2 août [1954]
Mendès-France semble avoir réussi en Tunisie. À présent, le Maroc.
4 août [1954]
Travail marche normalement. Rattrapé le retard causé par les mauvais montages. Ma faute : je n'ai pas assez surveillé Sp[ranck].
La Russie multiplie les propositions pour empêcher la CED[1].
8 août [1954]
Je me disposais à aller à Valmondais pour une fête commémorative en l'honneur de Daumier. Heureusement que j'ai eu l'idée de téléphoner à Georges Huisman qui habite Valmondais. Cette fête avait lieu hier! Je suis donc resté et comme fatigué, je me suis couché.
Mais je dus me relever pour recevoir Gilbert Cahen-Salvador. Il venait me présenter une jeune américaine qui m'a paru fort intelligente. Il était accompagné d'une amie, laquelle est peut-être son amie, une jeune femme docteur, Mme N[2]. Celle-ci a une fort belle tête, des yeux clairs surtout très remarquablement enchâssés, près des sourcils, ce qui donne de la profondeur au regard. Les yeux valent par leur couleur, certainement. Mais aussi beaucoup par leur encadrement : sourcils, pommettes. C'est cet encadrement qui fait apparaître les yeux grands. Le nez est petit, c['est]-à-d[ire] peu saillant sur le plan facial, le bas du visage est un peu déficient. Je lui ai demandé si elle pourrait et voudrait bien poser pour la tête[3]. D'accord. Première séance mardi.
9 août [1954]
Très bonne journée. Amélioration sérieuse du groupe que j'appelle Piéta.
Les nouvelles d'Indochine semblent indiquer que Hô Chi Minh, ou plutôt ses troupes s'infiltrent, sans combat, dans toute l'Indochine.
En Tunisie le calme revient. M[endès]-Fr[ance] semble vraiment avoir réussi une opération à la manière anglaise. On s'en va, mais on reste. Mais reste le Maroc. Et que devient la C[ommunauté] E[uropéenne] de D[éfense]?
10 août [1954]
M[endès]-Fr[ance] obtient la majorité et les pleins pouvoirs pour les questions financières.
12 août [1954]
Date à laquelle nous sommes toujours restés fidèles. Nous ne sommes plus que deux, Benjamin[4] et moi, à qui cette date rappelle l'image de notre Wanda[5]. Quand nous ne serons plus là, plus personne ne sera sur terre pour évoquer cette silhouette gracieuse et cet être si charmant. Alors, elle sera tout à fait morte. Car c'est bien vrai que les morts ne sont pas morts lorsqu'il reste quelqu'un pour penser à eux.
Je relis Shakespeare. Richard III, Henry VI.
14 août [1954]
On connaît à peu près les modifications apportées à la CED dans le Conseil ministériel d'hier. Général Kœnig démissionne. Tant mieux. C'est absurde ce système de prendre dans un ministère des hommes représentant toutes les tendances. Alors, ça fait penser au jeu de la corde sur laquelle chacun tire en sens contraire. Cependant qu'on bagarre même entre ministres d'un même gouvernement, la Chine semble maintenant à la veille d'entreprendre la conquête de Formose.
Mais quel désastre que la CED n'ait pas été votée il y a deux ans. Alors, c'eut été facile. Tandis que maintenant!
16 août [1954]
À déjeuner, Gaston Riou et sa gentille femme. On parle, bien entendu, uniquement politique et CED. Édouard Herriot et Daladier en sont toujours à la formule Poincaré Delcassé, c['est]-à-d[ire] l'Allemagne coincée dans l'étau franco-russe! D'où leur attitude absurde et anti CED. De la part de Daladier, ça ne m'étonne pas. Il ne me paraît pas être intelligent. Mais d'un homme de l'envergure d'É[douard] Herriot, c'est stupéfiant. En somme sont influence et son prestige sont grands, il peut très bien faire échouer la CED, bien que ratifiée par d'autres puissances. Il paraît que Daladier, abandonnant la petite madame de Cr., vient de se remarier avec une femme très belle et très ambitieuse qui rêve d'être l'égérie d'un nouveau front populaire.
Bon travail. Tête de la nouvelle France.
18 août [1954]
Harlette Gregh hier soir nous disait que M[endès]-Fr[ance] au fond cherche à torpiller la CED. Cela me paraît impossible. Bien sûr, on comprend, on ne comprend que trop la répugnance à intégrer l'Allem[agne] avec les pays qui ont eu à tant en souffrir, et surtout les israélites. Mais la nécessite absolue est là. C'est vraiment, il me semble, le seul moyen de paralyser les ardeurs nationales-socialistes vaincues.
20 août [1954]
Parce qu'on exprime obscurément des vieilles idées, on s'imagine avoir découvert des nouveau-nés.
21 août [1954]
Téléphone de Jacques Meyer. Il a alerté le journal l'Aurore pour photographier la maquette en cours. Quel agité que ce Jacques Meyer. La seule chose qui ne l'intéresse pas, c'est le monument. Mais inauguration, pose de la 1ère pierre, photographie, publicité, ça oui! Et pourtant c'est un homme intelligent.
M[endès]-F[rance] est à Bruxelles. Est-ce un ratage, ou un torpillage volontaire? L'attitude de notre ministre est incompréhensible vis-à-vis des trois autres qui n'ont pas tergiversé. La France, hélas! semble ne pas savoir ce qu'elle veut. Le but est de savoir si ce ratage est tellement important? Hélas, encore, je crois que c'est très important. Peut-être M[endès]-F[rance] sait-il qu'au Parlement il ne serait pas suivi.
23 août [1954]
M[endès]-F[rance] se débat avec sa CED torpillée par lui. Situation bien confuse.
24 août [1954]
Téléph[one] d'un M. Fleury, de l'Aurore, pour la photographie. Empoisonnement! Anxiété! On déflore une œuvre avec ces publications prématurées.
Remous de Bruxelles. M[endès]-F[rance] s'est précipité à Londres voir Churchill. Puis est allé à Coty. Il a isolé la France. À fait ce soir à la radio une déclaration vaseuse. Dommage qu'il n'y ait pas de radio libre.
Travaillé à "La France" du monument Troc[adéro][6]. Problème difficile. Je me le suis créé à moi-même. Au fond j'ai horreur de ces figures allégoriques. C'est une facilité. Comme toutes les facilités, ça ne donne rien de fameux. Banal. J'ai réussi avec le mon[umen]t d'Alger[7], parce qu'elle était présentée de manière originale. Là, rien à faire. Je me réfugie dans un grand mouvement de draperie. Mais!…
25 août [1954]
À déjeuner Baudry. Il n'aime pas Jaujard, ni André Marie.
— Jaujard, dit-il, n'a aucun caractère. A[ndré] Marie ne pense qu'à sa circonscription.
La commission artistique de Sèvres comprend Zadkine! Souverbie! Gaumont entre autres. Gaumont c'est très bien, mais les deux autres. Il connaît bien Coty qui aurait eu, il y a quelques années, un accident artériel.
La discussion autour de la CED est fort embrouillée en France. Quel est le jeu de Mendès-France? D'après ce que jadis on disait de Boris, on peut être inquiet de savoir cet homme auprès de M[endès]-Fr[ance].
26 août [1954]
Vérification du calage des pierres. Voilà un des drames du métier. Être obligé de fixer les dimensions des pierres avant que le modèle définitif soit terminé. On est prisonnier de soi-même, en somme. Si ensuite on veut changer quelque chose, presque impossible. Les mesures sont là, implacables.
Travaillé à La France. Absurde de m'être lancé dans cette allégorie. Ce genre idiot. Il n'y a de bien que ce qui est vrai.
Mendès-France est certainement hostile à la CED. Sa position officielle d'indifférence en est la preuve. Indifférent, un chef de gouvernement, devant un problème pareil!
28 août [1954]
Gaumont vient déjeuner. Quel homme charmant et fin. Il me dit son dégoût sur ce qui se passe à l'École. Démagogie et disciplomanie.
Mendès[-France] fait au Parlement un discours habile et faux, la main sur le cœur. Moch aussi, fait un discours moche.
30 [août 1954]
Visite Peulvey et Tabouis pour le buste du pauvre Lacour-Gayet. Ils sont très contents. Le marbre est décidé.
Peulvey m'explique les raisons des objections à la CED dont le sort se décide aujourd'hui à la Chambre. Par la CED, la France abandonne sa souveraineté à un super comité de généraux (mais les autres nations aussi). Les commandes de l'industrie lourde (canons, etc.) seront faites par ce comité qui les confiera au moins cher. D'où effondrement de l'industrie lourde française (la France est le pays où l'on travaille le plus cher).
À la Chambre, finalement, la CED a été refusée! Ce désastre a été salué par des manifestations ridicules. Chants de la Marseillaise. Hurlements.
J'essaye de composer un nouveau bouclier de la France[8], avec les trois symboles : Liberté - Egalité - Fraternité. Symboles sur symbole. C'est idiot. C'est froid.
Efforts officiels pour démontrer que le refus de la CED aurait été acquis même sans les voix des communistes. Hélas! C’est vrai. Herriot a pris une position stupide. Il est sous l'influence de Geneviève Tabouis avec laquelle il coucha dans des temps lointains. Mais des rectifications de vote semblent infirmer la victoire des anti CED, sans les communistes. Ça ne change rien d'ailleurs au résultat proclamé.
Le modèle du monument avance bien. Par moment, je le trouve bien, à d'autres, je suis fort inquiet. Il n'y a pas de trouvaille.
[1]. Sur la page de gauche : "CED : Communauté européenne de défense".
[2] Violette Cahen-Salvador.
[3] La tête de la France du monument A la gloire des armées françaises.
[4] Benjamin Landowski.
[5] Wanda Landowski-Laparra.
[6] A la Gloire des armées françaises.
[7] Le Pavois.
[8] A la Gloire des armées françaises.