Cahier n°6
1er déc[embre 1918]
Encore un Monument à la guerre. Cette fois-ci il s'agit de commémorer l'arrivée des Américains à l'embouchure de la Gironde. Le monument est commandé à Bartholomé, paraît-il.
2 déc[embre 1918]
Demain je pars pour Metz, pour faire le buste du maréchal Pétain. Satisfaction mitigée. Je vais perdre beaucoup de temps. Au bout de 48 heures je doute que je me plaise à Metz. Je commençais à me réinstaller ici et à me réorganiser. Et puis nous voici encore séparés. Cela devient de plus en plus pénible.
Hier, téléphone avec M. d'E[stournelles] d[e] C[onstant] toujours à propos du Monument W[ilbur] W[right]. Il voudrait que nous attendions au moins jusqu'au 22 décembre (pose de la 1ère pierre) avant de rien faire contre l'Aéro-Club. Je me demande après tout si la muflerie des gens de l'Aéro-Club n'est pas plus intéressante que la veulerie de cet homme en caoutchouc.
3 décembre [1918. Fontainebleau]
G[uirand] de S[cévola] m'avait donné rendez-vous ce jour à Fontainebleau. À mon arrivée rue Magenta, je trouve Marcel Bain tout seul. Il ne sait quand rentrera G[uirand] de S[cévola]. Dans le courant de la journée, un coup de téléphone nous annonce le retour pour la soirée. Je m'ennuie rarement. Ce jour, je m'ennuie sérieusement. Avant le dîner, nous nous traînons dans un café où nous retrouvons le bon d'Esparbès. Le soir, comme j'avais vu sur une affiche le nom du vieil ami Hollmann, je vais à ce concert où il joua bien, où je retrouvais dans les coulisses le commandant de l'École d'artillerie de Fontainebleau, où la soirée se termina par une Marseillaise très bêtement chantée par une jolie femme. Journée stupide. Et je me demande dans quelles mauvaises conditions je vais exécuter ce buste qui pourrait être si intéressant.
4 [décembre 1918. Fontainebleau]
Journée vide. Demain le départ pour Metz. Je pense à tous ces monuments à la guerre, à la Victoire, aux Poilus, dont, de tous les côtés on parle. Je me rappelle la conversation rapide que j'ai eue à ce sujet avec Charles Meunier, la veille de mon départ. Tout le monde a le droit de s'occuper de ces projets. Seuls les artistes sont tenus à l'écart. On les mettra en présence de décisions prises. De plus en plus ils se résignent à n'être que des exécutants. Pour moi, je suis formellement décidé si on me parle d'un de ces monuments à ne me charger de rien, à moins d'être absolument libre et d'avoir devant moi du temps. Aussi bien la preuve est faite qu'aucun Monument de circonstance, exécuté à la hâte n'a jamais rien donné de bien. On nous répond : la Marseillaise de Rude. Et d'abord la Marseillaise a été exécutée longtemps après la Révolution. Ensuite, combien le sujet est grandi ! Cela dépasse même les guerres de la Révolution. C'est le départ pour toute guerre de libération et c'est déjà le monument de la guerre d'aujourd'hui. C'est l'éternel départ pour la guerre des libertés. Si on me demandait à qui confier ce monument de la guerre actuelle, excepté Bigot, je dirais "d'abord à aucun architecte. Nos architectes, depuis longtemps, n'ont aucune idée générale. Faire des maisons de rapport ou des palais d'exposition, en vérité, cela ne prépare pas à l'évocation d'événements aux conséquences aussi immenses. Et n'oublions pas que dans le passé, Phidias est l'auteur du Parthénon, que les maîtres d'œuvre de nos cathédrales étaient sculpteurs, que Michel-Ange construisit la chapelle des Médicis, S[ain]t-Pierre de Rome en partie, cette admirable église de S[ain]te-Marie-des-Thermes, le palais Farnèse, ce chef-d'œuvre que Giotto éleva, le campanile de Florence, et que cette grande idée, cette magnifique idée de la colonnade de la place S[ain]t-Pierre de Rome est du Bernin. Et l'Arc de Triomphe de l'Étoile n'est-il pas l'œuvre d'un sculpteur ? C'est que le travail, l'effort des artistes purs les préparent bien mieux à ce genre de travaux que les recherches actuelles des architectes modernes surtout, mi partie artistes, mi partie industriels, mi partie hommes d'affaires. Il faudrait le dire nettement[1]. Je sais d'avance comment un architecte commencera l'étude d'un projet d'ensemble d'un monument à la Victoire. Il commencera par chercher des masses au bout du crayon, à chercher ce qu'il appelle son effet décoratif, sans savoir ce que représenteront ces masses, ces silhouettes. Après, après on verra... Le point de départ est donc vicieux dès l'origine. Car, dans une guerre comme celle-ci qui est une guerre d'idées, c'est l'idée qui doit dominer et diriger la composition. Donc, n'allez pas confier à des gens qui n'ont pas d'idées une œuvre de cette envergure. D'ailleurs c'est toujours l'idée qui doit diriger. C'est de trop l'oublier que viennent les décadences. Pourquoi l'art grec du VIe siècle est-il si parfait ? Parce que l'idée, la croyance, la foi dirigent les artistes. La foi faiblit. Le point de vue décoratif prend le dessus. Décadence. Pourquoi l'art roman, pourquoi l'art gothique du XIIIe est-il si parfait ? Parce que ceux qui élèvent les cathédrales pensent d'abord à exprimer leur foi, pour eux-mêmes, et pour ceux qui viendront là honorer Dieu. Ensuite le point de vue uniquement décoratif[2] prend le dessus. Décadence.
5. 6 [décembre 1918. Metz]
Voyage à Nancy. Metz. Vide des conversations avec Guirand de Scévola et Marcel Bain ou Lièvre. Quelle médiocrité !
Je ne puis dire que j'ai été ému en arrivant à Metz. Ville en rumeur, remplie de troupes. Le long de la route j'ai été très frappé par les poilus que nous rencontrons. Ces quatre ans de guerre ont fini par donner à nos soldats une allure plastique. Notre journée a été occupée par la recherche de notre logement. Les bureaux nous renvoient de l'un à l'autre. Mais dans ces affaires-là Guirand de Scévola n'est pas médiocre. Nous obtenons une fort belle maison appartenant à un certain M. Grégoire, ancien député au Reichstag ! G[uirand de Scévola] va rendre visite au général Pétain.
7 [décembre 1918. Metz]
Déjeuner chez le Maréchal. J'ai malheureusement très mal à la gorge. Très cordialement reçu. Nous cherchons un local pour exécuter le buste. L'ancienne pièce de réception de l'empereur Guillaume fera très bien l'affaire. Ce sera amusant d'exécuter ce buste en cet endroit. Puis arrivent d'autres généraux. Et à table, je m'imaginais vivre à une autre époque, déjeuner dans quelque état-major sous Napoléon Ier. Je suis bien persuadé que dans son ensemble la conversation ne devait pas être bien différente. En ce moment il est impossible au Maréchal de poser avec suite. Nous décidons de remettre. Cela me va.
Le maréchal me dit :
— Vous serez mon invité et je vous donnerai deux séances par jour.
Puis il me dit :
— Mais donnez-moi le moyen de me débarrasser de tous les sculpteurs, qui, tous, appuyés puissamment, viennent me demander de poser.
Moi — Vous n'avez qu'à dire que vous ne voulez pas.
Le maréchal — Ce n'est pas toujours possible. Ainsi, mon ami le général Niox me demande de poser pour un nommé Maurice Favre pour le musée de l'Armée. Comment faire ?
Moi — Puisque vous avez bien voulu accepter de poser pour moi, et comme il y a déjà fort longtemps, peut-être pouvez-vous répondre que vous devez poser pour moi et qu'une fois vous suffit.
Le maréchal — Peut-on faire plusieurs reproductions ?
Moi — Mais certainement.
Le maréchal — Alors c'est réglé. Je répondrai que je donnerai au musée de l'Armée une reproduction de votre buste. Je ne veux poser que pour un sculpteur, qui est vous.
C'est un buste difficile à faire. Tête très lumineuse, sans traits saillants où s'accrocher. Ce n'est pas un buste que l'on peut réussir rapidement. Il existera par l'expression pensive, distinguée, réservée. Très intéressant.
8 décembre [1918. Metz]
Journée de fête, ravissante, malgré le temps gris. Je suis malheureusement assez grippé, et n'ai pu déambuler dans les rues autant que je l'aurais voulu. Dés la première heure des cortèges de lorraines circulent, dans le costume national, si gai. Des musiques militaires, des troupes défilent. Durant ces quatre années un type de soldat a fini par se créer qui a vraiment puissante allure. Je suis très frappé par le défilé d'un régiment d'infanterie. Cela est plastique. J'imagine, à propos de la guerre, que plus tard, comme les grecs après les guerres médiques, on élèvera une sorte de Parthénon qui serait plutôt le Panthéon à la France, où tout autour circulerait une frise. Sur cette frise défileraient : Panathénées de la guerre, nos armées, fantassins, cavaliers, artilleurs, etc. Notre temps pourrait peut-être réaliser là une œuvre expressive. Tout le peuple fêtant la victoire. Mais que réalisera-t-on ? Je remarque et je note durant la cérémonie de la revue, remise du bâton de maréchal au maréchal Pétain, deux poilus portant sur leurs épaules une jolie lorraine. Plus tard, j'ai vu mieux, les jeunes filles grimpant sur les chevaux des dragons. Cela peut facilement être grandi et faire une belle œuvre de commémoration.
Le soir fut moins bien. Tandis que nous dînions, le bruit commença à courir dans le restaurant que l'on pillait des boutiques d'allemands. C'était vrai. J'ai pu, à cette occasion, juger la droite nature de Marcel Bain et Guirand de Scévola, qui étaient enchantés. S'ils n'étaient pas l'un et l'autre si lâches ils auraient excité plus nettement la foule. Ils se contentaient d'approuver. J'ai pu me rendre compte, aussi, combien le caractère est chose rare et combien peu d'hommes ont le courage de leur opinion lorsqu'elle est modérée et juste. Nous arrivons à un barrage, devant un immense magasin complètement brisé, pillé. Des officiers français dont l'un avait une jambe de bois, Croix de guerre avec plusieurs palmes, certainement un héros plus authentique que nos deux héros frelatés, organisaient le service d'ordre, indignés de ce pillage stupide. Arrivent donc nos deux héros, Guirand [de Scévola] et Marcel Bain :
— Et bien, à la bonne heure ! C'est magnifique ! À leur tour, etc.
Et j'ai vu que les vrais soldats qui étaient devant nous n'ont pas osé leur dire qu'ils pensaient le contraire. J'ai mieux aimé deux petits soldats américains qui, indignés devant M[arcel] Bain qui leur disait qu'ils ne pouvaient pas comprendre le plaisir du pillage, lui ont violemment tourné le dos et sont partis superbes de mépris.
9 [décembre 1918. Metz]
Tandis que Guirand [de Scévola] et ses suivants sont partis à la recherche de renseignements sur le mari de Mme Bertrand, je suis resté à me soigner. Le mal de gorge ne me quitte pas. Dans la chambre du fils du sieur Grégoire je regarde toute une collection d'une revue d'art, Die Künst.
Derrière chacun des artistes dont les œuvres sont reproduites là, je voyais un de nos peintres ou sculpteurs des milieux dits avancés. Nul doute que Bernard Hoetger et Franz Metzner n'inspirent puissamment nos Bourdelle, Maillol, Bonnard le dernier venu, mais qui n'a fait pas moins de bien mauvaises choses. J'ai remarqué des reproductions d'animaux en bois par un nommé Franz Barwig qui m'ont semblé bien. Est-ce le nommé George Minne qu'imite Bernard ou Bernard qui imite George Minne ? C'est le même art sans vérité, fait de chic. Il y avait là des reproductions de Matisse ! Comment peut-on même en parler ! C'est déjà trop que de le discuter. Cela semble le prendre au sérieux. Van Gogh, par contre, m'a fort intéressé. Et j'ai trouvé là, dans des métopes d'un nommé Carl Burckhardt, les sœurs des métopes de notre Bourdelle au théâtre des Champs-Élysées. C'est tout à fait laid. Si vous croyez sculpter comme les maîtres d'Égine, vous vous trompez, pauvres hommes. Ceux-là s'appliquaient.
10 [décembre 1918. Nancy]
Journée à Nancy, où je retrouve Bouchard.
11 [décembre 1918. Boulogne-sur-Seine]
Retour Boulogne où je puis enfin me reposer.
20 [décembre 1918]
Je devais déjeuner aujourd'hui avec Vénizelos. Vénizelos est avec Wilson l'homme que j'admire le plus aujourd'hui. Il y avait eu malheureusement un malentendu. Il n'est pas venu. Mais j'ai été heureux de rencontrer à ce déjeuner le secrétaire particulier de Clemenceau, son chef de cabinet civil, G[eorges] Mandel. Être excessivement curieux. Tête exsangue, émaciée, toute en front, d'un seul ton, lèvres sans couleur. Petit, poitrine rentrée. Type d'intellectuel, déjà désuet. L'intellectuel qui vient sera vigoureux et ne rougira pas d'être bon boxeur. Intelligent, plein d'attitudes réservées, du diplomate ancien système. Il doit être de ceux qui vivent sur la doctrine de Talleyrand. Si Talleyrand fut habile il ne faut pas oublier que ce fut une crapule.
Je réorganise bien difficilement mon travail. Je ne puis me réinstaller dans mon grand atelier.
22 [décembre 1918. Le Mans]
Cérémonie de la pose de la première pierre du Monument W[ilbur] W[right] dont nous ne savons pas encore ce qu'il sera. De cette journée je retiens surtout[3] l'impression que j'ai eue du jeune Heurtaux le capitaine aviateur qui commandait l'escadrille des Cigognes et du commandant Brocard qui la commandait avant lui. Hommes très sympathiques, l'un et l'autre, surtout Brocard, impression de grande culture. Ils ont l'un et l'autre été très séduits par mon projet. Bouglé leur faisant l'objection qu'il m'avait faite, que ma figure avait l'air suppliant, ceux-ci n'ont pas été impressionnés et ont trouvé [4] au contraire que le geste à la fois violent et douloureux exprimait bien l'effort de l'aviateur. Montré aussi mon projet à des Américains qui m'ont paru très emballés.
24 [décembre 1918. Boulogne-sur-Seine]
Une première séance de modèle depuis la guerre, depuis bien longtemps j'ai commencé un dessin de la Porte de Psyché. Je vais essayer de diviser mes journées en deux. La matinée consacrée aux commandes, l'après-midi au cahier bleu.
25 [décembre 1918]
Grande fête des petits. Nous avions installé hier soir devant la bibliothèque de notre chambre, en guise de cheminée, les souliers des enfants et nous avions mis tout autour tous les joujoux que Lily avait achetés pour eux. Dès cinq heures du matin tout le monde était réveillé. À sept heures invasion de la chambre.
26 [décembre 1918]
Galerie Druet, Maurice Denis a une importante exposition. Nombreuses toiles. Quelques dessins. Sujets variés. Il y a même des tableaux du front ! Je trouve tout mauvais, nettement mauvais. J'imagine que la pièce importante est la toile Jésus chez Marthe et Marie, datée 1918, de Genève. C'est un concours Chenavard, sur une quelconque esquisse d'École. Il est sans doute très fier de la grande ligne horizontale qui donne du calme au tableau. Cela est bien, en effet [5]. C'est la seule chose bien. Le tableau est laid, mal peint, mal dessiné. Et tout le reste ! Plusieurs peintures religieuses, véritables bondieuseries. Une petite toile : Première communion, est bonne. La qualité en est quand même bien petite. C'est faible, pauvre, boîte à bonbons. Quelques portraits d'enfants sont lamentables. Notamment deux petits qui se battent. C'est intitulé : La Boxe. Cela veut être condescendant, spirituel. C'est assez sot et surtout laid. Quelle différence entre la Galathée et la Bethzabée exposées là et les toiles les plus horriblement "pompier" d'École ? Aucune. De plus c'est mal dessiné. Quant aux toiles "du front" c'est vide, sans émotion. Sans doute le résultat de quelque tournée des "peintres aux armées".
J'ai de beaucoup préféré l'exposition de Drivier, dans la Galerie des Artistes Modernes.Il y a là de très vraies qualités de sculpteurs, puissance des volumes, arabesque, de fort bons dessins, suivis, sérieux. D'excellents bustes, vivants dans le bon sens du mot. Le défaut est que tout cela n'est pas assez appliqué, un manque de sensibilité, une forme toujours pareille, lourde et sans noblesse. L'influence [6] de Rodin se fait sentir chez Drivier, plus que chez beaucoup d'autres, et surtout par ses défauts. Plusieurs choses sont nettement démarquées. Imitez Rodin par le S[ain]t Jean-Baptiste ou l'Âge d'airain, si vous le pouvez. Vous serez forcément personnels, car là, on sent l'amour profond de la nature. Si vous l'imitez par le Baiser ou le Penseur, vous tombez aussitôt dans la boursouflure et la fausse puissance. Là est le défaut de Drivier. Voyez le dessin de l'Homme à l'Arc, curieux de geste, mais au dessin court, lourd, vulgaire. L'ombre et la nuit, les lutteuses, mêmes qualités de verve, mêmes défauts. Tous ces personnages ont les mêmes formes. Il y a plus d'individualité dans le moindre bronze de la Renaissance ou même dans de nombreux groupes du même genre de Rodin. On est là plus près de la nature. Je ne m'arrête à ces figures telles que la Défense de Paris. C'est du décoratif sans intérêt et ça ne peut pas en avoir.
27 [décembre 1918]
Aujourd'hui il y a eu grande séance à la Chambre. Clemenceau a dû, paraît-il, parler. Il était temps. Mais que dira-t-il ? Beaucoup pensent : "La situation est terriblement compliquée. Tout est si complexe ! Tant de problèmes surgissent !" Sans doute. Mais ne complique-t-on pas les choses à plaisir en ne les étudiant pas à la lumière des grands principes. Il faut établir comme un état de fait que la politique d'intérêt, d'égoïsme et de garantie par la force a fait son temps, a prouvé sa stupidité horrible. Donc pour moi un programme de gouvernement me paraît bien clair :
1. Arriver à la paix le plus rapidement possible ;
2. Directives principales de la paix : Société des Nations, base de tout. Recherche des garanties de la stabilité de la paix, dans sa justice, son absence d'humiliation perpétuelle pour le vaincu, la punition des responsables, Guillaume, sa clique et tous les dirigeants de la politique autrichienne.
Voilà pour la paix avec les puissances centrales.
Il y a la question russe. Il faudrait répudier toute approbation de la manière violente, arbitraire, dont le couple Lénine Trotsky s'est emparé du pouvoir. Cependant, comme ils sont gouvernement de fait, ne conviendrait-il pas d'avoir avec ces gens des rapports obligatoires ? Ce pouvoir qui n'a su organiser que la terreur et la propagande de la théorie du vol ne pourra pas durer dans une société normale. Ravitaillement de la Russie. Essentiel.
3. [La] politique intérieure devrait reprendre sa direction à gauche, dans un sens nettement socialiste. Les chefs du parti socialiste ne veulent pas sincèrement de révolution violente. Aussi bien sont-ils assez intelligents pour prévoir que la socialisation de la République est fatale. Une socialisation par la violence amènera un tel désordre que le rêve de bonheur du parti socialiste se réaliserait moins vite que par une évolution puissamment conduite. Mais dans le parti socialiste les chefs sont conduits par les troupes. Pour que les troupes n'aient pas prétexte à révolte, il faut organiser de suite, tout : ravitaillement, démobilisation, faire les élections le plus rapidement possible, et mettre sur le chantier les grandes lois sociales qui s'imposent : retraites, assurances, étatisation des usines, mines, industries, journée de 8 heures, etc.
Mais la violence entraîne la violence. Des hommes se détestent. Et j'ai grand peur que nous n'approchions pas encore de l'âge d'or...
28. 29 [décembre 1918]
Je ne pense pas qu'aucun homme sensé puisse être satisfait des discours de Pichon et Clemenceau. Pichon paraît réellement au-dessous de tout. Il est insensé de penser que, dans un pareil moment, cet homme au-dessous du médiocre soit notre ministre des Affaires étrangères. Il semble ignorant, coléreux, et prononce des phrases qu'on aurait pu entendre dans la bouche d'un ancien ministre prussien. Clemenceau, évidemment, est très au-dessus. Mais combien sont navrants ce pessimisme, ce mépris de tout idéalisme. Cela, c'est le fond du bonhomme. Tout heureusement n'est pas mauvais dans ce qu'il a dit. Mais je ne comprends [pas] que l'on conserve à la tête d'un gouvernement un homme qui a osé ridiculiser, du moins essayé de le faire, le président Wilson en pleine séance. Mais n'importe, Wilson dominera quand même et malgré tout la conférence de la Paix. Personne ne pourra l'en empêcher. Il a une trop grosse unanimité derrière lui.
[1] . Suivi par : "Voyez comm...", raturé.
[2] . Au lieu de : "le parti décoratif", raturé.
[3] . Au lieu de : "seulement", raturé.
[4] . Au lieu de : "pensé", raturé.
[5] . Suivi par : "Mais que tout cela est laid d'exécution, laid de couleur, sans matière." Raturé.
[6] . Au lieu de : "La néfaste influence", raturé.