Août-1930

Cahier n°27

1er août [1930]

Repris buste docteur Legueu[1]. J'ai fait avancer dans l'atelier le marbre Sun Yat Sen. Il gagne. Ce changement d'éclairage m'a fait voir pas mal de retouches à faire.

2 [août 1930]

Le buste de Mme Bouisson est terminé. Ai-je fait du travail utile ces jours derniers sur ce buste? Par moments je trouve que le premier, avant le voyage à Muret, est mieux. J'ai été ensuite voir la collection de M. et Mme Bouisson. Il y a beaucoup de très belles toiles, des Sisley surtout, remarquables. Un magnifique Renoir. Et puis il y a la collection moderne... Comme je faisais des réserves prudentes devant un affreux Kisling, la gentille Mme Bouisson me dit :

— Ah! c'est du moderne. Il faut s'y faire...

Avec ce mot moderne, on fait avaler aux gens des toiles de ce genre qui ne sont que faibles et n'ont absolument rien d'intéressant. C'est sans espoir (la peinture de Kisling), car l'homme est vieux. Une très belle collection de Steinlen. Quel grand artiste!

3 [août 1930]

Fronton Paul Adam. La femme sur le bûcher : Mahaut. Elle était trop belle, je l'ai maigrie. C'est mieux.

Les dessins pour Mme Prince. J'en ai fait quatre, des quatre esquisses. Elle choisira malheureusement certainement celle qui gesticule. Lu le Jean-Paul, de F[erdinand] Bac. C'est fort bien fait.

4 [août 1930]

Reprise du fronton Paul AdamBuste docteur Legueu. Son fils aîné venu le voir, m'a fait forces compliments.

Dîner chez le couple Bigot. Quelle femme! Elle me fait penser à une mante religieuse. Bigot est absurde. Il veut donner à Bouchard la figure principale du monument Mondement. C'est absurde. C'est très incorrect. Et ça fera probablement des histoires. Je ne comprends pas que Bouchard accepte. Mme Bigot n'a cessé de parler d'elle, durant tout le dîner. Bigot, complètement éteint ne disait rien, les yeux au ciel. Elle dit :

— Il passe son temps à dire pis que pendre de moi, mais il ne peut pas se passer de moi.

Bigot, toujours les yeux au ciel.

Travail à ce fronton du monument Paul Adam.

5 [août 1930]

Fronton Paul Adam.

À l'improviste Tchang Tchiao me téléphone pour m'annoncer qu'un congrès des membres du Kuomitang en Europe, réunis en ce moment à Paris, se terminait aujourd'hui. Les congressistes se proposaient de venir voir la statue de Sun Yat Sen, aujourd'hui même... M. Kao Lou est arrivé le premier, à l'heure fixée. Mais les autres sont arrivés une heure en retard. Ils m'ont envahi, une trentaine environ. Ils me donnaient tous une impression de grande jeunesse. Visages jaunes, cheveux noirs, très noirs, très lisses, la plupart petits. Quand ils furent tous réunis devant la statue, un petit jeune homme, le président du congrès me dit M. Tchang, prit la parole. Était-ce un discours? une prière? une invocation? Tous à certains silences, s'inclinaient ensemble. Quand le président eut fini de parler, ils restèrent pliés en deux pendant cinq minutes. Alors on démasqua un reporter photographique et nous fumes tous photographiés.

— Vous avez une petite idée du culte qui sera rendu, en Chine, à votre statue, pendant des siècles et des siècles, me dit le président.

Raymond Isay arrive pendant cette visite. Nous avions rendez-vous pour dîner ensemble. Peu à peu la Chine évacua mes ateliers. Ils sont très sympathiques. Regret d'être dans l'impossibilité d'aller là-bas en novembre.

Dîner au restaurant italien. La conversation roula surtout sur la mésaventure survenue à ce pauvre Isay, dont la nomination de conservateur adjoint au Luxembourg était signée, mais fut retirée à la suite d'une histoire de bachot ridicule. Un peu naïf, quoique agissant, il avait remplacé à l'improviste, à une séance de bachot, un examinateur absent. À la réunion des examinateurs, il y eut discussion sur un candidat connu d'Isay et que le professeur de mathématiques voulait refuser. Isay met sa note. Plainte du mathématicien, protestation parce qu'Isay est à un cabinet ministériel et de plus, non inscrit sur les listes d'examinateurs de l'année. Total, Lautier, Marraud décident de ne pas donner suite à la nomination au Luxembourg. Parlé aussi de l'article sur moi auquel il travaille depuis longtemps et qui sera terminé cet été. Lautier aurait dit qu'il était décidé à faire le tombeau [2]. Contradiction avec ce que m'a dit Verdier.

6 [août 1930]

Dans une abominable voiture prêtée par Becker, à Chalmont avec Taillens. Crevé 3 fois. Le démarreur ne marchait pas. Obligé de mettre la voiture en marche à la main et il fallait tourner cinq minutes. Les freins fonctionnaient mal. Je suis rentré, sans aucun accident heureusement, dans trois chevaux attelés en flèche et qu'un palefrenier idiot a fait tourner brusquement sans prévenir. Ces trois chevaux ont freiné ma 10 chevaux. Avant d'arriver à la butte, ma voiture a calé dans les ornières de la fameuse route de vallée à Beugneux. La 814 ne voulait plus repartir. Enfin, elle s'y décida. Mais j'en ai encore mal dans l'épaule.

Le chantier de Chalmont est à l'abandon. L'entrepreneur prétend n'avoir pas assez de granit. Le défoncement s'arrange. Nous décidons d'exhausser encore le socle de quarante centimètres. J'arriverai à mon effet, mes personnages se détachant en plein ciel. Il va falloir activer Pravata.

Porté à M. Verdier les dessins des terrains à frapper d'une servitude de construction et des routes à classer. Ça marchera peut-être.

Nous reparlons du tombeau Foch. Lautier ne veut pas de discussion. Il faudrait que tout amendements ou questions soient retirés. On ferait passer le projet en fin de cession, en décembre prochain.

7 [août 1930]

Nous ne dessinons pas assez. Je me le disais[3] en faisant ces croquis pour mes bas-reliefs Saint-Cloud. Une fois sa composition trouvée, on ne devrait faire les bas-reliefs que d'après des dessins.

Un second envahissement de l'atelier par le solde des membres du congrès du Kuomintang.

Chez Grimpret pour mes transports des Fantômes à Chalmont, lui demandant de demander à la C[ompagn]ie de l'Est une réduction.

Le buste du Dr Legueu est terminé. Le second fils venu aujourd'hui a manifesté une satisfaction complète. Je suis content. Le docteur Legueu, dans le monde[4], a l'air d'un homme froid et réservé. Dans l'intimité[5], il est charmant, très gai, très[6] enfant par moments.

9 [août 1930]

Le fronton Paul Adam est terminé[7]. Je vais m'occuper tout à l'heure de mes billets pour Toulouse et Toulon. Passé à S[ain]t-Mandé où tout va bien. De là, chez Tchang Tchiao qui me parle d'une nouvelle statue de Sun Yat Sun, mais en costume civil. Question à être mise aux points au retour de vacances.

Déjeuné chez Wanda. Téléph[oné] à R[aymond] Isay, il va partir en vacances. Il emporte le fameux article sur moi, en train depuis trois ans. Il me le lira au Brusc, car il viendra passer ses vacances dans la région.

10 [août 1930 Toulouse]

Avant de prendre le train pour Toulon, Toulouse (buffet). Très en forme malgré la nuit précédente de voyage et la nuit pareille qui m'attend. À Muret, tout va à peu près. Les stèles sont très en retard. L'ensemble sera heureux. J'ai indiqué et mis en place toutes les inscriptions. C'est le premier monument d'ensemble à l'aviation, où toutes les étapes décisives sont glorifiées. Mais je pense à un autre monument, celui qu'on devrait élever à Paris, dans le fond du champ de manœuvres d'Issy-les-Moulineaux. J'y pense depuis longtemps et j'en ferai l'esquisse.

M. de Manthé a envoyé son livre, Poèmes païens, à tous les gens de lettres de France, ou presque. Parmi ces gens de lettres figurait un colonel en retraite, qui lui a répondu une lettre d'injures qui contenait des choses de ce genre : "J'ai commandé des compagnies disciplinaires, aux colonies. Alors vous comprenez que les amours les plus singulières me sont familières et ne me font pas peur". Puis, pour montrer son érudition pornographique, il lui recopie, mais en latin, les vers les plus pornographiques d'Horace. Quatre pages ainsi, pour terminer par accuser M. de M[anthé] d'être un pornographe. Mais le café Roussel était très allumé par les vers latins, mais bien ennuyé de ne pas en savoir exactement le sens. Heureusement, arrive le juge de paix. Et le juge de paix, dans un grand silence, après s'être fait servir une anisette, traduisit à haute et intelligible voix les vers les plus grossiers qui soient. Et les bouteilles, cependant, dans les bras de la petite bonne, continuaient leur va et vient.

13 [août 1930 le Brusc] Les Lauves

Repos, détente, bien je ne me sente besoin ni de l'un, ni de l'autre.

Je comprends Ibsen, qui dans son pays, faisait tous les jours la même promenade. Il ne changea que le jour où on éleva sur son trajet sa statue. Ce ne fut sans doute[8] pas parce que c'était sa statue, mais probablement parce qu'elle était mauvaise. Faire ici toujours la même promenade me suffit. C'est ce chemin de la falaise qui pour aller de chez nous à la Lecque, suit toutes les sinuosités des rochers, à travers les pins, le long de la mer. Je ne m'en lasse pas et ne crois pas que je m'en lasserai jamais, tant que ma vie sera heureuse comme elle l'est en ce moment. Nous sommes allés jusque chez Miss Getty, dans cette jolie maison provençale qu'elle a fait construire avec tant de goût. Curieux et humiliant de penser qu'une personne étrangère a su comprendre et sentir ainsi le milieu où elle s'installait, tandis qu'une dame française, son amie et sa voisine, cette comtesse de C., y faisait preuve du plus mauvais goût. Mais combien la vue est belle toujours, sur la mer, de ce grand champ de vigne qui vient finir tout au bord. Je pensais quelle erreur littéraire c'est que ce jeu des comparaisons et des images comparatives. Tous les gendelettres[9] qui ont écrit sur la mer, ont cherché des comparaisons. Elles ne peuvent être que mauvaises, puisqu'on ne pourra jamais la comparer qu'à un élément inférieur. L'image ne pourra donc jamais que la diminuer, alors qu'il suffit de prononcer ce mot "la mer" pour l'évoquer pleinement. Une image n'est belle que lorsqu'elle concrétise une abstraction. C'était tout le secret de Jaurès.

14 [août 1930 le Brusc]

Il y a au Brusc toute une colonie de jeunes Annamites, sous la haute surveillance d'un M. Prader-Niquet, homme charmant, conseiller des souverains de l'Annam. Toute cette bande asiatique est venue nous voir aujourd'hui dans d'impeccables costumes de plage. Ils parlent à peine français mais jouent aux boules. Ils sont donc adoptés. Nous avions aussi demandé à Ernest Charles, rencontré à Sanary de venir. Tout le monde, une fois de plus, s'est étonné devant la vue de la terrasse.

15 [août 1930 le Brusc]

Je lis un livre étonnant, au titre bien mal choisi. Cela s'appelle, Journal d'un homme déçu, d'un anglais Barbeillon. Un homme mort tout jeune, qui avait des dons les plus remarquables, un véritable self-made. Très ambitieux. Condamné très jeune. Se rendant compte de l'impossibilité d'atteindre ses buts, a porté tout son effort sur son journal dont il a fait une œuvre d'art. C'est poignant.

16 [août 1930 le Brusc]

Sur la côte d'azur se sont créés beaucoup de centres d'artistes modernes. Dans le temps jadis, ils se groupaient entre eux, autour d'un d'eux qui était un peu comme leur chef d'École. Aujourd'hui, c'est autour d'un critique d'art que l'on se groupe. Les critiques sont ainsi un peu comme les managers de ces peintres. À Sanary, le manager est ce Salmon. Le principal cheval de son écurie est Kisling. Autour, tout une bande dont je ne me rappelle plus les noms quoiqu'ils soient tous célèbres. Ernest Charles que je rencontre devant le fameux Café de la Marine me dit qu'il s'amuse là beaucoup. Nous nous asseyons et regardons circuler ces messieurs et les dames de ces messieurs. Mme Salmon qui a une tête et des yeux marqués à croire à des mœurs bizarres, Mme Kisling aux cheveux blond fade, qui a l'air presque d'un homme, et qui parait-il est sortie l'autre jour toute nue du bain, sur la plage, pour que tout le monde puisse bien constater qu'elle est femme, un grand gaillard qui s'appelle Seriat, une sorte d'Hercule. Quand je vois ces grands types s'amuser à ce jeu de jeunes filles qu'est la peinture, comme disait Michel-Ange, surtout les peintres de paysage, je ne puis m'empêcher de les considérer comme de fameux flemmards. On s'occupe beaucoup trop de ces gens-là.

17 [août 1930 le Brusc]

Reçu les photographies de S[un] Y[at] S[en] terminé et du buste de Mme Bouisson. D'après les épreuves[10], ce buste était bien meilleur avant les retouches faites sur l'estampage. Le vieux proverbe sur le mieux, ennemi du bien. J'ai fait dans ma dernière semaine, en somme, tout un travail inutile. Mais cette expérience prouve une fois de plus, combien il est précieux de conserver des états, lorsqu'on est content à certaines périodes de son travail.

18 [août 1930 le Brusc]

Quelle beauté ce matin, tandis qu'avec les enfants, nous relevions les palangres. Le soleil n'était pas encore au dessus de Sicié et des brouillards enveloppaient complètement le cap. La mer était sans une ride. Et puis, peu à peu, en même temps que le soleil éclairait à contre jour les plans successifs du cap, le brouillard les découvrait et les recouvrait. Tout cela dans des gris. C'était immatériel. Cependant, longeant les rochers, la barque suivait la corde que je sortais, avec de temps en temps, au bout d'un hameçon, un beau congre ou quelque autre poisson. Ma petite Françoise roule la ligne, derrière moi, dans la couffe, décroche les poissons, avec son camarade Pierre. Mon petit Marcel, à la rame, maintient le bateau dans le bonne direction.

Fini le livre de Barbeillon, ce malheureux. Je connais peu d'ouvrage aussi courageux. La traduction me semble tronquée. Il y a des pages d'une sensibilité remarquable.

19 [août 1930 le Brusc]

Sur un petit yacht tout blanc, acculé au quai,  juste en face de ce "Génie de la Mer" auréolé et des cariatides de Puget, Madame Machiels, tournant le dos au trottoir, assise sur le pont arrière rêvassait, lorsque je l'ai découverte. Elle est cuite comme une bohémienne, assez maigrie. J'ai visité ce petit bateau, ma foi, confortablement installé. Ce sont des tours de force d'ingéniosité que les bateaux. C'est une tentation. Mais ce qui n'est pas tentant, c'est de s'en servir ainsi, pour faire des petits bonds de crevettes, de Toulon à Sanary, de Sanary à Toulon aux îles, naviguer à peine, en somme. Il parait que c'est horriblement cher.

En revenant de Toulon, appris avec regret que Tony Garnier était venu. Il aurait dû prévenir.

20 [août 1930 le Brusc]

Pour[11] chercher le pêcheur Marius qui connaît certains filets à langouste à vendre, dont mon petit Marcel a grande envie, nous sommes allés au rendez-vous des pêcheurs, dans la passe de la Novelette. Nous l'avons trouvé-là en effet, qui sur l'île étendait ses filets pour les faire sécher. D'autres barques étaient ancrées, à côté desquelles nous avons aussi la nôtre. Tandis que l'un nettoyait sa barque, qu'un autre débrouillait son palangre, que d'autres cassaient la croûte, nous avons devisé[12] des choses de la pêche, en attendant le père Borelli. Le père Borelli est le père de Marius. C'est un vieux pêcheur solitaire. Il n'a pas une barque à moteur. Nous le voyons presque tous les soirs, autour des rochers, devant chez nous, ou vers la fosse, glissant silencieusement sur sa barque à fond plat. Il est spécialisé dans la pêche aux siouclets qui sont des petits poissons blancs, très brillants, excellents pour la pêche au palangre qui est ma pêche favorite. On les prend dans des filets presque luxueux, à toutes petites mailles, très délicats. Il est arrivé debout, dans son bateau plat[13], ses filets bien remplis. Servadi, lui, en prit et nous lui en avons pris aussi pour ce soir[14].

21 [août 1930 le Brusc]

Nous avons fait une pêche magnifique hier. Mais je ne sais ce qui était le plus passionnant, de sortir tant de poissons[15], ou de naviguer par cette nuit noire sur cette mer tranquille. Nous avons sorti entre autres une bête énorme, un congre "sensationnel" comme dit le père Louis, 1 m 50 de longueur à peu près, dont nous nous sommes régalés. Nous avions justement Ernest Charles à déjeuner. Il était très ému de la mort d'André Rivoire. Il nous a raconté[16] l'histoire de son mariage manqué avec Mlle Brice, pourquoi celle-ci, après la mort de Deschanel s'était cramponnée au ménage Rivoire... Elle était fiancée avec Rivoire. Cependant Em[manuel] Deschanel, alors président de la Chambre, pensait à se marier. À la lettre, on fit le tour, sur le Paris Mondain, des jeunes filles disponibles et suffisamment pourvues et on jeta le dévolu sur Mlle Brice. La question fut posée sans tarder au père Brice, à la jeune fille. Les fiançailles avec Rivoire furent rompues. Et le mariage eut lieu entre ce monsieur et cette jeune fille qui ne s'aimaient pas et n'aimaient que leurs ambitions. Elle fut tout de suite malheureuse. Pour une fois on peut dire qu'une mauvaise action ne fut pas récompensée. Quand Deschanel fut mort, brillamment comme on sait, elle se retourna vers son ancien fiancé, s'accrocha à son ménage, qui se laissa faire par pitié pour cette malheureuse, après tout, qui tombait de si haut.

À Sanary, avant-hier, E[rnest] Charles causa assez longtemps avec un monsieur fort bien, riche, qui venait de se construire une charmante maison. Ce monsieur passa ainsi la journée avec les uns et les autres, fort gai. Le lendemain il se suicidait. Acte réfléchi et décidé depuis longtemps.

Reçu la visite d'une ancienne connaissance, Souza Lopès, peintre portugais, conservateur du musée de Lisbonne. Sa femme est française, sœur de Madame Kisling et ne lui ressemble heureusement pas. Nous nous promettons de nous revoir à Lisbonne où il voudrait avoir quelque chose de moi pour le musée.

24 [août 1930 le Brusc]

Mme Machiels est venue déjeuner et a passé l'après-midi avec nous. Elle m'a raconté une histoire de Bourdelle[17] à qui certain jour elle rendait visite, alors qu'il faisait le buste de Perret. Comme elle arrivait, Bourdelle lui parle de moi (il savait qu'elle avait été mon élève), lui posant des questions ahurissantes sur la façon dont on lui avait dit que je faisais les corrections rue de Berri. Mme M[achiels] remit les choses au point. Mais je note combien Bourdelle se préoccupait de moi. Cela date de loin. Il parait qu'il aima mon buste de Paul Adam et qu'il conseillait à ses élèves d'aller le voir.

Isay venu goûter. Le pauvre Raymond Isay est fort attristé de son aventure du Luxembourg. Mais il a été vraiment bien maladroit. Il viendra déjeuner mercredi et nous lira la notice qu'il a faite sur moi.

25 [août 1930 le Brusc]

La fête du pays. Mon petit Marcel prend part au grand championnat de boules. Il a passé deux éliminatoires. Nous l'avons trouvé aux prises, sur le port, lui et ses deux partenaires avec une équipe de spécialistes, trois gaillards roués, qui doivent être dans la vie aussi ficelles qu'ils le sont au jeu. Cela me plaît que mes enfants se mêlent à la vie du pays, se frottent un peu à toutes sortes de gens. Nous manquons d'énergie. Nous élevons nos enfants trop sentimentalement.

26 [août 1930 le Brusc]

Retour de La Croix[-Valmer], où nous avons trouvé M. et Mme Nénot très bien.

27 [août 1930 le Brusc]

Lettre de Billard. Il vient de recevoir notification officielle du résultat du concours porte de S[ain]t-Cloud. Il va falloir se mettre au travail à la rentrée. Excessivement intéressant.

Après déjeuner, nous nous sommes enfermés, Lily, R[aymond] Isay et moi pour qu'il nous donne[18] lecture de son étude sur mon œuvre. Il y a beaucoup de compliments[19], pas mal de maladresses[20], un certain nombre d'idées justes, un plan qui l'a obligé à des classifications un peu arbitraires. Le tout rédigé de manière assez plate avec énormément de lieux communs dont se gargarise la critique d'art aujourd'hui. La fin surtout sent la hâte. On sent le garçon novice en la matière. Il voudrait faire de cela un volume. Je voudrais le persuader, mais c'est bien difficile et délicat pour moi, de réduire à la proportion d'un grand article de revue.

28 [août 1930 le Brusc]

Nous avions les Dayot à déjeuner aujourd'hui. Ils sont bien sympathiques. Mlle Dayot[21] est toujours jolie et travaille avec mérite. Elle fait de la décoration, et en même temps elle peint des paysages vigoureux. Lui à près de quatre vingts ans et est magnifique, alerte et intelligent. Madame Dayot a pris, en vieillissant, un étonnant caractère. De l'Algérie où elle est née, elle a conservé le port des vêtements colorés et elle nous est arrivée dans une toilette verte, jaune étonnante. Son visage très blanc, sa chevelure toute noire, coupée court, plate, lui donnent un caractère inouï. Quel portrait! Nadine en rêve. Et nous étions tranquillement installés à bavarder, quand l'irruption soudaine de la famille Gregh a changé vivement l'atmosphère. Le pauvre Gregh m'a paru malade[22] et souffre en effet énormément d'une névrite dans le bras gauche, suite d'une chute faite il y a plusieurs mois dans son escalier.

29 [août 1930 le Brusc]

Commencé cette lettre sur l'enseignement que m'a demandée Thiébault-Sisson. Cela m'ennuie car, au fond, l'enseignement ne m'intéresse pas.

31 [août 1930 le Brusc]

Je m'ennuie depuis trois jours à cette littérature pour Th[iébault]-S[isson]. La gentille Miss Getty est venue nous voir avec son amie la petite japonaise K[...] Yamata. Je les ai promenées en bateau le long des falaises pour essayer de faire voir à Miss Getty le toit de sa demeure dans les pins. On la voit très peu. Tout cela a été fait avec un goût parfait. La soirée était merveilleuse. Nous sommes entrés dans cette espèce de grotte assez profonde et impressionnante qui se trouve au bas de sa propriété. Nous sommes revenus dans un coucher de soleil féerique.

 

[1]    . Suivi par : "Très avancé", raturé.

[2]    . Suivi par : "Pour la statue", raturé.

[3]    . Suivi par : "aujourd'hui", raturé.

[4]    . Suivi par : "donne une impression fait", raturé.

[5]    . Au lieu de : "Dans la vie", raturé.

[6]    . Au lieu de : "presque", raturé.

[7]    . Suivi par : "C'est curieux", raturé.

[8]    . Au lieu de: "certainement", raturé.

[9]    . (Sic).

[10]  . Au lieu de : "photographies", raturé.

[11]  . Précédé par : "Matinée heureuse", raturé.

[12]  . Au lieu de : "bavardé agréablement", raturé.

[13]  . Au lieu de : "sa barque plate", raturé.

[14]  . Au lieu de : "faire ce soir", raturé.

[15]  . Suivi par : "ou cette navigation de nuit avec ce fanal", raturé.

[16]  . Suivi par : "des choses", raturé.

[17]  . Suivi par : "chez qui elle était allée", raturé.

[18]  . Au lieu de : "fasse", raturé.

[19]  . Suivi par : "énormément de compliments", raturé.

[20]  . Suivi par : "des idées justes", raturé.

[21]  . Au lieu de : "La fille", raturé.

[22]  . Au lieu de : "souffrant", raturé.