[arles] Schneider. Je le fais avec grand plaisir. Le visage est très intéressant et l'homme, on ne peut plus sympathique et d'esprit très ouvert. Il a été aviateur pendant la guerre. À eu une conduite remarquable.

5 novembre [1950]

Cérémonie assez ridicule à l'église de Boulogne où nous prenons part au baptême du deuxième fils naturel de notre cuisinière, né d'un autre homme que son premier bébé. Et elle est déjà enceinte d'un troisième enfant, fruit de ses amours faciles avec un troisième. Nous sommes loin du temps où l'on fichait à la porte les petites bonnes qui souvent étaient engrossées par leur patron. C'est mieux, mais il ne faudrait pas aller trop loin dans l'indulgence.

Visite de Mme Darré qui vient me demander de faire le buste de son mari, le docteur Darré, mort il y a un an.

9 nov[embre 1950]

J'ai du mal avec l'esquisse Holocauste, dernier panneau à gauche de la partie supérieure de la Porte[2]. J'ai fait mon possible par un entraînement par la Chimère vers le bas, chute verticale. Ça ne remuait pas.

10 nov[embre 1950]

Rendez-vous avec Madeline chez moi pour l'encadrement de la Porte et des futures opérations de pose.

11 nov[embre 1950]

Les deux panneaux de droite sont placés depuis ce matin à leur hauteur. Ça va. Quelques détails à simplifier.

14 nov[embre 1950]

Commission administrative quai Conti. À quelques-uns, dont encore Duhamel et [...] nous attaquons la question des traitements de nos fonctionnaires, traitements qui sont augmentés par des pourcentages si irrégulièrement pris sur les fondations. C'est ainsi que le secrétaire perpétuel général de l'Institut touche 1 000 000 par an, plus son logement, son second à peu près la même somme, aussi le logement et 100 000 F d'indemnité pour son auto. C'est excessif, mais il paraît que ce sont les traitements des fonctionnaires de ministres auxquels ils sont assimilés. Au fond, tout ça est d'une irrégularité grave. J'aimerais savoir ce que reçoivent les secrétaires perpétuels? Mais ça c'est un mystère impossible à percer, un tabou.

15 nov[embre 1950]

Jugement des concours Roux. Faiblesse insigne. Aucune imagination. Pas de cœur dans ces quelques morceaux. L'enseignement est actuellement nul.

En séance, Boschot annonce triomphalement le succès financier de la fête du printemps dernier au musée Marmottan. Il ne manque pas de cynisme quand on se rappelle l'opposition à la fois méprisante, sournoise et effective qu'il fit à cette fête.

Après la séance, commission administrative de notre Académie. Le vrai Boschot se dévoile. Il s'agit de liquider la bibliothèque Marmottan. Apparaissent en arrière plan les lointains héritiers de Marmottan, avec lesquels Boschot est en relation et qui sont par lui tenus au courant. Il y aurait, affirme Fleuriot de Langle, une combinaison entre lui et les héritiers si l'on se rallie finalement à l'ultime clause du testament. Boschot prouve, il n'a pas de peine, qu'au prix actuel de toutes choses, la bibliothèque est une charge impossible. Je ne puis croire à la malhonnêteté de B[oschot], mais je crois, parce que je le vois, à son hostilité violente vis-à-vis de Fleuriot, à sa volonté de tout lâcher. Malgré bien des choses évidentes qu'il nous dit, j'ai l'impression quand même qu'on est roulé.

16 nov[embre 1950]

Le monument Méhémet-Ali réapparaît sous les espèces d'un téléphone de Mahmoud Bey. Il a reçu une dépêche du Caire. Donc nouvelle réunion la Xe je crois, au Continental pour samedi. Le temps que j'avise Gaumont et Niclausse.

Je fais visiter l'atelier à la secrétaire de l'ambassade du Chili qui me l'avait demandé.

17 [novembre 1950]

Donc entrevue n°X. Dix matinées où l’on s’assoit dans le hall du grand hôtel, autour de ce rusé tapir égyptien qui, paraît-il est turc, qui a été élevé dans un collège de Jésuites, mais qui n’en a pas moins deux femmes officielles, une française, qui est charmante et qui l’accompagne dans ses voyages, et une musulmane qui ne l’accompagne pas dans ses voyages, mais qui lui a donné deux enfants, ce que n’a pas fait sa femme française, ce qui est la raison du mariage avec la musulmane. Mahmoud Bey a trouvé, nous dit-il, la solution par le truchement d’une compagnie d’assurance qui moyennant, naturellement, un pourcentage, assurerait le monument et en garantirait l’achèvement auprès du gouvernement égyptien... Invraisemblable mais vrai. Et à force d’avoir discuté, laissé Mahmoud télégraphier au Caire, etc., nous allons finir par accepter.

19 nov[embre 1950]

Le jeune Tréboit me met au courant de la façon dont les choses se passent à son école des Arts appliqués. Ce n’est pas ce que je croyais. On les spécialise beaucoup trop tôt et même sans tenir compte des désirs des jeunes gens. Je désirais que le jeune Tréboit qui n’a que seize ans, qui désire être sculpteur, commence par l’orfèvrerie. On y apprend des techniques qui vous sont fort utiles ensuite. Ainsi d’ailleurs commençaient leur apprentissage les étudiants, apprentis plutôt, dans les ateliers du Moyen Âge, écoles conventuelles ou boutiques artisanales. Même en pleine Renaissance. Ainsi, Donatello et plus tard Michel-Ange débuta par l’orfèvrerie. Bien que Marcel Tréboit ait donc manifesté son désir, on l’a inscrit à l’atelier de sculpture sur bois où on lui fait copier des modèles de fleurs du XVIIIe! C’est bien absurde. On forme là de futurs ébénistes. C’est une déception pour moi aussi.

Visite ensuite de Halbout, Bizette-Lindet, Müller retour de Rome. Visite à la villa Médicis. Impression nette que les jeunes sculpteurs ne font rien. Gotard, sur lequel je comptais, file le parfait amour avec une belle jeune fille de Rome. Ce n’est pas une raison pour ne rien faire. Les ménages envahissent tout. Il y a plus de cent personnes habitant la villa. Quand j’y étais, il y en avait au maximum une trentaine. Même quand j’y étais comme directeur. Habitent même la villa les familles des bonnes des ménages des pensionnaires mariés. Belle comédie.

20 nov[embre 1950]

Je suis un peu agacé par des intermittences. Voilà quelque temps déjà. On me dit que c’est nerveux. Comme c’est facile.

Avec Gaumont, je vais à la compagnie d’Assurance l’Union, où nous reçoit un homme charmant, M. Denis Deneprou qui ne cache pas son étonnement du genre d’assurance dont Mahmoud lui a parlé! Il nous soumet un texte, nous fait un calcul de ce que nous avons à payer comme primes, etc. Puis nous allons au Continental, onzième séance, puis nous retournons place Vendôme.

Après-midi, bon travail.

21 nov[embre 1950]

Bon travail.

22 nov[embre 1950]

À l’École de médecine à propos d’un acompte que j’ai demandé. Ils ont modifié, sur l’avenant, mes évaluations de prix. Ils ont augmenté l’évaluation de la fonte, de sorte que si on prétend me payer poste par poste, je pourrai très bien être floué. Il me répond que c’est sans importance et je n’obtiens pas d’explication sur la raison de cette modification. Heureusement que mes établissements de prix demeurent.

23 nov[embre 1950]

Mauvaise nuit à cause de ces histoires dites nerveuses. Mais ça ne m’empêche pas de travailler à peu près mes dix heures quand je ne suis pas obligé de sortir.

Gaumont me téléphone. Je lui ai demandé d’aller seul à une nouvelle entrevue Mahmoud Bey et de Nepveu. Il semble satisfait. Le président Mahmoud, c’est certain, fait tout ce qu’il peut pour que les choses s’arrangent. Il est le premier furieux et dégoûté de l’attitude de ses compatriotes.

25 [novembre 1950]

Fini le buste Deyron. La famille est contente, moi pas.

26 [novembre 1950]

C’est, je crois bien, la XIIIe entrevue avec Mahmoud. Cette fois-ci je suis seul. Mise au point définitive du contrat. Cette fois, il n’est pas très correct, manque même de parole car il ne veut pas augmenter nos chiffres du montant de la prime d’assurance qui représente plus d’un million. J’ai horreur des discussions d’argent. J’ai cédé.

29 novembre [1950]

Je commence les études pour les grands motifs de la Porte[3] : le mystère de la vie et le mystère de la mort. Je fais un dessin de « la femme allaitant son petit ». J’ai un beau modèle, une jeune femme du monde, veuve d’un homme qui s’est imprudemment noyé. Elle vit seule, dans un appartement à Montmartre, et me raconte des scènes inénarrables auxquelles elle assiste auriculairement, à travers les cloisons.

À l’Institut, séance ridicule à propos du prix Bigot que la section d’arch[itecture] a enfin réglementé. Lemaresquier fait une intervention absurde à propos des retenues pour les fondations. Le président aurait dû ne pas le laisser parler à moins d’avis de l’Académie. Boschot, comme toujours, ne bronche pas. Et voilà que l’amiral Lacaze se met à raconter toutes les difficultés financière des l’Académie. Dit exactement tout ce qu’il faut pour dégoûter les donateurs futurs. Quels idiots.

Soirée à l’Opéra, gala en l’honneur du roi et de la reine du Danemark. On donnait la Damnation de Faust, programme que le roi avait demandé. Il suivait le spectacle sur la partition. Salle magnifique. Je rencontre à l’entracte Mahmoud Bey qui était furieux d’avoir du payer sa place, parce qu’on avait oublié de l’inviter. C’est en effet assez mufle. C’est un ami de la France et fait beaucoup pour elle en Égypte (et je ne pense pas au monument Méhémet), mais en voyant cette salle somptueuse, jamais l’image de la Danse sur un volcan ne m’a paru plus juste, quand on pense à tous les petits cratères qui fument à travers le monde.

 


[1] Nouvelle Faculté de médecine.

[2] Nouvelle Faculté de médecine.

[3] Nouvelle Faculté de médecine.