Avril-1921

Cahier n°9

1er avril 1921

Bien travaillé ce matin à la figure Normale, malgré une très mauvaise nuit. Si j'avais un bon sommeil, ma force serait illimitée. Après-midi, travaillé à l'Hercule et la Biche pour Laiter. Bibelot amusant. En y travaillant, je me rends compte combien l'Héraklès de Bourdelle est une œuvre marquante. Malgré moi la tête de mon Hercule ressemblait à celle que fit Bourdelle. Ce que je fais n'est qu'un bibelot. Mais Bourdelle n'en a pas moins mis son empreinte sur cette figure d'Héraklès. À cela se reconnaît la vraie puissance.

Dérangé par la visite d'Halphen, évocation de souvenirs de Rome, interrogations habituelles sur les camarades perdus de vue, etc., promesse de nous revoir bientôt à Bordeaux. Mlle Lacroix pour son Monument de Cépoy. Puis visite d'un représentant pour le choix de granits pour Prométhée. J'espère vraiment le commencer ce mois-ci ! Je regarde mélancoliquement mon tableau de travail du mois dernier. Bien incomplètement rempli. Ce mois-ci, voici mon programme :

Fin figure pour l'École normale (j'espère finir avant le 15) ; Fin du marbre maréchal Pétain ; Fin d'Hercule et le biche ; Esquisse de la grande dalle pour le Monument du jeune de Fels, tué en avion ; Fin pierre de Bordeaux ; Fin maquette des Fantômes ; Commencement de Prométhée. Ce mois-ci je réduis un peu mes prétentions, avec l'espoir d'en faire des réalisations. La sculpture n'a qu'un défaut : sa longueur d'exécution.

Relu ces jours derniers les écrits de Carrière. C'était un grand cœur, certainement. Mais que de théories ! Des pages bien superficielles et fausses, trop faciles à retourner, contre le prix de Rome.

Je relis maintenant le livre de Mauclair  : Princes de l'Esprit, qui est un beau et magnifique livre. Tout livre qui vous élève, vous aide à prendre des résolutions énergiques, est un beau livre. Nous aider à revivre à l'ombre des grands esprits est une belle œuvre. Camille Mauclair fait cela et le fait en grand esprit qu'il est lui-même. Certaines de ces courtes études sont des chefs-d'œuvre, comme l'étude sur Flaubert, si imaginative et habile, comme l'étude sur Paul Adam, celle sur Mallarmé et surtout les pages sur Delacroix. Le maximum est atteint dans le court morceau : Le Tintoret et Delacroix.

2 avril [1921]

Journée sans travailler. Courses toute la matinée. Après-midi chez Landucci au Monument de Bordeaux et bas-relief Internat.

Thé chez le maréchal Lyautey. Nous décidons notre départ pour le Maroc pour le 5 mai, dans un mois. De La Nézière me raconte que Tarrit fait écrire dans les journaux de Casablanca que ma maquette a été exécutée il y a sept ou huit ans pour l'Allemagne !

Chez Madame Mühlfeld nous trouvons Madame Blumenthal. Charmante comme toujours. Elle part pour le midi pendant 3 semaines. À son retour elle va venir commencer son buste. Je le commencerai avant le départ au Maroc. Louis Artus me dit que M. Lehm a été tout à fait ému par l'idée de mon Temple et qu'il m'amènera un Américain de ses amis très susceptible de le faire exécuter. Malheureusement cet Américain est très vieux. Il a 81 ans !

Vais-je pouvoir commencer Prométhée ce mois-ci !

Je crois que le voyage au Maroc me sera très utile pour les bas-reliefs et bases du Temple. Je compte beaucoup sur la visite à Marrakech.

Cahier n°10

3 avril 1921

Il paraît que l'aventure de Charles IV voulant remonter sur le trône de Hongrie a été manigancée à Paris. Le maréchal Lyautey aurait été la cheville ouvrière de cette grotesque histoire. M. Millerand l'aurait fait appeler pour lui laver la tête et ordre lui a été donné de rejoindre Rabat. Est-ce pour cela qu'hier soir il me parut tellement abruti, ahuri plutôt ?

Excellente séance ce matin, buste du docteur Brocq. J'avance bien. Je deviens très ressemblant. Il n'a pour ainsi dire pas posé. Je ne l'ai jamais immobilisé et laissé au contraire parler continuellement. Je suis arrivé ainsi à un effet bien vivant. Bientôt je convoquerai ses élèves donateurs.

Pour le Temple, les maîtres sujets des bas-reliefs de base doivent être : La Cité, le Temple. Autour de ces deux idées centrales toute la vie peut être évoquée, tous les grands mouvements collectifs humains, et aussi toutes les douleurs.

 

4 avril [1921]

À la Ferté-sous-Jouarre, pour juger le petit concours du monument, et où j'ai fait donner le prix à Émile Pinchon. Esquisse très bonne.

— Nous l'avions accueilli par un éclat de rire, me dit l'adjoint au maire.

Le second prix va au petit Carrière, fils de Carrière, son esquisse est d'ailleurs d'une faiblesse déconcertante.

Acheté le livre de Chevrillon Marrakech dans les palmes. Lu quelques pages qui donnent aussitôt la nostalgie de ce pays. Je suis heureux de devoir y aller bientôt.

Le buste de Madame Blumenthal, qu'elle voudrait que je commence vers la fin de ce mois, complique les choses. J'aimerais partir le 15 mai. Mais il paraît que ce sera déjà bien chaud. Remettre à l'automne sera peut-être retarder trop. Le mieux serait de partir au moment où j'aurai l'esprit libre, sans s'occuper des saisons. Avant de partir il faut que je termine le buste Brocq, la figure de Normale[1], le buste du maréchal Pétain, la statue de Combs-la-Ville, le Monument de Bordeaux, le bas-relief de l'Internat, que j'aille au Neubourg pour la question du socle (2 jours au moins), et sans doute aussi à Combs-la-Ville. Je serai également dérangé pour l'installation de mes envois au Salon. J'oubliais l'achèvement du groupe des Fantômes, du modèle du Monument de Labarthe[-Inard]. De plus M. Darracq vient d'arriver à Paris. Je vais perdre bien du temps de ce côté-là aussi. Il y a aussi le buste du docteur Gosset que je dois commencer le 17 de ce mois. Et le buste de la petite Germaine Bouglé. Il me faudra bien encore deux ou trois après-midi pour le finir. Je me demande comment sortir bien de tout cela avant le 5 mai ! C'est impossible.

Et que devient l'essentiel dans tout cela ? Que devient Prométhée ?

Lisant, aujourd'hui, en wagon, des descriptions de Marrakech, je voyais se dresser devant moi les bas-reliefs de base. Nul doute que je trouverai là-bas la plus magnifique documentation pour cette partie du Temple. Évocation splendide de la vie antique. J'ai ce bonheur d'avoir l'idée générale, où tout ce que je vois d'anecdotique peut venir se placer et jouer son rôle. C'est vers cela que je tendais toujours, depuis toujours. C'est un bonheur énorme. Je ne partirai pas là-bas pour amasser dans le vide une documentation de bibelots à faire. Je reviendrai de là-bas avec les bases de mes murs aussi intéressants que tout le reste.

Dans la grande idée de la Cité, tout tient : l'idée de famille, les migrations qui se fixent, le travail, la défense du sol natal. Dans la grande idée du Temple, tous les mysticismes et toutes les ferveurs, tous les sectarismes sans doute, mais aussi tous les sacrifices. Tout cela je le retrouverai là-bas, comme je l'ai vu en Tunisie, mais mon enthousiasme sera complètement fécond, parce que lorsque j'étais en Tunisie je portais le Temple en moi à l'état embryonnaire, tandis qu'aujourd'hui, le plan en est complètement réalisé.

Car ce Temple se fera. Si ce n'est pas moi, un autre le fera. Les difficultés sont tellement grosses aujourd'hui, que je ne peux pas être sûr, moi, de le faire. Je suis seulement décidé à ne plus perdre de temps et à commencer.

Et c'est certainement de vouloir entreprendre cette œuvre immense, et d'avoir tant de choses à faire à côté, auxquelles je suffis à peine, qui me rend si triste souvent, et qui fait que je me sens parfois si fatigué. Chaque être, par les forces qu'il a en lui, par les buts qu'il poursuit, par les ambitions qu'il a, se place à un plan particulier, et ce qui est secondaire pour l'un, est de première importance pour tel autre. Oser dire que de ne pas pouvoir faire une statue est une souffrance, peut paraître une énormité, alors que je peux à peine me remuer dans mon atelier à cause des statues que j'y fais. C'est qu'aucune de ces statues ne m'intéresse profondément, pas même la statue de l'École normale, pas même les Fantômes. Et c'est pour cela que je suis si souvent angoissé et si triste.

Lily vient vers ma table où j'écris et m'embrasse doucement, comme la Muse des Nuits de Musset.

Quand j'aurai vraiment commencé un des grands morceaux, je serai moins nerveux et moins désagréable que je ne suis trop souvent. Quel égoïsme puissant est en nous !

5 avril [1921]

Assez bien travaillé, toute la journée, à la figure pour l'École normale, quoique très dérangé. Visite le matin de M. Dupuy, puis de M. Darracq. M. Dupuy très content de son Monument. M. Darracq commence à fixer ses idées pour son Tombeau. Après-midi, téléphonages. Le bras levé de la figure mourante. Je pensais à ce que sera le bras levé de Prométhée.

Pinchon venu à la fin de la journée, heureux de son succès de la Ferté[-sous-Jouarre]. Parenty est allé [2] le trouver pour lui demander de faire avec lui un concours pour Le Raincy. Il lui demande 20 % d'honoraires, de commission. Il ne me paraît pas un monsieur très pur, ce M. Parenty.

La visite de M. Darracq complique encore mon temps, puisqu'il me demande de lui chercher une nouvelle esquisse. Et j'oubliais, en notant hier tout ce que j'aurai à faire ce mois-ci, de noter un voyage plus que probable à Schaffhouse.

8 avril [1921]

Travail avance. Journée d'hier chez Landucci où j'ai achevé le bas-relief Internat. Travaillé aussi au Monument de Bordeaux. Il fera bien en place. Quelques négligences : notamment la tête du soldat découvert. J'arriverai à la sauver dans la pierre.

Bisceglia m'a rapporté le bronze du Boxeur tombé. Bonne chose.

Ce matin j'ai fait l'esquisse pour la chapelle du comte de Fels : un grand haut relief de son fils aviateur tué au combat.

Après-midi, tête de la statue pour l'École normale. Style est trouvé, chevelure s'arrange. Statue virtuellement terminée. Dimanche prochain, visite des jeunes gens de l'École normale et de membres du Comité. Bouglé venu ce matin. Content.

Rendu visite à Madame Mühlfeld, où je trouve L[ouis] Artus et la charmante Mme Capiello. Mme Mühlfeld part avec Mme Blumenthal dimanche, pour le midi. Elles reviennent dans quinze jours ou trois semaines. Dès son retour Mme Blumenthal vient commencer ses séances de pose chez moi. Cela me force à reculer le voyage au Maroc d'une quinzaine. Au lieu du 5, je ne partirai que le 15 mai. Le buste sera commencé, bien en train. Une intermittence ne lui fera pas de mal. Nous sommes d'ailleurs bien flottants à propos de ce voyage. Lily viendra-t-elle avec moi ? Je crois que la sagesse serait que j'y aille seul, en voyage d'affaires, en somme, tandis que Lily irait faire sa cure à Châtelguyon. D'autre part, ce sera bien triste de faire un voyage aussi splendide sans Lily. D'avance cette pensée m'enlève mon entrain à peindre et à dessiner là-bas. Je sais bien qu'une fois sur place, le soleil, le pittoresque, les types vus, tout agit.

11 [avril 1921]

Ce matin, École normale. Je vais faire bientôt monter cette figure. Au fond, il faudrait y travailler encore deux mois. Lélio travaille au petit Monument de Labarthe[-Inard].

Après-midi, Madame Bernheim venue me voir avec une amie de Suisse. L'esquisse[3] plaît. Madame Bernheim me paraît fort intelligente.

Puis un jeune architecte, M. Laprade, qui travaille au Maroc, venu me proposer [4] de surveiller sur place les travaux du socle. Je lui ai répondu que cette surveillance dépendrait de mon ami Prost :

— Je suis justement sous ses ordres.

— Alors, cela ira tout seul.

Très sympathique, de plus, ce M. Laprade. Il s'embarque pour le Maroc dans peu de jours. Nous l'y retrouverons. Lily part décidément avec moi.

12 avril [1921]

Travaillé toute la matinée à la pierre du Monument de Bordeaux[5]. J'aurais dû plus travailler moi-même sur le modèle. Je fais trop de choses ! Malgré moi, à cause de la hâte avec laquelle je dois travailler, il y a des graves négligences dans ma sculpture actuelle.

Déjeuner au Quai d'Orsay, invité par M. Darracq. Nous filons ensuite au Père-Lachaise revoir l'emplacement du monument et aussi une sorte de chapelle ouverte, très laide d'ailleurs.

Au vernissage de la Nationale. J'arrive tard. Foule. Je vois juste et très rapidement la sculpture. L'ami Pinchon a un joli succès avec sa fillette au poney. Que penser des envois de Bourdelle ? En vérité, c'est du pastiche. On aime cela intellectuellement. C'est fait un peu trop avec des réminiscences de musée, en consultant des collections de photographies. Mais c'est intelligent. L'adaptation en est sculpturale. La grande Vierge exécutée fera sans doute très bien. L'arabesque en est heureuse. Despiau expose un buste remarquable, serré, dessiné.

Pour finir la journée, réunion pour la Fonderie Coopérative. Temps perdu.

13 [avril 1921]

Hercule et la Biche aux pieds d'airain, pour Linzeler. Bibelot amusant. Lélio cependant me massait la figure du Monument Farabeuf. Puis M. Darracq est venu avec Granet. Un parti définitif est pris. Nous allons exécuter la composition que j'ai faite, en pierre très dure. Ce pourra être un très joli tombeau. Mais qu'on me laisse le temps de l'exécuter bien !

Cet après-midi, le bon M. Messener est venu m'entretenir du Monument Colonne[6]. Ce brave homme et ses amis ne se doutent pas que ce monument m'intéresse aussi peu qu'eux-mêmes. C'est une histoire que la volonté seule de Mme Colonne fait vivre. Encore un exemple de ce que peuvent la volonté et la ténacité. Dans le cas actuel c'est touchant.

14 [avril 1921]

C'était aujourd'hui l'inauguration de mon petit Monument de l'inspection des Finances[7]. Tandis [8] que l'on travaille à ces sortes de monuments, bien des fois on est excédé. Quand on est au jour de l'inauguration, on regrette de ne pas s'être donné encore plus de peine. Surtout dans ces cas-là. Toute cette rangée de gens en deuil ! Ces noms que chacun vient lire ! Tout le monde a été très gentil pour moi, M. Pl[...] tout particulièrement et qui a fait un discours très émouvant.

De là, j'ai été à l'Hôtel-Dieu où l'on procède à la mise en place de mon bas-relief. Alors là, c'est fichu. L'erreur de Bigot d'avoir choisi cet emplacement apparaît dans toute sa vérité. Éclairage affreux. On ne voit rien du tout. Vraiment l'ami Bigot a par moments de bien graves négligences. Je me demande comment arranger cela. Et c'est bien plus important que le Monument des Finances. Il va y avoir, le jour de l'inauguration, un monde fou. Je suis tout à fait ennuyé.

Au Grand Palais, pour le choix des places de mes deux envois, le Monument de Bordeaux et le buste du maréchal Pétain. J'ai demandé deux très belles places, mais pour le buste du maréchal il y aura une difficulté[9] parce que Ségoffin envoie celui que la Ville de Paris lui a commandé. C'est embêtant, surtout avec Ségoffin.

15 [avril 1921]

Travaillé au Monument Bordeaux. Joie physique du travail dans la pierre. Malheureux de ne pouvoir travailler plus dans la matière.

M. Darracq venu pour le tombeau de sa femme dont la maquette lui plaît de plus en plus.

16 [avril 1921]

Avillain, le gardien chef au Grand Palais, le grand placeur, me dit que mon Monument de Bordeaux sera placé où je veux, mais que réserve est faite pour la place que j'ai demandée pour le buste de Pétain, Ségoffin ayant demandé la même. Je lui dis de placer les deux bustes à côté l'un de l'autre...

17 [avril 1921]

Bonne journée au Monument de Bordeaux[10].

18 [avril 1921]

Camille Mauclair et Madame P[aul] Adam sont venus déjeuner. J'ai trouvé Mauclair un peu vieilli. Mais quel homme charmant et intelligent. Nous avons parlé du Monument de Paul Adam. Nous avons parlé du Temple. Il y pense. Il veut me revoir longuement pour étudier les moyens de faire aboutir ce projet.

Puis le bon M. de Labarra, l'ancien président du Mexique, est venu et m'a paru très bien impressionné par sa visite à l'atelier.

Toujours M. Darracq, inquiet, indécis, se décide péniblement.

Enfin, à l'Hôtel-Dieu, où j'ai décidé de faire patiner par Lélio le bas-relief[11]. Il n'y a qu'une solution, celle que les grecs et les gothiques employaient : peindre. Je vais faire un bas-relief peint monochrome.

19 [avril 1921]

La patine du bas-relief Hôtel-Dieu est trop rouge. Il va falloir tout laver. Mais on verra. Le monument est raté.

20 [avril 1921]

Commencé le buste du docteur Gosset. Buste terriblement difficile. Je croyais connaître le docteur Gosset. Quand je l'ai vu en face de moi, pour faire son portrait, il m'est apparu tout différent de ce qu'il était dans ma mémoire. C'est un type néronien. Il est paraît-il normand. Il a pourtant le caractère romain. Le bas du visage même ressemble curieusement à Guirand de Scévola. C'est dans un même masque un peu lourd, empâté, une bouche mince, d'une extraordinaire volonté. Mais le regard est doux, très appuyé, réfléchi. Le front proéminent, comme si l'intelligence, par-derrière, le poussait en avant.

À l'Hôtel-Dieu, mon bas-relief fait un peu mieux qu'hier. Mais ce n'est pas fameux. Je suis navré.

21 [avril 1921]

J'avais écrit au maréchal Pétain pour lui demander de venir voir son buste avant que je l'envoie au Salon. Il est venu aujourd'hui, avec son épouse. Mon Dieu ! que cette femme a l'air peu intelligent. Donc, ils sont arrivés, officiels, comme il convient. Après avoir regardé longuement son portrait :

— Au moins, il ne m'a pas fait une tête de brute.

Allusion au buste de Ségoffin. Mais je n'ai pas dit au maréchal que j'avais vu celui de Ségoffin. Le maréchal ne m'en a pas parlé. L'exposition de ces deux bustes va être un peu ridicule. Mais il y a un ridicule que j'ai voulu éviter. C'est celui de me disputer une place. Voici la lettre que j'ai adressée aujourd'hui à M. Coutan, président du jury du Salon de sculpture : "Mon cher Président, j'ai appris que Ségoffin qui expose également un buste du maréchal Pétain, désire pour son buste la place que j'avais demandée. Je m'empresse de vous faire savoir que je la lui cède volontiers." J'ai écrit cette lettre parce que j'ai horreur des discussions mesquines. Je m'attends, d'autre part, à quelque crasse de la part de Ségoffin. C'est un caractère si peu noble, si envieux, si jaloux, je crois même méchant. Je veux que sa crasse soit bien complète.

22 [avril 1921]

La patine du bas-relief[12] de l'Hôtel-Dieu sauve un peu l'affaire. Je ne suis pas content.

Vu au Salon le marbre du buste Pétain par Ségoffin. L'un de nous deux a fait un mauvais buste.

23 [avril 1921]

Beaucoup causé du Maroc aujourd'hui à déjeuner, où nous réunissions les ménages Nacivet et Henri Kapferer avec Henri et Alice[13] et Émile Pinchon. Je vais partir un peu trop tôt là-bas. Cette idée me gâte un peu les plaisirs prometteurs de ce voyage.

À Billancourt, chez Landucci, où Boyer chargeait le Monument de Bordeaux pour le porter au Salon. Impression un peu angoissée. Tout cela, c'est de la sculpture en route. Les Anciens ne devaient pas travailler aussi hâtivement. On se fait trop aider. On finit par signer des choses qui ne sont qu'à moitié de vous. Après ça, tout le travail consiste à sauver les bêtises faites par les praticiens. Ils se donnent pourtant bien du mal.

24 [avril 1921]

Quelle vie ! Quelle journée !

Ce matin, inauguration du Monument de l'Hôtel-Dieu[14]. Cérémonie importante. Monde fou. Discours. Parmi tous ces discours, les meilleurs furent nettement ceux des orateurs professionnels. D'abord celui d'un interne, M. Ceillier, discours d'un homme cultivé et fin. Celui du général Buat. Ils parlèrent l'un et l'autre sans papier. Tous les autres lurent. Grosse différence d'impression. Du docteur Roger, un bon discours. Le reste, banalités coutumières, sauf Léon Bérard qui dit seulement quelques mots, mais avec une habileté, un tact remarquables.

Ah ! Combien j'ai regretté que le Monument n'ait pas été tout autre, et autrement placé, sur le haut des marches. L'impression dans le public ne fut quand même pas mauvaise.

Aussitôt la cérémonie finie, je file au Salon. Combien ce Salon m'est désagréable. Milieu hostile en majorité. Milieu hostile moralement. Mais artistiquement milieu lamentable. J'aperçois Ségoffin, jaune, le regard plus fuyant que jamais. Il faudrait que j'aie l'énergie de ne plus exposer dans ces salons ou petites expositions, faire une grande exposition d'ensemble dans quelques années. Mon buste de Pétain sera placé en face de mon groupe.

Du Grand Palais, Je file au Tour du Monde, à un déjeuner que préside L[éon] Bérard, où je déjeune à côté de Bouglé et de Madame Robert Renaud avec qui je parle longuement du Maroc.

Avec Bouglé, nous ramenons L[éon] Bérard à mon atelier. Il me paraît très intéressé. Mais il est pressé.

Fin de journée, visite des membres de l'École normale, pour la figure principale du Monument de l'École. Succès. M. Lévy Brühl me manifeste une grande sympathie et me dit son désir de revenir une autre fois, seul, pour voir tout plus tranquillement.

Demain il faut que j'aille au Neubourg, pour voir le socle du Monument et étudier la mise en place.

27 [avril 1921]

J'ai installé aujourd'hui mon buste du maréchal Pétain. Il n'est pas assez fini. Rien n'est jamais assez fini. Mais l'aspect en est bon. J'ai pu y travailler assez ces jours derniers. Je vois Vauxcelles, Arsène Alexandre, Vaudoyer très emballé par le groupe Bordeaux.

28 [avril 1921]

Aujourd'hui, première séance du buste de Mme Blumenthal. Visage difficile. Je crois que j'en sortirai si elle peut venir bien poser. Mais qu'elle me semble nerveuse et fragile.

Chez Madame Mühlfeld, où je me rends après le Salon, quelle misère, je trouve Artus, le jeune Germain, Madame de Mun, Vaudoyer et Jacques[-Émile] Blanche. On parle beaucoup de la statue de Bartholomé. On me demande ce que j'en pense. Je ne dis rien. Ce n'est pas une bonne statue. Chacun le sait. Pourquoi baver aussi sur l'erreur d'un vieillard. Mais Jacques[-Émile] Blanche s'en charge. Puis il nous raconte des tas d'histoires sur Bartholomé. Après la mort de sa première femme il resta, dit Jacques[-Émile] Blanche, plus d'un an sans se coucher dans un lit.

C'est demain le vernissage. Voici la petite scène, très bien montée à laquelle j'ai assisté, avant de quitter le Salon. Tandis que j'avais placé mon buste de Pétain, à sa place, j'avais remarqué que Ségoffin laissait le sien dans un angle de verdure et je me demandais où il serait placé définitivement. Or, tout à l'heure, à la dernière minute, alors que tout le monde partait, une selle fut vivement installée en plein milieu de la nef et le buste empoigné, transporté et installé. Petite opération aussi remarquablement que sournoisement menée.

 


[1]    Ecole normale supérieure (monument aux morts)

[2]    . Au lieu de : "venu", raturé.

[3]    Du monument A la Suisse consolatrice…

[4]    . Au lieu de : "demander", raturé.

[5]    Faculté de médecine de Bordeaux (Monument aux morts de la).

[6]    . Suivi par : "Après, avec des ménagements il m'a..." raturé.

[7]    Inspection des Finances (monuments aux morts).

[8]    . La phrase débute par : "Souvent", raturé.

[9]    . Au lieu de : "une petite difficulté", raturé.

[10]  Faculté de Bordeaux (Monument aux morts de la).

[11]  Hôtel Dieu (monument aux morts).

[12]  . Au lieu de : "La patine de mon bas-relief", raturé.

[13]  . Henri Landowski et Alice Messener.

[14]  Hôtel Dieu (Monument aux morts de l’).