Cahier n°26
1er février [1930]
V[incent] Auriol à qui je téléphonais à propos de Muret me dit que la question du tombeau Foch aux Invalides ne soulèvera aucune difficulté de la Commission du budget.
Élection Le Sidaner. Ni Maurice Denis, ni Desvallières n'ont recueilli beaucoup de voix.
Le seul ennui pour le tombeau Foch est que l'on va terriblement me presser. Et je veux finir moi-même de Grasse et la statue Haig avant de me mettre à fond au tombeau.
2 [février 1930]
Raymond Isay me dit que Dezarrois a donné sa démission du cabinet de François-Poncet, dans un coup de tête, et qu'il est parti se reposer on ne sait où. Cela me fait de la peine. Le s[ous]-secrétaire d'État me fait demander d'urgence une photographie du tombeau pour pouvoir la montrer à la Commission du budget. Cela m'ennuie, car l'esquisse est encore bien sommaire.
3 [février 1930]
À Chalmont. Fatigué mais très content. La colline est toute défoncée. Singulière impression de transformer un paysage! J'ai fait tous mes efforts pour le transformer le moins possible. Des blocs de granit pour le socle sont déjà arrivés. Couleur vraiment magnifique.
À Château[-Thierry] visité avec un homme charmant, M. Riboulet, quelques maisons et les ruines du vieux château mérovingien. Souvenirs de jeunesse. Toujours touchant de rencontrer dans nos villes de provinces de ces hommes intelligents, cultivés, qui vivent dans le culte de leur vieille cité, finissent par connaître toutes les pierres et les coins et recoins, qui derrière un mur recrépi vous découvrent un escalier du XIVe, vermoulu et magnifique, tout au fond d'un bazar l'escalier en colimaçon d'une haute tour du Moyen Âge, dans une salle d'hôpital une étonnante collection de porcelaine du XVIIIe, etc. Mais quand même rien ne vaut l'émotion de visiter une vieille maison où vécu un grand esprit.
4 [février 1930]
Acheté le numéro du journal L'Amour de l'Art consacré à Bourdelle. J'espérais y trouver des reproductions d'œuvres inédites. Je n'y ai trouvé que des choses connues depuis longtemps et dont l'aspect caricatural sans drôlerie me frappe de plus en plus. Mais ce qui est plus ridicule encore que les sculptures reproduites, c'est la littérature faite autour[1], Jamot, Vaudoyer, Julien, etc. Un hasard[2] fait qu'on y reproduit un Hercule et la biche aux pieds d'airain. Là je peux le comparer à moi, avec satisfaction. dans les articles on cite des phrases de Bourdelle, son enseignement..! Il ne disait pas autre chose que ce que je dis tous les jours. Il y a une chose qu'il aurait dû dire, c'est que la sculpture n'est pas faite pour faire de la caricature. Mais alors il aurait fallu qu'il détruise toute son œuvre. Perret a écrit ceci, à propos du voyage de Bourdelle en Italie : "Il démolit le Moïse en termes justes, avec des raisons techniques"! "Énorme!", dirait Flaubert. Je me rappelle en effet un article idiot de B[ourdelle] dans le temps, à son retour de Rome. Mais tout de même, cette histoire, quel exemple du rôle de la presse.
Comité Douglas Haig. Tout est arrangé. Inauguration au printemps 1931.
Repris l'esquisse Foch. Après avoir installé sur chaque flanc ces figures portant chacune un écusson, j'en ai mis une devant, mais je ne suis pas sûr que c'est mieux.
5 [février 1930]
Porté à M. François-Poncet les photographies du tombeau. Malheureusement je n'avais pas les nouvelles faites hier. Je n'étais pas content hier soir. Je croyais avoir abîmé. Au contraire c'est nettement mieux. Deux figures irréelles à la tête et aux pieds. Cette figure en avant portant l'écusson donne un caractère somptueux. Les épreuves apportées tout à l'heure par Desprez confirment l'amélioration. Mais je ne les avais pas encore pour le rendez-vous fixer par F[rançois]-Poncet. Remis les anciennes qu'il veut faire porter au rapporteur. J'ai envie d'écrire directement à ce dernier pour lui proposer de lui porter les nouvelles.
6 [février 1930]
Fait porter à Isay les nouvelles photos.
Commencé l'esquisse de la Victoire pour la butte de Chalmont.
Bien amélioré le bas-relief de "l'exil" de Sun Yat Sen. Presque terminé, pour la 3e fois[3]. Il ne faut jamais regretter les recommencements. M. Tchang Tchiao venu hier, m'annonce la visite de Mme Sun Yat Sen pour le mois prochain. Donc obligé encore d'attendre. Ces retards vont me permettre de mieux terminer et de n'avoir pas de discussions pour ne finir qu'en juillet au lieu du commencement de juin.
Chez M. Fontaine. Réunion hebdomadaire de la Coopération européenne. Je rencontre M. Rey que je félicite de ses exposés remarquables de la séance dernière. Je lui pose la question :
— Mais à quoi peut arriver un tel groupement? Quel action peut-il avoir?
Il me répond qu'il est en contact avec le ministère des Affaires étrangères, que Briand se propose de faire sous peu à tous les États une proposition officielle de groupement européen sur le programme étudié par notre groupement français. Il semble donc que ce n'est pas du travail inutile.
— Mais, dis-je à Rey, pourra-t-on jamais arriver à rien en Europe avec cette situation russe?
— Si la France, l'Angleterre et l'Allemagne arrivent à s'entendre sincèrement, toute l'Europe sera obligée de suivre.
— Et l'Italie?
— Avec l'Italie, rien à faire. Ils sont fous de nationalisme et d'impérialisme. Ils répondent par politesse.
De très jolies toiles chez M. Fontaine. Surtout une fort belle collection de Vuillard, notamment un grand portrait de Mlle contre une bibliothèque, très remarquable. Moins bien le portrait de Mme Fontaine. Un beau Guillaumin, un grand Maurice Denis, bien faible. Œuvre de jeunesse. Mais La barque de Dante, de Delacroix c'est aussi une œuvre de jeunesse! Denis c'est surtout un intéressant esprit. À côté des Vuillard, les meilleures choses sont deux Carrière.
7 [février 1930]
Continué esquisse de La France Victorieuse, pour la butte de Chalmont. Bonne voie. Terminé le bas-relief "l'exil" de Sun Yat Sen. Empoigné le grand fronton Paul Adam. Beaucoup à faire là-dessus et je suis bien en retard.
Chez Madame Hubert Rodier, réception en l'honneur de Ferrero. Il nous dit :
— Nous sommes comme des écoliers en vacances.
Ils n'ont pas le droit de rester hors d'Italie plus de trois mois. Ils risquent, s'ils ne reviennent pas, de se voir confisquer tous leurs biens, de n'avoir plus le droit de revenir, etc. Charmant! Mais à côté de la Russie, ce n'est rien. Roustan racontait à Lily que les fusillades là-bas ont repris plus que jamais. Ils ont fusillé par milliers prêtres et moines et religieuses, ainsi que tous les survivants des écoles de cadets et de la marine. Et pendant la suite des siècles tant d'hommes se sont fait tuer pour la liberté! Deux mots peuvent à jamais être rayés du vocabulaire socialiste, liberté et amour. Quel effondrement d'un grand rêve. Beaucoup de personnes sympathiques, M. Decori, Marcelle Tinayre, Borel, etc. Je rencontre Pierre Mille qui me raconte en se tordant que Dorchain est mourant.
— C'est absolument vrai...", et il pouffe. "Il est dans le coma", et il repouffe.
Voilà au moins une oraison funèbre.
Lecture d'un livre délicieux, Les Souvenirs Romantiques de Th[éophile] Gautier que publie A[dolphe] Boschot. Admirablement écrit, bienveillant, vivant, étonnamment vivant, comme c'est sympathique. L'étude sur Balzac est remarquable. J'y apprends avec intérêt que Balzac peinait beaucoup. Volonté de fer, et la première des qualités, l'imagination.
8 [février 1930]
À l'Institut rien de sensationnel. Réception de Le Sidaner. Discours terne de Sicard. La vacance du fauteuil de Dagnan-Bouveret est prononcée.
Chez Druet exposition de Vuillard, Bonnard, Denis, etc. Nul doute, Vuillard est un maître. Non pas qu'il apporte[4] une vision nouvelle. Il découle directement des impressionnistes. Son procédé est moins divisé que celui de Henri Martin. Mais entre eux une grande parenté. Cette malheureuse habitude de grouper les artistes par "écuries" en quelque sorte, plutôt que par rapprochement des talents, empêche de saisir ces affinités. Nul doute que Martin, Le Sidaner, Vuillard, Bonnard, sont de la même famille. Je n'aime pas Bonnard, ses ombres sont laides, mais leurs maîtres directs sont les Sisley, Pissarro, Monet. Mesnard, par contre, bien qu'il exposa avec Martin, est fort loin de lui. Il est plus près de Denis [5], mais on pourrait fort bien réunir Simon, Besnard, Forain. Besnard leur maître à tous. À la sensibilité d'un impressionniste, il unit la facture libre et franche d'un classique et d'un décorateur d'envergure. Maurice Denis pourrait aller avec eux. Et puis à côté d'eux sur le même plan, les néo-ingristes, Pierre Laurens, Vallotton, Albert Laurens si intelligent et si sensible, Louis Roger. Mais je classerais volontiers Mesnard avec les néo-poussinistes, Georges Leroux, Flandrin, etc. Il y aurait une intéressante classification à faire, d'où sortirait peut-être un peu de clarté dans ce tohu-bohu effarant. Ce qui caractérise d'ailleurs nettement l'état d'esprit de ces [6] sociétés hétéroclites, c'est que celles qui se disent les plus avancées ne trouvent plus dans leur sein l'artiste sur le nom duquel s'entendre pour les représenter. Elles vont chercher des hommes politiques influents! Ainsi voit-on les Artistes décorateurs se faire présider par Tardieu, et maintenant le Salon des Tuileries par Éd[ouard] Herriot! Tout cela parce qu'ainsi on espère être mieux armé pour lutter contre les autres sociétés qui fidèles à de nobles traditions élisent un de leurs pairs. Procédés de carnassiers.
En sculpture, le factice des groupements est encore plus frappant. Invraisemblable salade et procédés aussi peu élégants.
9 [février 1930]
Agréable réunion chez Paul Vitry. Sarradin, si vivant, si ardent, Jamot avec son ami un peu serin, Verne et sa charmante femme, Guiffrey qui me fait toujours penser à un crapaud japonais, mais bien sympathique.
10 [février 1930]
Je reçois la visite d'un critique d'art polonais, M. Aronson. Il m'avait écrit me disant "m'admirer et désirer me connaître". Il m'a paru beaucoup plus indépendant[7] que beaucoup de nos grands seigneurs de la critique. Il me disait, étant dernièrement en Pologne, avoir eu une conversation avec des sculpteur polonais et que l'on était unanimement d'avis que ma statue S[ain]te Geneviève avait une tenue autrement monumentale que le Mankiewicz de Bourdelle.
Travaillé à la France Victorieuse de Chalmont, fronton de Paul Adam[8]. En bonne voie. Je suis même très content de la Victoire pour Chalmont.
11 [février 1930]
Statue de Grasse. Il faut en finir avec tous ces travaux qui traînent un peu. C'est d'ailleurs fort avancé.
Mais je ne suis plus content de la Victoire pour Chalmont. Il faut encore simplifier et je n'ai pas trouvé la présentation, le moyen de lui donner l'air de sortir du sol.
13 [février 1930]
Après plusieurs journées de pataugeage, la Victoire de Chalmont est trouvée. Elle a été d'abord : 1. le bras droit levé, le bras gauche retenant sa draperie; 2. toujours le bras droit levé brandissant le glaive, mais tenant dans la main gauche une Victoire (variante de la Minerve parthénéenne); 3. la main gauche ouverte sur la poitrine (cela donnait un air haletant, dramatique, mais sentiment littéraire); 4. le poing gauche fermé. Enfin aujourd'hui elle est avec les deux bras baissés, dans le poing droit un glaive, semblant monter du fond du sol. Extrême simplicité de la silhouette. Tout l'effet est dans la tête. C'est la justice est marche et je crois bien que c'est bien.
Mais je suis fort énervé d'une communication téléphonique de Ernest Lafont. Hier comme Lily lui téléphonait pour Pierre, il lui demande si elle est au courant de l'affaire du tombeau Foch, pour lequel "on nous demande des crédits formidables", et si il pouvait venir me voir avec Locquin. Lily lui répond affirmativement. Je l'ai appelé tout à l'heure pour lui assurer[9] le plaisir que j'aurai de cette visite. En fait je n'en aurai aucun. Lafont est un hurluberlu, il n'y connaît absolument rien et Locquin ne doit pas y connaître grand chose non plus! Lafont me dit :
— Vous comprenez, plusieurs se demandent pourquoi on n'a pas mis ce monument au concours.
C'est la grande solution, le moyen de fuir toute responsabilité, la mentalité de conseil municipal. Je n'ai pas pu m'empêcher de rire et de répondre que les concours auxquels j'ai assisté ces derniers temps ne donnaient pas grand chose de bon. Et nous avons convenu qu'il me téléphonerait pour un rendez-vous la semaine prochaine. Bien agaçant.
14 [février 1930]
J'ai commencé une grande esquisse du tombeau Foch. J'attends avec impatience que le budget en soit voté... Mais le sera-t-il? Six cents personnes à dire leur mot!
Travaillé à De Grasse, la statue. Le froid m'empêche de prendre modèle pour le bas-relief. Comme il faut que tout avance en même temps, cela ne fait rien. Mais cette École des B[eau]x-A[rts] me fait perdre bien du temps! Demain matin correction, après-midi jugement, puis Institut. Que de temps perdu. Je pense de plus en plus à la démission, quoique ce soit bien délicat. Faiblesse, manque de cran, au fond.
15 [février 1930]
Lecture des lettres de candidature au fauteuil Dagnan-Bouveret. Une pauvre lettre de Rouault. Un illettré faisant de la littérature. C'était pénible et ridicule. Il paraît qu'on l'a nommé conservateur du musée Gustave Moreau. Pauvre Gustave Moreau, si cultivé et fin et consciencieux[10], il n'avait certainement pas prévu pareil conservateur.
16 [février 1930]
Repris la notice d'André Allard. Au fond ça m'amuse, et je n'y travaille presque pas.
Déjeuner au Tour du Monde, offert par M. et Mme Lanson. Bouglé et des professeurs. J'aime beaucoup ce milieu. Il y avait, participant à un autre repas James Frazer et sa femme, tous deux fortement sourds. Il paraît que Frazer vient de faire paraître un nouveau copieux ouvrage, étude sur les Fastes. Ce doit être vraiment un agréable métier que cette recherche, ce dépouillement à propos des œuvres des autres. Plus difficile qu'il ne semble à première vue, et qui doit nous entraîner de tous côtés. Mais c'est tout de même moins angoissant que la création!
Ladis a été avisé par le docteur P. que sa promotion de commandeur était signée.
17 [février 1930]
Une charmante jeune fille qui joue des petits rôles au Théâtre de Paris, mais ambitieuse, veut se payer des leçons de diction, [et] est venue me demander à poser. Bâtie comme un Apollon archaïque, larges épaules et hanches minces, grande, fera probablement l'affaire pour la statue de Chalmont. Il faudra trouver pour cette statue un arrangement de draperie remarquable. Grand et simple. Le principal, le geste est trouvé. Je peux de moins en moins me satisfaire avec les gesticulations. Je suis parti du plus excessif mouvement, à un moment je n'aimais presque que cela. Mais David combattant exigeait cette action. Comme plus tard mon Déroulède. Cependant, pensant à mes dernières œuvres, je m'aperçois qu'elles sont presque toutes sans geste. Depuis le Pugiliste debout (la petite taille de 1 m, car la grande est en pause et insuffisante) le Héros, S[ain]t François, S[ain]te Claire, S[ain]te Geneviève, S[ain]te Thérèse, Sun Yat Sen, Douglas Haig, Grasse, la France 1918[11], Ader et Paul Adam que j'oubliais. 12 statues, presque sans geste, presque avec le même geste, et toutes différentes, et je les crois toutes expressives. Mais je crois que mon œuvre la meilleur n'est pas faite et que ce sera Prométhée. Après moi, personne ne pourra plus toucher à ce thème. Il faudra qu'il soit comme mon cri de révolte de n'avoir pu réaliser le Temple. Je suis sûr que dans l'avenir, beaucoup de Temples de cet ordre s'élèveront. Mais ce qui m'en intéresse beaucoup plus que la pensée, c'est de sculpter des murailles. Au fond peu m'importe ce qu'on élèvera plus tard, c'est ce que je pourrais élever aujourd'hui qui m'importe. Est-ce de ma faute, si ça ne marche pas?
Bon travail au fronton Paul Adam le matin et l'après-midi à la statue De Grasse.
Reçu, la matinée, visite de M. Tchang Tchiao qui m'amenait le ministre de Chine à Berlin, de passage à Paris. Celui-ci aussi m'a paru homme fort intelligent. Son impression a été fort bonne, et je crois que c'est à tort que l'on m'a inquiété avec cette histoire d'une autre statue qui serait exécutée en Allemagne. Je poserai la question la prochaine fois à Tchang Tchiao.
18 [février 1930]
Bonne matinée à l'amiral de Grasse.
Revu, cet après-midi, l'admirable collection de M. David-Weill. Vraiment extraordinaire. Depuis cette étonnante statue chinoise de l'entrée jusqu'à cette collection[12] égyptienne, tout est remarquable. Le gros morceau, ce sont les toiles et les sculptures du XVIIIe. Notamment[13] les Perronnneau, un étonnant David, mais peut-être ce qu'il faut admirer le plus, ce sont les natures mortes de Chardin. Un fois de plus, comparant la qualité de cette peinture, sa richesse de matière, sa santé, sa finesse de ton, à ce qui se produit aujourd'hui, je constate un réel affaiblissement. Il y a au premier étage une salle avec des toiles du XIXe : un Delacroix, des Degas, un Daumier et un Vuillard. De ces quatre, c'est Delacroix avec un nu de femme et surtout Vuillard, que j'ai trouvé les plus faibles. Degas remarquables comme Daumier. En sortant de là, chez Georges Petit, une exposition d'Henri Martin apporte sa note très particulière et qui résiste au souvenir des plus belles choses, à condition qu'il ne s'agisse pas de la figure humaine. Puis à l'exposition "Tradition-Évolution", chez Charpentier, une tête de fillette d'un nommé Despujols, qui s'égale à Bastien Lepage ou Corot[14].
À la direction des Beaux-Arts où tout est à la consternation à cause de la chute du ministère. C'est très ennuyeux. François-Poncet s'était vraiment bien mis au courant de tout. Il a un goût personnel qui le fait naturellement aller aux œuvres fortes. Pour moi qu'il connaissait à peine, il a été un ami. Ne pas oublier. Ladislas m'avait téléphoné que la Commission du budget avait voté les crédits! Ce serait une chance dans ce nouvel accroc. Isay à qui je demande ce qu'il en est ne savait rien. Il s'informera et téléphonera demain.
19 [février 1930]
Quand je rentre de ma correction, Lily me dit que Laffont a téléphoné qu'il viendrait à 4 h avec Locquin. Visite excellente. Ils sont restés fort longtemps. Locquin a un regard fort intelligent[15]. Je n'ai pas osé leur demander s'il était vrai que la commission avait votée les crédits. Mais Isay vient de me téléphoner et confirme l'heureux franchissement de cette première étape. C'est la troisième chute ministérielle depuis que l'on m'a parlé pour la première fois de ce monument Foch. Il y a sept ou huit mois. Isay me disait que, maintenant que la commission des finances avait voté les crédits, cela suivrait une marche automatique. Restent à franchir, le vote de la Chambre, la commission des finances du sénat, le vote du sénat, puis la lettre de commande.
20 [février 1930]
Téléph[one] de Tchang Tchiao, qui a reçu un câble de Canton donnant l'approbation des derniers bas-reliefs. Maintenant il n'y a plus qu'à marcher. Soulagement!
Comme me l'avait demandé Isay hier, je vais aux B[eau]x-Arts, où je rencontre M. François-Poncet dans l'escalier. Il me dit que tout marchera certainement très bien, que personne ne fait d'opposition. Il passera l'affaire en consigne à son successeur. Isay me dit qu'il a rencontré Locquin hier soir à une soirée à l'Élysée et qu'ils ont parlé plus d'une demi heure de la visite de la journée à mon atelier.
Bon travail à de Grasse et commencé esquisse pour ce monument des Crapouillots.
21 [février 1930]
Fini esquisse des Crapouillots, qu'on doit venir voir dimanche. Travaillé à la statue de Grasse, presque finie. Reçu mes trois toiles. Le Marquet et le Flandrin sont magnifiques. Denis un peu moins bien[16]. La luminosité de Marquet a quelque chose d'extraordinaire. Travaillé au fronton Paul Adam. Je crois que c'est bien expressif de son œuvre.
22 [février 1930]
Exposition Pissarro. C'est un bon peintre. Ce n'est pas un grand maître. Un homme qui n'a cessé de se chercher. À ce point de vue, très intéressant. Il fut certainement un grand sincère. Plus intéressant certainement que ceux qui, ayant trouvé une formule s'y cantonnent comme un acteur qui chanterait toute sa vie le même rôle (au fond Le Sidaner, E[rnest] Laurent, petite chanson). Chez Pissarro, on trouve Courbet, Sisley, Monet et Pissarro, surtout les vues de Paris, là il est personnel.
Le matin, été chez Ambroise Vollard pour voir les Rouault, sur son invitation. Ce sont des horreurs, mais a conservé de son éducation chez Gustave Moreau, le goût des belles matières et des beaux supports de tons. Quand on fait abstraction des formes, il reste parfois certains aspects de beaux vitraux. Mais qu'est-ce que tout cela a à voir avec le modernisme. Sur les murs, il y avait des Renoir et un immense Cézanne. Cézanne, des baigneuses. Bien mauvais tableaux, embryonnaire. Un des Renoir, excellent, une femme donnant la soupe à un enfant. L'autre, aussi des baigneuses, bien creux.
À l'Institut, classement des peintres. Denis et Pierre Laurent arrivent en tête.
Journée des expositions. Celle de Guirand de Scévola. Il y a des choses excellentes. C'est largement fait, simplement, avec beaucoup d'intelligence. Certaines natures mortes sont même remarquables et peuvent figurer à côté des maîtres du genre.
23 [février 1930]
Visite du comité des Crapouillots. Tout le monde a été tout à fait content et ce bas-relief sera intéressant à faire.
Chez Le Sidaner, Henri Martin me parle des Monet des Tuileries. Il en pense la même chose que moi, aussi bien pour la peinture que pour la présentation. Il y a là Maurice Denis. Il me dit être en train de faire un carton de tapisserie, mais être assez embarrassé, ne connaissant pas la technique. Je lui fait remarquer que dès le XVIIe siècle les artistes composaient leurs cartons comme des tableaux (ex. les belles séries Esther, Châteaux, etc.) qui sont magnifiques. Denis constate que ceux qui cherchent à composer en tapisserie ne font que des démarquages gothiques. Le tout est de trouver des rapports de tons favorables. Quant à la technique, les tapissiers en sont maîtres et leur métier les obligent à l'interprétation qui convient.
On disait chez le docteur Legueu que le ministère Chautemps aurait au plus 5 voix de majorité... ce serait dommage.
24 [février 1930]
Banquet de l'École des B[eaux]-Arts pour Dewambez. Je présidais. Petit discours qui a bien fait rire.
25 [février 1930]
Assisté à une cérémonie des plus ridicules qui soient. Les libraires ont inventé d'inviter les connaissances d'auteurs qu'ils éditent à assister à la signature et dédicace des ouvrages par leurs auteurs. Il s'agissait cette fois de Pierre Lyautey et de son Voyage de Paris. Quand on entre on est happé par un vendeur, qui pour 12 F vous donne l'ouvrage, après quoi on va le porter dans le fond où l'auteur installé signe, signe, signe. Absolument grotesque. Il y aurait un bien joli acte à faire avec cette scène là. J'avais assisté à cérémonie analogue une fois avec les Tharaud. Encore ceux-ci ont-ils du talent.
26 [février 1930]
Toujours gros travail, statue de Grasse, fronton Paul Adam. Grosse agitation à la soirée de la présidence de la Chambre à cause de la situation politique. Rencontré M. Locquin qui envisage dissolution possible. On semble très inquiet de l'attitude de Tardieu.
À S[ain]t-Mandé, les granits avancent. La figure nue est presque terminée. Il faudrait un jour faire une statue en granit et la polir. Quel effet!
27 [février 1930]
Les groupes de Sicard pour cette fontaine en Australie. Ce n'est pas de la grande sculpture. Exécution superficielle. On sent une arrière-pensée d'imiter les soi-disant modernes, qui eux-mêmes imitent les antiques à leur façon. D'où cette impression d'impuissance. C'est un sculpteur de petites choses et de bustes.
28 [février 1930]
J'ai changé la tête du deuxième poilu, le barbu, premier plan des Fantômes. Remis la première faite, plus dramatique.
[1] . Au lieu de : "de tous ces gens", raturé.
[2] . Suivi par : "heureux", raturé.
[3] . Au lieu de : "de nouveau", raturé.
[4] . Au lieu de : "Il n'apporte pas", raturé.
[5] . Suivi par : "et surtout", raturé.
[6] . Suivi par : "fondateurs", raturé.
[7] . Au lieu de : "au courant", raturé.
[8] . Suivi par : "Tout ça", raturé.
[9] . Au lieu de : "confirmer", raturé.
[10] . Suivi par : "que dirait-il devant", raturé.
[11] . Suivi par : "toutes sont sans geste", raturé.
[12] . Suivi par : "d'objets chinois", raturé.
[13] . Au lieu de : "Il y a notamment", raturé.
[14] . Au lieu de : "qui s'égale aux plus belles choses", raturé.
[15] . Suivi par : "c'est un homme d'aspect robuste", raturé.
[16] . Suivi par : "C'est une belle folie", raturé.