Novembre-1953

1er nov[embre 1953]

Visite de Jérôme[1]. Comme tous les artistes en pleine force de leur talent, il est écœuré. Il voudrait être des jurys de l'École. Pour vivre, il a accepté d'enseigner dans une des innombrables académies de Montparnasse. Il avait une sorte de contrat avec Bernheim (de Villers). Celui-ci ne vend plus rien. Carré et Maeght l'ont concurrencé et vaincu avec leurs cubistes, surréalistes, etc. Il dit :

— Je ne suis plus qu'un loueur de salles d'exposition. Expose chez moi, qui veut payer.

A des nouvelles de Wilma Splinalo, par un couple vieilli d'un brave américain et de sa vieille maîtresse, une Française américanisée jusqu'à l'accent. Wilma vient de se marier avec un banquier. On ne pense plus à la sculpture. Wilma, comme l'image de cette ravissante jeune fille, nous ramène loin en arrière. J'arrive à un âge où tout souvenir nous ramène loin en arrière.

Nous allons au théâtre de la Gaieté-Montparnasse. Naturellement nous passons par la rue des S[ain]ts-Pères. La Porte[2] est fermée. On la voit bien. Si la patine était bonne, je crois que ça serait presque parfait. Certaines surfaces sont à regratter. Cela tient à la plastiline.

Nous allions voir Huis Clos et La putain respectueuse de Sartre. Cet homme a vraiment du talent, une imagination originale. Huis Clos est cependant ennuyeux. La putain respectueuse serait parfaite si la situation avait été vue d'une manière plus générale, au lieu d'être un pamphlet anti-américain. Il aurait fallu prendre la question plutôt du point de vue de la morale bourgeoise mondiale. Car, sous d'autres formes, cette mentalité est partout identique, chez les lords anglais ou chez les grands bourgeois français, etc. Et puis, maintenant plus que jamais, je n'aime pas qu'on excite à l'anti-américanisme si on se souvient de ce que les Américains ont fait pour nous.

2 nov[embre 1953]

Examen attentif de la dernière note excessive de Susse. Lettre à Madeline pour demander un nouvel examen de mon cas, point de vue financier. Sans quoi, je bois un trop fort bouillon.

Travail à l'épée Gregh.

3 nov[embre 1953]

Réception officielle par le préfet Haag des travaux du Columbarium. Très gentiment, Mme Auriol, invitée par nous, est venue. Revoyant mon groupe, le préfet me dit :

— Mon impression est aussi forte que la première fois.

Il y avait Eyraud, le nouveau directeur des B[eau]x-A[rts] de la Ville de Paris, Fournier, Fruh, le président de la commission des B[eau]x-A[rts] de la municipalité, Gaston Riou, Jacques Meyer.

Préparation de la médaille du président Van Zeeland.

Préparation du mannequin pour la grande France du Trocadéro[3]. Hum! Cette France!

4 nov[embre 1953]

Séance solennelle sous la coupole, orientée vers la glorification du 150° anniversaire de la villa Médicis. Bon discours de Hautecœur, bien fait, mais sans émotion. Beaucoup de monde.

Après, réception rue de Valois, dans les salons du secrétariat d'État aux B[eau]x-A[rts]. Chaque fois que je revois Cornu, je le trouve de plus en plus épanoui. Son visage est de plus en plus arrondi avec tendance dans le sens de la largeur. Qui fit les invitations? Cornu ou Boschot? Il n'y avait strictement que les membres de l'Académie et quelques-uns des fonctionnaires de l'administration. Ce n'est pas cela que nous voulions. Cornu dit que c'est Boschot qui invitait. Je le crois bien plus que Boschot. Je le connais bien, trop bien.

Nous bavardons avec Mortreux et quelques autres. On parlait du mariage des pensionnaires et de la construction d'une nursery. Les crédits sont demandés. Comme c'est une idiotie grave, ils seront certainement votés. Cent millions à peu près. Le devis est moindre mais chacun sait qu'un devis d'architecte n'est jamais sincère. Finalement, avec le mobilier pour une douzaine de petits appartements, les 100 millions seront certainement dépensés. Je dis à Mortreux :

— Si vous pouvez vivre encore cinquante ans, je suis sûr que vous ne fêterez pas le 200ème anniversaire de la Villa car l'autorisation du mariage tuera l'institution.

5 nov[embre 1953]

Le comité du buste Heuillard vient chercher le buste. Ces messieurs téléphonent de la fonderie pour me dire combien ils sont contents.

Botinelli accompagne à l'atelier M. Ricard et un de ses amis, un monumental gaillard, directeur d'un des plus grands hôtels de Cannes. Ricard, un type dans le genre du député de Divonne. Le père de Ricard avait un petit commerce de vins. Le fils eut l'idée de fabriquer un pastis qui, sous le nom du pastis Ricard, concurrence victorieusement celui de Pernod. Cet homme fait une fortune considérable, sait la valeur de la réclame et le mépris du ridicule. Les grosses fortunes industrielles ne se font pas autrement. Celui-ci est sympathique, très, parce qu'il veut s'intéresser aux arts et manifeste un faible pour la sculpture.

Je prends mes dispositions pour commencer sans tarder le modèle du monument de l'Armée[4].

6 novembre [1953]

Epée Fernand Gregh.

Le Figaro publie deux tableaux où sont exposées les deux thèses, pour ou contre la défense européenne. Communauté dans laquelle serait intégrée l'Allemagne Occidentale. Pour le fond tout le monde est, tout au moins en paroles, pour l'Europe. Mais où on est plus d'accord c'est sur l'ordre de marche. Les uns disent "Faire d'abord l'Europe économique et politique. La communauté de défense en second lieu." Les autres pensent et disent "L'Europe politique et économique est une affaire énorme bien difficile, dans laquelle la France est perdante si d'énormes précautions ne sont pas prises. Mais cette longue étude et difficile mise en marche ne doit pas empêcher de créer l'armée européenne". Je crois que ces derniers ont raison. Car l'ennemi mondial numéro 1, c'est la Russie, avec son tsarisme à plusieurs têtes. Et sa volonté certaine de guerre si on ne lui cède pas sur tout.

7 novembre [1953]

Pas fameux les envois de Rome sauf ceux des architectes. La tendance actuelle est d'en faire beaucoup. Rien, sauf les architectes, n'est étudié. En peinture, il y a un peintre, Savary, qui a un tempérament certain. Mais quelle faiblesse! Dommage. Cela tient à la faiblesse de son patron. Dommage. Car ce Savary regarde la vie. La vie italienne l'a frappé. Il a vu et su voir dans les Abruzzes des scènes qu'un Courbet, un Manet, un Déchenaud auraient rendues avec force. Lui, malheureusement dévoré, semble-t-il, par une hâte bizarre, bâcle. Par sa composition sa scène religieuse en plein air, devant une Madone de pèlerinage, devrait donner une toile marquante. Mais presque tous ses personnages ont la même tête, qui semble faite de chic.

Ibert fait grand cas, parmi les sculpteurs, du jeune Calka. Je m'attends à quelque chose de très intéressant. Hélas! Celui-là aussi est parti pour Rome avec un concours injustement classé premier. Il ne savait rien, Ibert ne s'en rend aucunement compte. De la part d'un musicien, c'est normal. Déjà l'an dernier, au lieu de faire une étude sérieuse près du modèle, il avait perdu son temps dans un travail de plomb repoussé, d'après une étude absolument insuffisante. Fautes de construction incroyables. À Rome, cela est accueilli par un directeur qui ne sait pas. À Paris, le directeur de l'École dans sa crise démagogique s'esclaffe d'admiration. Période d'aberration. Cette année, encore moins de travail sérieux. Il a passé son année à faire un buste d'après une dame originaire d'Afghanistan. Il a dû avoir en cette personne une femme bien belle, une de ces persanes comme on en rencontre parfois, comme on en voit sur les estampes. À force de penser à "se manifester" il en a fait une charge sans sensibilité. Dommage. Puis, le buste, il l'a flanqué sur une masse informe de plâtre. Je n'aime pas ce manque de conscience et ce manque d'amour. En même temps, le jeune homme nous a envoyé un martyr prisonnier, figure nue, faite également de chic, avec les mêmes défauts que le Christ de l'an dernier et, cette fois-ci, sans même l'excuse d'une matière à traiter en repoussé. Car c'est un plâtre qui nous est montré, où tout est mal fichu, la tête mal plantée, et tout le reste, tant et si bien que de ce sujet poignant, il a fait une caricature. Avec une tricherie en plus. Ce plâtre est patiné en faux plomb. Est-ce pour faire croire à un travail direct en matière repoussée? Quelle farce!

Le jeune Feraud ne sait pas grand-chose. L'envoi principal montre une ignorance absolue des exigences d'un bas-relief. Il a deux ou trois bons bustes, assez sensibles et directs.

Pourquoi m'attarder à ces observations bien inutiles? Poussé par mon intérêt passionné pour le Grand prix, par les refus de tous les abandons que l'Académie a faits de son autorité morale, d'où a découlé la diminution de son rôle et de son action dans les absurdes règlements renouvelés récemment sous l'influence de Janniot et de Untersteller. Mais à l'origine des erreurs de l'Académie elle-même, il y a l'influence néfaste de Pontremoli et le j'm'enfoutisme de Boschot. Comme si des règlements donnaient du talent. Ce qui importe avant tout c'est de rendre de bons jugements. L'actuelle réforme les a rendus pires. La vraie réponse consisterait à écarter absolument les patrons d'ateliers des jugements. Membres de l'Institut ou non. Tout serait assaini du coup. Je me trompais en comptant sur l'impartialité.

J'adresse au Caire une lettre (Mohktar Hamed) pour obtenir? enfin le règlement des acomptes qui nous sont dus.

8 nov[embre 1953]

Au cirque Médrano, un metteur en scène, Doat, donnait la première représentation du Songe d'une nuit d'été. Idée heureuse de monter cette féerie dans un cirque. Aussi singulier que cela puisse paraître, l'espace que font les gradins, même bourrés de public, autour des acteurs, les met dans une ambiance en quelque sorte immatérielle. Marcel[5] en a fait la musique. Je n'aime pas beaucoup son final. Trop cirque. Il a trop pensé que ça se jouait dans un cirque. Et puis, j'aurais aimé une musique plus évocatrice de l'époque, avec des instruments de ce passé.

9 nov[embre 1953]

M. Diéterle, parent du peintre connu jadis à Etretat, oncle de deux belles jeunes filles dont l'une devint femme de J[ean]-Pierre Laurens, est venu visiter l'atelier et ma collection. Il a été intéressé par le Renoir (Le déjeuner) que personnellement je ne crois pas authentique. Il ne croit pas à l'authenticité du Corot (La Rochelle). Moi, j'en suis certain. Il croit au second (Paysage du Forest). Il a aimé beaucoup de choses. Ingres, les Delacroix, les Ravier, les Courbet, le Carpeaux. Je crois que si je me décide à faire une vente, pour le musée, j'en tirerai pas mal d'argent.

Travail à l'épée Gregh.

Les fonctionnaires de l'enseignement, autrement [dit] les professeurs, font une grève de quatre heures. On ne pense plus qu'à l'argent.

Ce M. Diéterle, venu hier, connaît Braque.

— C'est un paysan normand, me dit-il, très ignorant. Le genre plutôt abruti. Tout à fait le genre que les critiques d'art d'aujourd'hui aiment… Vous ne vous doutez pas du prix que les Suédois payent ses tableaux. Ils font la queue dans son escalier, à Etretat où il habite, pour en emporter.

11 nov[embre 1953]

À la mairie du XVI° arrond[issemen]t. Cérémonie devant mon Bouclier dont la patine est complètement partie. C'est navrant, l'on n'y voit rien. Remise à la mairie de la réduction que j'en avais donné à Weisweller. On l'a très bien installée.

De là, sommes allés aux Invalides voir mon tombeau Foch. Pendant que nous y étions, est arrivée une petite troupe de vieux soldats. Ils se sont rangés devant le tombeau. Deux clairons ont sonné aux champs. Puis ils ont allumé un flambeau dans une urne déposée devant. Et sont partis.

12 nov[embre 1953]

Au Grand Hôtel, je rate Mahmoud.

Déjeuner des Deux-Quarts, composé maintenant des natifs du dernier quart du XIX° et du premier quart du XX°. Convives : maréchal Juin, Domergue, amiral Remack, Maléjary, etc. On parle de la mort de Paul Martin, mort presque subitement en trois jours. On ne sait pas trop de quoi… On parle de l'élection du président. Domergue prédit qu'il y aurait la candidature Herriot, mais que Auriol serait candidat de la dernière heure et réélu.

Un ami de Marcel[6] a présenté sa pièce Le Fou au théâtre de Liège. Elle serait reçue et jouée en octobre prochain…?.

Dans le journal Arts, Le Corbusier, qui annonce une exposition de ses peintures, fait une déclaration dans laquelle il dit textuellement qu'il poursuit "le problème du visuel…". J'irai voir son exposition.

13 nov[embre 1953]

Je voudrais me mettre au Shakespeare. J'en ai fait une nouvelle esquisse. En profondeur, rien ne change à celle assise. Seulement je mouvemente de la draperie. Il est droit immobile, autour tourbillonne la tempête.

Le Monde annonce la fabrication aux USA et en URSS d'un gaz mortel indécelable. Il était fabriqué en Allemagne durant la dernière guerre.

Discours absurde et dangereux de de Gaulle. C'est à la France, dit-il, de rechercher si on ne pourrait pas s'entendre avec les Soviets… Je me demande si, au fond, de Gaulle n'est pas séduit par le totalitarisme, car c'est un ancien A[ction] F[rançaise], ne rêve-t-il pas d'une France [ill.] avec un gouvernement dont il serait le généralissime. Comment expliquer son incohérence.

14 nov[embre 1953]

À Neuf-Marché : Inauguration du buste Heuillard. Cérémonie très réussie. Mon buste a du succès. Le monument est bien composé par un architecte dont je n'ai pas retenu le nom. Gaudon le graveur, qui habite dans le voisinage, est la première personne que je vois en arrivant. On attend plusieurs ministres. Paul-Boncour arrive en compagnie d'une femme plus tout à fait jeune, son actuelle égérie évidemment. J’apprends que c'est une Madame Chadourne[7], mondaine, qui fait de la photographie. On déjeune Chez André. Copieux et bon. Je suis à côté du ministre actuel des Travaux publics, M. Châtelain, très hostile à la C[ommunauté) E[uropéenne] de D[éfense]. Discours du maire, d'abord à la mairie. Devant le monument discours André Duffet, le restaurateur qui fait un discours excellent. Puis de l'officier principal des pompiers du département. Je ne sais plus qui rappelle le dernier discours de Heuillard à la Chambre. Touché déjà à mort il s'élevait avec véhémence contre la CED. Impressionnant, mais ne pas la voter serait quand même une erreur excessivement grave. M. Châtelain, dans son propos, est à fond contre la CED. Yvon Delbos est plus prudent. Je le crois pour. André Marie n'en parle que discrètement. Il me dit qu'il a fait son discours à 2 h du matin, ayant été pris toute la journée de samedi et jusqu'à minuit. Il y avait aussi l'antipathique Daladier qui rêve, à propos de la CED, d'un monumental Munich. Au moment du départ, A[ndré] Marie me dit qu'il a donné mon Héros à une commune de son département… Je ne comprends pas. Il doit avoir confondu avec une autre statue et un autre sculpteur…

15 novembre [1953]

Visite de MM Petteli, Orefici et une dame française qui me font part d'une exposition du livre italien qu'ils veulent faire à la galerie d'Harcourt. Voudraient de hauts parrainages. A[ndré] Marie, l'ambassadeur d'Italie, Julien Cain, etc. Je leur fais remarquer combien ils ont eu tort de ne pas se mettre, dès le début, en accord avec l'ambassade. Au contraire, ils semblaient vouloir l'ignorer. Et maintenant? Maintenant c'est à moi qu'on vient demander d'intervenir… Prudence. Ils sont pourtant bien gentils. Mais sait-on toutes les arrières-pensées?

Visite d'un petit-fils d'Alfred Pereire, fils du bâtonner qui m'apporte sa médaille de Radio-Luxembourg.

16 nov[embre 1953]

Travail au grand Shakespeare et à l'épée Gregh.

À déjeuner, la princesse Karaga [ ?], qui fut une des plus riches roumaines et maintenant, après une fuite dramatique de Roumanie dans un train frigorifique, vit à Paris dans la misère. Lily[8] l'a beaucoup aidée.

Champs-Élysées, exposition Dumas. A[lbert] Sarraut, toujours épanoui, présidait une table de thé.

Soir. Exposition Le Corbusier. Ses peintures! Que de monde pour regarder pareilles bêtises. Rencontré là le graveur de Jacques[9] qui s'esbigne prudemment lorsque nous lui disons ce que nous pensons de cette imposture. J'aperçois Le Corbusier, je ne vais pas lui serrer la main.

17 nov[embre 1953]

Matinée, épée Gregh et puis une petite esquisse en terre pour le mouvement de la draperie dans la Tempête.

Réception d'Albert Sarraut à l'Institut. Dans notre salle ordinaire des séances. Il avait rempli la salle de monde, comme jadis les concours de Rome de musique. Il a fait un discours charmant et sympathique. Mais je ne crois pas qu'on pourra beaucoup compter sur lui.

Chez Madeline qui m'indique la voie à suivre pour limiter le désastre financier de la Porte.

Chez Fournier, quai de la Rapée, pour l'étude de la division du travail du point de vue organisation financière. La participation de la Ville, celle du comité. J'ai l'impression que dans les bureaux on vasouille ferme.

20 nov[embre 1953]

Les Gregh dînent. Ils sont enchantés du projet d'épée. C'était hier élection à l'Académie française, qui fut élection nulle. On ne veut surtout pas de Daniel Rops. Il est à la fois trop clérical et trop commerçant avec sa littérature catholique qu'il fait rédiger par des petits abbés.

21 novembre [1953]

Le surmenage des hommes politiques. Le ministre Bidault se trouve mal brusquement au milieu de son excellent discours avant son départ pour Londres.

22 nov[embre 1953]

Avec Baar étude de la tête Shakespeare. Mais je ne crois pas avoir le temps de faire Shakespeare avant, et même en même temps que je ferai le monument de l'Armée française[10].

Un jeune ménage yougoslave, tous deux peintres, viennent se proposer comme modèles. Peintres, me disent-ils. Si ce n'était pas lamentable, ça serait comique. La jeune femme, bien charmante, me propose de me vendre un système d'éclairage mobile au néon. À examiner. Dommage surtout que je n'ai pas connu ça plus tôt.

23 nov[embre 1953]

Toutes les sociétés d'artistes sont dans de grandes difficultés. Au comité des 90, Formigé nous dit aujourd'hui que dorénavant la Nationale exposera de nouveau au Palais de Tokyo, plutôt d'Art moderne de la ville de Paris. L'exposition au Grand Palais lui coûte trop cher. Au nouveau Palais, si on peut appeler ça un Palais, les frais d'installation sont presque insignifiants. Nous, nous restons au Grand Palais. Formigé a habilement obtenu une grosse subvention d'un groupe commercial exposant avant nous, comme indemnité. Recherche d'une attraction pour notre Salon. On lance l'idée d'un développement de la partie architecture. Leroux propose une rétrospective des membres vivants de l'A.F. (Artistes français). Voilà qui va être délicat, sinon même dangereux.

24 nov[embre 1953]

Shakespeare et épée Gregh, l'après-midi.

À la Chambre, je ne comprends rien aux actuelles subtilités de notre politique intérieure. Mendès-France joue un jeu inquiétant. Il me paraît être de ceux qui voudraient s'appuyer sur la Russie! Il ne le dit certes pas. Mais ce doit être le fond de sa pensée, comme ça doit être le fond de la pensée du général de G[aulle]. S'appuyer sur la Russie, c'est-à-dire se livrer à elle. Jacques Bardoux aussi, pour moi, est incompréhensible.

25 nov[embre 1953]

Commission administrative à propos du musée Éphrussi où Boschot et Pontremoli sont entrés dans le jeu égoïste de Jouve et de son administrateur, le colonel? je ne sais plus comment ? On nous a lu une lettre scandaleuse et diffamatoire contre un type dont j'entendais parler pour la première fois. Il s'agissait d'accepter la démission du commissaire général au tourisme de la principauté de Monaco, que la commission avait désigné comme commissaire adjoint. Jouve nous dit que celui-ci a démissionné. Pontremoli, plus perfide et insinuant que jamais, malgré la présence injustifiée du fameux colonel administrateur, jetant même la suspicion sur l'élection de M. Ollivier. J'ai protesté. Je protesterai par écrit. La démission a néanmoins été acceptée. Jouve et son colonel se poussaient du coude. Le colonel a installé, dans les parties habitables du musée, toute sa famille. Jouve s'y réserve les autres pièces pour les séjours qu'il y vient faire avec deux femmes.

Le président Laniel a posé la question de confiance au Parlement.

26 novembre [1953]

Il m'est venu une idée que je crois bonne pour la dernière scène de la nouvelle pièce lyrique de Marcel[11]. Il hésite beaucoup et envisage le suicide de son héros. À mon avis, c'est une erreur. Le truchement par lequel l'ennemi lève le siège, étant chassé, le drame reste uniquement entre l'inventeur, le peuple sensible et l'État responsable. L'État responsable doit exiger de connaître l'invention qui lui donnera la sécurité définitive et la puissance. Le peuple ne sait pas très bien. Il incline à l'indulgence. Il se souvient de tous les bienfaits qu'il doit à Peter[12]. Peter, qui sait l'effroyable danger que sera son invention, refuse de la livrer. Il refuse l'indulgence. L'État n'ose pas condamner à mort. Peter veut être condamné. Son esprit inventif est un péril. Il doit être supprimé. Il est emmené. On n'a pas besoin de savoir si c'est pour la prison perpétuelle ou pour la mort. Confusion prudente sur laquelle tombe le rideau. La vie continue.

27 novembre [1953]

Attenni pour les prix du monument du Trocadéro[13].

Travaillé à la réduction de s[ain]te Claire pour Mme Sc[hneider]. Puis à l'épée de F[ernand] Gregh.

Marcel[14] a des démêlés insupportables avec son entrepreneur Rigaud qui a monté Nils Halérius sans avoir les fonds. Il cherche à les extorquer à Marcel.

Laniel a eu sa majorité. Peut-être n'est-ce pas un président du Conseil reluisant. Mais, jusqu'à présent, il m'a paru plein de bon sens et de vraie bonne volonté.

28 nov[embre 1953]

Rendez-vous avec Dr Gardinier, Jacques Meyer, pour la mise au point du contrat. On ne marchande pas le prix d'ailleurs très raisonnable que je demande pour un monument de cette importance, mais l'échelonnement des acomptes. Pas très grave. En somme, de ce côté tout va bien. Le seul point noir est le temps (deux ans), si limité, dans lequel ils voudraient que ce soit fini, "depuis le temps que nous attendons!". Comme si j'y étais pour quelque chose!

29 nov[embre 1953]

J'écris à Madeline pour obtenir une majoration de 10 %, si possible, pour le prix de la Porte. Rien pour moi.

Vu un film[15] pas mal sur Lucrèce Borgia, que jouent une fille fort belle, Martine Carol, et surtout un acteur italien excessivement beau et bel acteur[16]. On n'a pas osé faire apparaître Alexandre VI. On dit que cette Martine Carol joue mal. Ce n'est pas mon avis. L'homme a campé un César Borgia de très possible réalité.

30 nov[embre 1953]

Au grand Shakespeare. Mais aurai-je le temps de le faire avant de commencer le monument Trocadéro. Le groupe Ariel et Caliban.

 

(À mon) Shakespeare

 

Shakespeare est-ce toi, surgi de l'au-delà?

Ces mains, ces humbles mains de pétrisseur d'argile,

Dans le même limon que le Titan fouilla

Ont-elles découvert ton mystère immobile?

 

Des siècles revenu, ton regard d'ici bas

Scrute les océans, les forêts et les villes.

Ton bras lourd tient scellé le livre des Sibylles

Où sont tous les destins que ton destin aima.

 

L'angoisse ceint ton front dans le ciel solitaire

Où viennent converger tous les cris de la Terre

Dont les plus déchirants sont les cris des humains.

 

Mais que Caliban hurle ou que pleure Ophélie

Ariel sourit et chante aux aubes de la Vie…

C'est ton cœur d'homme, Sphinx, que sculptent ces deux mains.

 

Je suis appelé au téléphone par un M. Davenay, journaliste à Paris Presse. Au sujet des travaux du Carrousel. On détruit le Gambetta. Toute cette cour entre les deux pavillons du Louvre va être transformée en jardin à la française. On va abattre les arbres. On va transporter La Fayette. M. Davenay vient me donc me suggérer une idée fameuse! Faire mettre mon groupe Les Fils de Caïn dans le square Séverin, où personne ne va jamais. Je demande à cet informateur bien intentionné de ne rien publier à ce sujet. Je téléphone à Paul Léon pour lui demander s'il est au courant des projets du Carrousel. Il fait partie de la commission. Rien ne presse. On ne sait pas encore ce qu'on va faire. Il surveillera la question et me tiendra au courant.

 


[1] Pierre Jérôme.

[2] Nouvelle Faculté de médecine.

[3] A la Gloire des armées françaises.

[4] A la Gloire des armées françaises.

[5] Marcel Landowski.

[6] Marcel Landowski.

[7] Georgette Chadourne ?

[8] Amélie Landowski.

[9] Jacques Chabannes ?

[10] A la Gloire des armées françaises.

[11] Marcel Landowski.

[12] Peter Bell, le personnage principal du Fou.

[13] A la Gloire des armées françaises.

[14] Marcel Landowski.

[15] De Christian Jaque.

[16] Massimo Serato.