Mai-1914

3 mai [1914]

Retour de la Ferté-s[ou]s-Jouarre. Avec Hubaine, nous avons été voir le tombeau[1] que l'oncle Max m'a demandé de lui faire. Je suis content de l'ensemble. Des faiblesses d'exécution. Plutôt des négligences. Encore trop d'à-coups. La pierre doit être traitée par plans et par arêtes vives. Mais je sais bien sûr que je suis dans la meilleure voie.

Tout ce que j'ai fait depuis deux ans est dans la même tenue. Je tiens la parole que je me suis donnée de ne rien laisser sortir de chez moi qui ne soit personnel, dont je ne sois content. Tout ce que j'ai en préparation, NieuportColonneBrisson, sera de même. Avoir comme principe absolu de ne pas chercher à gagner d'argent. Au fond ce doit être le meilleur moyen pour finir par en gagner. Mais surtout, je vois approcher de plus en plus le moment où je me mettrai à l'œuvre de ma vie. On moule Coligny[2]. Dans peu de jours j'aurai fini Carpentier, le buste de Lily, le petit portrait de Nadine [3]. En même temps que je ferai le bas-relief de Brandebourg et la statue de Bocskay[4], je ferai toutes les esquisses. Puis, une fois Genève terminé, si Lily n'a pas trop de peine de quitter Paris et ses amis, nous irons nous installer à Florence où je commencerai l'exécution des Suppliants, et de tout ce qui suit. Qui sait si je n'aurai pas la chance, une fois que l'on en aura vu les premiers fragments, de trouver l'homme ou la femme riche et intelligent qui comprendra ce que je veux et qui m'aidera à en venir à bout.

4 mai [1914]

Toute la journée à Carpentier. C'est presque fini. S'il me donne toutes les séances qu'il m'a promises cette semaine, je finirai tranquillement.

Avancé petite statuette de Nadine. Le charme, la tendresse de cette enfant. Je passe avec elle des heures sans ennui. Elle ne pense qu'à dire des choses qui fassent plaisir.

5 mai [1914]

Carpentier s'est foulé le pied ! Voilà mes séances remises ! Rien de si ennuyeux que de compter sur une bonne séance et le modèle vous fait faux bond ! Pas le courage de me mettre à autre chose. Mauvaise journée.

Jaurès a écrit dans l'Humanité des lignes très bien pour Bouglé. Pourquoi Bouglé n'est-il pas plus nettement socialiste ? Au fond de moi je trouve son attitude déplorable. Lui-même en est gêné. Son attitude sur l'impôt sur le revenu est fuyante, ce qui n'est pas dans son caractère. La vérité est qu'il est obligé de se mettre derrière Steeg. Je ne crois pas que Bouglé puisse être élu.

À la fin de la journée suis allé voir Carpentier. Ai trouvé là le boxeur Paul Til qui a bien la tête la plus extraordinairement abîmée qui se puisse voir. Rudement amusante à sculpter. L'entraîneur Jim Pratt nous fait ses confidences sur ses amours et l'influence pernicieuse des femmes !

— Pour réussir dans son métier, quel qu'il soit, il faut l'aimer, au point qu'il devienne pour soi une idée fixe.

6 mai [1914]

Excellente journée de travail. Buste de Lily[5]. Esquisse au bas-relief anglais pour Genève. Sujet bien aride et froid. Anecdote historique. Dire qu'il y en a qui traitent de pareils sujets pour leur plaisir.

7 mai [1914]

Bas-relief du Mayflower[6]. J'arrive difficilement à mettre de l'intérêt dans ce bas-relief. Il aurait été très bien si l'on m'avait laissé faire. Grande difficulté d'arriver à l'effet d'ensemble. La figure debout devrait compléter l'effet qu'aurait donné la répétition sur tout le premier plan des figures agenouillées.

Hier soir, conférence de Bouglé. Impression excellente. Gros succès. Mais cet amour de l'éloquence ne m'apparaît pas comme un art bien supérieur. Il est d'effet bien gros.

9 mai [1914]

Loïe Fuller est certainement une intelligente personne. Elle a des trouvailles de mise en scène, dont on ferait pas mal de s'inspirer dans certains théâtres, notamment à ce lamentable Opéra. La scène les Filles Fleurs de Parsifal mise en scène par Loïe Fuller donnerait ce qu'elle doit donner. Mais son art est trop fait de trucs, d'effets. Son goût est par trop image de Noël. Aussi le spectacle qu'elle donne est-il incomplet. Des trouvailles. Les nuages. La vision de ces formes transparentes qui s'évanouissent réellement sous nos yeux est très émouvante. Les Serpents. Effet extraordinaire et si imprévu. Dissimulées derrière un mouvement de terrain, les danseuses dressent leurs bras aux mouvements si souples et cela donne la réelle impression de serpents. Surtout au début, lorsqu'un seul bras ainsi se dresse et se balance dans le ciel, en silhouette.

Causé longuement avec Sicard et William[7] hier soir, chez S[ain]t-Marceaux. William me dit que s'il partait, comme j'ai l'intention de le faire aussitôt le monument de Genève fini, cela ne lui servirait à rien, car il se dit vidé, sans idées nouvelles. Je lui réponds qu'il n'est pas besoin de partir avec des idées, surtout pour en peindre. Le voyage lui apportera bien chaque jour, à chaque moment les idées nouvelles. Pourquoi ne pas faire avec l'Italie ce que d'autres font avec l'Espagne et la Bretagne. L'Italie n'est pas seulement un pays où l'on doit se mettre en face d'un temple en ruines pour le copier. Il y a un peuple en Italie, et qui a un rude caractère ! Si nous réalisons notre projet d'aller nous isoler là-bas un an ou deux, c'est bien aussi ça que je veux faire, à côté de mes groupes.

Que j'aurai eu de mal à finir cette statue de Carpentier[8]. Il est venu passer deux heures aujourd'hui. Je ne le reverrai plus que dans une douzaine de jours. Il ne me manque que deux ou trois séances !

À la Vie féminine. Conférence de Séverine [9] sur la misère des femmes. C'était choquant cette conférence dans cette salle Louis XV, avec ces guirlandes de fausses fleurs. Mais c'était choquant superficiellement. Ce qu'elle disait était sincère et si vrai. J'ai été heureux de l'entendre protester contre le mauvais livre de [Marcel] Prévost [10] Les Anges gardiens. Le public vibrait bien. Il se fait tout de même un grand effort social. Je suis heureux que Lily m'ait ramené à ces idées qu'on oublie si facilement, auxquelles certains même ne pensent jamais. Lorsqu'on y pense profondément, on est réellement rempli d'indignation devant l'égoïsme des heureux. Mais y pense-t-on vraiment profondément ? N'opposons-nous pas tous, devant l'évolution de toute la misère, une sorte d'égoïsme instinctif, analogue à celui des vieillards en présence des douleurs de la vie ? Autrement nous ferions tous comme s[ain]t François d'Assise.

13 mai [1914]

Voyage à Genève à excellents résultats. Mis en train le bas-relief Knox. Suis arrivé finalement à obtenir de Borgeaud qu'il me laisse remettre à genoux toutes les figures du premier plan. Je l'ai fait aujourd'hui. Ce bas-relief a immédiatement beaucoup gagné. Ai aussi obtenu de pouvoir habiller d'une tunique longue Bocskay. Cette figure est aussi sauvée.

Nous sommes ravis du résultat général des élections. C'est un véritable triomphe pour le Socialisme, donc pour la paix. Je déplore l'échec de Bouglé. Il eût été une force précieuse pour le parti républicain. La position à prendre, dans l'état où l'a laissé Steeg était difficile. Mais Bouglé a eu tord de penser surtout à ne pas perdre les modérés radicaux, qui jamais n'auraient voté pour un réactionnaire, et dans ce but de se séparer trop violemment des socialistes. Il est plus socialiste qu'il ne le disait.

 

15 mai [1914]

Mon bas-relief américain va bien. J'en suis très content. Il va se finir vite. Il prend de la force. Il se dramatise. Tandis que je travaillais, mon petit élève Lambert Lévy qui travaillait silencieusement dans son coin me dit tout à coup :

— Je suis sûr que ce que vous devez le plus admirer chez les hommes, c'est la force de caractère.

— Ah ! pourquoi croyez-vous ça ?

— Ça se voit à votre sculpture.

Je suis toujours étonné de l'impression que je fais sur certains. Ainsi beaucoup s'imaginent que je suis un homme de volonté inébranlable, et ce qu'on appelle un caractère. Hélas ! je ne suis pas un caractère, et ma volonté est souvent faible. J'ai beaucoup de bonne volonté, ce qui n'est pas la même chose. J'ai certainement, pour ma sculpture une ténacité qui me fera toujours arriver, avec beaucoup de temps, à réussir ce que j'entreprends. Je suis prêt à recommencer indéfiniment, jusqu'à ce que je sois content. Mais ceci est une volonté toute spéciale, ce que j'appellerais une volonté locale. Pour la vie, je n'ai guère de volonté. Je n'en ai pas vis-à-vis des autres. Je vois trop le pour et le contre et cela souvent me donne de l'indécision. Dans les réunions d'hommes je suis facilement pris au dépourvu par des arguments stupides. Je me laisse même influencer parfois dans un sens contraire à ce que je pense. Les gros personnages, les gens qui ont des titres sonores, et dont depuis longtemps déjà j'ai sondé le vide, l'insuffisance et la nullité, je les respecte trop. J'ai pour ces gens âgés, réguliers, un respect de naissance, contre lequel je lutte d'ailleurs de toutes mes forces. Leur bêtise et souvent leur méchanceté, leur envie, m'aident considérablement à sortir vainqueur de cette lutte. À ce point de vue-là, je sens d'ailleurs que je me transforme avantageusement. Mais cela est une petite chose. Ce qui est plus grave c'est de ne pas vivre suivant ses idées. Si j'avais vraiment du caractère, je vendrais ma maison, je m'installerais de manière plus simple, suivant mes goûts et ceux de Lily, et je serais bien plus heureux. Tant de choses vous retiennent. Mélange de sentiments élevés et de faiblesses. Mais hélas ! combien sont-ils qui comme moi sont pris dans ces toiles d'araignées de la société, des relations, des amitiés, de la famille et qui y laissent beaucoup du meilleur d'eux-mêmes. Il n'y a pas à lutter seulement contre l'affection des autres. Il y a à lutter contre l'affection qu'on porte aux autres. Alors la seule solution est la solution radicale, l'éloignement.

16 mai [1914]

Corrections le matin. Il paraît que je suis un bon professeur. Tous ces jeunes gens ont l'air intéressé. Je n'aime pas du tout enseigner. Quand j'entre dans cet atelier et que je vois toutes ces petites horreurs à corriger, je suis pris de découragement avant de commencer.

Ma journée ensuite est toujours mauvaise [11].

Dimanche [17 mai 1914]

C'est avec grand plaisir que je reçois mes amis. C'est pourtant avec plaisir plus grand que je pensais, tandis qu'ils étaient là, au moment où nous serions seuls. Pour moi, pas de plus grand plaisir que de voir à notre table, nos deux seuls couverts, côte à côte. La fatigue que je commence à ressentir exagère peut-être mon besoin de solitude et d'isolement. Je n'ai vécu réellement artistiquement heureux que pendant mes trois dernières années de Rome. J'aspire au moment où je pourrais revivre des années analogues. "L'homme fort, c'est l'homme seul". Je ne sais plus qui a dit cette parole brutale. Pour la réalisation complète d'une œuvre elle est peut-être vraie ? Mais pour bien peu d'hommes. Car y a-t-il vraiment un homme vraiment seul ? Je ne le crois pas. L'homme qui pourrait vivre vraiment seul, serait peut-être fort, mais cette force serait faite de tant d'égoïsme, que sa force ne pourrait être féconde [12]. Mon idéal de vie serait d'être l'habitant d'une petite ville pleine de vieilles maisons et de souvenirs, sur une montagne ou au bord de la mer. J'y travaillerais dans la paix toute la journée. À la fin de la journée, je ferais tous les jours la même promenade du côté de la grande rue. J'y aurais des amis très peu nombreux, aussi amoureux que moi de tout ce qui est beau. Ainsi, loin de la fournaise de Paris, ou d'autres fournaises analogues, je produirais des choses faites avec le recueillement que demandent les vraies œuvres d'art. Et j'aurais alors l'impression de vivre une vraie vie d'artiste, comme ont certainement vécu ceux que j'aime. Car c'est là le fond de tout. Une œuvre d'art doit être faite avec recueillement. Il y en a même qu'il ne faut pas même montrer durant qu'on les exécute. Combien mon Hymne à l'aurore serait autre chose, plus émouvant, plus expressif, plus religieux si moins de monde l'avait vu ! Les œuvres les plus belles sont celles qui se relient aux grands sentiments religieux qui de tous les temps ont ému les hommes. Mon Hymne à l'aurore devait contenir une parcelle de ce sentiment, et il l'aurait contenu si je l'avais exécuté dans les mêmes conditions que les Fils de Caïn. Ici, à Paris, il m'est impossible de travailler dans les mêmes conditions. Le public même le plus intelligent, est presque toujours incapable d'évoquer autre chose que ce qu'on lui montre, et de voir dans une ébauche autre chose qu'une ébauche. Souvent aussi une esquisse qui fait peu d'effet peut donner à l'exécution une très belle chose. Ces raisons, en quelque sorte, pratiques doivent défendre à l'artiste de montrer ses projets et ses ébauches. Et il y a en plus la vraie, la plus profonde raison, qui est qu'on ne doit pas montrer le meilleur de soi-même. Une sorte de pudeur, d'ailleurs, nous en défend souvent. Certaines œuvres sont comme des idoles, et le sont en vérité, et doivent être cachées dans le plus profond sanctuaire. Je ne crains pas du tout, en ce moment, l'isolement, parce que mon programme est prêt. Depuis assez d'années, près de quinze ans, je l'ai tourné et retourné dans tous les sens. Depuis trois à quatre ans le voilà immuable dans ma tête. Je me sens prêt. Pour l'exécution je suis maître de ma méthode et sans inquiétude. Ma seule inquiétude est de m'organiser pour l'exécuter. Une chose est certaine. Ici, dans cette maison, avec mes ateliers où tout le monde a pris l'habitude d'entrer, c'est impossible. Je n'en viendrais pas à bout.

 

 

20 mai [1914]

C'est inouï, les insanités que l'on peut faire entendre et voir au public parisien, ou européen, en sachant s'y prendre. Hier au soir aux Ballets russes. D'abord un ballet : Les Papillons. Absolument ridicule. Enfantin [13]. Rien de sinistre comme des grandes personnes qui font sérieusement de l'enfantin. Puis, le gros morceau : La Légende de Joseph, de Richard Strauss [14]. Exemples : Beethoven, Wagner et Chopin, tout ce qui est écrit en musique m'apparaît comme absolument sans aucun intérêt, ne m'émotionne en rien, le type de l'inutile. La musique de Richard Strauss aura peut-être apporté quelques accords nouveaux. Elle n'aura certainement rien apporté d'autre. Quant à l'œuvre d'ensemble, au livret, au ballet, c'est d'une bêtise irritante. Élucubration de protestants allemands hypocrites et pédérastes, qui font leurs petites saletés les sourcils froncés et l'air grave, sans quitter leurs lunettes. Les femmes en robe de brocart ouverte pour laisser voir les jambes nues. Mais surtout cet imbécile de petit danseur [15] ! Le ballet est exactement à l'art théâtral ce que la sculpture dite décorative est à l'art sculptural. Tout y est faux, conventionnel, loin de la vie, délayé. Tout y devient donc banal. Un ballet ne peut être intéressant que si ce qu'il doit représenter ne peut l'être que par la danse. C'est pourquoi le ballet de Shéhérazade est si réussi[16]. Ce sujet ne pouvait être autrement rendu. Mais l'histoire de Joseph ! Et puis la prétention de tout ce spectacle était irritante. Lily voulait siffler. J'aime tes indignations, chère Lily. Dans les couloirs, pendant l'entracte, une cohue de snobs se pâmait après avoir ovationné Richard Strauss et ses interprètes. J'aime mille fois mieux [17] le Mârouf de Henri Rabaud, qu'on donnait l'autre jour à l'Opéra-Comique. C'est un peu froid, manque de fantaisie, mais au moins c'est amusant. Que demander de plus à ces musulmaneries. Que ce ne soit pas prétentieux, que cela ne fasse pas non plus penser à ces lieux où l'on danse la danse du ventre, c'est déjà beaucoup. Henri Rabaud y a réussi. Louons-le.

[Mai 1914]

Rien de plus merveilleux que les deux opéras que nous venons de voir, à la saison des Ballets russes. Le Rossignol, le Coq d'or. J'aime la musique du Rossignol. D'abord l'idée si heureuse de mettre les chanteurs principaux dans l'orchestre. La voix devient un des éléments de l'orchestre, bien nettement. Et puis j'aime cette musique, son côté spirituel et agressif. Il y a là de la vraie jeunesse. Le spectacle est merveilleux. Le second acte évoquait les scènes qui décorent ces belles tentures chinoises, où sur un fond de soie pourpre, des personnages dorés, aux visages de soie claire, se meuvent avec des gestes mesurés.

J'ai moins aimé le décor du Coq d'or, trop intellectuellement naïf. Mais quelle trouvaille que la place des chœurs et des chanteurs, étagés à gauche et à droite de la scène, dans leurs costumes rouge sombre, dans leur immobilité absolue, dans leur parfaite uniformité. La vie, la lumière, l'éclat de la pantomime, du ballet n'en contrastaient que plus. Le second acte, lorsque la reine tentatrice sort de sa tente pour séduire le roi Ubu, et qu'elle danse accompagnée des guitaristes à genoux, est un des spectacles les plus charmants que j'ai vus. Tout n'est que contraste. Je pense au Mârouf de Rabaud. Et c'est lamentable. Sa banalité était charme à côté de la prétention de Joseph. Sa banalité est vraiment banalité [18].

[Mai 1914]

Chez Madame Mühlfeld. Elle reçoit de manière charmante dans ces étoffes blanches, toute petite derrière sa théière, son samovar et ses gâteaux. Autour d'elle de nobles parisiens, et le si sympathique Louis Artus, et Jacques[-Émile] Blanche qui l'est moins, et Madame Paul Adam. C'est Jacques[-Émile] Blanche qui a les honneurs du crachoir. Madame Mühlfeld lui déclare qu'il est le seul homme capable de faire, à l'heure actuelle, le livre qu'attend Paris, la France, le monde. Bien enfoncé dans son petit fauteuil, J[acques-Émile] B[lanche] accepte. Il cause. Il dit vaguement ses projets. Un livre qui indignera tout le monde. Il y décrit notamment la mort de son père. Discussion. A-t-on le droit de tout dire de soi et des siens dans un livre ? Et je constate l'état d'esprit où en sont arrivés ces gens qui considèrent comme naturel les faits et les sentiments les plus intimes et les plus profonds de leur vie pour faire un livre à succès [19].

24 mai [1914]

Nous avons passé notre matinée à régler de vieilles notes, avec Lily. Que d'argent ! Que d'argent ! C'est un acte satisfaisant que de signer des chèques et de se dire qu'on ne doit plus rien à personne. C'est notre cas. Et j'espère quand même mettre une assez belle somme de côté cette année. Ainsi nous pourrons nous offrir un an ou deux de pension en Italie pour travailler vraiment.

Je suis de nouveau en plein mon monument du Héros. Il se perfectionne de plus en plus. Je crois avoir trouvé pour le mur du fond, le Mur du Héros, un arrangement heureux. Je supprime la mosaïque. Ce sera un fond tout sculpté, sorte de retable du Héros, comme les retables espagnols. Intérêt formidable de composition. La vie du Héros. Épisodes pris dans toutes les mythologies, mais généralisés.

Causant tout à l'heure avec Philippe Millet, par ses questions, il m'a amené à lui parler vaguement de ce projet. Je n'aime pas à en parler. Néanmoins mon idée a eu l'air de l'intéresser. J'ai cependant hâte de faire mon esquisse d'ensemble et d'avoir l'impression de quelques-uns : Bigot, Bouchard, William, Ladislas et Bouglé. Personne d'autre.

26 [mai 1914]

Acheté, ou du moins échangé avec perte, une merveilleuse tenture chinoise. C'est une bêtise. C'est réellement beau. Je m'étonne, moi un sculpteur, qui est chaque jour plus profondément sculpteur, d'aimer tant les belles étoffes.

28 [mai 1914]

J'ai bien avancé le buste de Lily. Il est presque terminé. J'ai eu du mal. Mais il vient bien. J'avance aussi Bocskay, pour Genève. Je n'ai reçu aucune nouvelle de là-bas sur Coligny, ni sur les photos du Mayflower. Quelles malheureuses conditions de travail.

29 [mai 1914]

Carpentier est venu pour toute la journée.

 


[1] Tombeau Vieuxtemps.

[2] Monument de la Réformation.

[3]Nadine sur son cheval à bascule.

[4] Monument de la Réformation.

[5] Madame Paul Landowski.

[6] Monument de la Réformation.

[7] Laparra.

[8] Le Pugiliste.

[9]. Journaliste féministe.

[10]. Le manuscrit porte : "Charles Prévot", que nous avons corrigé.

[11]. Le manuscrit porte : "Je n'ai pas fameusement travaillé à mon bas-relief", raturé.

[12]. Le manuscrit porte : "artistique", raturé.

[13]. Le manuscrit porte : "C'est enfantin, voilà le mot qui me revenait tout le temps", raturé.

[14]. Le manuscrit porte : "Je n'y connais rien en musique." raturé.

[15]. Le manuscrit porte : "Et tout le monde se pâmait. Je comprends pourquoi je n'aime pas du tout les ballets", raturé.

[16]. Le manuscrit porte : "Mettre en ballet l'histoire de Joseph est de pure bêtise", raturé.

[17]. Suivi de : "que cette chose prétentieuse", raturé.

[18]. Une page du manuscrit est arrachée.

[19]. Le bas de la page est déchiré ainsi que la page suivante.