Cahier n°31
1[er juillet 1932]
Soirée magnifique. Une des plus belles de ma vie. Dans l'atelier de Delacroix, le pianiste Rubinstein a joué, pour la Société des Amis de Delacroix, du Chopin. La place Furstenberg n'a pas changé. Le couloir par lequel il entrait ou sortait n'a pas changé, ni la cour-jardin carrée, où les marronniers ont seulement un peu grossi. Pas beaucoup de monde. La charmante Mme de Waresquiel, les Locquin, Maurice Denis, Dezarrois, Desvallières, etc. Je m'assieds à côté d'Hector Lefuel. Il me fait voir sur le mur en face, le Portrait de son grand-père Lefuel, l'architecte (le gendre de Guillaume) que peignit Delacroix. Rubinstein ne joua pas très bien, à mon avis. Sûrement Chopin ne jouait pas comme cela. C'est brutal et violent, et comme ça l'est tout le temps, les grands cris de détresse qui éclatent si facilement dans cette musique sont perdus dans ce perpétuel hurlement. Car c'était un peu en effet comme si quelqu'un hurlait à la mort. Cependant si cette virtuosité violente n'était pas supportable dans les préludes qu'il joua, dans une des mazurkas ce fut étourdissant, quand il a fait de la polonaise une sorte de cri de détresse passionnée qui nous emportait[1]. C'est un grand pianiste. Il faut s'incliner. Je regardais durant tout le temps qu'il jouait, un remarquable Portrait de Delacroix par Champfleury. Je m'amusais à l'évoquer, à l'imaginer vivant, à le voir sous ses trois dimensions, se mouvant dans cet atelier, et j'y suis réellement parvenu, aidé par la force de la musique peut-être. Pourtant j'arrive parfois à ces résurrections[2] sans musique, quand je suis tranquille et seul. L'imagination et le don du sculpteur de voir dans l'espace. Comme Delacroix est un de ceux dont on connaît le plus le détail de toute la vie, on peut l'imaginer, élégant, brun et mat, la voix un peu voilée par la maladie dont il mourut, l'œil très noir. il devait avoir un charme étonnant. Les murs, quoique peu enrichis encore, sont bien évocateurs. Il y a dans un coin une petite toile de l'antipathique vieille Jenny[3] et à l'autre bout une jolie esquisse de Madame de Forget la J. des mémoires, sa belle cousine très répandue dans le monde, qui fut un moment sa maîtresse et resta toujours son amie. Il y a un Baudelaire mal peint, pas par lui, mais bien diabolique. Un petit Chopin assez blême, aux ombres transparentes. Dans les vitrines, des lettres que je viendrai lire un jour. Dans un coin, l'un des chevalets et les palettes qui faisaient autour d'une pochade de Delacroix par lui-même comme des auréoles. [Réal] del Sarte, le sculpteur, me montre une petite table à peinture et me dit que c'est sa grand-mère qui la donna à Delacroix. Sur une question de moi, il me dit avoir beaucoup de lettres. Comme Joubin était là et qu'il m'avait dit préparer une édition de la correspondance[4], je les ai présentés l'un à l'autre. En partant, j'avais la plus grande envie de traverser la passerelle qui unit l'atelier à l'appartement qu'il habitait, je crois que c'est habité. Les deux grandes fenêtres de la chambre où il mourut étaient éclairées. Comme nous partions avec les Locquin, j'aperçus le long Desvallières qui s'en allait seul, à grandes enjambées, comme un grand diable. Ils se croient un peu tous ses successeurs, parce que leur art est turbulent. Je crois que Besnard est celui qui le continue le plus directement. S'il avait la même noblesse de caractère, il aurait été aussi grand. Il en avait tous les dons.
2 [juillet 1932]
Journée sans rien faire. École. Commission. Jugement du prix de Rome de musique, séance à laquelle je vais toujours, car très intéressante. Déjeuner avec Devambez[5]. Je vois tout à coup apparaître dans le cadre lumineux de la porte sur la rue l'ombre chinoise de Thiébault-Sisson. Il vient aussitôt à moi et m'annonce que Rémy a une bourse de voyage. Je le savais déjà. Je fais semblant de ne pas le savoir encore. Il était aussi, m'a-t-il semblé, content de réparer l'effet de sa lettre. Il ne se doute pas qu'elle m'a fait surtout un effet ridicule.
Bouchor, tandis que nous attendions le résultat du vote de la section, comme nous regardions au-dessus de nous le buste de Lakanal, nous raconte de lui cette histoire. Après le Directoire il s'était enfui de France, parti en Amérique où il resta des années et des années. Quand il put revenir, il fut accueilli comme un revenant. On lui avait élu un successeur à l'Institut, etc. Alors il se promenait à travers Paris en costume de membre de l'Institut.
3 [juillet 1932]
Mme Quinquand, ce matin, me racontait des histoires bien intéressantes sur son voyage en Afrique-Centrale. Elle a un parent là-bas qui lui organisa une caravane, si bien qu'elle put voyager impunément, un peu comme Seabrook. Elle traversa des régions où l'on marchait sur des champs d'orchidées énormes. Elle traversa des bois de jasmins. Elle racontait que durant un séjour assez long qu'elle fit dans un village assez éloigné de celui de son équipe de porteurs, un de ceux-ci, malade, mourut. On l'enterra. La veille du départ, quinze jours après son enterrement, ses compagnons le déterrèrent, le firent cuire et le mangèrent :
— On ne pouvait pas le laisser en terre étrangère à son clan, expliqua-t-on à Mme Quinquand, et nous n'avions pas d'autre moyen de le rapporter chez nous.
Tous ces hommes avaient sur eux un ossement d'un de leurs ancêtres (Est-ce si différent des reliques des saints de nos autels, la dispute autour des reliques de s[ain]te Thérèse d'Avila).
Beaucoup d'amis à notre réception d'aujourd'hui. Maurice Denis a beaucoup aimé La France[6]. Il m'a dit à propos de son mouvement, des choses qui m'ont fait grand plaisir. Les Brunschvicg m'ont amené une dame américaine et un de ses amis qui m'ont paru s'intéresser fortement au Temple. M. et Mme Dussaud sont venus avec les Ribière. Ils sont restés très longtemps; en s'en allant Ribière m'a dit :
— Je ne vous connaissais guère que de réputation, mais maintenant c'est une révélation, et je comprends.
Jacques[7], retour de Cocherel et Isay qui y fut également, nous disent qu'on était assez agité dans le monde politique, plutôt à cause de la question finances intérieures.
4 [juillet 1932]
Idée d'un petit groupe, mais qui pourrait être d'un effet formidable. Aboutissement du travail latent de la lecture de Seabrook, la scène des jongleurs d'enfants, et de la conversation de dimanche avec la petite Quinquand. Un homme, un prêtre sacrificateur, brandit à bout de bras un sabre auquel pend le corps traversé d'un petit enfant. Appeler cela : l'Holocauste.
Révision et correction des inscriptions des stèles de Chalmont[8], grandeur d'exécution, chez l'entrepreneur qui va les exécuter.
5 [juillet 1932]
Mariage de la petite Janin. Encore une très jolie mariée. Pylône Paris. Motif les jardins.
Dîner à la maison, Bosworth, Jaulmes, Georges Grappe. Ce dernier racontait que Corta avait fait des pieds et des mains pour m'enlever le tombeau de Foch. Il était venu le voir, lui promettre son buste, etc. (l'attitude de Comœdia s'explique).
6 [juillet 1932]
Porté à Fabvre le texte que j'ai été fort long à trouver de l'inscription dédicatoire des stèles de Chalmont.
À la Légion d'honneur, remise au grand chancelier de la plaquette que m'a commandé le conseil. Ce fut très cordial.
Déjeuner du Dernier-Quart, entre Abel Bonnard et Ulrich; en face de Baréty, Moulin et Campinchi. Puis Conseil Supérieur des Beaux-Arts. Enfin encore une journée perdue.
7 [juillet 1932]
Dessin d'après cette danseuse russe[9].
Toujours le décor du bouclier de Chalmont qui vient tout à fait. Il ne fallait pas que les trois figures centrales semblassent des réductions de la grande figure. C'était le cas lorsqu'elles étaient ronde-bosse. Maintenant elles sont bien un décor, et symboliquement elles comptent suffisamment. Comme nous sortions du jugement du petit concours d'esquisse, nous avons été voir les concours de Rome qu'on finissait d'installer. Ma première impression est que Lagriffoul mérite le prix.
Rentré en vitesse pour ma séance avec Madame C[harles] Meunier. Elle m'assure que c'est Marquet qui poussait Tardieu à cette politique dictatoriale, de même que Ventura aurait eu une très grosse influence sur [Paul-]Boncour. Ce serait Marquet qui aurait lâché Tardieu[10]. Échos de racontars qu'il est tout de même regrettable d'entendre à propos d'hommes au premier plan de la politique de la France.
8 [juillet 1932]
Bon travail le matin au bouclier en attendant Bréguet avec qui j'avais rendez-vous et qui n'est pas venu. Après-midi jugement du concours de gravure en taille douce. Sicard me dit qu'il votera pour Lagriffoul. Son succès semble se confirmer. Il le mérite.
Coopération intellectuelle, rue de Montpensier où Brunschvicg m'apprend que les accords de Lausanne sont signés. Il me dit qu'il y aura aussi un accord pour le désarmement. Puisse-t-il avoir raison. La force qui va venir à Herriot de sa réussite à Lausanne lui donnera, espérons, l'audace de solutions d'envergure. Il y avait Bouglé, Henri Bonnet, Lebrun, Migeon et deux dames, et Julien Luchaire qui a de plus en plus l'air du héron obligé de se contenter du limaçon.
Très intéressant dîner chez le sénateur Pierre Rameil. Convives : Paul Abran, le peintre Madrassi, Pierrefeu, Nadia Boulanger, Lamourdedieu, M. et Mme Gaillard, M. et Mme Dyer, une de leurs amies, Mme Piazza, Mme Bénédite. Je suis à table à côté de Nadia Boulanger avec laquelle j'ai une très intéressante conversation sur le concours de Rome de musique. Elle me disait connaître des jeunes gens de valeur qui ne peuvent se décider à travailler sur ces sujets de cantate idiots qu'on donne ordinairement. Je lui ai demandé de me dire par quoi cela pourrait être remplacé. Elle m'a promis de m'envoyer des précisions écrites avec des programmes d'un ordre neuf, susceptibles d'intéresser et d'attirer les jeunes gens. Paul Abran racontait avoir vu dernièrement une dame qui avait été reçue chez Poincaré et que sa déchéance était lamentable. Comme au dessert cette dame avait pris une pêche qui restait, Poincaré s'était mis à pleurer disant qu'elle était pour lui. Dans un tout autre ordre d'idées[11], comme dans notre coin, la conversation était venue sur les jugements, M. Gaillard nous raconte cette histoire. Il avait à défendre en Algérie un soldat des compagnies de discipline pour détérioration d'objets militaires. Il avait fait acquitter le pauvre bougre. Alors il eut la stupéfaction de voir celui-ci s'emparer de son soulier et le jeter à la tête du colonel présidant le Conseil. Condamnation à mort immédiate. Il fut cependant gracié et envoyé aux travaux publics. Ce garçon avait été furieux d'être acquitté parce qu'il voulait être condamné aux travaux pour rejoindre un jeune compagnon condamné avec lequel il entretenait des relations amoureuses. Pierre Rameil alors nous raconte l'histoire d'un de ses camarades du lycée de Toulouse. Ce garçon, fils du rabbin de Toulouse, avait eu sept années de suite le prix d'excellence, presque tous les prix, nomination au concours général. Étudiant en médecine, il arrive interne et dans sa deuxième année d'internat devient chef d'une bande de cambrioleurs. Cela dura trois ans pendant lesquels il accomplit une série de cambriolages sensationnels et assassina six femmes. Pris enfin, condamné à mort, gracié par Fallières, il est actuellement au bagne, mais y circule librement, exerçant la médecine à travers la Guyane où il est très considéré. Il fut dévoyé à la suite d'une passion violente pour une femme qui le trompa et l'abandonna. Il tua les autres pour se venger de la première. Il analyse actuellement parfaitement son cas, une véritable folie meurtrière qui le posséda plusieurs années. Pierre Rameil évoque aussi l'histoire de ce gouverneur des colonies Tocqué qui avec son camarade Goult fit certain 14 juillet sauter à la dynamite des nègres au Congo. Bien que malade à ce moment, il fut condamné; son supérieur lui ayant conseillé de ne pas faire appel, qu'on arrangerait l'affaire ensuite; Goult était le seul coupable de cet affreux jeu. Arrive la guerre. Je n'ai pas très bien entendu comment, mais Tocqué fut arrêté, accusé d'espionnage, de dénonciation, et fusillé malgré ses protestations d'innocence. Rameil qui assista au procès dit qu'il est certain qu'il était innocent. M. Gaillard qui a étudié cette affaire en est aussi persuadé. C'est la première condamnation injuste qui entraîne la seconde.
Pendant la soirée, l'amie des Dyer nous chante des chants hindous, bulgares, grecs. Voix délicieuse. Femme d'un charme étonnant. Elle a un léger aspect oriental elle-même. D'où vient cette attirance, cet envoûtement de l'Orient? Quel est celui qui y ayant été une fois ne pense plus à y revenir? Déjà l'Afrique...
9 [juillet 1932]
Jugement du concours de Rome de peinture. Bien jugé. Réception aux Affaires étrangères où je fais la connaissance de Madame Pâtenotre qui est charmante. Madame Herriot recevait et vantait le succès de son mari. Un monsieur dont je ne me souviens plus du nom m'a félicité de mon allure de jeunesse! Allons tant mieux. Mais l'allure n'est pas la jeunesse, hélas!
10 [juillet 1932]
Visite de Martial. Il venait gentiment me parler du concours et du jugement de demain. Lagriffoul très agité vint ensuite. Les camarades lui reprochent violemment d'avoir changé son esquisse. Je l'ai regardée à ce point de vue. Il n'a rien changé. Cette démarche collective lui prouve qu'il est dangereux. Je l'ai rassuré et assuré qu'il ne serait pas mis hors concours. Le courant semble de plus en plus se décider en sa faveur et j'en serais très satisfait. Il est intelligent, travailleur.
11 [juillet 1932]
Après le jugement du concours où mon atelier a remporté deux succès (Lagriffoul et Corin), après le jugement des esquisses du Chenavard, été voir au musée Guimet les nouvelles acquisitions et les nouvelles installations. Il y a quelques belles pièces. Peu résistent à un long examen. Sauf les quelques bronzes hindous (Le Siva dansant, remarquable) et certains beaux cuivres tibétains, il n'y a pas, sculpturalement parlant, de pièces extraordinaires. Le mot curieux conviendrait mieux. Et il y a les fameuses terres cuites gréco-bouddhistes. Il y aurait une étude critique de premier ordre à faire sur ce sujet pris d'abord dans son sens général : De l'influence de l'art grec sur les arts d'autres civilisations. Thèse évidente : influence néfaste. Cause : sa perfection[12]. Le plan pourrait être : I. — Histoire des pénétrations helléniques dans l'antiquité - en Asie - en Europe - en Afrique. La nuit du Moyen Âge, le renversement de l'art médiéval par la découverte des statues antiques (la Renaissance). II. — La perfection de l'art grec; résumé rapide de son histoire (étudiée du point de vue des raisons de sa grandeur et de sa décadence), de son apogée : de la perfection l'éternelle impasse, sa décadence. III. — Les conjonctions : il apporte d'abord un renouveau par libération des formes rituelles, d'où sa séduction. Mais sa perfection mortelle pour lui-même encore plus mortelle pour ceux qui l'imitent. IV. — Conclusion : Qu'appelle-t-on Décadence, Apogée, Renaissance. Sont-ce des mots, seulement? Ces mots correspondent-ils à des réalités? Art étudié par l'extérieur. Variation des formes. Art étudié en profondeur. Immuabilité des pensées profondes. Je pense qu'il y a des époques d'apogée, qui dans chaque civilisation, pourraient être appelées les époques classiques. Ce sont celles de l'union parfaite, unanime, entre l'art et la pensée d'une société. Il y a des périodes de décadence, celles où la pensée d'une société perd son unité, flotte, et où l'art ne devient plus qu'un jeu pour l'esprit ou les yeux. Ce sont ces époques où les influences étrangères sont accueillies comme des révélations, des nouveautés. C'est à la faveur de ces troubles que l'art grec apporte ses séduisantes formules en Asie, dans l'Ouest européen, etc. Il ne faut pas considérer cela comme un bien[13]. Cette visite au musée Guimet en est une preuve de plus.
12 [juillet 1932]
Lagriffoul à déjeuner. Il est heureux. Il y a de quoi. Je crois qu'il fera vraiment de bonnes choses là-bas. Après j'ai eu la visite du petit Corin, mon second prix. Autre nature. Plus timide. Très sensible aussi. Très artiste. Il devrait être dangereux l'année prochaine.
Fin de journée, visite de Mme Havard et de sa mère et de deux amies. L'emballement de la ravissante Mme H[arvard] devant la statue de la France m'a fait plaisir. Cette jeune femme est vraiment très belle[14]. Elle reviendra poser, car j'ai vu des perfections à apporter, des nervosités qu'on ne met qu'avec la nature devant les yeux.
Dîner chez les Locquin. Avec nous il y avait Isay et M. et Mme Hersant. Pendant le dîner, M. Hersant racontait que Clemenceau voulait absolument faire fusiller Caillaux, que ce sont les socialistes qui ont empêché ce crime, que Caillaux maintenant ne leur en est nullement reconnaissant, tend au contraire vers une politique de droite. Par contre, quantité de gens qui poussaient à la fusillade font maintenant des pieds et des mains pour être présentés à lui, lui font des courbettes, etc. À propos de l'affaire Calmette, M. Hersant disait que durant la guerre Calmette aurait sûrement été exécuté. Il était à la solde de l'Autriche. M. H[ersant] a eu dans les mains un dossier fantastique. Locquin s'apprête à se présenter au Sénat. J'ai vu chez lui, d'excellentes aquarelles de lui réellement excellentes.
Mon petit Marcel est admissible à son écrit.
13 [juillet]
À Chalmont[15] pour les inscriptions des stèles. Tout ça va. Je regrette toujours que le groupe ne soit pas plus important. Il lui manque quatre à cinq mètres.
Excellent article dans Comœdia sur Les Vignes vierges de Jacques que l'on joue à Salzbourg en août. Par contre, à propos des concours de Rome, une petite pointe méprisante. Mépris pour mépris.
Herriot à la Chambre, changeant de majorité, a obtenu le vote de cette loi idiote des finances, qui ne comporte que des impôts nouveaux et aucune compression des dépenses militaires. La gauche du parti radical a manqué de cran, l'a suivi, de sorte que les socialistes ont voté contre, unis à l'extrême droite. Est-ce la première annonce de ce fameux ministère de concentration qui fera la politique des marchands de canons sous le paravent de quelques hommes de gauche?
14 [juillet 1932]
Visite de Leygues. Me montre son projet d'envoi de Rome qui consisterait en une scène de course cycliste. Je l'ai encouragé dan cette voie. C'est très difficile. Mais s'il peut trouver une interprétation plastique d'un coureur cycliste à bicyclette, et cela peut et doit se trouver, il peut faire une chose très bien, moderne dans le bon sens du mot. Mais rudement difficile. Pour moi je vois très bien le parti décoratif que je tirerais des bicyclettes, roues, pédaliers, jambes des coureurs; il faut que ce soit traité très plat, comme les bas-reliefs assyriens de Londres.
Tandis que Bouglé, vers la fin de la journée était là, venu nous dire au revoir avant les vacances, sont arrivés Madame Chanler et M. Mirza Ahmad Sohrab, ce Persan, naturalisé américain, grand protagoniste des idées de paix et d'union des peuples. Madame Chanler paraît assez étrange, a dû être fort jolie. Lui est un homme petit, robuste, aux yeux noirs fort intelligents. Il est à Paris pour organiser un concours entre étudiants européens sur le sujet de l'organisation de la paix et de l'union européenne. C'est dans la jeunesse, dit-il, qu'il faut propager ces idées. Un concours, doté de riches prix, conduira[16] les jeunes gens à réfléchir sérieusement sur ces sujets. Longue visite des ateliers. J'avais remarqué, lorsqu'il était venu dimanche dernier, qu'il prenait des notes en regardant mes Murs. C'est que mon projet semble répondre parfaitement à un projet qu'il nourrit avec un groupe d'êtres pensant comme lui, d'un ensemble de constructions qu'on veut élever à New York et dont l'aboutissement serait ce Temple de l'Effort humain. Mais les hommes ne sont pas encore assez dépouillés des emprises religieuses séculaires. M. Sohrab est disciple de ces deux philosophes persans père et fils, Baha-U-Llah, dont la doctrine est devenue une sorte de religion, le bahalisme. Nous devons déjeuner avec eux samedi.
Jacques[17], à dîner, me disait qu'on aurait probablement en novembre un ministère Caillaux(?) Sera-ce lui le fameux chef de la concentration?
15 [juillet 1932]
Je termine cette coupe Gérard Montefiore, pour laquelle je suis tellement en retard. C'est un bibelot qui fera bien.
Visite du comte et de la comtesse Manzoni. Très sympathiques. Lui, très Affaires étrangères, froid, terriblement bien habillé. La qualité du drap de son complet-veston m'a impressionné. Ils sont tous pareils dans tous les pays. C'est pourquoi ils sont toujours d'accord pour ne pas se mettre d'accord. Mais sous cet aspect professionnel, on sent assez rapidement un homme sensible, cultivé, très affable et aimable, comme tous les Italiens. La comtesse, comme toutes les Italiennes, très bonne et fort intelligente. Quelle belle race et quel dommage de ne pas être en complète union avec ce pays. Depuis l'aventure mussolinienne ils ont des torts. N'en avons-nous pas eu avant?
16 [juillet 1932]
Jean Vignaud toujours malade me téléphone. Nous reprendrons le buste en octobre. L[ouis] Bréguet est parti pour quelques jours. Plus qu'une séance. Il en a plein le dos. Il faudra cependant qu'il me la donne avant le départ. Jeanne Briey est partie. Impossible d'avoir rendez-vous pour le choix des emplacements du buste de A[rthur] Fontaine. Peyerimhoff qui devait venir me voir pour le buste Wouters[18] ne donne plus signe de vie. Tout ça va encore traîner tout le prochain automne. J'en profite pour terminer la coupe Montefiore et la grande France. Retouches dans le plâtre qui permettront un travail sans accroc dans le granit.
Déjeuner chez Mme Chanler. Elle habite au 6e étage d'une maison rafistolée, angle de la rue des S[ain]ts-Pères et de la rue S[ain]t-Sulpice. Nous grimpons, enfilons des couloirs et arrivons dans une pièce mi-salon, mi-atelier, donnant sur des toits, des mansardes, des murs blancs, des cheminées, tout ça gris, sale, mais ayant son charme mélancolique. Nous trouvons là M. Sohrab. Puis arrive par le petit escalier un énorme M. Chanler. Face de beefsteak, épaules de boxeur, stature d'Hercule, M. Chanler est un homme bienveillant qui laisse sa femme, ainsi qu'elle nous le dit, s'occuper de son œuvre d'union des peuples, recevoir chez lui qui elle veut, tandis que lui s'occupe de courses, fait courir, passe six mois en Amérique, six mois en France. Et la vie passe. Madame Chanler s'est consacrée à l'œuvre de Sohrab. Celui-ci fut longtemps secrétaire du fils de Baha-U-Llah, qui vécut plus de quarante ans en prison en Perse et, libéré, parcourut le monde pour répandre la doctrine de son père. L'œuvre de M. Sohrab s'appelle Société de l'Histoire Nouvelle. Son but est de faire comprendre aux peuples que l'histoire de chacun d'eux fait partie de l'histoire de tous, que c'en doit être fini avec les histoires de guerre et qu'il faut écrire l'histoire de la Paix. En Amérique la Société a déjà réuni des adhésions excessivement nombreuses. En Europe, par la fondation des prix interuniversitaires internationaux, il espère répandre ses idées. Bien entendu un uniforme a été créé qui comporte une chemise verte, puisque la mode est aux chemises (tous ces gens oublient que l'homme heureux c'est l'homme sans chemise). M. Sohrab m'a offert une chemise verte. Après le déjeuner, comme M. Chanler était parti aux courses, Madame Ch[anler] lui demanda de nous parler de Baha-U-Llah. Il nous raconta.
Un jour, au milieu du siècle dernier, un jeune homme, en Perse, se mit à parcourir le pays disant que les temps étaient venus, que tout allait changer, qu'il fallait en finir avec les haines des peuples; qu'il fallait libérer les femmes de leur esclavage, etc. Sa parole portait. Elle portait tellement qu'on finit par l'arrêter parce qu'il disait aussi que la religion de Mahomet était pervertie, que tous les saints qu'on adorait étaient marque de superstition, qu'il n'y avait qu'un Dieu, que toutes les religions se valaient, méritaient même respect. Parmi ceux qui écoutèrent et suivirent ce jeune homme était un autre jeune homme, de race princière, qui s'appelait Baha-U-Llah. Quand le premier fut arrêté, il continua. Sa beauté était grande. Sa parole puissante. Sa secte grandit, grossit, si bien qu'à son tour devenant danger pour l'ordre établi, il fut arrêté. Il fut envoyé en prison à Constantinople, puis à S[ain]t-Jean-d'Acre, exilé dans une forteresse. Son fils subit avec lui sa captivité. Il y entra à l'âge de douze ans et n'en sortit que quarante-deux ans après. Son père étant mort, comme il continua à répandre sa doctrine, on l'exila. C'est ainsi que le bahalisme quitta la Perse et l'Asie Mineure pour se répandre dans de petits groupes en Europe et en Amérique. Jusqu'à sa mort M. Sohrab fut son secrétaire. On le sent plein de la pensée de son maître. C'est réellement l'image d'un disciple mystique. Qu'il soit habillé en veston n'enlève rien à la grandeur de son sentiment. Tandis qu'il nous racontait cette histoire, assez difficilement, car il parle assez difficilement le français, je regardais sur une petite table ronde un très beau portrait de ce fils de Baha-U-Llah. Il ressemblait étonnamment au Christ des Pèlerins d'Emmaüs de Rembrandt. M. Sohrab et Madame Chanler parlent continuellement de Baha-U-Llah comme s'il était vivant. La conversation ayant évolué vers l'éternelle angoissante question du désarmement, Lily eut tout à coup l'idée amusante de leur suggérer d'aller voir de Wendel pour lui demander de créer un prix de la paix, genre prix Nobel.
— Mais certainement nous irons, dit Mme Ch[anler]. Baha-U-Llah viendra avec nous. Nous le lui demanderons.
N'est-ce pas là, la seule immortalité des hommes, celle que nous donnent nos œuvres[19]? On ne pense jamais avec assez d'émotion à ceci quand on lit l'œuvre d'un poète, quand on écoute l'œuvre d'un musicien, quand on regarde le tableau d'un grand peintre, la statue d'un grand sculpteur. C'est que nous voyons, écoutons, ce qui était le plus mystérieux en eux, la substance la plus intime de sa [leur?] pensée et qu'en fait, bien qu'ils soient morts, ils nous parlent encore eux-mêmes.
Je pensais à tout cela, que je sens de plus en plus, que j'ai toujours senti, je me rappellerai toujours mon émotion à Chantilly d'avoir tenu, touché des dessins de Michel-Ange, de Donatello[20]. Je m'en allais avec Paul Léon, toujours si cordial, si intelligent. Comme je lui posais des questions sur Mistler, il me raconte que celui-ci lui avait dit :
— Ah! comme je regrette de n'avoir pas le pouvoir de supprimer d'un trait de plume l'École des beaux-arts.
Un autre jour, dernièrement, au moment d'établir les promotions dans la Légion d'honneur, Paul Léon lui propose Lucien Simon, Desvallières.
— Vous vous fichez de moi, lui dit-il. Ces hommes sans aucun talent...
Et voilà dans quelles mains sont les Beaux-Arts en France. La vérité est que par Mistler c'est Comœdia, et indirectement les marchands de tableaux qui dirigent le s[ou]s-secrétariat aux B[eau]x-A[rts], comme le ministère de la Guerre est dirigé par les marchands de canons. Mistler n'est probablement pas véreux, mais il veut paraître à la page, et comme tous nos s[ou]s-secrétaires aux B[eau]x-Arts, il lui faut tous les matins son portrait dans Comœdia avec une colonne de flagorneries. C'est un serin.
Téléph[one] d'André Blum qui va venir me voir demain pour un article qu'il veut faire sur moi dans l'Amérique latine.
17 [juillet 1932]
Bien que ce ne soit pas le dimanche où je reçois mes élèves, j'en ai reçus toute la matinée. Jacquot [ou Jacquet], Coquelin, Rochet, et ce pauvre petit Ruffié et sa maman. Deux pauvres êtres ratatinés, recroquevillés l'un contre l'autre. Ce pauvre garçon fait pour son plaisir, dans sa chambre, un buste de Doumer d'après photos! Il veut offrir ça à la ville de Toulouse! Je n'ai pu faire autrement que d'accepter d'aller voir ça. J'irai mardi, en revenant de chez Jules Alquier. J'aurais voulu qu'une sténographe recueillît la conversation de la mère de Ruffié. Elle m'a raconté toute sa vie, son mariage avec un officier colonial à moitié fou, la mort de son mari, la naissance d'un de ses enfants sur le pont Alexandre, la maladie de son fils qui lui reste, seul sur cinq, etc., d'une manière si comique que j'avais toutes les peines du monde à ne pas rire en écoutant le récit véridique de tant de malheurs.
Le matin de très bonne heure téléphone d'une dame Stepinska me demandant de faire pour sa tombe le buste de son mari, docteur que j'ai connu, mais dont je ne me souviens pas. Je voudrais bien refuser ces sortes de travaux. Mais comment faire avec l'effondrement des économies qu'on avait faites, avec l'obligation où j'ai été de soutenir depuis[21] six mois le ménage[22] de la rue Louis David. Situation qui me tourmente. Il y a certains principes qu'on ne devrait jamais oublier.
Visite d'André Blum. Pour cet article. Recherches de photographies. Conversation avec un homme fort intelligent.
Mon petit Marcel fait peine à voir. Il porte son admissibilité au bachot comme une condamnation et attend son oral comme une exécution.
18 [juillet 1932]
Hier soir examen médical par Ladis, qui fut bon. Ce matin, complément au laboratoire pour examen du sang. Puis banque, pour chercher des billets qui s'en iront plus vite qu'ils n'ont été gagnés. Pris les places pour le départ de Marcel demain. Rentré vivement pour recevoir Madame Havard avec qui j'ai fait une excellente séance pour la tête de la France que je fais bien de revoir. Et voilà que le bouclier ne me plaît plus. Je le trouve un peu trop métallique, pas assez granit. Comme tout ça est difficile. Robert Renard et le jeune mari de Madame Havard sont venus. Très contents.
Après-midi l'homme à l'aigle pour M. Montefiore, qui sera tout à fait terminé demain. Enfin. Bon groupe, je crois, dans le genre.
Mais l'intérêt de la journée a été dans la visite de ce philosophe hindou, le professeur S.L. Joshi[?], qui enseigne en Amérique, au Dartmouth College, à Hanover, dans le New Hampshire. Comme nous lui montrions le projet du Temple, il nous dit connaître une dame américaine de Boston, une dame Brakett qui rêve d'élever à Genève un temple de toutes les religions. Il m'a demandé de lui remettre une note sur mon projet, qu'il la lui remettrait et qu'il lui dirait de venir me voir. Elle doit aller à Genève prochainement, revenir à Paris au commencement septembre, je reviendrais bien exprès, mais c'est le moment où j'y repasserai. Il nous a parlé de Gandhi et m'a remis en tête l'idée de faire cette figure de prophète. Je me promets d'en faire une esquisse cet été au Brusc.
Téléph[one] de Billard. Rendez-vous pris avec les entrepreneurs vendredi. Allons-nous enfin arriver à une décision pour la pierre. Il serait temps.
Télé[phone] du colonel Petit pour le règlement de la plaquette du grand chancelier. Encore une fois où j'ai été trop modeste.
Je lis la Rome de Mauclair. Des pages remarquables.
19 [juillet 1932]
Mon petit Marcel est reçu à son bachot. Examen qui se déroule dans de très mauvaises conditions, à cause du nombre croissant des candidats, de la hâte des interrogations. C'est peut-être le plus difficile examen de l'existence. J'ai retrouvé parmi les examinateurs d'une autre série que Marcel malheureusement, M. Font qui de temps en temps[23] a pu nous tenir à peu près au courant des notes, de sorte que nous avons été rassurés sans une trop longue attente.
Dernière séance de Louis Breguet. Buste qui aurait pu être très bon et qui est près de l'être. Il aurait fallu de plus longues séances.
À l'École des beaux-arts pour voir les décorations du nouvel Hôtel de ville d'Arras, de l'ami Hoffbauer. C'est bien, quoique un peu pastiché. Mais c'est tellement voulu, affirmé dans ce sens, probablement sur la volonté de l'architecte, la construction étant elle-même la reproduction de l'ancien Hôtel de ville, qu'il ne faut pas juger de ce point de vue. L'ayant accepté, c'est très bien, très adroit, très décorant. En place, à sa hauteur, ça fera sûrement excellent effet.
Chez Alquier pour parler de Jean-Max, mais j'en sors assez peu renseigné sur le présent, assez peu fixé sur l'avenir.
Enfin, fini chez ce pauvre petit Ruffié. Ils habitent, lui et sa mère, dans une maison meublée de la rue de Verneuil, qui n'est probablement pas un mauvais lieu, mais qui en a tout l'air. On m'attendait en bas. On m'a conduit dans la chambre longue et basse dans laquelle ils vivent tous les deux, lit contre lit, inquiets, peureux, émouvants, ridicules. Près de la fenêtre, un canapé :
— C'est là que nous dormons jusque vers une heure du matin, pour avoir de l'air.
Sur une table, le buste du triste Doumer, l'œuvre choyée... sinistre, sinistre. Et tout ça, avec l'accent de Toulouse.
20 [juillet 1932]
Téléphone de M. Weiss que j'avais appelé et qui m'apprend que le projet Montaigne a été accepté et voté hier par le conseil municipal. Pourvu maintenant que le docteur Armaingaud ne me bouscule pas. Comment arriver en un an à faire ce marbre! Il va falloir bien de la diplomatie avec le bon docteur Armaingaud.
À déjeuner les Blanchenay[24]. Je le trouve toujours intelligent et personnel. Un des hommes que j'aime le plus rencontrer. Il ne m'a pas paru en santé très bonne.
Pontremoli venu me chercher pour aller à Versailles me confirme dans mon intention de simplifier le bouclier de la France Chalmont[25]. Pour demain. Donc ensuite visite de Versailles sous la direction de Bonnet. Les théâtres, Trianon, le Hameau, toutes les restaurations financées par Rockefeller. Magnifique vue des jardins, du haut des toits. Dîner à Trianon à côté de Brunschvicg. Décidément non, je n'aime pas cette époque. Je suis moins intransigeant qu'il y a quinze ans. Tous ces sculpteurs, Pajou, Coysevox, etc., ne sont pas de très grands sculpteurs. Il serait peut-être plus juste de dire que leur époque les a empêchés d'être les très grands sculpteurs dont ils avaient l'étoffe. Idée à développer : Certaines époques portent leurs artistes, les élèvent au-dessus d'eux-mêmes, d'autres au contraire les diminuent. Comparer le XIIIe au XVIIIe.
21 [juillet 1932]
Passé voir le docteur Armaingaud. Il est guéri. Dans une semaine il doit rentrer chez lui. Il m'a tout de suite parlé de la date, du prochain printemps. J'ai été évasif et prudent. Fini l'homme à l'aigle. Demain on monte et on moule le buste de Breguet. Téléph[one] de M. de Peyerimhoff (enfin) qui viendra samedi voir le buste Wouters.
Un peu fatigué. L'analyse de mon sang révèle des signes de surmenage[26]. Donc nous partirons dans les premiers jours de la semaine prochaine.
Passé la matinée à établir l'appareillage des pierres pour les fontaines avec Billard et le directeur de la maison Lemoncé. Ce directeur doit revenir demain pour prendre le relevé.
23 [juillet 1932]
Moulage de l'homme à l'aigle et du buste Louis Breguet. Grande partie de la matinée avec M. de Peyerimhoff pour le buste Wouters. Bien difficile avec le si pauvre document qu'on m'avait remis. Travaillé ensuite au buste Fontaine. La sculpture a quelque chose de si prenant que même ce travail d'après photographie quand on s'y met à fond est intéressant.
À l'Institut, séance sans intérêt. On s'est séparés pour les vacances. Rencontré sur les quais Marcel Baschet qui verrait volontiers la candidature Hoffbauer. C'est mon avis. Je lui ai parlé aussi de Vuillard et J[acques-]E[mile] Blanche. Il reconnaît leur valeur. De tout cela il sera parlé à la rentrée.
Au ministère du Travail, rendez-vous chez M. Picquenard pour choisir un emplacement pour le buste d'Arthur Fontaine. Très jolie place dans la cour. Il faut en parler à l'architecte. Malheureusement c'est Tronchet. Il n'a pas bonne réputation. Je vais lui demander un rendez-vous proposé pour mardi matin par M. Picquenard.
Hier, j'ai été chercher le costume de Montaigne, chez le docteur Armaingaud. Ce qu'il m'a donné n'est qu'un déguisement de théâtre, sans aucune vérité. Je l'ai emporté quand même avec des photographies de lui dédicacées. Jacques qui dînait avec nous chez Benj[amin] me dit qu'il a vu H[enry] Bérenger le matin et que celui-ci m'avait mis sur sa liste pour le grade de grand officier, que je devrais voir Sarraut et les autre ministres que je connais, parce que ces distinctions-là se donnent au Conseil des ministres. Évidemment cela me ferait très plaisir. À ce point de vue tout au moins je suis comme Delacroix. Je n'ai pas de moi-même une opinion assez haute pour me sentir au-dessus de ces honneurs. Je m'avoue à moi-même qu'ils me font plaisir. Cependant je ne verrai ni Sarraut, ni les autres. Ce sont démarches gênantes à faire. Souvent la dignité n'est que le fait de la timidité.
24 [juillet 1932]
Buste Arthur Fontaine que j'ai presque terminé. Il le sera demain. Alors organisation du départ pour Le Brusc.
Visite de M. ..., ingénieur des mines pour le buste Fontaine. Visite de l'atelier qui m'a paru l'intéresser beaucoup. Le jeune Leleu, puis Morenon et Reichenstein venus. Je les ai consolés et leur ai expliqué les raisons de leur échec au concours; quoique pour Morenon je ne fusse pas convaincu. Il aurait dû avoir le 1er second. Et malheureusement il est limite d'âge. Je lui ai donné l'exemple de Rémy dont la situation s'est bien retournée.
À déjeuner Billard. Son collaborateur Pommier sans plus s'occuper de rien est parti en Suède avec sa femme, pour un mois. Nous avons commencé l'étude des mosaïques. Plutôt, nous en avons parlé. Je vais chercher celles des fonds des bassins; eux, le dallage entre bassins. Je pars cette semaine pour Le Brusc avec l'intention très ferme de chercher les maquettes de ces mosaïques. Programme passionnant. Je crois que ces vacances-ci, je les passerai moins bestialement que les autres. Mais pour travailler là-bas il faudrait être moins nombreux.
Répondu à M. Wildenstein pour le remercier de sa note de la Gazette des Beaux-Arts. Également à Dezarrois (qui a cru bon d'envoyer un petit coup de patte à Isay), et à G. Janneau.
25 [juillet 1932]
Dernière séance avec Madame Havard. En bas, c'est mieux que la tête actuelle. Question de nuance. En place, l'effet se maintiendra-t-il? Mais ce qui vient de gagner d'un seul coup, de prendre son aspect définitif, ne varietur, c'est le bouclier. Il a suffi pour cela de supprimer les petits encadrements ronds de quatre motifs extérieurs, et c'est devenu la chose arrivée... Cet aspect contribue à beaucoup faire gagner la statue. Il y a encore un effort à faire sur la tête.
Travaillé au buste de A[rthur] Fontaine, que je tiens. Demain rendez-vous de tout le monde.
Après dîner, Jacques[27] nous a lu sa nouvelle pièce pour le Renaissance : Vel d'Hiv. C'est très bien, excellent même. Je ne serais pas étonné que cela ait un très gros succès.
Retournement de Thiébault-Sisson. À propos du livre de R[aymond] Isay il a publié dans le Temps une note très bien, très aimable [28]. Je remercierai du Brusc.
26 [juillet 1932]
Rendez-vous au ministère du Travail avec Tronchet, qui propose un autre[29] emplacement. Cette cour du ministère est fort jolie, doit en effet être respectée. L'emplacement qu'il propose est d'ailleurs bien.
Tandis que nous procédions à la mise en place de la nouvelle tête, téléphone de M. Picquenard. Il me dit avoir pris connaissance des prix que je lui proposais pour les bustes de A[rthur] Fontaine, et n'être pas d'accord... C'était une gentille façon de me dire que ma demande était trop modérée et qu'il pourrait offrir plus. La souscription a marché, paraît-il, fort bien. Donc de ce côté tout bien. L'après-midi Madame Fontaine et les fils de A[rthur] Fontaine et de ses amis sont venus et le buste a recueilli l'approbation unanime.
Je suis moins satisfait de ma tête de la France[30]. Le défaut n'est pas dans le masque. Il est dans l'attache de la tête sur le cou. Il y a là quelque chose d'important qui n'y est pas. Demain départ pour le Brusc.
31 juillet [1932] le Brusc
Conserver le souvenir de ce bateau noir avec une voile bleue. Effet singulier. Je crois que c'était un yacht de plaisance.
[1] . Suivi par : "malgré cette erreur", raturé.
[2] . Au lieu de : "réalisations", raturé.
[3] . Suivi par : "qu'on n'aime pas", raturé.
[4] . Au lieu de : "des lettres de Delacr...", raturé.
[5] . Suivi par : "Dans le restaurant", raturé.
[6] Les Fantômes.
[7] Chabannes.
[8] Les Fantômes.
[9] . Suivi par : "qui vécut longtemps à Alger", raturé.
[10] . Suivi par : "Amusant petits cancans", raturé.
[11] . Suivi par : "Pierre Rameil", raturé.
[12] . Suivi par : "(sortir ma doctrine de l'impasse", "aboutissement", raturé.
[13] . Suivi par : "On s'est plus [...] ces moments de renaissance. Renaissance n'est pas naissance", raturé.
[14] . Au lieu de : "magnifique", raturé.
[15] Les Fantômes.
[16] . Au lieu de : "forcera", raturé.
[17] Chabannes.
[18] . Ou Vouters?
[19] . Suivi par : "Notre personnalité qui par nos œuvres passe en d'autres personnalités, les fait agir", raturé.
[20] . Suivi par : "quand, pendant la séance de l'Institut", raturé.
[21] . Suivi par : "leur mar...", "son mariage", raturé.
[22] . Suivi par : "de Nadine", raturé.
[23] . Au lieu de : "qui très gentiment", raturé.
[24] . Suivi par : "Il est vraiment", raturé.
[25] Les Fantômes.
[26] . Suivi par : "Donc je ferme l'atelier", raturé.
[27] Chabannes.
[28] . Au lieu de : "très juste", raturé.
[29] . Au lieu de : "meilleur", raturé.
[30] Les Fantômes.