Août-1907

Cahier n°2

1er août [1907]

L'affaire de l'Architecture s'annonce mieux. Redon a compris qu'il valait mieux aller de l'avant. Cela m'a fait plaisir et m'a réconcilié avec lui. Mais ça n'a pas été sans peine que je l'ai décidé à marcher. Hier durant au moins deux heures nous avons discuté. Quand je l'ai quitté je n'étais pas tout à fait sûr de l'avoir converti. Mais aujourd'hui il a été lui-même de l'avant. L'important était de faire accepter le principe de la composition axée. Il m'est à présent tout ce qu'il y a de plus facile de remplacer la femme par l'homme, sans rien changer à la silhouette générale. L'ennui à présent, c'est que la femme leur a beaucoup plu. A la rentrée il va falloir faire changer d'avis cet excellent homme qu'est Dujardin-Beaumetz. N'importe, il en dit de rudes bêtises. Encore avec mon groupe ! Il ne veut absolument pas qu'il s'appelle Les Fils de Caïn ! "Non ! non ! Ce sont les premiers artistes !" l'enthousiasme. Les arts du Feu, le Poète, etc. L'amusant dans cette affaire a été Fagel. Amusant et grotesque. Combien cet homme me paraît envieux et mesquin. La vue de mon esquisse a eu le don de le mettre en fureur. Au fond il a raison. On l'oblige à faire banal. Mais quelle manière de défendre sa cause ! Si bien que sur le moment je n'ai pas eu l'idée de me mettre avec lui, mais au contraire de le laisser se débrouiller tout seul. Et cependant son combat, son ton amer, tout cela, c'était bien humain ! Ç'aurait été le cas pourtant, de prôner l'idée de la marche en avant, de balancer les allégories féminines, et non de faire des figures masculines. Mais ce malheureux Fagel a pris tout de suite une manière tellement antipathique que cette idée de marche en commun ne m'est pas du tout venue. Si, elle m'est venue, mais dans le tramway. Enfin tant pis. Et puis rien ne dit qu'Octobre n'aurait pas regimbé, car il a l'air de tenir à sa petite femme couchée. Après tout, zut ! J'ai senti qu'au fond, c'est chacun pour soi. À la rentrée, je m'occuperai de la transformation de la femme en homme. Pour aujourd'hui, réjouissons-nous de cette demi victoire. Et donnons en un bon point à Redon. J'apprécie de plus en plus l'amitié exquise de Lombard.