Cahier n°18
6 [novembre 1923 Casablanca]
Après avoir un moment pensé revenir par Alger, je me décide à revenir par Lisbonne. Cela me fait gagner beaucoup de temps. J'ai hâte d'être rentré. Lily me télégraphie que Lélio demande encore de l'argent ! Je suis vraiment dans une période de guigne !
7 [novembre 1923 Casablanca]
Retour de Rabat où j'ai été voir le général Calmel. Journée perdue. J'aurais mieux fait de rester et travailler encore aux bas-reliefs qui demandaient quelques petites retouches. À toute œuvre il manquera toujours deux heures de travail de plus. Je pars demain. Content de rentrer. J'ai fait avec Brette une dernière promenade dans les rues arabes. Je n'y suis pas allé souvent ce mois-ci. Nous avons pris nos dernières tasses de thé à la menthe.
8 [novembre 1923] à bord du Volubilis
Ma résistance au mal de mer est bonne. Le bateau fait continuellement des X alternativement renversés avec l'horizon. Froid. Je suis triste. Je suis fatigué. Je reviens vers la cohue, la foire sur la place où l'on a de temps en temps la sensation de tout le temps qu'on perd. Mais comme le maillon de la chaîne d'un engrenage, on repart. Ce n'est pas seulement le temps d'achever, de parachever son travail, qui manque, c'est presque le temps de penser à ses actes, à ce qu'on dit, ce qu'on devrait dire. Glissement vers l'à-peu-près en tout. Il faut réagir avec force. Autrement je suis perdu. Que d'efforts depuis quelques années, mais je n'ai rien réalisé de vraiment important. Le concours de Rio a été une formidable erreur, puisque je n'ai pas réussi. J'aurais dû mieux juger Dubra, qui n'est rien du tout qu'un brave garçon. Et me voici, ayant entrepris de grandes choses et n'aboutissant pas. Les trois mois consacrés à ce concours, si je les avais consacrés au Bouclier, le Bouclier serait fini, et au lieu de voir juste, à l'Arc de Triomphe cette pauvre chose décorative de Brandt[1], c'est le mien qu'on y aurait porté. Je n'ai à m'en prendre qu'à moi-même.
11 [novembre 1923 Boulogne]
Le temps affreux avait retardé le bateau. Je n'ai rien pu voir de Lisbonne que nous avons traversé sous une pluie battante.
En rejoignant la maison, j'avais une triste impression. Heureux de retrouver tout mon monde, anxieux des nouvelles qui m'attendaient. Quand on est dans la période des ennuis, pas de raison pour que cela s'arrête. Heureusement que les embêtements ne peuvent pas s'inventer. En fait je n'en ai trouvé qu'un, mais contre lequel nous pourrons réagir. C'est la mauvaise mine de Lily. Je l'ai trouvé maigri. Il ne faudra plus nous séparer si longtemps.
Je suis allé à l'atelier. J'ai revu le Mur du Héros. Je suis vraiment content. Demain je téléphonerai à Bonnier ou à Plumet.
Pour le monument d'É[douard] Colonne, je trouve des lettres d'Auburtin m'annonçant un nouvel emplacement qui sera mieux que tout ce que nous avions envisagé.
Demain, je recommence la Becquée. Je devrais être content. Je ne le suis qu'à moitié ! Je devrais pouvoir me consacrer entièrement au Mur du Héros. Si je ne peux m'organiser pour le faire, j'ai peur de rater. Alors tout s'écroule. Un morceau comme celui-là réussi sera sûrement un grand succès. J'espère d'ici quinze jours ou trois semaines être sorti de ma "demi-neurasthénie". Je ne m'y laisserai certainement pas aller.
12 nov[embre 1923]
Repris le travail avec la jeune Marthe. La séance n'a pas été fameuse. Je me sentais fatigué, je me sens surtout l'esprit trop plein de préoccupations n'ayant rien à voir avec la sculpture.
Téléphoné avec Plumet, très cordial, qui me dit que je serai content, que la place qui m'est réservée à l'Exposition de 1925 est très belle. Rendez-vous avec Plumet rue de Montpensier mardi en quinze, pour la solution définitive. Restera ma question crédits. Et plus encore la question de temps. Il faudrait que je puisse ne travailler qu'à cela du matin au soir, à partir de maintenant, sans penser à rien d'autre, sans aucune préoccupation ni d'argent, ni d'aucune sorte. Il faut, qu'à partir de maintenant, j'arrive à vivre ici comme je vivais à Rome.
Retourné l'après-midi au Père-Lachaise, avec M. Darracq. Mon impression d'hier se confirme. Exécution un peu négligée. La bonne sculpture se fait lentement.
14 nov[embre 1923]
Joie de travailler avec un beau modèle. Pendant ce temps on cesse de penser aux ennuis. Le calme revient.
Après-midi chez Landucci, où les Fantômes réduction pour le musée de New York commencent à bien venir. Il va falloir que je m'y mette aussi.
J'ai à faire énormément. Pourquoi suis-je allé me mettre sur les bras cette histoire brésilienne ?
Chez Taillens. A multiplié les gradins de la couverture du Temple. C'est beaucoup mieux. Mais je crois qu'il a trop baissé les murs. Cela aussi c'est le grand repos.
15 [novembre 1923]
Pour le monument Deschanel, visite de M. Malliavin et d'une vieille dame charmante. J'ai tout de suite posé la question des délais. Impossible de m'en occuper tout de suite.
Je suis un peu effrayé par tout ce que j'ai à faire, en même temps : Les deux groupes pour de Fels ; le monument Colonne ; le monument Nieuport ; le monument Paul Adam ; le monument Henri Brisson [2] (ce ne sera qu'un buste) ; le monument P[aul] Déroulède ; terminer le buste de Fels, le buste Gosset ; à commencer le buste Aulard, et les Arts Décoratifs [3]! Ce dernier seul suffisant à m'occuper deux ans ! En se faisant bien aider on peut arriver à une production énorme. Mais il faut de bons aides. Et puis, cela m'ennuie de confier à d'autres mains, certaines choses qui me tiennent tant à cœur. Pourtant Ingres, dont je lisais des pensées ces jours derniers, écrivait une fois à peu près ceci : "En voyant ma production en me faisant aider, je comprends l'énorme production de Raphaël. Avec mes deux élèves qui travaillent comme moi, je retouche seulement." En sculpture où il entre encore plus de travail matériel, cette aide est indispensable. Il faut, plus encore qu'auparavant m'organiser avec la plus rigoureuse méthode.
Je simplifie de plus en plus la présentation des Fantômes. Quand on arrive à une solution simple, très simple, qui fait presque dire : "ce n'était pas bien malin, il n'y avait pas autre chose à faire", on peut être content. Mais seuls les artistes peuvent se douter du mal qu'on a eu pour arriver à ce résultat et par quels détours on y est arrivé. La vérité est que les Fantômes sont avant tout un monument aux morts. En faire un monument à la victoire est une erreur. Le placer en un lieu aussi peu évocateur que la butte de Chalmont en est une autre. La solution, c'est peut-être Montherlant qui l'a trouvé, avec son idée de Douaumont.
16 [novembre 1923]
Ma consolation à tous ces petits ennuis actuels, après tout, l'histoire folle de Rio exceptée, le reste n'est pas bien important, c'est mon travail du matin. Je vérifie une fois de plus cette vérité primordiale pour moi que la première condition pour exécuter un beau nu est de trouver le modèle qui convient, le modèle que l'on n'ait qu'à copier du haut en bas. C'est à mon sens, le seul moyen de faire un nu qui ait du style. Les amalgames de modèles ne donnent jamais rien de bon. Certains disent : "il faut consulter la nature comme un dictionnaire, mais il ne faut pas se laisser gêner par elle." Ce discours n'est qu'un cache paresse. Il est dix fois, vingt fois, cinquante fois plus difficile de construire un nu avec le modèle que de le construire de chic. L'œil s'habitue et l'on est tout de suite satisfait. Tandis que lorsqu'on confronte continuellement, sans se mentir à soi-même, ce qu'on fait et le beau corps qui est là, sur la table, à côté, quel tourment, quel travail avant d'être satisfait. Et puis, après le moment de la ressemblance, arrive le moment où l'on dépasse la ressemblance, où l'œuvre cesse d'être une étude, devient l'œuvre d'art, où, comme un acteur porté par un beau rôle, on est dirigé par je ne sais quelle force intérieure qui vous fait effacer tel détail, exagérer tel dessin, tel accent. Alors c'est la joie immense où l'œuvre d'art dépasse la nature, peut-être, ou du moins, en fixe l'essentiel, la grandit, la magnifie. Et c'est bien, parce que c'est construit sur des bases solides. Là est le vrai style. Non pas dans les pastiches et les resucées de musée.
Quelle tristesse de revenir dans l'appartement du pauvre Philippe Millet. L'absence qui durera toujours alors que tout semble attendre le prochain retour.
17 [novembre 1923]
Encore une bonne matinée de travail. Mon modèle est beau. Elle pose bien.
Je ne suis pas mécontent de l'esquisse Déroulède dont j'ai fini par accoucher. C'est véhément, c'est romantique. Ça pourra faire une belle statue.
18 [novembre 1923]
Linzeler venu me voir ce matin me dit qu'il parlera à Bader, le propriétaire des Galeries Lafayette, du Temple, et, on ne sait jamais, il est, me dit-il, très bien homme à fournir les fonds... !
Concerts Colonne. Est-ce parce qu'il était mal joué ? J'ai peu aimé ce concert en La mineur de Schumann. Mais chaque fois que l'orchestre attaque les premières mesures d'un fragment quelconque de Wagner, on est dans un autre monde. Lui, Beethoven et Chopin ont seuls ce pouvoir de me prendre entièrement.
Après le concert, nous avons repris les dominicales visites chez Besnard. Très cordial. Il y a là Aman-Jean, qui travaille à refaire son Salon des Tuileries. Il me demande de venir avec eux. Mes derniers ennuis me font dominer mon désir d'être toujours aimable. Je lui ai répondu franchement [4] non, en lui en expliquant les raisons. Durant notre conversation est arrivé Vidal, le bailleur de fonds. Homme sympathique, d'aspect énergique. Aller avec eux, c'est évidemment le moyen d'avoir une belle publicité, de se faire couvrir de fleurs par la presse, mais ce ne serait pas chic vis-à-vis de ma vieille Société où l'année dernière on a été très chic pour moi.
20 [novembre 1923]
Visite de Gaffori ce matin, très emballé par mon esquisse Déroulède. Le culte voué par lui à la mémoire de son "Patron" est touchant. Il est de cette race d'hommes qui vivent dans un état de perpétuelle exaltation. Ce Déroulède devait avoir certainement un côté particulièrement prenant pour avoir laissé une telle emprise sur ceux qui l'ont aimé. Je ne regrette plus d'avoir accepté de faire cette statue.
Chez Madame Mühlfeld, il y avait ce soir un architecte espagnol, nommé Carvalho, associé avec Boni de Castellane pour restaurer tous les vieux châteaux de France... ! Que cache encore cette entreprise !
À dîner rue de l'Université, il y avait Thomson. Lui et mon beau-père étaient fort pessimistes. On parle, paraît-il, de mobilisation d'une dizaine de classes ! De Syrie, Weygand envoie des appels au secours. Poincaré serait d'un nervosisme inquiétant. Son énergie ne serait que verbale. En fait, il aurait renoncé aux réparations. Quels cris aurait poussé la presse nationaliste si un ministre de gauche avait fait semblable politique ! Et la livre anglaise à 82 F, et le dollar à 20 F !
21 [novembre 1923]
Salon d'automne. Il n'y a pas un bon tableau, pas un. Dans la salle des "maîtres", Van Dongen expose un R[omain] Coolus [5] et un B[oni] de Castellane, où s'avère cette pensée que j'ai depuis longtemps sur lui : c'est un Boldini, un Flameng, rien de plus. Un habile. Un bon farceur. Pas de fond. Et ce n'est même pas un virtuose tellement extraordinaire. Et c'est toujours la même chose. Un peu partout des femmes bien laides, écartant les jambes, des scènes de lupanar, de ci, de là, un bon paysage ; qui n'est capable de faire un bon paysage ? Mais ce qui est amusant, c'est de s'apercevoir qu'au fond, tous ces gens-là, s'ils se laissaient aller à leur vrai goût, feraient tous du Bouguereau moins bien dessiné. Judicieuse observation de Lily.
On ne peut que s'attendrir mélancoliquement au milieu de cette rotonde, devant l'incroyable faiblesse de cette décoration de parc. Quelle naïveté et quelle fatuité réunie ! Et quelle laideur [6] ! Pourquoi exposer ces lamentables bégaiements. Alors, vraiment, avant vous, personne n'avait eu l'idée de composer un jardin ! Du moment qu'il s'agit de voir des travaux d'élèves, j'aime mieux aller à l'École des beaux-arts.
Il y a heureusement une chose admirable. C'est la grille en fer forgé que Brandt expose, et qui porte trois grands médaillons ajourés de Blondat. C'est parfait, somptueux, solidement composé. Du charme. Cela peut se comparer aux plus belles choses de n'importe quelle époque.
Dans l'ameublement il y a de bonnes choses, en général. Lalique est un artiste. Sa salle à manger en verre est une ravissante salle. Harmonieuse, fraîche.
Avec plus ou moins de goût et de réussite les stands se succèdent, très ressemblant les uns aux autres, à-peu-près tous intéressants. Et cela prouve qu'il est plus difficile de faire un bon tableau ou une belle statue que des meubles en beau bois bien ciré.
22 [novembre 1923]
Je me suis remis au Bouclier. Depuis trop longtemps il traîne. Il faut le finir. Le temps passe, avec le temps, l'intérêt qui peut s'attacher à semblable morceau et l'occasion de le placer pour le mieux. C'est ainsi que depuis qu'on a mis sur la tombe du soldat inconnu cette sorte de lampe qui a l'air d'une roue, je me demande s'il pourra encore être placé à l'Arc de Triomphe. Mais d'abord finissons.
Avec Granet au Père-Lachaise pour les quelques retouches à faire au tombeau Darracq. Presque rien à faire d'ailleurs. Seulement au bas-relief de la Pietà. Quel dommage de ne pouvoir tout exécuter soi-même, aussi bien les marbres, les pierres que les terres. Que tout ça est difficile. La préparation est aussi importante que l'achèvement. J'en viens presque à penser que c'est tout à fait à la fin, sur un travail bien préparé que l'on devrait mettre les élèves ou les aides. Je parle des terres, en précisant bien ce qu'ils ont à faire. Pour les matières, ce n'est pas la même chose. D'après le modèle, un bon metteur-aux-points peut vous mener la besogne déjà fort loin. Mais on devrait soi, faire seul toute la pratique. Souvent quand nous nous y mettons, le praticien a déjà fait bien du dégât.
23 [novembre 1923]
À l'École de Joinville[7] où, avant que j’aie pu m'en rendre compte dans les mauvaises conditions où je l'ai vu, je crois bien avoir trouvé un beau modèle en remplacement de Dortignac.
Été voir Coutan en revenant. Toujours le même.
24 [novembre 1923]
Le torse de la femme de la Becquée vient très bien.
Après-midi, séance au Bouclier[8]. Interrompu par l'agréable visite de C[amille] Bellaigue. Enfin, j'ai trouvé la solution du motif central. Les trois femmes sont trop grandes. Elles ne s'inscrivent pas dans la forme géométrique qui les encadre. Constatation très importante, dont il faut se souvenir.
Séance de la Société de Lecture. Dîner chez les amis Pontremoli où m'accompagne jusqu'à la porte M. Bazaine, venu pour le monument Nieuport.
25 [novembre 1923]
Enfin, sur les dessins, chez Taillens, j'ai trouvé l'arrangement des Fantômes qui en fera le monument de la victoire, tout en laissant aux Fantômes toute leur importance. Mais, malgré tous mes efforts, toute la peine aussi que se donne Taillens pour ramener à la plus petite dimension possible, c'est un monument qui coûtera cher. L'endroit est tellement difficile, si grand, peut-être bien choisi du point de vue historique, mais bien mal choisi du point de vue monumental. Le monument s'élèvera à l'emplacement d'anciennes tranchées. Les Fantômes auront dix mètres de haut, du sol à la tête de la figure nue. Ils se détachent sur un mur pyramidant par cinq gradins. Ce mur ne sera décoré que d'inscriptions. Une large frise ornementale formera la dernière assise où s'élèveront huit figures de 3 m de haut, de sorte de hérauts d'armes sonnant de la trompe, ou de Victoires. En tout cas formant des taches blanches triomphales. Seul moyen d'évoquer, sans nuire aux Fantômes, la victoire.
26 [novembre 1923]
Visite fort désagréable aujourd'hui, car j'allais voir M. Honnorat. C'est toujours fort désagréable de se sentir dans son tort. J'ai été reçu d'une manière particulièrement rêche par Madame Honnorat, mais l'entrevue avec Honnorat a été très cordiale. Il m'a demandé de faire un geste pour la ville de Barcelonnette et que ce geste soit d'offrir à Barcelonnette le buste du maréchal Berwick, qui rattacha Barcelonnette à la France. Venant au moment des élections, Paul Reynaud a été très critiqué aussitôt par tous les imbéciles envieux, amis de sculpteurs locaux, mais électeurs ! J'ai été bien maladroit. Il faut que j’aie l'esprit libre. Ai écrit à P[aul] Reynaud pour lui demander un rendez-vous afin de liquider cette histoire-là.
27 [novembre 1923]
Exécuter un nu d'après la nature, c'est ce qu'il y a de plus difficile. Je le constate tous les matins en travaillant à la Becquée.
Fait une très bonne esquisse pour le monument d'É[douard] Nieuport. C'est tout de même autrement intéressant qu'une statue de Déroulède ! Visite de Simonin. Très pessimiste, Simonin. Il me conseille de vendre toutes les valeurs que je pourrais avoir en titres de rente française, Ville de Paris, autre, et de les remplacer par des valeurs étrangères, de préférence en dollars. Il voit la situation financière de la France empirer et notre franc qui ne vaut aujourd'hui que six sous, ne plus valoir que deux sous et même moins...
À cinq heures et demie, comme il me l'avait demandé, je vais pour voir Plumet, rue de Montpensier. Monsieur Plumet était sorti. Reçu par Bonnier, au courant de rien, mais me disant cependant que ma salle m'est réservée. On a une impression bizarre dans cette agence des Arts Décoratifs. On est comme un intrus dans une société secrète. Personne n'est au courant de rien. Et bientôt, on sera tout étonné d'apprendre que pas mal de gens étaient pourtant au courant de tout...
Chez Taillens qui me fait d'excellents dessins pour l'arrangement des Fantômes à la butte de Chalmont. Malgré tous nos efforts ça sera cher. On arrive à un minimum de 1 700 000 F.
28 [novembre 1923]
Je me sens fatigué. J'ai devant moi une besogne de titan. Et je ne me sens pas du tout reposé. Trop de choses dans la tête qui n'ont rien à voir avec la sculpture. Je suis surtout empoisonné par cette histoire de Barcelonnette. Et pourvu que P[aul] Reynaud n'aille pas encore pousser des cris à cause du bas-relief de S[ain]t-Paul[-sur-Ubaye], qui m'a été à peine payé, et que j'ai exécuté en plus petit sur le socle du monument de Casablanca ! Voilà une chaude leçon et dorénavant pour ces monuments si peu payés, je spécifierai bien nettement que je me réserve d'exécuter une ou deux variantes du même projet.
Bonne séance quand même avec la jeune Marthe.
Après-midi, visite de Mme Déroulède et Marcel Habert, amené par Gaffori. Son amour pour son frère est touchant, mais cette personne est quand même peu sympathique, pas mal poseuse. Elle et Marcel Habert ne m'ont parlé que manteau et redingote.
Attenni m'a apporté une bonne photographie du monument de Casablanca.
29 [novembre 1923]
Aperçu Plumet. Ma place a changé. Je serai, m'a-t-il dit, juste dans l'axe, dans le fond, à l'entrée sur la rue de Grenelle. J'aurai 11 x 7 m probablement. Les proportions sont bonnes. Mais l'emplacement est-il aussi remarquable qu'il semble à première vue ? En tout cas, rendez-vous est pris ferme pour jeudi prochain 5 h, pour voir les plans et arrêter l'emplacement définitif.
Je travaille au Bouclier. Motif central qui vient très bien. Je laisse les trois figures Liberté, Égalité, Fraternité. C'est devenu tout à fait différent du groupe de Sicard[9].
30 [novembre 1923]
Toute la journée au Bouclier. Je suis très content. Toujours au motif central dont je crois l'arrangement enfin définitivement trouvé et heureux. Rien de plus passionnant que de composer.
Visite de Falcou pour Déroulède. Il voudrait quelque chose de plus important que l'esquisse que j'ai faite... Il a été très emballé par le Bouclier et tout ce qu'il a vu à l'atelier, et surtout pour le Mur du Héros. Je lui ai montré les dessins de l'ensemble :
– Quel dommage, m'a-t-il dit, que nous n'ayons pas eu ça au moment où nous avons construit le Columbarium[10] !
– Ce n'est pas un columbarium, ai-je répondu, mais certaines cérémonies qui s'y font pourraient y avoir lieu.
Il m'a conseillé de montrer ces dessins à la Commission du conseil municipal qui viendra voir avant leur acceptation le projet Déroulède et le projet Paul Adam.
Mais je suis très content du Bouclier. Je l'ai dans les yeux. Réalisé en matière je crois que ça sera vraiment bien.
[1] . Monument de la Flamme éternelle du ferronnier Edgar Brandt.
[2] . Monument dont il parle déjà le 19 avril 1914.
[3] Le Salon de 1925.
[4] . Au lieu de : "nettement", raturé.
[5] . Auteur dramatique.
[6] . Au lieu de : "A l'Ecole, mes pauvres amis, allez à l'Ecole", raturé.
[7] . Il s'agit de l'École militaire de gymnastique et d'escrime de Joinville-le-Pont.
[8] Bouclier votif.
[9] . Allusion au monument Marcou de Carcassonne pour lequel François Sicard avait emprunté à P. L. sa figure de Liberté, Égalité, Fraternité, en 1914.
[10] . Le Columbarium du cimetière du Père-Lachaise, construit par l'architecte Jean-Camille Formigé en 1886.