Juillet-1917

Cahier n°4

3 juillet [1917]

Le sculpteur américain Haseltine est chargé de rédiger, pour l'état-major américain un rapport sur la section de camouflage. Je suis désigné pour m'occuper de lui et l'initier. Je l'ai promené tout l'après-midi dans les différents ateliers. Il est plein de bonne volonté et fera les choses avec soin.

4 [juillet 1917]

Rendu visite à Jeanne D. qui relève d'opération. Je trouve là le docteur Rochard et "l'illustre Viviani". Pourquoi ces gens me sont-ils antipathiques et surtout "l'illustre Viviani" ? J'ai l'impression que cet homme a une situation, un rôle très au-dessus de sa valeur. L'aspect est d'une brutalité vulgaire. Sa conversation est grossière. Quelques mots dits à propos d'Antoinette m'ont suffi à juger toute l'infériorité d'esprit de cet homme. On dit qu'il a de gros succès féminins. Ce ne peut pas être auprès de femmes d'une qualité bien relevée. Paris, il est vrai, pourrit tout.

Le docteur Rochard m'est au fond plus sympathique. Sous son aspect de vieux boulevardier noceur il m'a paru plus fin, tout de même. Il doit avoir bon cœur. Il se peut qu'il soit mieux que son apparence. Mais quand même !

6 juillet [1917]

Reçois dépêche de M. Borgeaud. C'est demain samedi qu'aura lieu la remise du monument à la ville de Genève. Il nous envoie au nom du comité une dépêche gentille comme tout.

7 [juillet 1917]

En attendant l'arrivée du train qui ramenait Lily et Marcel, je passe aux Beaux-Arts et demande à voir M. Seguin. Absent. J'ai l'idée de serrer la main de Cortot. Je le fais demander. Il me reçoit aussitôt. Il n'a pas une fameuse mine. Nous causons de choses et d'autres. Il me félicite du buste de M. Nénot qu'on vient de mettre au Luxembourg.

Il me dit — Mais nous allons vous acheter quelque chose.

Moi — Et quoi donc ? Je n'ai rien fait depuis trois ans.

Lui — Alors, vous feriez bien un buste ?

Moi — Sans doute, mais qui ?

Lui — Mais Pétain.

Or il y a quelques jours, Guirand[de Scévola] me disait que l'on avait parlé de moi au G[rand] Q[uartier] G[énéral] et qu'il avait conseillé très vivement au généralissime de faire faire son buste par moi. Puis que c'était une chose entendue. Et j'ai été à Compiègne voir la salle où je ferai ce buste.

Je suis enchanté à tous points de vue. Je ne connais le général Pétain que d'après des photographies. Mais il me paraît avoir un beau visage.

8 [juillet 1917]

Je me trouvais dans le bureau d'Hommerville avec Haseltine, le sculpteur américain qui probablement va commander le camouflage américain. Arrive un vieux brave homme de médecin à cinq ou six galons. Présentation :

— Ah ! Monsieur, dit le vieux major à Haseltine, vous nous rendrez un rude service si vous nous faites perdre le goût des économies.

9 [juillet 1917]

Mon optimisme au sujet des Russes triomphe. Nous sortons encore une fois d'une période terriblement inquiétante.

Je pense que l'Allemagne se trouve à présent placée entre deux alternatives entre lesquelles il va lui falloir choisir immédiatement :

1. Ou essayer en je ne sais quel point une attaque formidable ;

2. Ou faire de nouvelles propositions de paix.

La présence de Pétain à la tête de nos armées se fait déjà sentir. J'admire le courage de cet homme qui accepte ce poste à un moment aussi angoissant.

20 juillet [1917]

Du discours bien ordinaire que vient de prononcer le nouveau chancelier au Reichstag, je retiens cette phrase, la seule qui mérite d'être retenue : "Je regarde avec indifférence l'entrée en guerre des États-Unis." Voilà une phrase qui vient se placer à côté de "cœur léger" d'Émile Ollivier et du "flair d'artilleur" du général Mercier et du "chiffon de papier" de Bethmann[-Hollweg]. Ce Michaelis est certainement un sot. L'Allemagne, menée par ce trio : le Kronprinz, Hindenburg, Michaelis, est dans les mains d'un beau trio de brutes.

31 juillet [1917]

Déclaration de Ribot à la Chambre, en réponse aux allégations mensongères de Michaelis et des journalistes allemands réunis. Cette déclaration de Ribot est médiocre. Depuis trois ans pas un seul discours vraiment beau n'a été prononcé à notre tribune. Bien entendu je ne parle pas des discours de Viviani, dont le vide est stupéfiant. Je pense toujours que le discours contre l'Allemagne est à faire, et surtout le discours contre Guillaume.