Cahier n°4
2 décembre [1917]
Thé chez Philippe Millet. Nous comptions apprendre des choses intéressantes, comme Philippe est au cabinet de Georges Leygues. Il y avait beaucoup de monde et nous n'avons guère pu causer. C'est même nous qui lui avons appris les grèves de la Loire (à ce point de vue, Clemenceau aura vite marché). Plusieurs hommes intéressants : un Anglais, conservateur d'un important musée en Angleterre, le député Bokanowski, intelligent. Le prince Mourouzy, le gouverneur des colonies Pierre Guesde, tête excessivement intelligente et énergique. Capitaine, il doit être un soldat remarquable.
3 décembre [1917]
Dîner rue de l'Université. Georges Lecomte était là. Charmante médiocrité. Il se confirme que des grèves sérieuses vont éclater dans la Loire. Dans le métropolitain nous rencontrons le sénateur d'Estournelles de Constant. Il rentrait d'un dîner à l'Élysée, clôture de la conférence interalliée. Tout le monde avait l'air assez piteux, m'a-t-il dit. On n'a pas pu arriver à s'entendre. On n'a rien décidé de sérieux, de décisif. Voilà ce qui apparaît de l'attitude des augures. Après quoi nous aurons demain deux ou trois discours où Clemenceau et quelques autres se battront les flancs en criant : "jusqu'au bout, jusqu'au bout !" jusqu'au bout de notre inertie. Nous avions une belle chance dans cette guerre. Mais depuis le premier jour la force de l'Allemand m'a moins inquiété que la médiocrité et l'insuffisance de ceux qui nous ont conduits.
Cahier n° 5
5 décembre [1917]
À déjeuner Thibésart et ses deux enfants, et Robert Ponnin. On ne change guère, en somme. Ils sont ce qu'ils étaient lorsque nous étions collégiens. Thibésart m'a montré l'autre jour chez lui de très remarquables études. Il a fait de gros progrès. Il a abandonné son genre sentimental "Henri Martin" ou "Le Sidaner". Ce qu'il fait est puissant. Il doit faire au printemps une exposition chez Georges Petit. Il aura certainement du succès. Un reproche. Comme je lui conseillais de mettre à son exposition quelques toiles assez importantes :
— Ah ! non, m'a-t-il répondu, ce n'est pas possible, car au-dessus de cette dimension ce n'est plus de vente.
Cet argument m'a un peu suffoqué.
À la fin de la journée, avec Lily, chez Georges Petit. Il y a l'exposition des "tout petits". Pauvre exposition. Elle a au moins cette franchise d'être [1] commerciale sans fard. Le panneau de Laparra est certainement le meilleur. La meilleure de ses toiles est celle des petits personnages vaguement persans dans un jardin traité en tapisserie. C'est bien. Les nus sont moins bien. D'une matière lourde. Je déteste ces femmes avec tous ces oripeaux sur la tête. Dégénérescence des Ballets russes. Quelque chose comme le Savetier du Caire. Les souvenirs des Ballets russes en chromo. Le "cocorico" des artistes du Château des Cœurs de Flaubert.
Dans la salle à côté, des lithos bien quelconques et quelques affreux dessins de Jonas. Celui-là et Scott nous auront d'avance bien dégoûtés de toute illustration de la guerre. Il n'y a pas lieu de s'étonner d'ailleurs que la guerre ne donne rien de beau, surtout directement. Ceux qui en rapporteront des croquis vrais, faits simplement, ceux-là seront intéressants. Mais il faut haïr ces Jonas et ces Scott qui se promènent en touristes, se font raconter des histoires du front, et les traduisent ensuite à la manière de nos journalistes bourreurs de crâne.
Fini la journée chez le bon Truchet. Je voudrais bien que l'affaire de Meaux s'arrange.
Les journaux apportent chaque jour des nouvelles de plus en plus graves de Russie, de Roumanie. Sur notre front, sur le front italien de grosses actions se préparent. L'initiative n'en vient pas de nous. Mon impression actuelle est que si nous sommes encore en guerre dans un an nous serons sauvés. Mais le danger est très grand. Cet hiver sera décisif. Aujourd'hui, anniversaire de notre mariage.
7 décembre [1917]
À déjeuner nos amis Millet. Ils devaient venir avec M. Mac Lagan, conservateur du musée de sculpture moderne de Londres. Celui-ci viendra un autre jour. Millet est très optimiste. Il dit avec raison que ce qui se passe dans la coulisse diplomatique est au moins aussi important que ce qui se passe sur les champs de batailles. En ce qui concerne nos difficultés d'unité d'action, un rôle néfaste serait joué par le généralissime anglais, qui fait la guerre absolument suivant la méthode de Joffre. Cela lui coûte terriblement cher et les résultats ne sont absolument pas en rapport avec les petits avantages obtenus. Il n'est pas trop pessimiste au sujet de la Russie. Il assure que Lénine est sincère. Si cela est vrai, jamais il n'arrivera à s'entendre avec les Allemands. Cela est certain. En tout cas, même s'il n'est pas sincère, il a dû pour réussir faire appel à des sentiments de vérité, à des doctrines qu'il sera obligé de mettre en pratique, sous peine de s'effondrer. Donc, impossible de s'entendre avec les Allemands. Attendons. Le moment que nous traversons est capital.
Je profite de ces journées d'attente (que Meaux soit officiellement décidé), pour étudier le difficile projet de monument à Wilbur Wright. Je suis de plus en plus gêné quand je travaille en collaboration. Mon vieil ami Bigot ne m'apporte pas d'idées bien intéressantes. C'est un excellent esprit critique. Quand on lui montre quelque chose, de quelque tendance que ce soit, il juge avec sûreté et vous donne toujours un conseil très libre. Mais lui-même, c'est très curieux, est très décevant dans ses recherches personnelles. Je pense à son concours du Palais de la Paix. Le plan en était parfait. Mais il a habillé tout cela de toute la banalité possible (faux Louis XVI). Navrante architecture d'exposition. Je pense aussi à son monument à Napoléon. Je ne m'arrête même pas à l'idée insensée de penser à un monument à Napoléon. Mais le monument lui-même est conçu de manière irréalisable, très belle gravure, eau forte, mais cela seulement. Voici maintenant notre monument à W[ilbur] Wright. Mon vieil ami n'apporte qu'obélisques ou colonnes doriques. Ce sont d'admirables éléments. Mais les Égyptiens et les Grecs leur ont fait dire tout ce qu'ils avaient à dire. Tout ce que l'on y ajoute ou tout ce que l'on y modifie ne fait que les abîmer. Que l'on fasse un obélisque, d'accord. Mais ne le surmontons pas d'une figure ailée. N'accrochons surtout pas une figure ailée à l'une des arêtes. Ce serait ridicule. Si l'on se décide pour le parti obélisque, faisons-le franchement. Qu'il soit colossal, et dans une merveilleuse matière. Sur le socle, nous pourrons sculpter et graver tout ce que nous voudrons rappelant Wright et son effort. Je cherche un parti franchement sculptural : l'homme volant avec les aigles. J'ai une esquisse qui ne fait pas mal. Mais c'est du symbolisme. Je ne suis pas enthousiaste. Demain matin je cherche un nouveau parti, dans l'esprit du monument Jacquard. Ce sera le parti le meilleur, certainement. Sorte de stèle commémorative.
8 décembre [1917]
Je continue à profiter de la liberté qui m'est laissée en attendant ma nomination à Meaux. L'état de guerre est devenu un état permanent. Chacun ne peut s'empêcher de revenir à ses principales préoccupations. De même qu'à Genève j'ai travaillé avec plaisir, c'est avec plaisir aussi que je travaille en ce moment. Le plaisir serait plus grand si je travaillais à un projet réellement intéressant. Ce thème de l'aviation, est un peu un rébus. Le vol, c'est-à-dire, légèreté, mouvement, voilà un phénomène peu exprimable en sculpture. Ma façon de concevoir la sculpture se prête peu à ce genre d'allégories. Quoi qu'il en soit, me voici, dans mon atelier avec huit projets. Mon atelier a l'air d'une salle d'exposition d'un concours. Deux ou trois bonnes idées, je crois :
1. "L'Homme qui a conquis les ailes". Ce n'est pas une figure qui vole. L'homme marche, tenant dans la main droite levée deux ailes immenses. Actuellement le projet est un peu froid.
2. "L'Homme volant avec les aigles". Dans un tourbillon de nuages un homme vole avec trois aigles. Cela donne une esquisse assez vigoureuse. Projet un peu théâtral. Susceptible également de donner quelque chose, mais donnera beaucoup de mal à l'exécution. En ce moment, il y a trop de pointes, à cause des aigles et des becs des oiseaux. Ce sera difficile à arranger.
3. "Figure volant sur la terre", serait bien en bibelot. Ne mérite pas l'exécution monumentale.
4. Projet dans l'esprit du monument Jacquard. Un borne monumentale, avec la statue de Wright. Le couronnement est un Condor des Andes, le roi des oiseaux planeurs. S'il s'agissait uniquement d'un monument Wright, ce serait bien. Mais le monument est d'abord "Aux précurseurs de l'Aviation en France et à la mémoire de Wilbur Wright". Il faut donc une idée générale dominante.
M. d'Estournelles de Constant devait venir voir tous ces projets aujourd'hui. Mais il est souffrant. La visite est remise.
Dîner chez les amis Gregh. Fernand Gregh me montre une très belle édition de luxe de son volume de vers la Couronne douloureuse. À dîner avec nous E[rnest] Lafont et sa femme. Lafont me confirme qu'à son retour de Russie, il a avec A[lbert] Thomas, Cachin, Moutet dit et redit sur tous les tons le danger maximaliste si l'on voulait trop pousser la Russie à une guerre active. Le problème était terriblement difficile. C'est dans les cas difficiles que les hommes de génie se révèlent. Il ne s'en est réellement pas révélé parmi nous. Zina Lafont raconte une visite qu'elle faisait à Kerensky. Quelqu'un lui disait : "Vous avez supprimé la peine de mort, mais vous serez obligé de la rétablir." Kerensky devint tout pâle : "Jamais, dit-il, j'aimerai mieux disparaître." Ce trait peint bien la sincérité de cet homme. La chose est affreuse à constater. Son échec semble provenir de son désir absolu de se conduire d'après ses théories. Zina Lafont raconte d'autres histoires de la Révolution, des anecdotes de paysans d'où il ressort surtout le caractère primaire de ces pauvres gens. Si des hommes comme Lénine, comme Trotsky sont des misérables sans excuses, ceux qui les suivent en ont beaucoup. Derrière cette révolte d'illettrés, il faut voir dix siècles d'oppression et d'injustices qui se vengent. Mais dans le succès de Lénine il y a autre chose, une pensée qui est au fond de tout Russe et qui a échappé à Zina Lafont, au cours d'une discussion avec Gregh : "Ah ! oui les Russes, des masses pour se faire tuer !" Hélas ! Ils ne sont pas les seuls. Mais c'est là, le point de vue maximaliste. Il n'aurait pas fallu laisser cette phrase sans réponse.
11 décembre [1917]
Suis passé chez Georges Petit pour lui dire qu'en janvier je ferai reprendre les bronzes que j'ai mis chez lui. Dans le vestibule je trouve mon petit David[2]. G[eorges] P[etit] me dit que c'est M. Cahen d'Anvers qui l'a mis là pour le revendre ! Trouvé là le docteur Ch. de Vichy accompagné de W. Puis revu quantité de camarades, Bompard, Lauth, Carrier-Belleuse, Bagnet. Tout ce monde préparait l'exposition de l'Internationale qui ouvre demain. Il n'était arrivé encore qu'un buste, celui de Clemenceau, par Sicard. Très mauvais. Dans la salle il restait les dernières pièces d'une grosse vente. Parmi elles, un bronze de Maillol, plus que mauvais. Faible figure d'École. Et tous ces imbéciles qui trouvent ça moderne. Cela c'est vendu 6 000 F. Georges Petit lui-même en était indigné. Il disait encore à Carrier-Belleuse qu'il vendait énormément :
— Hier, disait-il, il y avait là au moins 200 000 F en billets.
Passé chez Truchet. Mon affaire traîne. Mais je travaille à la maison. Mon esquisse W[ilbur] Wright approche de son terme.
Les journaux du soir nous apprennent que des poursuites sont engagées officiellement contre Caillaux. On a raison de juger ces gens-là. Il faut absolument que l'on sache la vérité sur toutes ces accusations. Ce qui est par-dessus tout déplorable dans toutes ces affaires c'est l'importance qu'on leur a laissé prendre. Il semble que cela ait été fait à plaisir. Les réactionnaires qui jusqu'à ces derniers temps dirigeaient la censure laissaient tout passer par perfidie. Le gouvernement laissait faire, offrant les scandales comme un dérivatif à la vraie situation d'ensemble, si peu satisfaisante, si angoissante, dont nos gouvernements sont si responsables, avec les alliés.
12 décembre [1917]
Travaillé à l'esquisse Wright, dans mon grand atelier, toujours sans feu. C'est le projet de "l'Homme volant avec les aigles", qui prend l'avantage. Je l'ai beaucoup amélioré, simplifié. Mis en place encore une autre esquisse. Une figure marchant tout droit, sans geste, dans les nuages. Les nuages sont disposés de manière que les deux pieds ne portent sur rien. De sorte que l'homme marche dans l'air. Je crois qu'il y a là une idée très bonne et assez impressionnante.
Depuis le mois d'août de l'année dernière, je me suis remis au plan et aux dessins de mon monument au Héros, que j'avais commencé aux Voirons pendant les semaines qui ont précédé la guerre. Ces premiers dessins ont été perdus. Le mal est largement réparé. Pendant plus d'une année j'ai travaillé à ces nouveaux dessins. Je les ai recommencés un nombre de fois incalculable ! Á Genève, j'ai pu y travailler avec suite, après mes journées au monument de la Réformation. Mon affaire a pris là son définitif essor. Malgré ma vie militaire j'ai pu y travailler à Paris. Le soir, en rentrant, je me précipitais sur mes papiers, comme un bureaucrate romancier doit , en rentrant de son bureau, le soir, se jeter sur ses bonnes feuilles. De bonnes heures se sont englouties là, et de nombreuses journées de dimanche. Maintenant c'est à point. Ces dessins m'ont fait négliger mes notes journalières. J'y reviens maintenant avec plaisir.
J'avais d'abord cherché ce monument au Héros comme une sorte de cloître, sans destination précise, sorte de lieu où l'on serait venu se promener et méditer. Je l'imaginais construit sur quelque colline, où dans une île, au milieu d'un beau paysage. À la réflexion cela n'avait pas grand sens. Il aurait eu son sens si le cloître avait servi de tombeau à quelque grand penseur. Ainsi j'en suis venu à trouver la destination de cette sorte de mes synthèses de mes idées. Ce monument au Héros, ne serait pas la tombe d'un héros déterminé, il serait[3] une chapelle funéraire, le lieu où tout grand homme après sa mort serait exposé en attendant le jour des funérailles. Je le vois donc très bien construit auprès d'un Panthéon.
Cette chapelle aurait donc un peu plus de 1 000 mètres carrés. Exactement, d'après mes plans et mes dessins 1 150 m/, si elle était construite rigoureusement d'après eux. La hauteur totale du monument serait de 10 m 70. Je vais le décrire comme s'il était réellement construit.
Ce monument se présente sur un plan presque carré. Il n'est pas très haut. Pas d'ornement extérieur. Pas de décoration inutile. Se sont de grands murs, portant juste les ouvertures nécessaires. Pas d'œuvres d'art non plus, sauf la Porte de Bronze de la façade et le cortège des Porteuses de Fleurs.
La façade principale se présente donc sur une longueur de 34 m et une hauteur de 10 m 70. Deux tours carrées à droite et à gauche, un peu en retrait. Les fenêtres de la tour de gauche par rapport au spectateur, indique que c'est la tour d'un escalier. La tour de droite est percée d'une porte petite, elle doit comporter une pièce à son premier et unique étage. Au centre une grande porte de bronze à laquelle on accède par un escalier de cinq marches. Á droite et à gauche de la porte, deux grandes théories de femmes, portant des fleurs, marchent vers la porte, semblant faire partie du cortège qui vient d'entrer, et attendent leur tour d'aller porter leur offrande. Ces figures en pierre, de la même pierre que les murailles, ont deux mètres de hauteur. Leur théorie[4] s'étale de part et d'autre de la porte sur environ 9 à 10 mètres de longueur.
La porte de bronze a 4 mètres de hauteur. Chaque battant a 1 m 90. La largeur totale de la porte a donc 3 m 80. Cette porte est divisée en panneaux qui se composent par zones. Et voici la description des sujets en commençant par le bas :
La première zone est principalement ornementale. Les motifs traités en fortes saillies sont pris dans la faune et la flore sous-marine. Cette zone forme en quelque sorte le socle de la porte.
Dans la zone suivante, on voit des monstres, des fauves[5]. Des lions géants s'entre-dévorent. Des crapauds sont accouplés. Tout le bouillonnement monstrueux de la vie de la terre, sans amour et sans haine, sans joie et sans douleur avant l'apparition de l'Homme.
Troisième zone : c'est la Naissance de l'Homme et de la Femme. Ils apparaissent au milieu des plantes, semblent sortir de la terre comme ces plantes et s'éveillent. Avec eux l'amour et la douleur apparaissent sur la terre. Un couple humain joue avec son petit. L'enfant à été tué. Avec terreur ils s'approchent, s'inclinent, osent à peine toucher le petit corps. Première rencontre de l'Homme avec la Mort.
Quatrième zone. C'est l'histoire des premières luttes des hommes pour vivre. Les seuls ennemis sont les éléments. Des hommes travaillent à la terre. Le Feu les chasse. C'est la lutte contre l'eau, le froid des Nuits.
Cinquième zone. L'intelligence de l'Homme a vaincu toutes ces forces. Le feu a été conquis. L'Homme sait le faire naître, le conserver dans de précieux foyers. C'est le premier Dieu. La Femme en est la gardienne fidèle. Statue de droite. Par le Feu l'Homme a acquis tous les biens matériels. C'est l'âge d'or. Des hommes reviennent des champs. Des jeunes gens conduisent leurs troupeaux. Des jeunes filles cueillent des fleurs et chantent. Un vieillard conte. Mais si l'Homme a conquis les biens matériels, il a appris aussi à travailler les métaux et le Fer. Statue de gauche.
Sixième zone. Et l'Homme industrieux rencontre son pire ennemi qui est lui-même. La guerre est descendue sur la terre.
Maintenant j'imagine un jour de cérémonie. La grande porte de bronze est ouverte. Le peuple entre pour aller voir le grand Mort dont la dépouille est exposée dans la salle funéraire. En même temps que lui, les deux théories semblent entrer dans le Temple.
On arrive d'abord dans un long vestibule. Il a six mètres de large, vingt-quatre mètres de long. Juste en face de la porte un grand groupe : les Funérailles du Héros. Porté par six figures drapées et voilées, précédées par deux porteurs de flambeaux, le Héros est étendu, les yeux clos. Au-dessus de sa tête une femme joint les mains, éternelle suppliante. Ce groupe est en pierre, de la même pierre que la muraille du vestibule. Il se présente sur un socle assez bas. Les figures ont deux mètres de proportion environ.
En passant devant ce groupe on se dirige vers la gauche et l'on trouve une porte basse qui donne accès dans la salle du Temple [6]. C'est une grande salle carrée. Elle a neuf mètres de haut. Elle est éclairée par des vitraux dont l'harmonie est faite[7] de bleus, de jaunes, de blancs, de verts. Le plafond plat est entièrement recouvert d'une mosaïque monochrome vieillotte[8]. Les vitraux et le plafond forment un ensemble très richement coloré qui commence à cinq mètres au-dessus du sol. La nuit, l'éclairage est obtenu, ainsi que pendant les journées sombres, par des rampes de lumières électriques faisant tout le tour du plafond, encastrées dans le plafond même et tamisées par des lames minces de marbre jaune. Les murs depuis le sol jusqu'aux vitraux sont entièrement criblés de sculpture. Le point central de chaque mur est occupé par une statue principale, de grande dimension. Chaque mur porte un nom, celui de cette statue principale.
Le mur de gauche en entrant s'appelle le Mur de Prométhée. Prométhée[9] au centre s'y dresse, enchaîné à son rocher. Mais sa tête est levée et son poing droit, malgré ses chaînes, est dressé dans le ciel. Éternelle menace de la Pensée contre la Force.
Le Mur suivant s'appelle le Mur du Héros. La statue en marbre du Héros en forme le centre. C'est la figure d'un tout jeune adolescent excessivement beau. Il marche, sans un geste, les deux bras tombant le long de son corps, sa jolie tête bien droite, le regard droit devant lui. Il va à son but, sans armes, avec sa seule beauté.
Le Mur de droite s'appelle le Mur du Christ. Le Christ héros d'amour et de résignation en face de Prométhée, héros d'amour et de révolte.
Ces trois statues sont les trois grands points centraux de la salle. Il y en a un quatrième. C'est le catafalque sur lequel le grand Mort est étendu, placé presque au centre de la salle. Ce catafalque est excessivement simple. C'est un monolithe de porphyre rouge poli. Il est bas. Son plan supérieur est légèrement incliné. Le peuple qui défile devant peut voir facilement pour la dernière fois le visage découvert du Héros mort.
La foule s'est écoulée. C'est la nuit. L'éclairage est diminué. J'imagine les quelques personnes qui sont restées auprès du Mort. C'est le grand silence. Le Mort est là, les yeux clos, endormi pour toujours. Quel qu'il soit, penseur, philosophe, poète, artiste, savant. La voix pour toujours s'est tue. Sa pensée s'est éteinte pour toujours. Mais non. Tout le sens de sa vie est écrit-là, sur ces murs [10]. Voici ce qu'y lit celui qui en fait le tour :
D'abord, formant la base, au niveau du sol, en quatre grandes frises, les sombres étapes de la vie des peuples, fléaux que les hommes ont créés, et que ceux qui sont là ont cherché à détruire. La Guerre et l'Esclavage, les Bûchers, la Misère [11], d'un côté. Au milieu de ces frises basses de la douleur, Prométhée dresse son poing vengeur. En face, Jésus étend ses bras crucifiés [12]. Tout cela est sculpté dans la même pierre que les murs. Semble en sortir. Mais derrière la tête du Mort, la jeune figure du Héros se dresse, dans la blancheur du marbre, image de l'âme éternelle héroïque, heureuse, joyeuse, triomphante, sûre de la victoire, quand même de la beauté et de la bonté. Elle semble jaillir, cette jeune figure du fond tumultueux du mur sculpté. Elle relie le présent - le Mort pleuré aujourd'hui - au plus lointain passé, plus lointain que la lointaine histoire. Il est l'âme du Héros mort, étendu sur la dalle de porphyre, il est l'âme de tous ceux qui sont là, tout autour, sur les deux murs de Prométhée et du Christ, il est l'âme de Prométhée et de Jésus, il est l'âme de tous ceux que la légende a transformés en demi-dieux. Krishna, le tueur des monstres, qui enseigna la danse et la musique, Zoroastre qui chanta la victoire de la lumière, Horus vengeur d'Osiris, Samson, Orphée, Hercule, Siegfried, Parsifal le chevalier. Ce sont les Héros dont l'histoire est sculptée sur ce mur du Héros.
Voici ce qui est sculpté[13] par assises et se continuant en une frise ininterrompue sur les murs de Prométhée et du Christ. Hésiode chante. Isaïe est conduit au supplice. Le vieux Thalès de Milet enseigne aux pêcheurs l'art de conduire leurs barques, la nuit, d'après les Astres. Voici Solon, le sage. Ayant doté Athènes d'une constitution libre, il quitte sa ville. Voici Shâkyamuni. La légende raconte que Shâkyamuni, jeune, heureux, rencontre dans ses promenades un vieillard sans soutien, un homme gravement malade, un mort abandonné. Il comprit la douleur humaine, quitte son foyer et[14] devient le "Bouddha" celui qui apporte aux hommes le Secret du Bonheur. Et voici Confucius allant de ville en ville, prêchant le travail. Pythagore est obligé de se défendre devant le sénat de Crotone. Le vieil Eschyle, accusé à son tour d'impiété, montre à ses juges, comme plaidoirie, ses blessures de Salamine, Hippocrate guérit les malades. Phidias, accusé de vol, meurt en prison. Socrate reçoit la ciguë de son geôlier qui pleure, et Platon son disciple fonde l'Académie. Aristote fuit Athènes. Archimède est tué par un soldat quelconque. Épictète, esclave[15], Apollonios de Tyane, comme un prophète, guérit les malades à la porte des villes ; Marc Aurèle[16], dans sa tente, à Carnonte, écrit ses Pensées, et saint Jean-Baptiste hurle à Hérode l'indignité de sa vie. Saint Paul pourchassé par les juifs, saint Martin[17], qui ne craignait pas de prendre lui-même la défense des païens condamnés, Pélage qu'indignait la doctrine de la grâce, défendant sa pensée contre saint Augustin[18], Averroès, le philosophe de Cordoue, chassé de Cordoue, privé de ses biens, à cause de la liberté de sa pensée. Et le bon saint François d'Assise, que ses compatriotes rapportent moribond dans sa ville natale, pour avoir "les reliques d'un saint". Roger Bacon, qui passa presque toute sa vie en prison et qui disait en mourant : "Je me repens de m'être donné tant de mal pour détruire l'ignorance des hommes". Une foule pieuse porte en procession la Madone de Cimabue. Dante exilé. Michel-Ange fuyant Rome, indigné de n'avoir pas été reçu par le pape, est rattrapé par les envoyés du saint Père et ramené à Rome presque de force. Et voici G[iordano] Bruno brûlé par les catholiques, Michel Servet brûlé par les protestants. Spinoza excommunié par la Synagogue. Franklin reçu par la Convention et Condorcet accusé par la Montagne. Lazare Carnot conduit les armées révolutionnaires. Beethoven, malheureux, mourant. Victor Hugo, chassé de France. Le vieux Tolstoï, se décidant, tout à la fin de sa vie, à fuir son foyer, emporté par cette force irrésistible : le désir de vivre en accord avec lui-même[19].
D'époque en époque, des chants se sont élevés sur la terre qui sont comme les versets d'une Bible commune, chants des Védas, de la Bible, des Eddas. À l'origine des temps, le couple aryen adore l'Aurore (premier groupe : l'Hymne à l'aurore). À genoux l'un devant l'autre, dans un geste d'adoration religieuse, le jeune homme du Cantique des cantiques et la Sulamite s'étreignent (deuxième groupe : le Cantique des cantiques). À côté de sainte Claire assise, saint François debout, improvise le Cantique des Créatures ( troisième groupe).
Ces trois groupes, en marbre, se détachent sur les Hymnes dont le texte est gravé sur le mur : "Adorons cette lumière de la divine Aurore. Puisse-t-elle élever, purifier nos âmes", chante le couple aryen. "La pluie est passée et s'en est allée, les Fleurs paraissent sur la terre, viens, mon bien aimé : l'Amour est fort comme la Mort", dit la jeune fille à son bien aimé. "Loué soit Dieu, mon Seigneur, à cause de toutes les Créatures et principalement à cause du Soleil", chante saint François.
À travers les Siècles et les Espaces toutes ces voix se rejoignent. De ces souffrances, de ces luttes, de ces supplices, de ces défaites, de ces victoires depuis Krishna le tueur de monstres jusqu'à celui qui est étendu sur la dalle funèbre, la même pensée descend vers les hommes : "Aimez".
13 décembre [1917]
Monsieur d'Estournelles de Constant devait venir voir l'esquisse du monument Wright. Il est souffrant et n'a pu encore venir. Bigot est venu. Mon esquisse "l'Homme qui vole avec les aigles", à laquelle j'avais beaucoup travaillé, lui a plu beaucoup. Elle commence en effet à faire très bien. Je suis content ce soir. Nous sommes d'accord. Lily est aussi fort contente. Espérons que M. d'Estournelles de Constant comprendra.
14 décembre [1917]
Travaillé à l'esquisse W[ilbur] Wright. Mais je n'ai plus grand chose à y faire. Je la reprendrai si M. d'Estournelles de Constant l'accepte définitivement. Telle qu'elle est, elle offre des difficultés pour l'exécution en pierre. Mais au moyen d'une aile d'aigle ce sera arrangeable.
Dîner chez les parents de Lily. M. Cruppi me parlant de ce qui se passe à la Chambre me dit que Clemenceau agit bien et énergiquement. Quelques gens qui se sont montrés incapables, comme M. Sembat, critiquent l'action entreprise contre Caillaux. J'approuve cet acte qui met définitivement hors de la course et clôt enfin la carrière politique de cet agité ! Quant à la situation militaire on aurait renoncé à toute action offensive de grande envergure, comme de petite. On aurait décidé d'attendre l'inévitable poussée que vont tenter les Austro-Allemands. Le général Pétain est l'homme de cette guerre-là. Les Allemands s'y feront massacrer. Après, la paix viendra vite et dans de bonnes conditions.
Après le dîner, Mme Long [20] nous a joué du Debussy. Il paraît que Debussy est mourant d'un cancer à l'estomac. C'est un homme qui certainement laissera sa petite trace. Je ne crois pas que cette trace persistera longtemps. Son art est fait trop uniquement d'intelligence, rien de profond, d'ingéniosité, le type de ce que Tolstoï appelait l'art inutile.
Ensuite Mme Long nous a joué la Sonate à l'Aurore de Beethoven. Voilà un sommet.
15 décembre [1917]
À déjeuner l'ami Millet avec M. Mac Lagan, conservateur du Kensington musée de Londres. Il a été très emballé de ma statue de Carpentier.
Ma petite Nadine est rentrée, épanouie du lycée. Elle accourt dans notre chambre et me crie :
— J'ai deux bonnes nouvelles à vous annoncer. Je suis première en sciences, et j'ai 10 en géographie !
Elle saute en l'air, embrasse tout le monde.
16 décembre [1917]
Bouglé est venu voir l'esquisse de Wright. Il en est enchanté. Je lui ai montré le cahier bleu [21]. Il m'a paru tellement intéressé.
M. d'Estournelles de Constant est sérieusement malade. Nous avons décidé avec Bigot de faire mouler l'esquisse.
17 décembre [1917]
Journée sans travail. Déjeuner chez l'oncle Max [22]. Il forme un album des cartes que Jean[23] leur envoie d'Italie. Le petit a l'air enthousiaste. Il a traversé les Alpes à cheval "suivant Annibal" écrit-il.
Rendu visite à M. Cormon. L'ai trouvé toujours aussi cordial, bon et sympathique dans son bel atelier. Il travaille, fait des portraits. Il a terminé sa grande toile qu'il avait commencée pour le nouveau Luxembourg. Sujet : Les Funérailles d'un chef ? Il était tard et il faisait presque nuit. Il m'a semblé qu'il y avait là de très bons morceaux.
Chez Truchet où je ne trouve que Mme Truchet. Elle m'annonce le retour de Guirand sans doute pour après-demain.
Galerie Devambez. Une salle d'horribles Lévy-Dhurmer. Ah ! Le mauvais et peu sincère artiste ! Mérite-t-il seulement le nom d'artiste ? Je vois, avec Vauxcelles, les nouvelles salles d'exposition. L'éclairage doit en être bien mauvais pendant la journée. Je n'enverrai pas là de choses bien importantes.
En partant je passe rue La Boétie. Deux magasins exposent de beaux Rodin. L'Eve, l'Âge d'airain, l'un des Bourgeois de Calais. Dans les salles du haut, une très belle épreuve de l'Enfant prodigue et de la Source. Mais sur les murs et à côté d'un très bon Forain, un Rousseau (Le douanier), et un Matisse s'étalent, contents d'eux, aussi mauvais l'un que l'autre. Ce sont choses dont on ne devrait même pas parler. Mais les prix auxquels on les vend (10 000 [F] le Rousseau, 25 000 le Matisse) forcent de dire combien on trouve cela mauvais.
À côté, chez Danthon, une exposition d'ensemble de Rodin. De fort belles fontes. Toute son œuvre que l'on connaît. Une chose que je ne connaissais pas, l'étude du nu de Balzac. C'est[24] tout à fait curieux. Excessivement audacieux et puissant. J'aimerais revoir le morceau définitif, celui que refusa la Société des Gens de Lettres. Pas mal de dessins aux murs, dont certains très intéressants. Malgré tous les défauts, personne ne peut nier qu'il y avait là du génie. Dans les Bourgeois de Calais il égale Donatello. Je regardais avec soin la figure de l'homme qui porte la clef. C'est tout à fait très beau, complètement beau. C'est d'ailleurs à Donatello que Rodin s'apparente le plus directement. Et cela il ne le cherchait pas. Quand il cherche à égaler Michel-Ange il devient mauvais. Ainsi son Penseur, son Esclave ne sont que d'emphatiques démarquages du Pensieroso et de l'un des esclaves destinés au tombeau de Jules II.
M. Cormon m'a demandé pourquoi je ne me présentais pas à l'Institut. À la dernière élection il a demandé à Widor s'il n'y avait pas de lettre de candidature de moi. Je lui ai répondu que je désirai me présenter à l'Académie après avoir eu une exposition très sérieuse et très importante.
Cormon me raconte à propos de la Révolution russe le fait suivant, rapporté par un officier échappé de Russie. Les soldats de ce régiment ont attaché leurs officiers par groupes à des autos et les ont écartelés. C'est affreux. Mais je pense : Combien de siècles d'oppression derrière ces horreurs !
18 décembre [1917]
Commencé les esquisses de l'Institut de géographie. Je ne crois pas que je vais pouvoir travailler longtemps encore. Le camouflage va me reprendre.
[1] . Le manuscrit porte : "nettement", raturé.
[2] David combattant.
[3] . Le manuscrit porte : "devient", raturé.
[4] . Le manuscrit porte : "cortège", raturé.
[5] . Suivi de : "toute la vie sur la terre avant l'apparition de l'homme. C'est la vie animale", raturé.
[6] . Suivi de : "Le vestibule, comme la salle centrale est éclairé à la lumière artificielle", raturé.
[7] . Le manuscrit porte : "obtenu par", raturé.
[8] . Le manuscrit porte : "d'un mosaïque monochrome vieillot".
[9] . Précédé par : "La statue de", raturé.
[10] . Suivi par : "Ils semblent s'animer. Ce sont d'abord du fond des siècles. Les murailles semblent devenir réellement une foule. D'abord les fléaux affreux que les hommes ont crées, sombres étapes de la douleur et de l'évolution humaine", raturé.
[11] . Suivi de : "tout ce que l'homme depuis toujours a souffert", raturé.
[12] . Suivi par : "dans un geste [...] ce geste semble un geste d'accueil, le Héros, marbre blanc, avance de sa démarche sûre, et sur l'autre mur, tout autour, les pierres s'animent. Du fond des siècles, tous ceux qui se sont penchés sur la misère des hommes, tous ceux qui ont pensé, peiné, souffert, viennent chercher celui que l'on veille." Raturé.
[13] . Suivi de : "en frises étagées", raturé.
[14] . Suivi de : "passe sa vie à chercher le moyen de donner le bonheur aux hommes, par la sagesse." Raturé.
[15] . Suivi de : "se relève de sa besogne et regarde ses compagnons..." Raturé.
[16] . Au lieu de : "et voici le sage Marc Aurèle," raturé.
[17] . Suivi de : "le doux saint Martin," raturé.
[18] . Au lieu de : "saint Augustin qui la défendait," raturé.
[19] . Suivi par : "Voici ce que raconte les Murs à droite et à gauche du Mort... Mais derrière sa tête, la figure du jeune Héros, toute blanche, semblant plus blanche encore, à cause de la lumière diminuée, semble l'affirmation de l'éternelle jeunesse de la pensée, de la victoire certaine de la beauté. Elle semble à la fois sortir de lui et sortir du fond tumultueux du mur sculpté. Elle relie le présent à un passé plus lointain encore que la plus lointaine histoire. Il sort des assises de la légende. Il est le Héros Mort. Il est aussi Krishna et Zoroastre, Osiris, Horus, Samson, Orphée, Hercule, Siegfried, Parsifal, tous ces hommes, moitié Dieux, hommes transformés par la fable avec grâce ou colère, noyés dans les rayons du récit populaire, Archanges, demi-dieux, chasseurs d'hommes, Héros des Edddas, des Veda et des [...]. En face de ce Mur, le Mur les Hymnes. Trois groupes en marbre : L'Hymne à l'Aurore (chant des Veda) ; le Cantique des cantiques (l'amour païen) ; le Cantique des Créatures (saint François d'Assise et sainte Claire). Trois hymnes d'adoration à la Nature, à la Vie, à l'Amour de ma Vie. Ces hymnes sont gravés dans la pierre. Ils sont comme les chants même de l'humanité. Ils disent aux hommes, malgré leur détresse, malgré leur misère : "Aimez". Tout cela demanderait à être écrit avec soin, revu et écrit avec soin. Le sujet en vaut la peine." Raturé.
[20] . Marguerite Long.
[21] . Le cahier bleu renferme tous les projets de ce qui sera le Temple de l'Homme.
[22] . Maximilien Vieuxtemps.
[23] Jean Vieuxtemps.
[24] . Suivi de : "évidemment", raturé.