Cahier n°21
1 [avril 1926]
À l'enterrement de la pauvre petite Antoinette Léon. Je vois Widor qui me dit :
— Il paraît qu'Allard a fait une chute grave et qu'il est mourant. Il faudra vous présenter. Je vote pour vous.
Je ne sais que répondre. Ce n'est guère l'endroit, encore moins le moment (le brave père Allard n'est pas encore mort), de parler de cela. Durant le trajet jusqu'au cimetière, un jeune homme vient se présenter à moi. Raymond Isay, me dit être ancien élève de l'École normale, parent de Paul Léon, qu'il était fort heureux de me connaître, car il était fort désireux de faire une étude sur moi et mon œuvre.
3 [avril 1926]
Continuation de mes tournois pour la fondation américaine : Letourneur, pas très fameux, une toute jeune fille Mlle Cardronnet, qui semble joliment pressée. C'est d'ailleurs la caractéristique de toutes les femmes. Elles ne sont pas encore parties qu'elles veulent déjà être arrivées.
9 avril [1926]
Retour de Pons et du Mans. À Pons, j'ai vu la place pour le monument Combes, j'ai fait la connaissance de la famille Combes, j'ai été délicieusement reçu dans la famille de M. Landrau et j'ai bu de l'excellent cognac. J'ai dû au retour m'arrêter à Tours pour aller au Mans. À Tours j'ai vu les cariatides de Sicard à l'Hôtel de Ville, bien superficielles d'exécution. Il arrive à chiffonner le marbre comme du papier. Et j'ai appris la mort de Allard. Je sais que je suis candidat très sérieux cette fois-ci. Aussi suis-je déjà fort embêté. Voilà une énervante période qui s'annonce. Au Mans, nous avons, avec M. Le Feuvre, le maire, déterminé la place du monument d'Estournelles de Constant.
10 [avril 1926]
Continuant ma tournée chez les jeunes sculpteurs, j'ai rencontré Despiau et visité son atelier. Il me montre de bons bustes et aussi de mauvais bustes, d'innombrables dessins, tous les mêmes, encadrés à peine terminés, qui sentent le dessin fait pour la vente. Est-ce vraiment de l'art que toute cette mise en scène commerciale? Mais ce qui n'en est sûrement pas, c'est ce nu grandi à la machine, mal construit, laid de proportions. Impuissance!
16 [avril 1926]
Alger, Paul Adam, buste Buat tous ces jours-ci.
Ladis[1] me téléphone qu'il a vu M. Jacques Durand qui va voir F[ernand] Humbert pour moi.
C'est très laid ces agrandissements à la machine. Je m'en sers parfois, comme étape, mais à contrecœur, quand je suis trop pressé, comme cette fois-ci pour le Christ du Corcovado. Mais un nu, c'est impossible.
18 [avril 1926]
Chez Salomon Reinach, intéressant visite. Un docteur de Vichy lui avait apporté un galet sur lequel est dessiné un renne, trouvé dans un gisement préhistorique qu'on vient de découvrir dans les environs. Ce docteur voulait absolument que M. Reinach aille visiter ce gisement. Mais l'échantillon montré n'inspirait guère confiance. M. Reinach semblait considérer que c'était un faux. Je n'y connais pas grand chose, mais j'avais l'impression d'un dessin fait avec du métal.
19 [avril 1926]
Les attaques annonciatrices du prochain mariage de mon beau-père, 72 ans, avec sa secrétaire, commencent. Marie Scheikevitch a réapparu et nous raconte des conversations incroyables. Puis cette petite roumaine [...]. Elle a vu S[uzanne] S[aillard] qui lui a dit les yeux au ciel :
— Mon rêve, c'est de lui fermer les yeux dans 3 ou 4 ans.
Au moins elle fixe une limite. Mon beau-père lui a dit :
— Je ne peux pas l'adopter. Alors? Si un mariage se fait, nous nous retirerons à la campagne et on n'entendra plus parler de nous.
Labiche et Balzac.
22 [avril 1926]
Ma campagne Institut commencée. Les choses s'annoncent bien. Presque tout le monde me dit que mon élection est assurée. Buland me paraît assez faux.
27 [avril 1926]
Visite de Gire et M. Germain-Martin. On parle de sa décoration. Il m'apporte des dessins pour une magnifique décoration de jardins à Rio. Mais?...
Paul Léon me dit que mon élection est assurée.
[1] Ladislas Landowski