Mai-1923

Cahier n°15

1 mai [1923]

Prométhée, avec Dortignac. Il est un peu jeune et un peu mince. Le geste de la tête et du bras droit, très bons. Passé au Salon où nous rencontrons la belle comtesse de La Rochefoucauld devant mon groupe, où le public se groupe et s'arrête toujours longuement.

2 [mai 1923]

Chez Taillens où nous revenons au plan carré, suivant les conseils de Pontremoli.

Comme par hasard, nous nous retrouvons avec Desruelles au dîner mensuel des anciens élèves de l'École des beaux-arts, dîner où nous n'allons jamais d'ordinaire. Très gai. Nous nous retrouverons probablement demain à la réunion de l'Amicale, où nous n'allons jamais non plus. Mais nous croyons les uns et les autres cela utile pour le vote de lundi. C'est un peu ridicule.

3 [mai 1923]

Prométhée. Ça va. Il y a là une rude statue à faire. Je veux qu'après que j'aurai sculpté Prométhée, on n'y puisse plus toucher.

Passé au Salon.

Non seulement Desruelles, mais Laporte-Blairsy se trouvait aussi à la réunion de l'Amicale. Gentil petit discours de Duvant, préconisant l'entente pour le vote de lundi. J'ai proposé à Desruelles de nous désister l'un pour l'autre, tout de suite après le premier tour, eu faveur de celui qui aurait le plus de voix. Il m'a répondu évasivement "qu'il fallait voir comment les choses se présenteraient... qu'il ne voulait pas s'engager d'avance..., etc."

Parti avec Octobre et une jeune fille miniaturiste qui m'a paru prête à tous les abandons pour se faire recommander au jury de peinture.

4 [mai 1923]

Prométhée. Joie énorme. Je fais en même temps masser le Mur (esquisse de 2 m) du Héros.

Passé au Salon. Déjeuner chez la comtesse de La Rochefoucauld, et dîner chez Mme de S[ain]t-Marceaux. Elle me redit tout le succès des Fantômes.

5 [mai 1923]

Aucun travail. Corrections Julian. Déjeuner chez le brillant Boni de Castellane. De là été voir M. Darracq arrivé de Monte-Carlo. À la fin de la journée retrouvé Lily chez Mme Paul Adam.

6 [mai 1923]

Réception à la maison. Beaucoup de monde. J'aime bien ces dimanches mensuels. Ce matin M. Dupuy était venu à Billancourt voir les pierres terminées du monument de l'École normale.

7 [mai 1923]

Succès complet et au fond sans lutte bien vive.

Le matin été chez Taillens pour mes plans du Temple. Nous y sommes tout à fait. La couverture maintenant est parfaite. Je ne peux pas concevoir qu'elle puisse être autrement.

Raymond Thibesart, venant à Paris pour le vote de la médaille d'honneur des peintres, m'a demandé à déjeuner. Il est aigri. Il réussit mal, et je le comprends, car il a bien plus de talent que la plupart de ces gens à succès d'aujourd'hui. C'est un talent un peu efféminé, sans doute. Dès qu'il veut toucher à la grande décoration ça devient d'une amabilité conventionnelle qui me plaît moins. Mais devant la nature, c'est parfait. Toute sa sensibilité joue complètement. C'est un peu comme F[rancis] Auburtin dans ces derniers temps.

Au Salon, c'était le mouvement ordinaire de ces jours de vote. On se serre les mains. On tente de lire dans les yeux de ceux qui viennent vous souhaiter bonne chance s'ils aideront par leur vote votre chance. Voici Desruelles, avec son bon visage un peu bête de gendarme, Laporte-Blairsy, plus fin. Mais des amis viennent me dire qu'un quatrième concurrent sera en ligne : un nommé Béguine, un vieux brave sculpteur de l'École du sculpteur de la statue de Chappe. Il expose deux choses d'une charmante sottise, une Âme des ruines et un Homme primitif. Dans le brouhaha d'usage les deux tables de vote se forment, les bureaux s'organisent et l'appel commence. Les papiers tombent. Je viens de temps en temps suivre le dépouillement. Aux deux tables j'ai l'avance. Il me semble lire que Desruelles me suit de près. Plusieurs viennent me dire que ça marche très bien, mais que celui qui me talonne est Béguine. Je ne puis le croire. C'était pourtant vrai. Le premier tour me donne 53 voix, 46 à Béguine, 27 à Desruelles et à peu près autant à Laporte-Blairsy.

Au deuxième tour j'arrive toujours en tête avec 82 voix, 60 voix à Béguine, 26 à Desruelles, et Laporte presque plus rien. Pressé par ses amis, Desruelles se désiste pour moi, Laporte en fait autant, et le troisième tour, au milieu d'acclamation et d'embrassades dont les plus empressés viennent de ceux qui n'ont pas voté pour moi, me donne la médaille d'honneur avec 108 voix contre 66 à Béguine. Coutan très gentil. Bouchard très chic a écrit à ses amis de voter dès le premier tour pour moi.

Ladislas arrive juste au moment de la proclamation du vote. Buffet traditionnel. Lily arrive au moment où ferme le Salon. J'aurai voulu dîner à Boulogne ce soir. Mais les parents de Lily avaient chez eux des invités insipides avec lesquels nous avons passé une soirée sans aucun intérêt.

9 [mai 1923]

Visite de Millerand au Salon. Visite grotesque par sa rapidité. Ce sont les artistes qui assurent la grandeur vraie d'un pays dans le temps. Pourquoi les hommes puissants les traitent-ils avec tant de légèreté. C'est de leur faute. Long arrêt cependant devant mon groupe, avec Paul Léon.

L'après-midi j'ai dû retourner au Salon pour accompagner M. et Mme Blumenthal. Devant mon groupe, Mme Blumenthal m'a dit :

– Je ne croyais pas que c'était si beau.

Dîner chez les Legueu avec Henri-Robert et René Bazin. Quel drôle de petit bonhomme que ce Bazin. Il ne parlait que de l'incroyable manque de tact des frères Tharaud dont l'un a décidé de se présenter à l'Académie française, "comme ça", trois semaines avant une élection, qui font les visites ensemble :

– C'est insensé, on n'a jamais vu ça..., etc.

C'est curieux ces membres de l'Institut. Une fois qu'ils en sont, il semble qu'ils n'aient jamais été candidats, qu'ils n'aient jamais fait de visites, et qu'ils en aient toujours été.

10 [mai 1923]

Travail au bas-relief de l'École normale. Cartier me raconte une amusante histoire à propos du vote de la médaille d'honneur. Il paraît que la veille, une soixantaine de bons camarades se sont réunis sous la présidence de Ségoffin pour choisir parmi eux le candidat à la médaille d'honneur. C'est de cette réunion que sortit la singulière candidature de Béguine, ce qui a été une chance pour moi. Desruelles, comme Laporte sont gens ayant encore du talent pour ces pauvres types. Or au dépouillement de ce vote galop d'essai, un bulletin sortit, un seul, avec mon nom ! Ségoffin se lève, proteste, déclarant que cette réunion n'avait pas été provoquée pour "qu'on se fiche de nous" et que par conséquent "celui qui avait voté pour Landowski était invité à voter sérieusement au prochain tour, ou à s'en aller". C'était le bon Cartier. Il se leva, protesta contre de semblables manœuvres et s'en alla. Ce fut en fin de compte Béguine qui obtint une majorité et chacun s'engagea à voter avec discipline pour lui !

Visité l'admirable collection de M. et Mme Tuck. De merveilleuses porcelaines de Chine, comme je n'en ai jamais vu. Mme Tuck me dit son désir de me voir exécuter le buste de son mari. Nous convenons de le commencer à leur retour d'Évian, où Mme Tuck doit aller faire une cure.

11 [mai 1923]

Vote des médailles d'or au Salon. Je ne suis pas content. Bien que ce ne fût pas magnifique, loin de là, j'aurais voulu en faire avoir une à Moreau-Vauthier. Pas eu moyen.

Après l'inauguration de l'exposition d'art belge, un monde fou, je n'ai pas pu voir grand chose, sauf les bronzes de Constantin Meunier, que j'aime plus que jamais, je suis allé à la direction des Beaux-Arts, où avec Paul Léon, nous avons étudié la question de l'emplacement des Fantômes au front. Paul Léon m'a mis en relation avec M. Verdier, qui est chef du service des bâtiments historiques et de la commission des sites de guerre, avec qui j'ai pris rendez-vous pour voir avec lui les cartes et les différents emplacements. La commission d'accord avec le ministère de la guerre a désigné les endroits du front où seraient élevés des monuments nationaux et c'est à un de ces points où s'élèveront les Fantômes, s'intégrant à un monument d'ensemble à étudier. Une fois mon projet établi et accepté par la commission, on demanderait un crédit spécial aux Chambres. Trois emplacements sont définitivement décidés pour ces monuments nationaux : deux doivent être consacrés à la première bataille de la Marne, et un à la seconde bataille de la Marne, au mont de Château-Thierry. Il me semble que c'est ce dernier, étant donné le caractère des Fantômes, qui conviendrait le mieux.

Cahier n°16

12 [mai 1923]

Tous les journaux sont pleins d'une réclame du général Gouraud pour mon monument de l'Armée de Champagne, pour lequel il était venu me voir il y a plusieurs mois et pour lequel il avait choisi mon Tombeau du Soldat. Mais ce qui est comique c'est que le monument est commandé à [Réal] del Sarte, et qu'une horrible esquisse qui est exposée au Salon, représentant trois soldats gesticulant est [1] le projet de ce monument. Je suis évidemment un peu stupéfait de la muflerie du général Gouraud, qui ni lui, ni le général S[ainte]-Claire Deville dont j'ai une lettre où il m'écrit que rien ne sera décidé au sujet de ce monument sans que j'en sois le premier avisé, ne m'aient rien dit. Mais je trouverais cela tout à fait comique si la principale conséquence n'était qu'un horrible monument de plus, allait illustrer cette triste époque où l'intrigue tient lieu de talent. Depuis la guerre, il y a ainsi trois ou quatre sculpteurs sans aucune, absolument aucune valeur, dont [Réal] del Sarte et un nommé Cogné sont les types les plus représentatifs, qui, grâce à leurs appuis politiques, leurs intrigues[2], parviennent à obtenir de très belles, très importantes commandes, tandis que des hommes de valeur réelle comme Bouchard, Grangé, Bottiau[3], gagnent juste leur vie, n'ont pas réellement l'occasion de montrer ce qu'ils valent, et que même des hommes comme Jacquot sont à la veille de mourir littéralement de faim. Voilà une occasion où nos fameux critiques d'art qui se flattent d'indépendance pourraient montrer qu'ils ont quelque courage. Mais pas un mot. Leur courage consiste à ne rien dire.

Quand je suis arrivé ce matin rue de Berri, j'ai été reçu par des applaudissements. Mes jeunes filles et les jeunes filles des ateliers de peinture étaient groupées autour d'une table dressée avec champagne, gâteaux, fleurs. Le bon Pagès était là avec Mme Julian. Ça a été très gentil. Et nous avons trinqué à mon dernier succès et à nos futurs communs succès.

À dîner nous avions le ménage Chifflot, Jean Boucher, Jacques Baugnies, le ménage P[aul-]A[lbert] Laurens.

13 [mai 1923]

Passé la matinée à rédiger de manière définitive le devis pour le monument d'Alger.

Fait la connaissance, cet après-midi, chez Salomon Reinach, de son frère Théodore. Il y avait Yvonne Serruys  et Pierre Mille. Y[vonne] Serruys se pâme chaque fois qu'elle rencontre Lily.

14 [mai 1923]

Prométhée. Ça ne va pas tout seul.

Article de Thiébault-Sisson dans le Temps sur le Salon des Tuileries, dont le vernissage est demain. Il paraît que Bourdelle y expose une statue équestre remarquable[4]. Mais l'article couvre tout le monde de fleurs, comme il fallait s'y attendre.

15 [mai 1923]

Vernissage du Salon des Tuileries. Dans ces baraquements "géniaux" des frères Perret, c'est le grand tohu-bohu. À la porte je rencontre un sculpteur polonais que j'ai rencontré chez S[alomon] Reinach. Il est furieux :

– J'ai retiré mes envois. On les avait placés par terre, derrière une énorme statue.

Je le laisse, c'est un raseur.

L'intérieur des baraquements a été peint d'un vilain jaune clair, sur quoi la peinture, même si elle était bonne, ne peut que perdre.

Voici Arnold. Il expose une petite fille nue, tortillée sous son apparence simple, tenant une colombe. C'est une honnête petite statue qui ne dépasse pas le niveau de ces envois de jeunes gens auxquels on donne des 3èmes médailles aux Artistes français. C'est la même vision, la même banalité, la même application honorable.

Mais derrière, et j'apercevais depuis l'entrée sa masse noire d'où émergent deux énormes pieds tendus en avant, dans le geste des cavaliers du dimanche à Robinson, voici le fameux Alvear de Bourdelle. Cette statue, comme toutes les œuvres de Bourdelle, fait tout de suite penser à d'autres statues déjà vues. Sa caractéristique est de caricaturer les chef-d'œuvres des diverses époques. Son Héraklès, qui est pourtant sa meilleure chose, est la caricature de l'Archer d'Égine. C'est plus flagrant encore dans sa décoration du Théâtre des Champs-Élysées. Tous ces bas-reliefs, comme le grand fronton, ne sont que de très laides contrefaçons[5] des métopes grecques. Telle est aussi sa Minerve de la pointe de Grave. Quelle singulière[6] idée, preuve d'une imagination bien peu fertile, que d'aller coller là-bas une Minerve, même de 40 mètres de haut, pour commémorer l'arrivée des Américains en France. Et quelle Minerve ! Le geste de sa main gauche veut, paraît-il, indiquer qu'elle regarde au loin. En vérité, il a plutôt l'air de prendre la mesure du casque de pompier qui lui manque. Si Bourdelle, au lieu de se coller à la gloire de Rodin et d'exposer dans les Salons dits "d'avant-garde", avait exposé aux Artistes français, par exemple, la presse qui le prône tant n'aurait pas de mots pour le qualifier de roi des pompiers[7]. Cette fois, elle ne se tromperait pas. La première impression que donne la statue d'Alvear est semblable. Pastiche[8] tout à la fois du Colleoni[9] et de la statue de Padoue[10], elle n'est pas mal de volume, je parle uniquement du cheval. Le cavalier est maigre et fera l'effet d'un fil de fer, quand la statue sera à sa hauteur. Mais cette question de volume acquise, que de choses inacceptables et choquantes, indiquant une totale ignorance du cheval. Le mouvement de l'épaule du membre antérieur[11] levé est faux, n'avance pas comme elle devrait. Ce membre antérieur est faux. On ne peut obtenir un pareil ploiement[12] que sur un cheval mort ou en forçant à la main sur un cheval vivant. De plus, contradiction absolue entre l'avant qui est en mouvement et l'arrière-main qui est d'une bête au repos. Quoi de plus beau que ces beaux quartiers des cuisses, chez un cheval puissant. Bourdelle ne semble pas s'en être aperçu. L'ensemble de tout cela est traité comme on faisait en 1840, environ. Je n'aime pas plus les quatre statues d'angle, déformées paraît-il à cause de la hauteur où elles vont. Bourdelle est là. Il vient à moi et à quelques autres personnes et nous demande d'aller signer une pétition pour que sa statue soit conservée en France et élevée à Paris !

Sauf une jolie statue de Mlle Poupelet , de bonnes choses de Drivier et un assez bon buste de Despiau, toute la sculpture là est d'une faiblesse incroyable. Le gros Philippe Besnard  a une jeteuse de couronnes incroyable d'ignorance. Yvonne Serruys ne vaut pas beaucoup mieux.

La peinture. Je l'ai regardée avec un soin particulier, désireux d'y trouver une révélation, un jeune inconnu, puisque ce Salon est fait pour aider les jeunes à se révéler. J'ai d'abord remarqué que toutes les places d'honneur sont réservées à des jeunes gens n'ayant pas moins de 50 ans. Le carton de Besnard pour Strasbourg ne fait pas mieux là que chez lui. Je retrouve les toiles de Ménard vues à son exposition. Il n'a pas l'air très content. Aman-Jean est plus vaporeux, plus vide que jamais. Je cherche et trouve Dufresne, l'espoir du milieu, un espoir qui doit avoir tout près de 50 ans. C'est confus, lourd, systématique, sans spontanéité. Mais je ne crois pas cet homme sans valeur. Pinchon qui le connaît, dit que ce n'est pas une jolie nature. Cette raison et le milieu dans lequel il produit, expliquent cet avortement. Maurice Denis me fait de plus en plus penser à de la peinture de vieille demoiselle. La seule chose qui m'ait intéressé, c'est le quai de Marseille par Inguimberty. Mais c'est un jeune déjà mûri, ancien boursier de voyage. Et je ne vois pas là-dedans rien d'essentiellement nouveau. C'est plein de qualités. Tandis que je suis devant, je vois arriver l'auteur, accompagné de Desvallières, un Desvallières plein de componction, très protecteur, très patron, et je croyais voir un élève[13] de l'École des beaux-arts devant son patron, membre de l'Institut. Ni l'un ni l'autre n'auraient eu une attitude différente. Les hommes sont partout les mêmes, mes bons amis. Ces querelles de boutique sont navrantes, voilà la vérité. Et voilà que, à travers les salles, portant une serviette bourrée, affairé, marchant en prince, entouré d'une cour d'artistes, je vois circuler L[ouis] Vauxcelles. Il incarne brusquement à mes yeux, toute la fatuité, toute la misérable puissance de la critique[14]. Dès qu'il m'aperçoit à travers ses lorgnons, il vient vivement à moi, me serre la main. Un quart d'heure après, nous nous retrouvons de nouveau face-à-face, il vient de nouveau à moi, me serre de nouveau la main avec insistance. Il regrette évidemment ses articles idiots, pas très méchants d'ailleurs, sur mes Fantômes. Maladroitement je lui dis :

– Alors quoi, vous n'aimez pas mon groupe.

Phrase idiote et digne des gens qui exposent ici. Il ouvrit les bras d'un air niais et nous nous séparons. Je suis furieux contre moi. Au moment où je sortais, je rencontre Despiau. Je lui trouve mauvaise mine. Il me dit qu'il vient d'être assez malade, ayant eu de l'albumine et qu'il va partir se soigner à la campagne. Tandis que la foule s'augmente, je quitte ces salles jaune clair.

Après-midi, commencé le buste de mon petit Marcel[15]. Puis rue de Valois, dans le bureau de M. Verdier, où il me donne avec précision les points où doivent être élevés les monuments prévus[16]. La butte de Chalmont me paraît la plus indiquée pour mon projet. Enfin rendu visite à Coutan pour le remercier de son appui au moment du vote de la médaille d'honneur. Je trouve-là Octobre, Bitter, Sylvestre. Je ne connais pas beaucoup d'hommes d'une bêtise aussi désarmante qu'Octobre. Et il est si content de lui !

16 [mai 1923]

Prométhée me donne plus de mal que je ne croyais. C'est l'arrangement des jambes. Trouver un geste qui soit à la fois tourmenté et calme et éternel.

Banquet des deux Sociétés réunies à l'Hôtel Lutetia, sous la présidence de Léon Bérard, encadré de Coutan et de Bartholomé. Ce ne fut pas très brillant.

18 [mai 1923]

Comme j'arrivais au Salon ce matin, [Paul-]Albert Laurens me dit :

– Tu as lu l'Action française aujourd'hui ?

– Non, lui dis-je, c'est un journal qui me dégoûte et que je ne lis jamais. Pourquoi cette question ?

– Regarde.

Et il me montre l'article de tête de Léon Daudet intitulé : "Deux maîtres sculpteurs". Où je vois mon nom. Laurens ajoute :

– Mais qui est ce [Réal] del Sarte dont il dit aussi tant de bien ?

Je lui indique le coin où sont les envois du su nommé. Il en revient, riant aux éclats :

– Ça évidemment, c'est énorme. Je comprends que ça ne te fasse pas plaisir.

En sortant du Salon, j'ai acheté l'Action française !

Après-midi, audience du maréchal Pétain. Il voulait me prendre les Fantômes pour l'ossuaire de Douaumont. Nous regardons les plans du projet primé, vraiment bien ordinaire. Je ne vois guère la place où le mettre. Je lui parle de la butte de Chalmont. Il approuve et me fait remettre une carte d'état-major de la région. Nous nous quittons très bons amis.

22 [mai 1923]

Nous venons de passer, pour les jours de la Pentecôte, trois charmantes journées à Soucy, chez Charles-Ferdinand Dreyfuss. Un des êtres les plus remarquables qui soient.

23 [mai 1923]

Prométhée. C'est difficile d'avoir la prétention de faire une œuvre définitive !

Buste de Marcel vient bien.

Le marquis de Boisgelin est venu avec sa mère voir le buste. L'un et l'autre ont été contents. Naturellement avec les réserves obligatoires pour ces sortes de travaux.

Après-midi, à Vincennes, chez Pinchon pour le bas-relief du Maroc[17].

24 [mai 1923]

Changement à vue chez le comte de Fels venu ce matin. Je lui montre les esquisses cherchées pour Voisins et lui dis que je ne les aime pas. Alors de lui-même il me dit :

– Mais si vous voulez faire les groupes que vous m'avez d'abord proposés, je ne demande pas mieux.

Et nous nous sommes tout de suite mis d'accord. Et de plus, je vais commencer son buste. Je suis content.

Déjeuner chez l'active Mme Boas de Jouvenel. Je retrouve-là le sculpteur italien Cataldi, dont Mme de Jouvenel s'est instituée la protectrice, les Camastra, de Fouquières, Bokanowski affairé et fuyant, Reibel et sa femme, très gentils, et Mme Rouché, que je ne connaissais pas, mais dont j'ai immédiatement apprécié le snobisme et la sottise. J'étais à table entre elle et Cataldi. Le bon Cataldi au métier habile, nourri de Renaissance italienne, pas intelligent, pas à la page du tout, ne se doutant pas qu'il conversait avec la femme d'un riche parfumeur, directeur de l'Opéra, protecteur des Arts modernes, a accumulé toutes les gaffes possibles, tandis que la bonne grosse dame, drapée dans un châle rouge, moderne, débitait toutes les sottises à la mode sur le ciment armé, "matière magnifique", l'art nègre "des plus intéressants", "passionnant !" et la "liquidation" du néo-impressionnisme par les artistes "constructeurs". Je me suis énormément amusé.

25 [mai 1923]

Gentil dîner au Volney, où j'ai vu Dewambez, Cormon, Baschet, etc., et où tout le monde a été très gentil pour moi.

26 [mai 1923]

Déjeuner chez cette Madame Stern, avenue Montaigne. Intérêt médiocre. Après déjeuner il a fallu contempler la sculpture de la maîtresse de maison.

Le transport du monument de l'École normale est commencé.

27 [mai 1923]

Chez Fanny[18], quatuor Poulet jouait Fauré. Splendide. Wanda[19] joue remarquablement.

28 [mai 1923]

Retour de Château-Thierry, pour reconnaissance de la butte de Chalmont. Historiquement l'endroit est sans doute bien choisi. Pour y placer un monument, il l'est bien mal. C'est une immense butte, se terminant par un long plateau ayant au moins 400 m, sans accès, aucun monument placé au centre ne sera vu. Je regrette que ce ne soit pas sur [le] Chemin des Dames. Là nous avons vu des sites étonnants, le moulin de Laffaux, et peut-être plus encore le fort de la Malmaison, avec sa vue énorme vers Laon.

29 [mai 1923]

Prométhée.

Dîner chez Mme Blumenthal avec M. Glaenzer, Mme Stern, Riou, Daniel-Vincent. Riou vient de faire paraître son livre[20]. Je ne sais pas trop qu'en penser. C'est évidemment moins bien que les précédents. Je ne crois pas que Riou ait un tempérament de romancier. C'est plutôt une nature d'analyste, d'études critiques. D'ailleurs par moments il revient à cela. Je me refuse à voir là une sorte d'autobiographie comme certains l'insinuent. Parce qu'un homme a divorcé, il lui serait donc interdit de parler divorce dans ses livres ! À mon avis, du moment que ce volume n'est que la première partie d'un ouvrage en trois volumes, Riou aurait dû avoir un peu de patience et publier l'ensemble. En art, littérature, peinture, sculpture, on ne gagne rien à être trop pressé.

30 [mai 1923]

Prométhée. Difficile, mais ça marche bien.

31 [mai 1923]

École normale où le monument se met en place. Mais c'est une énorme déception : l'éclairage est épouvantable. Je suis désolé, navré. Je comptais beaucoup sur ce monument, je m'attendais bien à des ennuis à cause de l'éclairage, mais pas à ce point-là. Déjeuner chez M. et Mme Lanson.

L'après-midi la Dépêche de Toulouse m'a fait l'honneur de m'envoyer un de ses rédacteurs pour m'interviewer au sujet des Fantômes et faire un article général sur moi.

 


[1]    . Au lieu de : "doit être", raturé.

[2]    . Au lieu de : "leur talent d'intrigant", raturé.

[3]    . Suivi par : "Bouchard, surtout Jacquot", raturé.

[4]    . Le monument du général Alvear.

[5]    . Au lieu de : "caricatures", raturé.

[6]    . Au lieu de : "pauvre", raturé.

[7]    . Au lieu de : "le qualifier de pompier", raturé.

[8]    . Au lieu de : "Très inspiré", raturé.

[9]    . De Verrocchio (1488), sur le campo Santos Giovanni e Paolo, à Venise.

[10]  . Le Gattamelata, de Donatello (1453), piazza del Santo.

[11]  . Au lieu de : "l'épaule de la patte avant", raturé.

[12]  . Au lieu de : "pliement", raturé.

[13]  . Au lieu de : "et j'ai cru voir un jeune élève", raturé.

[14]  . Suivi par : "J'ai été bien maladroit d'ailleurs", raturé.

[15]  Landowski Marcel.

[16]  . Suivi par : "Á première vue", raturé.

[17]  La Victoire (monument de)

[18]  . Fanny Laparra.

[19]  . Wanda Landowski.

[20]  . Gaston Riou, Ellen et Jean, Paris, 1923, premier fragment de la vie de Jean Vaucanson.