Cahier n° 34
1er mai [1934 Rome]
Reçu la visite d'un jeune sculpteur espagnol, dont je ne me souviens plus du nom, qui a épousé la nièce de G[eorges] Leroux. Il est actuellement pensionnaire à la villa du Janicule. Il me dit que les limites d'âge sont changées en Espagne. On ne peut pas venir avant 23 ou 24 ans et on peut être envoyé bien après 30 ans. Il paraît qu'il y a à leur Académie un désordre incroyable. Le directeur est un amateur riche qui se promène et ne s'occupe de rien. Ce sont les pensionnaires qui administrent.
Avec Madame Roger, nous avons été voir un amateur d'art qui semble surtout un commerçant. Il voudrait vendre un grand tableau représentant la villa Médicis au XVIIIe. C'est intéressant, non par la valeur, encore qu'il ne soit pas mal, mais par le côté documentaire. En effet, toutes les niches sont ornées de leurs statues primitives. Il y a même deux grandes figures à droite et à gauche de la vasque de Mercure. C'est signé Natoire. Ce serait le père de Natoire, l'ancien directeur?
Visite des infantes d'Espagne. Deux charmantes jeunes filles parlant merveilleusement français. Intelligentes et d'esprit ouvert. L'une d'elles m'a dit dessiner.
Direction : L'exposition continue à bien s'installer. Je suis inquiet du concert du soir. Cette villa n'est guère organisée pour y recevoir énormément de monde et surtout pour y donner des soirées spectaculaires.
2 [mai 1934 Rome]
Longue visite de Almar, le jeune secrétaire de l'Académie d'Égypte, à propos de Gaber. Peu sympathique ce garçon. Trop jeune pour diriger des jeunes artistes à peu près de son âge. Mais cela pourrait s'arranger, s'il ne me semblait assez faux. Il y a évidemment entre lui et Gaber une rivalité pénible, et la situation de Almar lui permet de gêner Gaber, de toutes les façons dans son travail. C'est fort ennuyeux, car Gaber a de la valeur, de la bonne volonté et on lui fait perdre son temps.
Jacques[1] revient du rendez-vous qu'il avait avec un des préposés à la propagande du gouvernement fasciste. À peine lui eut-il dit qu'il était le rédacteur en chef de Notre Temps que l'autre demanda :
— Apportez-moi le dossier Notre Temps.
Aussitôt fait, et Jacques vit un très complet dossier, articles importants découpés, annotés. Impression d'une excellente organisation de renseignements.
M. [et] Mme Heufler donnaient un thé. Il me dit que la lire italienne est dans une situation des plus incertaines, que son cours est surfait et que cela va s'effondrer. Il me dit aussi que si une conflagration éclatait, l'Angleterre se mettrait avec le plus faible et l'Italie avec le plus fort. Encore un qui ne juge pas l'Italie comme elle le mérite. Que vient-on faire dans un pays, y sourire aux uns et aux autres, si on le méprise tellement?
3 [mai 1934 Rome]
Voilà que m'arrive une lettre de Widor me recommandant la candidature de Longnon pour le poste de secrétaire général! Longnon, que je crois le critique d'art malveillant de l'Action Française et qui, en tout cas, n'a aucune des capacités qu'il faut pour tenir une comptabilité. Immédiatement écrit à Widor pour lui expliquer la chose. Que c'est ennuyeux d'être obligé d'écrire des missives de ce genre. Écrit aussi à de Jouvenel pour lui donner les raisons de mon désir d'avoir Gilauton. Enfin, devant ces offensives j'écris à Hourticq d'aller voir ou Roustan ou Huisman s'il le connaît, de lui expliquer encore une fois ce dont il s'agit et insister pour qu'il m'envoie Gilauton.
Je reçois la visite du sénateur Bérenger, revenant de l'Italie du sud. Il voyage en compagnie de Mme Marcilly, ancienne actrice de l'Odéon. Voilà qui est contradictoire avec les bruits qui courent de son mariage avec Cl[aire] B[oas] de J[ouvenel] . Il est toujours plein de mystère, parle avec prudence[2], comme chargé d'immenses secrets et de responsabilités des plus graves. Il attend une entrevue prochaine avec Mussolini.
Mais un qui ne me paraît pas satisfait d'une entrevue qu'il vient d'avoir avec le Duce, c'est M. Angelman, de Paris Midi et du Soir. C'est chez les Anglès qu'il m'en parlait. Il était furieux contre l'ambassade qui, croit-il, n'aurait pas assez averti Mussolini de sa situation à Paris! Ce qu'il ne sait pas, c'est que M[ussolini] est excédé de tous ces Français, journalistes ou autres, qui viennent à Rome, veulent voir Mussolini comme une curiosité de plus[3]. Comme à la curiosité naturelle les journalistes ajoutent leur curiosité professionnelle[4], qu'ils font de lui une sorte de matière à articles, il s'en méfie, refuse de les recevoir et quand de grands appuis l'y obligent, les reçoit mal.
Aussi chez les Anglès, Guillaume, le correspondant des Débats nous confirmait ce que Heufler disait hier sur la lire. Il ajoutait que c'était la Banque de Fr[ance] qui en soutenait le cours, qu'elle en avait acheté de grandes quantités, et qu'ainsi du point de vue monétaire, l'Italie était dans les mains du gouvernement français. Ce qui expliquerait son actuelle attitude conciliante à notre égard, alors même que notre action n'est pas du tout dans sa ligne.
Dîner offert aux officiers français, équipe du concours hippique international. Certains sont fort sympathiques. Ce ne fut quand même pas bien intéressant. Après le dîner, conformément à l'usage, on commença à raconter de ces histoires grossières dont j'ai horreur. La pauvreté intellectuelle de l'immense majorité des hommes est stupéfiante. Et les rires stupides de tous ces imbéciles. Je dois reconnaître que les plus choquants n'étaient pas les jeunes officiers mais presque tous ces bureaucrates employés à Rome dans les administrations françaises.
Dépêche de Widor me réclamant mon article sur Bouchard[5]! Je ne sais pas ce que j'ai fait de mes notes et de ce que j'ai déjà écrit[6]! C'est absolument comme s'il n'était pas même commencé.
4 [mai 1934 Rome]
Notre exposition, la première de ma direction, est installée. Sort-il de cet ensemble un esprit, une tenue générale, une impression d'unité, une volonté commune? Chez les sculpteurs peut-être, chez les peintres non. Les architectes doivent être considérés à part, car plus que les autres, le règlement les bride et l'esprit du temps les domine. Ils sont ici dans la plus contradictoire des situations puisqu'ils doivent presque refaire des études scolaires, des relevés et des dessins un peu de débutants, d'après des monuments anciens. Tandis que leur époque, par les techniques découlant des matériaux nouveaux les incite à oublier et même à rejeter les formules et les lois du passé[7]. À mon sens, la question des architectes mérite une étude sérieuse[8]; je ne crois pas que nous pourrons continuer longtemps dans cette routine. Pour un ou deux que l'archéologie intéresse tous les autres ne pensent que ciment armé, utilitarisme, urbanisme, affairisme même. Et c'est naturel. Pour les peintres, et les sculpteurs, les musiciens, il n'en est pas de même. Le prix de Rome conserve toute sa valeur de retraite spirituelle et d'utilité de premier plan. À la question que je me posais : unité de tendance, volonté commune, si la question est comprise du point de vue esthétique, il faut répondre non, sans que ce non ait rien de dépréciatif. Il n'y a que dans les milieux dits avancés que l'on trouve cette sorte d'imitation mutuelle que l'on peut prendre pour l'esprit d'une école mais qui est surtout poursuite de la mode. Je pense[9] surtout aux sculpteurs. En quelques mots[10] (un jour je reviendrai à fond sur la question) les mêmes qui imitaient Rodin imitèrent ensuite Bourdelle avec le même ensemble. Bourdelle était déjà un affaiblissement sur Rodin. Ils sont aujourd'hui derrière Despiau. Et Despiau est plus bas encore par rapport à Bourdelle que Bourdelle ne l'était par rapport à Rodin. Alors, où en sommes-nous là? Aux plus scolaires académies. Sans même cette verve, cette science, cette variété devant la nature qui font la valeur de la sculpture de morceaux. Le côté formulaire de cet art en est venu à un point tel que les artistes ne se soumettent même pas humblement et avec cette émotion[11] aux caractères si divers de leurs modèles, ils cherchent des modèles qui se ressemblent parce qu'ils ressemblent à telle Pomone de Maillol ou telle Ève de Despiau. Ajoutez à cela cette forme[12] vide que donne la machine à agrandissement, qui est la base de la technique de ces gens-là. Avoir comme chefs de file, ou Maillol, qui est peut-être le sculpteur le plus bête qui soit, ou Despiau, qui est peut-être le plus rusé, ce n'est pas, certes, brillant. Sans doute tout cela est-il un peu sévère. Despiau a des côtés très artistes, il a réussi quelques jolis bustes. Ma sévérité est en fonction[13] seule de l'excès de valeur qu'on lui accorde à tort. Ceux qu'on nomme d'ordinaire derrière lui, Drivier, Pommier, par exemple, lui sont, à mon sens, très supérieurs. Mais ce n'est pas pour moi le moment d'étudier à fond ce groupement. Je ne l'ai considéré que comme exemple de l'impasse où la doctrine de la "forme en soi", interprétation erronée des doctrines des anciens et de toutes les grandes époques pendant lesquelles la forme fut toujours au contraire[14] considérée comme moyen d'expression d'émotion et de pensée. Je l'ai écrit bien des fois. On peut établir en principe que, les plus grands morceaux de sculpture ont toujours été ceux où les sculpteurs ont été dirigés par une haute pensée ou une grande émotion (toute l'œuvre de Phidias et de Michel-Ange, la statuaire du XIIIe siècle français, etc.).
Mais revenons-en aux modestes recherches de mes pensionnaires. Voici Bizette[-Lindet], il est influencé par les gens dont je parle ci-dessus[15]. Son œuvre obéit à je ne sais quel point de vue décoratif qu'il appelle "sculpture aérienne" pour la composition, et à des préoccupations de forme plus picturales que sculpturales, qui est la grosse erreur entre autres de Despiau. On parle de la lumière qu'on fait couler. Et la forme coule avec! On ne devrait jamais oublier le mot de Michel-Ange que la sculpture est d'autant meilleure qu'elle ressemble moins à la peinture. Cet ouvrage, qui est son dernier envoi, est donc, à mon sens, assez médiocre. Il n'a même pas le mérite de la simplicité, tout en prétendant l'avoir. Car pourquoi, s'il s'agit uniquement de forme, donner à cette jeune fille pour qu'elle écarte ses nattes une position aussi inconfortable. Qu'il y ait là des qualités d'exécution, certes (tout le torse, le ventre) mais est-ce d'un grand mérite à trente ans, après avoir eu le grand prix et trois ans et demi de Rome? Par contre il expose un joli buste d'une jeune Italienne à type florentin dont la construction du visage correspond à ce qu'il fait même quand les modèles n'ont pas cette construction.
Leygue n'expose pas le modèle de son dernier envoi. Que donnera dans l'avenir ce garçon? Il est très sculpteur, certainement. Il a beaucoup de facilités. Il semble[16] plus rusé qu'intelligent. Tout cela[17] compensera peut-être sa nature paresseuse et son côté très intéressé. Ce ne sera pas très fameux sa grande statue de femme. Un torse de femme en bronze et un buste de Dengler sont les seules choses qu'il expose. Torse d'une exécution bien vulgaire, bien facile. J'ai plus confiance en Lagriffoul qui lui joue franc jeu, est plein de grands désirs, aspire peut-être à plus qu'il ne peut, mais cela on ne peut le savoir. C'est énorme déjà de vouloir tant. De bonnes choses dans son bas-relief. Et une série de petits bronzes intelligents complète sa mostra.
Des peintres, deux apportent deux notes très différentes et d'un égal intérêt : Brayer et Tondu. Brayer, brillant[18], rapide, sans inquiétude apparente. Tondu concentré, lent, contradictoire. Dans ses nus d'un goût discutable pour leur présentation, il y a des morceaux remarquables. Une poitrine de femme, dans le nu de face debout, vaut certains morceaux de Renoir par la fraîcheur, la sensualité saine. Pourquoi montrer à côté, ces compositions à la Rousseau, le douanier. Pourquoi à côté du courage de ces études présentées sans souci de plaire, la lâcheté de ces concessions à un certain mauvais goût à la mode. Déconcertant.
Je n'ai pas une grande confiance dans Cheyssial, mais je suspends tout jugement. Ce début est peu prometteur. Voilà tout. Mais j'attends beaucoup de Gérardin qui ne montre rien cette année. Son atelier est pourtant déjà plein de très belles toiles. Il a une très grande facilité, compensée par une solide technique.
M. de Chambrun est venu répéter sa conduite de demain. Il était accompagné[19] de la princesse Murat. Parlant avec Anglès, il disait que les résultats de la visite de H[enry] Bérenger à Mussolini étaient excellents.
C'était en même temps la visite de la presse. Mme A[nglès] regardant la grande femme nue de Tondu me dit : "Quel beau jeune homme!" avec conviction.
L'intérêt d'ensemble de cette exposition est dans sa variété. Vraiment s'il est un enseignement qui laisse à chacun sa personnalité c'est bien celui, si décrié sottement, de l'École des b[eau]x a[rts]. S'il est un milieu où la personnalité de chacun peut[20] se préciser et s'épanouir en toute liberté, c'est bien celui de la Villa. Voilà la première constatation. La deuxième est la grande somme de travail fournie. Tout à l'heure je ne parlais que peinture et sculpture. Des graveurs comme Pinson et Lengrand méritent d'être étudiés attentivement. Pinson, avec son difficile procédé du blanc et noir[21], obtient de remarquables réussites[22]. Lengrand[23], si charmant et distingué, se complaît dans l'affirmation du grotesque des êtres. Il ne pardonne rien. Tout cela empreint d'une tristesse pénible. Et puis voilà Müller, graveur en médailles, du talent, mais moins personnel. C'est à la mode du jour, avec d'heureuses trouvailles.
Tout ça est bien sympathique.
5 [mai 1934 Rome]
Cette journée m'a rappelé cette lointaine journée[24] de La Danseuse. Le mépris de cet imbécile de Chaplain. Les tendres regards qui voulaient être consolateurs de Madame L. Le lâchage du père Guillaume, les menaces de Camille Barrère, etc. Comme tout ça est loin et comme tout ça est proche. Barrère dut se mettre contre le derrière de ma Danseuse pour le dissimuler derrière son visage, aux regards de la Reine. Il déclarait le soir, à un grand dîner, qu'un pareil pensionnaire devrait être immédiatement renvoyé. Chaplain me disait n'avoir pas le courage même de me serrer la main! Six mois après il me faisait offrir sa fille en mariage. Bonnat déclarait par contre que j'étais le seul pensionnaire dans la peau duquel il voudrait être. Et Guillaume sentencieusement me disait "Ça sent l'orgie", à voix basse.
Aujourd'hui, nous recevions le Roi et la Reine. La présence de Federzoni, le président du Sénat, fut paraît-il très remarquée. Première inauguration réussie.
Au courrier deux lettres intéressantes. Une agréable de Huisman annonçant son arrivée prochaine à Rome. Il sera ici pour la dernière journée d'exposition et le concert de dimanche soir. L'autre empoisonnante de Longnon! Sur la recommandation de Mistler, il pose sa candidature à la succession de Gauthier! Pour m'allécher il m'annonce qu'il compte bien continuer à ce poste ses travaux d'érudition, de critique et d'histoire. Pauvre administration de l'Académie de France! Ces sottises sont la suite de l'intervention de ce hanneton de Verne. Me voilà obligé de refroidir le bel enthousiasme de Longnon. Je le ferai avec d'autant plus de plaisir qu'il m'a éreinté idiotement dans l'Action Française.
À dîner Dumayet et Letellier. Dumayet nous montre ses talents en graphologie. Il me paraît aussi remarquable qu'on peut l'être dans cette science.
6 [mai 1934 Rome]
Le révérend père Gillet que je rencontre à l'exposition me demande à visiter mon atelier. C'est un homme remarquable. Ma petite s[ain]te Bernadette lui a plu beaucoup.
Obligé de passer beaucoup de temps à écrire longue lettre à Longnon pour lui demander de retirer sa candidature. Quelle corvée. Écrit à Widor pour lui expliquer aussi l'affaire. Écrit à Roustan pour lui expliquer aussi l'affaire et lui demander Gilauton ou Fournier.
7 [mai 1934 Rome]
Cette candidature Longnon m'empoisonne. Bien qu'ayant écrit à Roustan, j'ai pris finalement la décision de lui téléphoner pour lui demander de ne nommer personne avant d'avoir reçu ma lettre. C'est convenu et me voici soulagé. D'autant plus que je reçois une lettre de Despiau me recommandant à son tour la candidature Longnon qui, me dit-il, est également soutenue par Tardieu; puis une lettre de René-Jean m'annonçant comme faite la nomination de Gaston Poulain!
Direction : Dengler vient m'annoncer son départ en voyage. Il me laisse entendre que le désaccord régnant en ce moment entre les pensionnaires (mariés et les célibataires) est la cause de ce départ un peu précipité.
Nadine et Jacques nous quittent, retournent[25] à Paris. Comme ces jeunes gens ont aujourd'hui du mal à se tirer d'affaire. Combien de temps durera encore semblable situation?
8 [mai 1934 Rome]
Lettre fort aimable de Huisman m'annonçant son arrivée pour dimanche. Voilà qui me rassure pour mon secrétaire général. Rien ne sera fait certainement avant sa venue.
Conseil d'administration de la Fondation Primoli. Président le sénateur Salata. M. Émile Mâle, Diego Angeli, le savant Volterra, un autre sénateur, moi.
M. Mâle m'avait fort inquiété sur l'allure de cette réunion. Il a cet état d'esprit singulier de beaucoup de Français qui considèrent tous les étrangers comme des ennemis. Avant de nous asseoir, il me prend à part, il me dit :
— Nous parlons en français.
Évidemment ce sénateur Salata me paraît un personnage assez compliqué et bourré d'arrière-pensée. Celle du moment serait de sortir du conseil Volterra qui a refusé de signer le serment fasciste. Il y en a une autre qui serait de sortir Angeli. Mais ça c'est difficile car Primoli l'a désigné par testament. De plus, sauf son logement au Palais, Angeli ne touche absolument aucun traitement. Il s'occupe du musée qu'il a merveilleusement classé et organisé, de la bibliothèque dont il a fait gratuitement le catalogue et les fiches, en même temps qu'il dirige la fondation scolaire. Il est vrai qu'il n'y a qu'un pensionnaire. Cependant Salata nous a proposé de ne plus payer les frais d'éclairage d'Angeli. La rigueur du régime s'aperçoit à ceci qu'Angeli, quoique au fond de lui indigné et humilié, n'osait rien dire. Mais Mâle et moi et le sénateur Fedele protestâmes. Salata, avec beaucoup de circonlocutions finit par céder. Nous fûmes d'accord avec lui pour céder certaine partie du palais inutile à la Fondation. On se sépara contents.
Travail : Dessin de la Renommée pour le pylône Paris de la porte de S[ain]t-Cloud. Un joli modèle qui pose bien.
Miss Kemp a recueilli les deux petits artistes italiens, seize et dix-sept ans et organisé chez elle une exposition de leurs œuvres. Ce sont deux petits gars sympathiques, doués d'une stupéfiante habileté. Ce genre de gaillards qui à peine le fusain sur le papier ont terminé. D'une habileté manuelle étourdissante. Ils savent déjà tous les trucs[26], aussi n'y a-t-il aucune sensibilité dans ce qu'ils font. C'est déjà vieux. Ils n'ont plus rien à apprendre. Sans avoir rien appris ils ont beaucoup à oublier. J'ai conseillé à Miss Kemp de commencer par les envoyer à l'école primaire. Bien entendu, ils n'en veulent pas entendre parler. Curieux de voir ce que l'avenir fera de ces garçons.
Direction : Pour en finir avec les histoires de femmes à la salle à manger, je fais un règlement qui n'existait pas.
Travail : Dessin de la Renommée pour porte S[ain]t-C[loud[27].
9 [mai 1934 Rome]
La Piéta du palais S[an]severino, à côté des deux tumultueuses Piéta, celle de Florence, celle de Palestrina, celle-ci semble[28] sculptée au Moyen Âge. Je ne peux dire que je l'aime complètement. D'ailleurs, en l'abandonnant, Michel-Ange[29] n'avoue-t-il pas qu'il ne l'aimait pas[30] lui-même? Il en émane[31] une poignante impression de désespoir[32]. Non le désespoir révolté du tombeau des Médicis mais le désespoir de la vieillesse[33]. La plus belle reste celle de Florence, qu'il avait brisée, cependant, si ma mémoire est fidèle, parce qu'il ne l'aimait plus. Celle de Palestrina est pour moi un mystère. Quand la fit-il? Pourquoi Vasari n'en dit-il pas un mot? Ce n'est pas chose indifférente cependant d'avoir sculpté pareil groupe dans pareille matière? Si j'avais le temps j'aimerais faire des recherches historiques sur cette œuvre étonnante. Quoi de plus émouvant[34] que d'évoquer ces quatre Piéta, depuis celle, presque souriante, de S[ain]t-Pierre, à celles de Florence et de Palestrina, où le Christ semble un athlète formidable, à celle d S[an]severino où il est devenu si misérable et pitoyable. Ce groupe n'en est pas moins raté. La Vierge, au lieu de soulever son fils, a l'air d'être supportée par lui. Elle semble presque s'appuyer sur lui. Le mouvement des jambes du Christ accuse ce défaut de composition. Que voilà un bel exemple de plus de l'écueil de la fameuse taille directe. Le défaut principal de M[ichel]-A[nge] a peut-être été l'impatience. Il est évident que ce groupe a été entrepris par lui, malgré son grand âge, sans études préparatoires, sans basement. Il a commencé par les têtes, composées suivant sa formule habituelle. En route, plus de place pour les bras. En bas, plus de place pour les jambes. De là leur ploiement peu heureux. Malgré tout cela, c'est poignant. C'est là la caractéristique du génie. C'est qu'une émotion semble sortir de l'intérieur de la pierre, comme si un cœur réellement y battait.
10 [mai 1934 Rome]
Hourticq est vraiment un gentil ami. Il a été voir Huisman qui lui a assuré qu'il nommerait Gilauton. Rassuré, mais ne le serai tout à fait que quand la nomination sera faite.
Bien travaillé à l'esquisse Bernadette, puis à mon dessin la Renommée pour les portes S[ain]t-Cloud.
Chez les Anglès je rencontre Bartoli qui me dit que Corrado Ricci est tout à fait malade. Ça ne fait que confirmer mon diagnostic. Angine de poitrine vraie. Ce grand savant est perdu.
J'ai la surprise d'être appelé au téléphone par Silva Costa. Il est de passage à Rome et désire me parler de tous les projets de jadis : frise de la chapelle du Christ et autres. Il arrive à la Villa peu après. Je le trouve maigri, vieilli. Il me dit être mal portant. Mais il me donne grand espoir que le monument du Corcovado s'achèvera… Il me parle aussi d'une croix monumentale en cristal, et de son projet à Santos-Dumont, qui était bien mauvais. Nous devons nous revoir à Paris pour tout ça.
11 [mai 1934 Rome]
Gros remue-ménage de préparation du concert. Nous cherchons une autre disposition du public. Mais ça a été déjà essayé. Nous laisserons les choses comme elles étaient. L'éclairage par contre sera bien mieux.
Travail : fini le dessin La Renommée avec la jeune Giselda. Travaillé chez Lagriffoul à l'esquisse de L'Europe pour la salle des Assemblées du palais de la S. D. N. Mais je crois bien que c'est là du travail inutile.
Visite à l'Académie roumaine, que me montre le charmant M. Lugli, savant, érudit archéologue, qui remplit Valle Giulia les fonctions de secrétaire.
12 [mai 1934 Rome]
Je suis empoisonné par ces candidatures au poste de secrétaire général. Une lettre de Nadine me dit ce matin que Poulain serait le candidat de Huisman. Longnon aurait[-il] retiré sa candidature? Je serai content de voir Huisman qui arrive demain. Nommer ici un petit journaliste comme ce Poulain, qui jusqu'à ce jour, n'a cessé de déblatérer sur la Villa, les prix de Rome, l'École des beaux-arts, etc. Il paraît, me dit Nadine, qu'il donne sa nomination comme chose faite! Tant pis, j'opposerai un veto absolu. Il me faut un comptable, un fonctionnaire, un vrai, pas un amateur. J'envoie à Ladis ma lettre à Berthod, pour qu'il la communique à Bouisson, que celui-ci puisse agir au besoin. En même temps je reçois une lettre de Marcel Cruppi me transmettant une lettre d'une sœur de Longnon. Le rôle de Verne est incroyable. C'est lui qui me suscite toutes ces candidatures, malgré tout ce que je lui ai dit. Il aurait dit à Poulain :
— Si vous voulez aller à Rome, c'est une affaire faite.
Il a dit à peu près la même chose à Longnon. Longnon se fait appuyer par Tardieu et Pietri. Mais moi, je dis non.
13 [mai 1934 Rome]
Dès son arrivée Huisman m'a rassuré. Me plaît énormément. Semble net et franc. Il m'a dit qu'il ne nommerait que celui que je voudrai. Cependant il sait qui je veux et ne l'a pas encore nommé (?), à cause de la recommandation de Jouvenel pour Fournier. J'ai eu sur celui-ci d'excellents renseignements. Il a les mêmes titres que Gilauton. Je crois que je serai obligé d'abandonner Gilauton pour Fournier. Mais l'un ou l'autre… Donc l'accord est en somme fait. Il signera[35] dès son retour à Paris.
Emballé par la Villa, les jardins où je l'ai promené avec sa très gentille femme. Je lui ai présenté tous les pensionnaires à l'exposition.
Journée rude. Après nous avons déjeuné chez M. de Chambrun. Il y avait la princesse Murat, avec son nez en l'air et son air polisson. Il y avait le prince Bibesco et sa femme. Parlé d'un tas de questions, naturellement, et surtout du rapprochement franco-italien si souhaitable. Bibesco disait que l'Italie a un matériel d'aviation remarquable mais des pilotes, sauf quelques-uns, assez ordinaires et qu'en France c'est le contraire.
Promenade au Forum et au Palatin, où c'était merveilleux. Il faudra absolument que je me remette à peindre.
Et puis ça a été la soirée de clôture, la fameuse soirée que Gauthier annonçait comme un four. Ce salaud-là n'a pas transmis ma lettre à la Questure demandant un service d'ordre, de sorte que je n'ai même pas eu un agent. Mais tout s'est très bien passé quand même. Nous avons eu au moins 400 personnes. Ce fut très brillant. Grâce à un petit bossu qui était venu m'offrir ses services et que j'avais eu la bonne inspiration de retenir, le service des voitures a très bien fonctionné. Mes musiciens ont eu beaucoup de succès.
14 [mai 1934 Rome]
En vitesse le musée du Vatican, avec les Huisman, le matin. Je n'y étais pas retourné depuis qu'il a été refait. Les salles ne sont pas belles, mais les toiles s'y voient mieux qu'avant. La collection des primitifs est remarquable, très bien présentée, comme leurs tapisseries. Il y en [a] une, en harmonies bleues, d'après la Pêche miraculeuse de Raphaël, qui est étonnante. La composition est classiquissime! peu émouvante, l'émotion naît de l'unique qualité des couleurs.
Déjeuner chez les Émile Mâle.
Après-midi visite de la villa d'Este et retour par Albano. Les journées sont longues. Nous trouvons moyen d'aller à une exposition de peintres et sculpteurs femmes, italiennes, pour faire une politesse à la baronne Aloisi qui montre là deux petits bustes[36], et nous allons faire un pèlerinage au Moïse de S[ain]t-Pierre-aux-Liens. Comment le même homme a-t-il pu faire ce Christ qui est à l'église de la Minerva, ce bonhomme[37] gras, qui tient sa croix en hanchant, qui sent le modèle sur la table. Pas d'émotion. Bien sûr de l'adresse d'exécution. Mais ce n'est pas ça que nous cherchons. J'imagine souvent Moïse se dressant. C'est lui le Dieu! Et non ce poseur de la Minerva.
15 [mai 1934 Rome]
Aujourd'hui nous avons fait la visite de tous les ateliers des pensionnaires. Huisman a été très gentil, mais ne se rendait pas compte de l'effet un peu comique que faisait son questionnaire à mes pensionnaires :
— Quel âge avez-vous? Aimez-vous Rome? Lisez-vous? Quels livres lisez-vous?, etc.
Nous avons beaucoup bavardé ensemble et je crois qu'il a pris de la sympathie pour moi comme j'en ai pour lui. Il a de l'allant. C'est un homme qui doit tenir les promesses qu'il fait.
Le soir, dîner chez les Charles-Roux. Grand dîner. Il y avait M. de Chambrun, d'autres personnes, et le prince et la princesse Orsini. C'est pour leurs ancêtres qu'avait été construit jadis ce palais dans lequel nous dînions ce soir. On voit encore leurs armes à certains angles des murs. La princesse Murat était là. Quelqu'un lui demanda si elle avait fait un portrait de Chambrun :
— Oui, mais je ne le montre pas, dit-elle négligemment
Et se penchant vers moi elle me dit :
— Je l'ai fait tout nu, couché. Je ne peux pas le dire à la princesse Orsini, tout de même.
La princesse Orsini est une Italienne magnifique, à tête construite de cariatide. Plus tard, la conversation évolua vers la situation du monde. Chambrun prétendait que toute entente amorcée entre la France et l'Allemagne était aussitôt arrêtée par les autres nations, Angleterre notamment. Je crois que si la France avait vraiment voulu s'entendre avec l'Allemagne, elle y serait arrivée, mais qu'"on" était toujours intervenu pour l'empêcher. La princesse Orsini protestait.
16 [mai 1934 Rome]
Lily repartie aujourd'hui pour Paris avec les Huisman. Je les rejoindrai bientôt et réglerons à mon retour la question secrétariat. Nouvelle candidature de la dernière minute, un recommandé de Perchet…
Réception chez le ministre de Yougoslavie. Dans ces réceptions je passe mon temps en folle inquiétude. Je confonds ces innombrables types, je prends le Polonais pour le Brésilien, le Brésilien pour le Bulgare, etc. J'ai pris le parti finalement de ne plus regarder les hommes mais les œuvres d'art. Il y a dans ce palais Borghèse un marbre extraordinaire, un groupe qui me paraît représenter une scène dans le genre du Gaulois et Gauloise du musée Boncompagni, une copie évidemment d'un bronze de l'École de Pergame. Quelqu'un me dit que c'est un monument de proue d'un vaisseau! Quel poids! Mais le morceau est fort beau, malgré un pathétique excessif.
Mme Boas de J[ouvenel] me tombe dessus. Je me laisse embaucher pour l'emmener dans ma voiture aux environs, rendre visite à une de ses amies, une sœur des princes Gaetani. On trouve l'endroit avec peine. Belle maison et dans la belle maison une grande belle vieille dame.
17 [mai 1934 Rome]
Fait faire à Lagriffoul, d'après mon dessin, l'esquisse d'un des panneaux pour la grande salle du Palais des Nations. Ça fera bien. Mais ça ne se fera pas. Bizarre situation tout de même. Ces architectes qui ont eu environ 120 millions et je crois même plus, n'ont pas su en réserver 1 ou 2 pour la partie décoration. Ils demandent des crédits ou des dons aux États. Ainsi l'Espagne a déjà imposé une décoration Sert. La Yougoslavie un bas-relief Mestrovic! L'Italie n'a pas assez d'argent, n'impose personne. Broggi est d'accord pour me demander les esquisses. L'esquisse que j'ai faite serait très décorative. Thème général : les quatre parties du monde. Cette première est l'Europe. Au centre une femme tenant le Livre. À la base les Argonautes ou l'esprit d'aventure. À droite et à gauche Pégase et la Chimère ou la poésie et les poursuites chimériques. Au-dessus les constructeurs de cathédrales et les constructeurs d'usines. Toute la contradiction de l'Europe. Dominant le tout les Arts. Car avec l'Asie, plus peut-être que l'Asie qui l'est de moins en moins, l'Europe est le foyer des arts. C'est par cela seulement que son rôle reste à tout jamais sacré dans le monde. Avec l'Asie, quel beau bas-relief aussi à faire. Et l'Afrique. L'Amérique avec l'Europe sera le plus difficile. Le parti général des quatre compositions est trouvé, mais cela se fera-t-il? Ou plutôt sera-ce moi qui aurai cette direction? Les choses me semblent prises à l'envers. Je crains de travailler et faire travailler L[agriffoul] pour rien.
18 [mai 1934 Rome]
Miss Kemp, l'Américaine aux cheveux acajou, a une bien jolie demeure. L'entrée est via Gregoriana, les pièces dévalent le long de la pente extrême du Pincio, entre via Gregoriana, la Scala di Spagna et les maisons qui bordent en bas la place. D'une pièce pleine de meubles de prix, de tableaux anciens, de tapis luxueux, de tentures lamées d'or, on passe dans de petits jardins suspendus, bien ratissés, puis dans des rotondes "genre romain" où trônent des copies d'antiques provenant de chez quelque praticien de via Margutta. On tourne en rond, on monte un escalier de six marches, on en descend un de dix, on retrouve une pièce à divans bas, genre moderne, un autre petit jardin. C'est là que nous déjeunons, servis par de très jeunes domestiques fort bien soignés. On dit qu'ils sont le harem de Miss K[emp]. Mais on est mauvaise langue à Rome. La conversation roula surtout sur les projets de concerts historiques que Miss K[emp] veut organiser l'hiver prochain qui auraient lieu en divers palais de Rome. On en ferait un à la Villa, en fin de saison, dans le Bosco.
19 [mai 1934 Rome]
Visite des jardins par la jeune princesse Maria, avec sa tante et une dame d'honneur. Charmante jeune fille.
Mon Gauthier recommence aujourd'hui ses récriminations. Il accumule au fond de sa mémoire de vieilles rancunes. Il me sort aujourd'hui "qu'en février 1933, quand je suis venu à Rome, je ne l'ai pas salué au moment de mon départ… Tout cela tient à ce que je suis jaloux de sa popularité… Et c'est pour cela que je veux qu'il soit sous les ordres du médecin et de l'architecte", etc. Quelle lumière de semblables propos jettent sur la mentalité des fonctionnaires. On imagine les ondes de jalousies, de rancunes et de haine qui doivent s'entrecroiser dans les couloirs des administrations. Il faudrait inventer un appareil enregistreur.
Travail : le bas-relief du Christ et ses disciples, avec le Domenico.
Visite de Doguereau, qu'enthousiasme le Bosco pour les éventuels concerts.
20 [mai 1934 Rome]
Matinée chez Lagriffoul où nous mettons au point l'esquisse Europe pour le Palais des Nations. Mais voilà encore du travail pour rien. Du point de vue pratique de la commande le problème est pris à l'envers. C'est d'ailleurs dommage. Mon parti est bon. Quatre grands bas-reliefs ayant ensemble de la tenue, variés dans leurs détails, auraient fait très bien au-dessus des quatre portes. Le parti de la grande salle est absolument le parti de mon Temple, plan carré, pans coupés, etc. Même les architectes me pillent. C'est flatteur.
Après-midi, la merveilleuse promenade à Nemi, monte Cavo, Rocca di Papa. Voilà qui fait aimer Rome. Trouver semblable beauté à quelques kilomètres. Nemi est l'endroit qui m'émeut le plus. Bien que pour chercher[38] les galères de Claude on ait à moitié vidé le petit lac, le site a conservé toute sa beauté, son charme et sa grandeur. Je ferai sûrement cette statue du prêtre de Nemi : quel symbole pathétique! Cet être tout puissant et anxieux, assassin condamné à être assassiné. On l'imagine montant sa garde tragique autour de l'arbre sacré, dans le bosquet de Diane, qu'on voit encore sous les falaises du village. Je ne puis croire que sa vie fût continuellement menacée. J'imagine plutôt que, dès qu'il semblait faillir, on le faisait combattre dans une sorte de combat "jugement de Dieu". Autrement quel être eut été assez fou pour risquer sa vie pour la conquête d'un pouvoir aussi tragique et éphémère. C'est là un des plus curieux problèmes des religions de l'antiquité. Il y aurait aussi quelque chose à faire avec cette "Diane Nemorensis", la déesse sanguinaire aux sacrifices humains.
Nous sommes descendus à pied de monte Cavo à Rocca di Papa, par le vieil escalier romain qui menait au temple de Jupiter. Mes pensionnaires me surprennent par leur désintéressement de tout ceci. Ils y vont en touristes. Puis travaillent comme s'ils étaient à Paris. Il est vrai que les Italiens font à peu près pareil.
À Nemi on achetait pour 10 sous d'entiers paniers de fraises des bois. Nous avons goûté dans petite osteria à Rocca di Papa. Que Madame Anglès avait mauvaise mine!
21 [mai 1934 Rome]
Parlé à Molinari et à San Martino, que j'ai été voir exprès, de Marguerite Long. Je ne crois pas qu'il la fera jouer. Elle a raison quand elle suppose une raison qu'elle ignore qui barre. Mais je n'ai pu discerner la raison. Mais il fera jouer Jacque-Dupont.
Schneider[39] qui dînait ce soir nous parlait de l'entrevue Ribbentrop-Mussolini. Schneider a vu Mussolini depuis. Cet homme intelligent lui a dit :
— Vous parlez parfois de guerre préventive? Mais la guerre préventive, c'est la guerre…
Le Bosco est plein de lucioles. Nous nous y sommes promenés en parlant de Nietzsche et de Wagner. L'orgueil de Nietzsche.
Direction : on dépense trop de pharmacie! J'ai écrit au docteur pour l'avertir que notre budget ne payerait plus que la pharmacie courante. Tout ça est bien passionnant.
22 [mai 1934 Rome]
Dîner des pensionnaires en l'honneur de la promotion qui part. Les partants sont désolés. Ils ont sincèrement l'air de regretter de quitter l'Académie depuis ma direction. On est toujours tenté de croire semblables affirmations.
Mon pauvre Gaber est venu me voir. Toujours en difficultés avec ses directeurs.
Direction : grande conversation avec l'avocat Galli pour obtenir le départ de Constantino. Constantino est un vieux serviteur, 35 ans de service. Il est vieux. Il est malade. Alors, comme il n'est plus bon à rien, mon rôle administratif consiste à le fiche dehors. Il a six cent lires de retraite. De quoi se plaint-il! Et il ose se cramponner à sa chambre…
23 [mai 1934 Rome]
Rendez-vous avec M. Muñoz. Il accepte toutes mes suggestions pour l'emplacement du monument Chateaubriand.
Déjeuner à l'ambassade. Il y avait Boppe et Lagardelle. On parlait à mots mystérieux des Anglès. Lagardelle, d'un geste de poing fermé faisant le mouvement de fermer une serrure, me fait comprendre qu'Anglès est en prison! Je suis ahuri. On ne me dit pas pourquoi. Mais je comprends pourquoi Mme Anglès l'autre dimanche était dans ce lamentable état. L'ambassadeur s'occupe de l'affaire. Il vante l'attitude noble de Mme Anglès.
De Chambrun me dit son inquiétude de l'attitude actuelle de la France. Barthou est trop cassant. L'Italie désire énormément un accord. Il ne faut pas le rendre impossible par des déclarations provocantes.
— Si vous le voyez, dites-lui qu'il faut absolument aboutir à quelque chose de concret. On est très disposé ici à faire des concessions.
Fin d'après-midi, je vois arriver l'énorme nez de Montefiore. Il était accompagné de sa belle amie, une grue assez ordinaire.
Demain départ pour Paris.
25 [mai 1934] Paris-Boulogne
À peine arrivé je tombe sur, ou plutôt me tombe dessus une invitation de Huisman pour l'Opéra. Le mauvais garçon, de Rabaud. Le livret de… je ne sais plus. Sujet mince. Musique bonne. De bons morceaux. Mais gaieté factice. Ça ne portera pas sur cette grande scène-là. Il faut que tout soit doublé, triplé comme effet.
Huisman me propose comme secrétaire général un type de 26 ans, plus jeune que les pensionnaires. C'est difficile, mais je dis non, toujours non. C'est un petit historien qui envisage comme ça un fromage. Il me faut un bon comptable. Je maintiens.
Huisman me dit que l'inauguration Chalmont est fixée au 15 juillet.
26 [mai 1934]
Repris le travail tout de suite. Mes jeunes gens m'ont bien préparé ma besogne.
À dîner ce soir Jacques[40] et Nadine. Jacques dit que Notre Temps va sortir un gros scandale contre Queuille et Lamoureux à propos des contingentements? Je trouve ça idiot.
27 [mai 1934] Dimanche
Comme par enchantement on me sait ici, et commence le défilé des élèves. Ils sont gentils.
Été voir mon Montaigne, devant la Sorbonne. Il fait bien. Autour des gens péroraient, discutaient philosophie et sagesse.
Passé voir les Nénot. Il est merveilleux et toujours avec moi si gentil.
Soirée chez Benjamin[41] et Louise, toujours fort préoccupés.
28 [mai 1934]
Ce Villenoisy, que veut me coller Perchet, a 26 ans ½. Il est assez sympathique, quoique semblant fort renfermé et compliqué. Il a de plus un aspect un peu ridicule. Ça n'irait pas là-bas avec ma bande. Après mon entrevue, conversation avec Moullé sur les trois candidats restant finalement en présence, Gilauton, Fournier, Villenoisy. Moullé ne croit pas qu'on arrivera à nommer Gilauton. Comme Fournier a l'appui de Jouvenel, c'est le seul qui puisse barrer les amateurs.
31 [mai 1934]
La pauvre Miss Heals[42] me fait ses adieux. La chute du dollar l'oblige à retourner en Amérique. Elle s'effondre en larmes dans mes bras[43]. C'est toujours flatteur de deviner un sentiment de ce genre chez une femme. Je l'ai senti bien des fois, mais jamais n'ai eu l'air de comprendre.
À déjeuner les Jouvenel et Bouglé. Jouvenel n'est pas content, et avec raison, de l'attitude de Barthou et du ministère actuel. Il faudrait absolument arriver à un règlement du commerce des armes. La paix régnerait aussitôt en Europe.
Jouvenel me reparle de son Fournier. Je lui dis de me l'envoyer, que je voie au moins comment il est fait.
Passé chez le pauvre Guirand qui pleure Piérat en compagnie du fidèle Joncières. Guirand a un chagrin réel. Je l'aime bien. Et puis, vraiment, c'est un excellent peintre.
Mme Gaillard racontait aujourd'hui à Lily que lorsque Dubarry, le recommandé de Tardieu, est allé au Maroc pour reconnaître la concession énorme qu'il s'était faite octroyer, "par pur patriotisme", l'officier de la région, au courant des louches tractations du gaillard, avait refusé d'organiser une diffa[44] en son honneur. L'officier fut déplacé.
[1] Chabannes.
[2] . Suivi par : "toujours bien...", raturé.
[3] . Suivi par : "à y voir", raturé.
[4] . Suivi par : "qu'ils veulent", raturé.
[5] . Suivi par : "Il n'est pas commencé", raturé.
[6] . Suivi par : "Autant dire", raturé.
[7] . Suivi par : "Il y a un cas tout a fait particulier", raturé.
[8] . Suivi par : "et peut", "à laquelle je ne", "mais", raturé.
[9] . Suivi par : "en ce moment", raturé.
[10] . Suivi par : "mais il faut", raturé.
[11] . Au lieu de : "ferveur", raturé.
[12] . Au lieu de : "technique", raturé.
[13] . Au lieu de : "conséquence", raturé.
[14] . Au lieu de : "toujours chaque fois", raturé.
[15] . Suivi par : "Il est préoccupé", raturé.
[16] . Au lieu de : "Il est peut-être", raturé.
[17] . Suivi par : "l'aidera", raturé.
[18] . Précédé par : "plus", raturé.
[19] . Suivi par : "de Madame", raturé.
[20] . Suivi par : "se déployer, c'est", raturé.
[21] . Suivi par : "atteint à", raturé.
[22] . Au lieu de : "réalisations", raturé.
[23] . Suivi par : "à regarder", raturé.
[24] . Suivi par : "semblable", raturé.
[25] . Suivi par : "aujourd'hui", raturé.
[26] . Suivi par : "sans les avoir appris", raturé.
[27] Sources de la Seine.
[28] . Suivi par : "un retour à l'ascétisme du Moyen Âge", raturé.
[29] . Suivi par :"ne prouve-t-il pas", raturé.
[30] . Suivi par : "complètement", raturé.
[31] . Suivi par : "cependant", raturé.
[32] . Suivi par : "De ne plus avoir autant de puissance", raturé.
[33] . Au lieu de : "d'être vieux", raturé. Suivi par : "le désespoir de l'impuissance", raturé.
[34] . Au lieu de : "instructif", raturé.
[35] . Au lieu de : "Il nommera", raturé.
[36] . Suivi par : "et j'emmène", raturé.
[37] . Au lieu de : "modèle", raturé.
[38] . Au lieu de : "trouver", raturé.
[39] Pierre Schneider
[40] Chabannes et Nadine Landowski-Chabannes.
[41] Benjamin et Louise Landowski.
[42] . Tapuscrit : "Miss Hills"
[43] . Suivi par : "Si elle", raturé.
[44] Réception en Afrique du Nord.