Cahier n°16
1 juin [1923]
Prométhée. Pas encore content. Le difficile est de donner de l'unité à cette figure, en maintenant [1] l'énergie, la véhémence du geste du bras droit et de la tête, et en donnant au reste de la figure une attitude tout à la fois tendue et d'une immobilité éternelle.
Je me suis rendu à l'invitation de ce gentil peintre portugais Souza Lopes, à la réception qu'il donnait en l'honneur des aviateurs portugais qui viennent de traverser l'Atlantique, du Brésil à Lisbonne, en avion. J'aime de plus en plus ces races méditerranéennes, à cause de leur spontanéité, à cause de leur naïveté jeune. Car c'est curieux ces pays comme le Portugal, l'Espagne, l'Italie qui sont parmi les plus vieux de l'Europe font aujourd'hui l'effet d'être les plus riches en jeunes sèves. Ils ne craignent pas de se montrer enthousiastes. Ils n'ont pas peur du ridicule. Là est le grand défaut français, qui fait que nous vivons tous avec un masque. Chacun sent sur soi les regards ironiques du voisin. On se cache, presque vis-à-vis de soi-même, les élans, les sentiments généreux[2], le fond d'idéalisme est là, pourtant. On sourit. Et nous mourrons de pessimisme factice.
2 [juin 1923]
Me suis acheté les deux magnifiques volumes qu'édite Morancé sur l'Art égyptien. C'est affreusement cher, mais c'est magnifique. Voilà de la sculpture éternelle. C'est dans cet esprit qu'il faut sculpter Prométhée.
À la salle Fémina, le concert de bienfaisance organisé par Alice[3]. Le quatuor de Fauré où Wanda[4] tenait le piano remarquablement a été exécuté[5] non moins remarquablement. Une jeune[6] russe de treize ans, formée et grande comme une fille de 18 ans, a dansé sans grande science, mais avec un instinct charmant, conformément à la mode d'aujourd'hui, sur de la musique de Schumann, Chopin, Grieg, etc., et suivant son inspiration. C'est une grande erreur de vouloir faire dire à la danse des choses qu'elle ne peut pas dire. Il ne faut pas dans la discussion, disait Aristote, passer d'un genre à un autre. On peut en dire autant de l'art. Je ne serai pas étonné de voir un jour quelque danseuse imaginer d'évoluer avec un récitant lisant du Bergson, et quelques douzaines de snobs se pâmer. La danse n'est pas un art subtil. La danse peut exprimer des sentiments, cela est certain. Mais des sentiments bien simples, et surtout par des gestes toujours harmonieux. Autrement nous entrons dans le domaine de la pantomime ou même de la comédie, et alors, comme dit l'autre, c'est une autre histoire.
3 [juin 1923]
À la maison, réception avec Raoul Laparra qui, très gentiment, est venu accompagner ses remarquables mélodies que chantait Madeleine Picard. Loulou Lagardelle a chanté très bien des mélodies russes.
4 [juin 1923]
Avec Denyse repris la Becquée que je me réjouis d'exécuter en grand.
Commencé le buste du comte de Fels. Il a une assez jolie tête, fine. Homme curieux, il sait beaucoup de choses. Il a des idées parfois originales, mais surprend par des côtés absolument bouchés. En architecture, il a appris pas mal de choses. En sculpture, comme en peinture, il n'y connaît absolument rien, malgré un certain sens instinctif de la beauté.
Comme je sortais très tard de chez L[ouis] Bonnier, que j'avais été voir à propos de 1925, s'arrête au coin de la rue de Liège un taxi-auto dans lequel j'aperçois une ravissante jeune femme dont un monsieur, descendant du taxi, prenait congé amoureusement. La portière se referme. Le taxi continue sa route. Le monsieur resté sur le trottoir se retourne. C'était le vieux Lazare-Weiller, le sénateur.
5 [juin 1923]
Prométhée.
7 [juin 1923]
Déjeuner chez les Hermant. Hermant qui ne se console pas de voir entre lui et l'Institut une sorte de barrière morale[7], n'en a pas moins une vie heureuse. Il s'est fait une belle collection, dont les pièces les plus belles sont des Cottet et des Zuloaga.
Toutes les fois que je retourne à cette École normale c'est un chagrin renouvelé de voir ce monument que j'avais tant soigné, éclairé si piteusement.
Vu Paul Léon en fin de journée à propos du monument de la butte de Chalmont [8]. Il est aussi d'avis de choisir ce point-là.
Demain je commence l'esquisse du Héros avec Dortignac.
8 [juin 1923]
Avec Dortignac j'ai commencé le Héros. Jour faste. Dortignac est mieux dans ce mouvement là et pour cette figure là que pour le Prométhée. Je laisse reposer le titan, en bonne voie d'ailleurs. Le Héros, après cette première séance, me donne satisfaction. Me voilà tout de même au commencement de la réalisation.
Rédigé réponse, à la demande du Figaro, sur la villa Médicis.
Continué buste de Fels. Il est de ces sortes de gens qui posant à 60 ans, se voudraient voir comme s'ils étaient à 25 ans.
9 [juin 1923]
Au double, les dessins que me fait Taillens, et sur lesquels nous avons longuement travaillé aujourd'hui font très bien. Ah ! pourrais-je jamais voir se dresser ce monument [9] !
Concert Paderewski. Sans doute, je ne réentendrai plus jamais Paderewski. Avoir assisté à ce concert d'aujourd'hui, avoir entendu ce jeu tout à la fois si correct, si profond et si brillant, avoir vu la belle expression de cet homme extraordinaire, avoir vu toute cette foule, dans cette salle du Châtelet immense et comble, dressée à plusieurs reprises pour l'acclamer, c'est un souvenir inoubliable. Chopin éveille en moi des sentiments inexprimables. Sans doute à cause des souvenirs de l'oncle Paul[10]. Je ne puis entendre cette musique sans évoquer ma jeunesse, la rue Blanche, le salon sans lumière où l'oncle Paul jouait, en attendant que le dîner soit servi. Je ne puis ne pas évoquer non plus ces concerts que j'imagine, où Chopin jouait lui-même, chantait lui-même sa plainte. Combien, parmi ceux-là qui l'écoutaient, en était-il qui le comprenait.
11 [juin 1923]
La figure couchée, le porteur du flambeau, est partie aujourd'hui pour l'École normale. C'est navrant.
Mais le Héros vient vraiment bien. Travaillé aujourd'hui au monstre qui en formera le socle. Je crois que je tiens là une jolie statue.
En sortant de Normale, été prendre des nouvelles de R[aoul] Verlet, à qui on vient d'enlever un rein. Il va mieux. Je n'ai vu que sa femme. Il revient de loin.
Passé aussi à cette exposition des "Portraits de la femme moderne", organisée chez Charpentier. J'envoie là le buste de Lily et celui d'Yvonne Guibourg. Rien n'était encore en place.
Mais chez Bernheim il y avait une exposition Odilon Redon, Alix, Waroquier, Favory. C'est vraiment incroyable ! De gens comme Waroquier et Favory, il ne vaut pas la peine de parler. De toute cette bande, Alix est le seul qui me paraisse avoir du fond. Je considère tout ce qu'il expose comme des études de jeune homme. Odilon Redon, comme c'est factice ! Comme c'est court !
12 [juin 1923]
Le porteur de flambeau[11] en place, rue d'Ulm. Ici, comme à l'hôtel-Dieu, c'est la destruction par l'éclairage affreux. Je n'aurais pas dû accepter de faire ce monument là. C'est le bon M. Lavisse qui voulait cet emplacement[12]. Depuis, il est mort. M. Lanson n'a rien voulu changer à son choix. Ainsi, après sa mort, la volonté d'un brave homme nous porte un grand préjudice.
Travaillé avec joie au Héros.
Banquet au Lutétia en l'honneur d'Adler et de moi, pour fêter nos médailles d'honneur. Ce fut excessivement cordial et gai. Beaucoup de monde. Près de 300 personnes. Coutan a été tout particulièrement gentil. Il a dit à Benjamin :
– Ce matin, j'étais encore au Salon, tout seul, devant le groupe de votre frère. J'étais seul. Je me suis assis sur le banc en face et j'ai pleuré.
Il m'a dit :
– Devant ça, on ne pense plus à la sculpture, au morceau. On ne sait pas si c'est bien ou mal sculpté. On ne se le demande même pas. Mais on a envie de ne plus parler et de pleurer.
14 [juin 1923]
Attrapage amical, à cette galerie Charpentier, avec ce serin de J[ean-]L[ouis] Vaudoyer, parce que je protestais pour l'emplacement du buste de Lily, à cette exposition pour snobs du "Portrait de la femme moderne". La vanité, la prétention de ces criticaillons est quelque chose d'insondable. Si ces gens-là m'invitent à nouveau, je me réjouis d'avance du magnifique "non" que je leur répondrai.
Recherches assez peu satisfaisantes à l'École normale pour corriger, par la lumière artificielle, l'éclairage du vestibule[13].
15 [juin 1923]
L'esquisse du Héros me donne satisfaction complète. Le buste du comte de Fels vient très bien. Celui du petit Marcel aussi.
À une réunion, sans grand intérêt, à l'Amicale, tout à l'heure, Hipp[olyte] Lefebvre me dit que l'Académie vient de me voter le prix Houllevigue :
– Un gros paquet, me dit-il.
16 [juin 1923]
Avant d'aller chez Besnard, nous sommes passés, Lily et moi au Salon. Toujours beaucoup de monde devant mon groupe. Chez Besnard, nous trouvons les habitués, Frantz Jourdain, Aman-Jean, etc., et je suis beaucoup félicité.
Besnard me raconte l'incroyable histoire d'une vente de charité qui aurait eu lieu à la Villa à Rome. L'ambassadeur de France aurait fait demander à Puech de lui prêter les jardins de la Villa pour une fête de charité organisée par la reine mère. Acquiescement immédiat de Puech, mais protestation des pensionnaires. On passa outre bien entendu. Pendant la fête, ceux-ci se seraient montrés sales, goguenards, tandis que d'autres aux fenêtres avec leurs femmes et amies auraient presque injurié les invités de la reine mère. Est-ce possible !
18 [juin 1923]
À la Maison des Artistes, sous la présidence de Frantz Jourdain, réunion du groupement de "l'Art urbain", fondation de Temporal. Je regrette de n'avoir pas le temps de fréquenter plus ce milieu-là. Il y a là de l'enthousiasme, une autre jeunesse. Dans le fond, elle ne doit pas être très différente de celle qui travaille à l'École des beaux-arts[14]. Cependant, même d'aspect, ce jeune monde n'est pas le même[15]. Je tâcherai, l'année prochaine, de les voir plus souvent. Ils ne sont certainement pas moins ambitieux. La poursuite de buts immédiats, tels que des médailles dans les concours, la montée en loge, les récompenses [16] au Salon, prix d'argent, etc., oblige les premiers à former une sorte de clientèle aux patrons distributeurs de ces couronnes. Ils ne pensent au public que pour plus tard. Ils travaillent pour un petit groupe d'hommes plus ou moins âgés, qui sont du même métier[17] et qui jadis ont fait de même. Ils perpétuent en somme, la tradition lointaine d'élève à maître. Et si le maître est grand et si l'élève est doué, ce n'est pas là une tradition mauvaise[18]. Parmi ces "Patrons" trop souvent il se trouve des hommes sans aucune valeur, autoritaires et dont les faveurs ne vont qu'aux habiles, habiles dans les deux sens, celui de la courtisanerie et celui du métier. Un jeune homme intelligent, doué, ardent, artiste a d'abord besoin d'admirer. Ensuite il aime. S'il n'admire pas, il méprise vite. L'injustice le choque. Si l'âge mûr et la vieillesse jugent la jeunesse, la jeunesse juge l'âge mûr et la vieillesse. On peut même dire que la jeunesse juge plus impitoyablement. Cette jeunesse-là forme l'élément le plus intéressant de ces groupements [19] hostiles à l'École dont ils sont la vraie force et la sève profonde. À côté il y a les jeunes gens pressés. Ceux qui veulent arriver vite, atteindre le public par n'importe quel moyen, faire parler d'eux, audacieux, turbulents, prêts par conséquent à toutes les excentricités, froids calculateurs sous une apparence de bohème échevelés, et qui ont compris qu'une force très supérieure à celle des anciens patrons est née, la presse. Ils méprisent les vieux artistes, qui eux, pourtant ont travaillé, mais se présentent chapeau bas, courbés en deux devant le premier critique d'art venu qui n'a jamais rien fait. Quel renversement curieux des valeurs de notre époque, qui fait que la force la plus grande est la plupart du temps aux mains de gens n'ayant pu réussir nulle part. À cause de son rôle social si important, il semblerait que ce journalisme devrait être la profession dans laquelle il devrait être le plus difficile d'entrer. C'est au contraire la plus facile. Tout s'enchaîne. Il est tout naturel que la plupart de ces critiques d'art improvisés aient des sympathies plus particulières pour ceux des artistes qui leur ressemblent. Il me semble qu'il y a là une explication toute simple du succès fait par la critique à ces mouvements tapageurs comme le cubisme. Et pour en revenir à notre jeunesse du Salon d'automne, voilà les deux éléments principaux dont elle est formée. Les premiers donnent au groupement sa force. Les seconds font la parade. Ajoutons à cela tout ce qui vient autour : le souvenir des grands méconnus dont une gloire posthume vengea la misère, des arrière-pensées mercantiles, le snobisme, et c'est toute la psychologie de ce que l'on appelle le modernisme. Et il y a de tout cela dans ce groupement de "l'Art urbain". Ses manifestations dernières ont été assez médiocres. Ils veulent faire un gros effort pour la prochaine exposition. La vue de tous ces jeunes gens me donne le désir de suivre cet effort avec le plus vif intérêt.
Dîner chez l'oncle Max[20], où j'ai retrouvé le sénateur belge M. Pelzer de Clermont et sa femme[21].
19 [juin 1923]
Buste du comte de Fels marche, comme tout le reste à l'atelier. Je suis très content du Héros. Ce morceau-là est prêt. Je fais masser en même temps le mur par la jeune suisse. Ce sera cet ensemble-là, le morceau essentiel pour l'exposition de 1925. Mais que se passe-t-il de ce côté. Chez Bonnier, chez Plumet, même chez Paul Léon, c'est toujours le vague.
Dîner chez A[ndré] Lazard[22].
20 [juin 1923]
Le petit Almereida est malade.
21 [juin 1923]
Chez le comte de Fels, garden-party. Il me montre l'achat qu'il vient de faire d'une statue du XVIIe siècle qui, me dit-il, est à son point de vue aussi bien que l'éphèbe que Maurice de Rothschild a acheté il y a deux ans à Lejeune. Il y a un monde entre ces deux choses. L'éphèbe de Lejeune est une chose parfaite. Ce qu'a acheté de Fels est d'un dessin vulgaire, œuvre médiocre d'un artiste de second plan. Ainsi, devant certaines comparaisons, demeure-t-on surpris de l'abîme de mauvais goût, d'ignorance de gens qui passent pour avoir du goût. Dans le fond du jardin, un groupe de Chinard, Apollon et Daphné, mauvaise inspiration du groupe du Bernin que je n'aime déjà guère. De bons morceaux dans l'Apollon. Daphné courte, lourdaude, et l'ensemble de la composition décousu, sans volonté.
Chez Joseph [23] à dîner avec Sergent l'architecte, Augé-Laribé l'élève de Bouglé. C'est lui qui a fait pour de Fels toutes les études pour son livre sur Gabriel. Augé-Laribé nous cite un mot amusant de de Fels :
– Ah ! Rédigez-moi ça, je vous prie : quand je suis devant une feuille de papier blanc, ça me donne mal à la tête.
23 [juin 1923]
Retour d'Auxerre avec Bouchard, où nous avons sans peine, donné à l'ami Blondat le prix pour le monument d'Auxerre. Visité la "collection" du notaire de l'endroit, collection "moderne". Le fond en est constitué par Zingg. De bonnes petites toiles, notamment des aquarelles où l'on se rend compte que cet homme sait son affaire. Dans la salle à manger une grande décoration très mauvaise. Mais j'ai surtout été intéressé par la visite de l'église S[ain]t-Germain. Le centre en est défoncé, un peu comme ce que je veux faire dans le Temple. Ça fait excessivement bien. Cela donne une vie, un sens au monument, et m'encourage définitivement dans la voie où je marche.
24 [juin 1923]
Avant d'aller chez Raoul Laparra, passé une bonne heure au Louvre à regarder seulement les bustes de Houdon. Pourquoi Houdon est-il le plus grand des sculpteurs de la fin du XIXe ? Parce qu'il est celui qui a été le moins influencé par la mode de son temps, et cependant il est celui qui a rendu le mieux le caractère profond de son époque. Rien de maniéré chez lui. Pas d'emphase. Quoi de plus beau que son buste de Washington, ou son buste de Duquesnoy ? Cela n'est d'aucune époque. C'est du XVIIe malgré Houdon. Et c'est ainsi qu'un artiste est profondément de son temps. Et non pas en se frappant les flancs et en redisant : "Je veux être moderne, moderne, moderne..."
Chez Raoul Laparra dansait une jeune femme espagnole, moitié espagnole, moitié hindoue. Remarquable. La supériorité des danseuses espagnoles réside en ceci qu'elles ne cherchent pas à être autre chose que des danseuses. Elles sont sensuelles, parce que la danse est principalement[24] sensuelle. Un beau corps de femme dansant est forcément plus ou moins lascif. Il y avait là le vieux Bruneau, enthousiasmé, avec raison. Pas hypocrite, celui-là.
26 [juin 1923]
Chez Madame Mühlfeld, il y avait aujourd'hui Valéry, Artus, Lucien Fabre (un des principaux rédacteurs de l'Action française). Voilà Valéry lancé. Il ne parle plus que de visites d'académiciens, prix de littérature, etc. Paris et les ambitions obligatoires que donne Paris, c'est la perte des artistes. Voilà Valéry, bien peigné, bien rasé, sortant tous les soirs dans le monde[25], trop adulé, son œuvre n'étant encore que d'essais et bien courte. J'ai bien peur que cela ne s'arrête net. Il est vrai qu'il continue Mallarmé et Rimbaud. Pour moi l'œuvre de ces hommes ne doit être considérée que comme des essais, des études. Peut-être Valéry aurait-il pu conclure ? Le pourra-t-il s'il tourne au poète mondain ?
À la Sorbonne, intéressante conférence de ma belle-mère[26] sur les bibliothèques américaines. Salle malheureusement trop grande et d'une acoustique déplorable.
27 [juin 1923]
Le concert de Paderewski au Châtelet a rapporté près de 90 000 F pour le monument Colonne. Réunion chez Pierné pour en parler.
Passé très tard chez les André de Fels où j'ai longuement bavardé avec Abel Bonnard.
Dîner annuel des artistes à l'Élysée, où ce fut pareil aux dîners des autres années. Un orchestre excellent a joué pendant le dîner. Baschet me dit :
– S'il y a une vacance à l'Institut vous passerez brillamment.
28 [juin 1923]
Reçu la visite d'un certain M. Malliavin, qui venait me demander de me charger du monument que l'on veut élever à Nogent-le-Rotrou à Deschanel. Voilà qui ne m'intéresse guère.
29 [juin 1923]
Commencé les premiers dessins pour le projet de la butte de Chalmont[27].
Benjamin[28], à qui je téléphone pour le lui demander, me dit qu'il a eu 159 voix aux élections pour le conseil de l'ordre ce qui est une indication excellente.
30 [juin 1923]
Le Temps publie le discours qu'A[lbert] Besnard a prononcé au dîner de clôture du Salon des Tuileries. C'est bien quelconque. Il tâche adroitement de faire un tableau du mouvement artistiquement contemporain en expliquant par de nobles motifs la raison de la scission. Chez plusieurs jeunes, les motifs sont nobles peut-être. Ils ne le sont pas chez Besnard, Bourdelle, Aman-Jean et d'autres. Mais au fond, les événements poussent les hommes. La vraie cause de ce morcellement des sociétés d'artistes est dans la pléthore des artistes. Il en est un peu d'elles comme des ruches ou plusieurs reines ne peuvent cohabiter. C'est en vérité une question de boutique, dans laquelle l'art n'a rien à voir. Quant au tableau artistique pur, que Besnard essaie de tracer où il dit que la caractéristique de l'époque est un retour au classicisme, aux grandes compositions genre Poussin, quelle pauvreté. C'est aussi superficiel que du Vauxcelles, aussi plat que du Vaudoyer. Il y a cependant un endroit où, tout au moins, l'enseignement des grands maîtres n'a jamais été oublié tout à fait, qui est l'École des beaux-arts. Parce que les milieux dit avancés, dits modernes, commencent à sentir le vide de leurs formules, reviennent à la santé éternelle du bon sens, avec leur vanité habituelle, ils vont maintenant s'emparer des maîtres toujours aimés, ils vont découvrir Poussin et Claude Lorrain, et chercher à écraser ceux qu'ils combattent en se parant de qualités qu'ils qualifiaient[29] de tares chez ceux qui ne sont pas de leur boutique. Nous avons assisté à la prise de possession d’Ingres. On s'empare maintenant de Poussin. Ainsi jadis Jean Moréas, poète assez médiocre, parlant de son passé poétique[30] bruyant disait au moment où il écrivait les Stances, sa meilleure œuvre : "Ces choses ne me regardent plus... Mon instinct n'avait pas tardé à m'avertir qu'il fallait revenir au vrai classicisme et à la vraie antiquité, ainsi qu'à la versification traditionnelle la plus sévère. Et en plein triomphe symboliste, je me séparais courageusement de mes amis, qui m'en portèrent longtemps rancune. Aujourd'hui j'ai le plaisir de constater que tout le monde revient au classicisme et l'antique."
Alors maintenant, nous allons voir tous nos critiques d'art s'efforcer à qui mieux mieux de nous prouver que les cubistes sont les vrais descendants du Poussin, et pour continuer la guerre des boutiques, toute la discussion va passer sur un autre terrain, on va nous parler de vrais classiques et de faux classiques, de ceux qui sont dans la bonne tradition et de ceux qui croient être dans la tradition, etc. Les braves gens ont de la copie devant eux.
[1] . Suivi par : "tout à la fois", raturé.
[2] . Au lieu de : "profonds", raturé.
[3] . Alice Cruppi.
[4] . Wanda Landowski.
[5] . Suivi par : "dans son ensemble", raturé.
[6] . Au lieu de : "une petite danseuse", raturé.
[7] . Au lieu de : "mentale", raturé.
[8] . Suivi par : "Je crois que ça va marcher", raturé.
[9] . Le Temple.
[10] Paul Landowski.
[11] Ecole Normale Supérieure (monument aux morts).
[12] . Au lieu de : "cette place", raturé.
[13] . Au lieu de : "de la salle", raturé.
[14] . Au lieu de : "différente de l'autre", raturé.
[15] . Au lieu de : "ce jeune monde est différent", raturé.
[16] . Au lieu de : "médailles", raturé.
[17] . Suivi par : "les autres, c'est autre chose. Cette apparence de servilité de l'élève vis-à-vis du maître choque certains caractères. Cette tradition des", raturé.
[18] . Suivi par : "Les autres, parmi les", "Tous les caractères ne peuvent se plier à cette apparence", raturé.
[19] . Suivi par : "indépendants", raturé.
[20] . Maximilien Vieuxtemps.
[21] . Suivi par : "Vraiment deux personnages, aimables mais sans aucun intérêt et qui en ont encore moins", raturé.
[22] . Le manuscrit porte : "Lazare", peut-être « André Lazard ».
[23] . Joseph Landowski.
[24] . Au lieu de : "forcément", raturé.
[25] . Suivi par : "tournant au Mallarmé", raturé.
[26] Louise Cruppi.
[27] Les Fantômes.
[28] . Benjamin Landowski, avocat, est battu par Maître Manuel Fourcade aux élections du conseil de l'ordre des avocats de Paris.
[29] . Au lieu de : "stigmatisaient", raturé.
[30] . Au lieu de : "parlant de sa jeunesse", raturé.