1er août [1947]
Pontremoli dit des paroles amères à Melle. Fiévet à propos de l'achat éventuel du Michel-Ange. Évidemment, il ne faut pas encourager ceux qu'il connaît à l'acheter.
2 août [1947]
Chez Rudier. Bonne fonte du modèle[1] de 1 m 20. Il me propose de refondre le grand, et d'attendre pour son règlement que l'État l'ait acheté. Quatre cent mille francs.
Cinquième séance du buste d'Elisabeth.
Presque achevé la danse de la Séduction.
Dîner chez Bosworth. Convives M. et Mme Campbell, conservateur du musée de Philadelphie. M. et Mme Haulington qui est un architecte quaker? avec leur jolie fille. Audrey[2] revient d'Amérique où, dit-elle, la question nègre, par suite du développement très important d'une véritable société nègre, devient fort grave. Bientôt ce seront les blancs, qui ne versent plus leur sperme à tous les vents, qui seront relégués dans des quartiers interdits. Les blancs leur ont fait bien du mal. Ils leur ont fait du bien. Mais on ne se souvient que du mal. Ainsi sont faits les hommes, blancs ou noirs.
4 août [1947]
Visite d'une dame qui se présente comme secrétaire de la Ligue française pour la Pologne libre, et qui me présente une sorte de pétition à signer pour demander de fixer définitivement les frontières de la Pologne telles qu'elles ont été actuellement fixées par la Russie qui s'est emparée d'un gros morceau de la Pologne de l'Est, avec les vieux procédés tsaristes. Déportation des Polonais de l'est dans la partie allemande annexée à l'actuelle Pologne. Allemands de ces zones emmenés en Sibérie pour travaux de canalisation.
Nous dînons aux Batignolles, chez le ménage Deleplanque. Madame a transformé son mari en domestique.
5 août [1947]
Revenant de chez Susse, je rencontre Goutal. Il me conseille de voir R[obert] Rey à la fin de ce mois pour mon Michel-Ange. Il n'y a pas d'argent. Quelle blague!
6 août [1947]
Institut. Boschot nous lit une lettre absurde à propos du tricentenaire. Je crains un échec, peut-être voulu.
8 août [1947]
Buste d'Elisabeth. Onzième séance.
13 août [1947]
Le Figaro publie un article de la Pravda sur la décadence de l'Art (bourgeois) où Picasso, Matisse, ces gloires, sont traités comme ils le méritent. De ce côté-là il y a du bon sens.
Fini le buste d'Elisabeth. J'ai mis dix-sept séances.
16 août [1947]
Visite de la fille de Brunsvicg, Mme Weill[3]. On va publier un livre de pensées qui sont des réponses faites à Élie Halévy à propos de conversations et d'une correspondance qui datent de 50 ans.
19 août [1947]
J'avance les dessins-études pour les Hespérides (la Porte)[4].
Mme Thomas me téléphone pour cérémonie demain à Orly. Il s'agit du départ pour l'Amérique de la couronne du sergent américain Kelly tué à S[ain]t-Cloud, le jour de la Libération de Paris. Ce sergent Kelly, déjà volontaire en 1914, faisait partie de l'armée de débarquement. Il était en jeep. Voulait être le premier à entrer dans Paris délivrée. Des partisans le prirent pour un Allemand. Tirèrent. Gravement blessé il fut ramené en Amérique. D'abord hospitalisé à S[ain]t-Cloud. Mme Thomas, pharmacienne dans l'hôpital de S[ain]t-Cloud, le soigna. Depuis elle s'efforce de perpétuer sa mémoire.
20 août [1947]
Cérémonie à Orly. Nous avons d'abord été réunis dans la cour des pensionnaires des Invalides. Deux de ces pauvres types sont délégués. Un vieux et un jeune paralysé du bas du corps et des jambes. Un beau jeune homme qui se plaint à moi de la promiscuité des chambres. Voudrait une chambre pour lui seul. À Orly, cérémonieusement, militairement, la couronne tricolore est remise et l'avion l'emporte.
À dîner Marguerite Long, Paul Léon et Jean-Paul[5]. Paul Léon nous raconte les séances de spiritisme auxquelles il a assisté. Il en suit chez des dames où il y a des séances régulières. Il assure que des apparitions ont lieu. Aspect d'êtres humains qui arrivent, vous touchent, et disparaissent sous l'action d'un médium endormi... Il ne croit à rien. Il constate et raconte avec son sourire sceptique.
À propos des manques de parole de Jaujard et Goutal, il me dit que le budget d'achat n'est pas de 1 200 000 F comme m'a dit Goutal, mais de 40 000 000.
22 août [1947]
Les Anglais se conduisent de manière incompréhensible avec les juifs. Ils ramènent à Hambourg, dans de véritables bateaux-cages, ceux qui cherchent à joindre la Palestine.
24 août [1947]
Fin du buste Elisabeth (le cou, les épaules). Il est bien.
27 août [1947]
Institut. Boschot est malade. La commission du tricentenaire est remise à la semaine prochaine.
28 août [1947]
Téléphone de Boschot à propos du tricentenaire. Il me parle de la promotion de la Légion d'honneur qu'il y aura à propos de ce tricentenaire! Il ne pense qu'à ça, être grand officier. Pourquoi il flatte le ministre et ne cherche qu'à savoir ce que le ministre veut. C'est un pauvre type. Je pense aussi, un assez sale type.
Cahier n°49 bis
30 août 47
Les journaux annoncent d'Amérique une très grave maladie de Honegger. Il s'agirait d'une crise cardiaque. On le soigne. Il ne serait pas perdu. Comme on a tort de remettre les bustes que l'on doit faire. C'est comme celui de Valéry. Une séance et je n'ai pas suivi. Trop pris l'un et l'autre. Je regrette bien plus le buste Honegger. Il a une autre allure. Valéry semble un vieux marcheur, ou un vieux petit boutiquier, ou un vieux petit chef de bureau.
31 août [1947]
Les Anglais continuent leur politique anti-juive. Les Allemands ne faisaient pas mieux qu'eux. Ils annoncent que l'armée fera débarquer de force les israélites de l'Exodus. Ils veulent bien assurer que les soldats ne tireront que s'ils étaient en danger. Ces pauvres juifs affamés. On va les enfermer à nouveau dans leur camp de concentration.
Repris dans le plâtre les statuettes Parvâti et Séduction.[6]
Ce mois j'ai terminé le buste d'Elisabeth. Bien avancé l'Asklépios du tympan[7]. les trois petites danseuses hindoues, et un des quarts du fond du Père-Lachaise[8].
[1] Michel-Ange.
[2] Audrey Bosworth.
[3] Adrienne Weill.
[4] Nouvelle Faculté de médecine.
[5] Jean-Paul Léon.
[6] Les Danseuses cambodgiennes.
[7] Nouvelle Faculté de médecine.
[8] Le Retour éternel.