Novembre-1917

Cahier n°4

25 novembre [1917]

À déjeuner aujourd'hui chez Ladislas, Louis Vauxcelles, sa femme, sa fille. Plaisir à le revoir, malgré son parisianisme. C'est un des critiques les plus intéressants. Après déjeuner venu à l'atelier. A beaucoup aimé le Carpentier[1] (bien que cet agrandissement soit insuffisant). Il organise une exposition où je mettrai quelques [...] bronzes. J'espère qu'il en vendra.

Je n'ai pas écrit depuis longtemps. Tout mon temps libre, je l'ai employé à dessiner mon projet de monument au Héros. Vieux projet de plus de dix années ! (En faire tranquillement une description.)

Événements personnels intéressants depuis un mois : peu intéressants. Beaucoup remué. Vais être probablement envoyé à Meaux pour diriger un atelier de région. Déjeuner avec comte Boni de Castellane qui m'a promis de magnifiques commandes d'Américains millionnaires... ?

Événements généraux : défaite italienne. Évolution de la Révolution russe par la chute de Kerensky, l'avènement de Lénine et de la bande de fous furieux. Chute de Painlevé. Avènement de Clemenceau. Chaque jour apporte un fait énorme, gros de conséquences. Ce qui me frappe le plus au milieu de tout cela, c'est la sérénité avec laquelle chaque nouvelle, quelle que soit sa gravité est acceptée. On est résigné. Chacun a l'air de penser et pense réellement : "Tout ça n'a aucune importance, puisque ça finira bien." Un peu comme dans un roman où on ne se laisse pas aller à l'émotion parce que l'on connaît la fin. Extraordinaire état d'esprit.

Rodin est mort. J'aurais voulu pouvoir aller à son enterrement.

J'oubliais de noter la rencontre avec Bergson, chez Bouglé. Un petit bonhomme à grosse tête, l'œil extrêmement vif[2].

 


[1]    Le Pugiliste.

[2]    . Suivi de : "Donne plus l'impression d'une très grande valeur que d'une intelligence puissante", raturé.